C. UNE SOUS-DOTATION DES FRAIS DE JUSTICE PERSISTANTE

1. La sous-dotation des frais de justice

Les montants de la dotation initiale en matière de frais de justice sont régulièrement et parfois sensiblement sous-estimés.

Selon le rapport annuel de performance pour 2016 89 ( * ) , le montant des restes à payer en fin d'année auprès des fournisseurs était de 37,5 millions d'euros, contre 73,8 millions d'euros en 2015 soit une nette diminution. Cette amélioration résulte d'un dégel de la réserve de précaution intervenu en novembre 2016 90 ( * ) pour 40 millions d'euros. Ce à quoi il faut ajouter les dettes à payer mutualisées, qui s'élèvent à 72 millions d'euros. Ainsi, les engagements non payés en fin d'année demeurent, contribuant ainsi à reporter d'une année sur l'autre les paiements en retard.

L'exécution du budget pour 2016 s'élève, quant à elle, à 550,5 millions d'euros, ce qui représente un écart de 18,90 % par rapport à la dotation initiale, et de 15,80 % par rapport à la dotation de l'année 2015. En réponse à votre rapporteur, la Chancellerie a indiqué ne pas pouvoir donner de prévision d'exécution pour l'année 2017, en raison des arbitrages de fin de gestion non encore connus.

Évolution de la dotation initiale des frais de justice et de sa consommation réelle entre 2009 et 2018

( crédits de paiement en millions d'euros )

2009

2010

2011 91 ( * )

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Dotation initiale

409

393,3

459,6

470

475,9

455,3

449,8

463

474,6

478,48

Consommation réelle

432,5

467,8

537,5

454,5

473,7

469,9

475,4

550,5

-

-

Écart entre la consommation finale et la dotation initiale

5,75 %

18,94 %

16,95 %

- 3,30 %

- 0,46 %

3,21 %

5,69 %

18,90 %

-

-

Évolution de la consommation réelle par rapport à l'année N-1

-

8,16 %

14,90 %

- 15,44 %

4,22 %

- 0,80 %

1,17 %

15,80 %

-

-

Sources : ministère de la justice et commission des lois du Sénat

2. L'augmentation apparente de la dotation pour 2018

Pour 2018, le Gouvernement prévoit de consacrer aux frais de justice une enveloppe de 478,48 millions d'euros, en augmentation de 3,88 millions d'euros par rapport à la dotation initiale de 2017, mais en recul de 72,02 millions d'euros par rapport à la consommation réelle de 2016, dernière année connue.

La part des charges restant à payer au titre de l'année 2017 est par ailleurs estimée à 37,5 millions d'euros, d'un montant équivalent à celui finalement exécuté en 2016, auquel il convient d'ajouter les dettes n'ayant pas encore fait l'objet d'un engagement juridique mais qui n'en sont pas moins dues, d'un montant total de 85,15 millions d'euros 92 ( * ) , soit un cumul de 122,65 millions d'euros, non budgétés.

La sous-budgétisation chronique des frais de justice a des conséquences sur les juridictions : elles accumulent les dettes et ne peuvent ensuite diligenter les expertises requises, faute de pouvoir payer les auxiliaires de justice. Ce sont ainsi des analyses génétiques, des expertises informatiques, comptables ou financières, des traductions d'écritures, pourtant indispensables à la manifestation de la vérité, qui ne peuvent être réalisées et ont pour effet de retarder le cours de la justice. Certains experts ne veulent plus se déplacer, notamment des psychiatres ou des traducteurs-interprètes, comme votre rapporteur a pu le constater lors de son déplacement au tribunal de grande instance d'Évry, juridiction en cessation de paiement pour les frais de justice depuis le mois de septembre, quand d'autres le sont dès l'été.

Certes, le ministère de la justice justifie ce chiffrage par 36,5 millions d'euros d'économies, dont 14,5 millions d'euros sont liés à la mise en oeuvre complète de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). Or une partie de ces économies semble largement incertaine, du moins à court terme. La montée en régime de la PNIJ, si elle commence à porter ses fruits, ne suffit pas. Par exemple, des difficultés demeurent en matière d'écoutes téléphoniques qui empêchent de réaliser toutes les économies escomptées. Depuis plusieurs années, les projets de loi de finances surestiment les économies liées à la PNIJ : 1 million d'euros d'économies réalisées contre 7,5 attendues en 2015 et 12 millions d'euros d'économies réalisées pour 25 millions d'euros attendues en 2016. En 2017, sur 35 millions d'euros d'économies qui étaient attendues, 16 millions d'économies seraient réalisés. Comme l'a indiqué Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, lors de son intervention devant votre commission à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2018, le ministère attend, à terme, 50 millions d'euros d'économies annuelles à ce titre.

En conséquence, votre rapporteur réitère son constat des deux dernières années, selon lequel l'inflation continue des frais de justice risque, au moins à court terme, de se poursuivre, et déplore la sous-dotation importante de l'enveloppe budgétaire correspondante, comme on l'observe depuis la loi de finances pour 2015.


* 89 Rapport annuel de performance pour 2016, mission « Justice », p. 59.

* 90 Décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 91 Jusqu'en 2011 les frais postaux étaient inclus dans le périmètre des frais de justice. Ils sont depuis l'exercice 2012 rattachés aux crédits de fonctionnement courant des juridictions. Le montant hors frais postaux pour l'exercice 2011 équivaut à 481,8 millions d'euros.

* 92 Ce montant est composé de 55 millions d'euros au titre de la réforme de la médecine légale et de 30,15 millions d'euros au titre des cotisations patronales des collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

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