II. DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES QUI PERDURENT DANS LES JURIDICTIONS

Dans ce contexte d'augmentation budgétaire, le constat posé par votre rapporteur dans ses précédents rapports pour avis demeure.

La situation des juridictions reste difficile, tant en termes de personnel, en raison du taux de vacance de postes chez les magistrats comme chez les fonctionnaires, que de l'augmentation des dépenses de frais de justice, dont l'enveloppe budgétaire est toujours sous-dotée.

Les budgets de fonctionnement et d'investissement des juridictions augmentent, certes, mais au prix d'une rigidité excessive résultant des dépenses liées à l'ouverture du nouveau palais de justice de Paris.

Dans ce contexte, l'activité des juridictions ne cesse d'augmenter et les délais de traitement des affaires de se dégrader de manière inquiétante.

A. UNE DÉGRADATION DES DÉLAIS DE TRAITEMENT PRÉOCCUPANTE

La plupart des juridictions civiles ou pénales voient augmenter le délai moyen de traitement des affaires dont elles sont saisies.

1. La poursuite de la dégradation des délais de traitement en matière civile, pour tous les niveaux de juridiction à l'exception des tribunaux d'instance

En presque 10 ans, entre 2007 et 2016, le délai moyen de traitement des procédures des tribunaux de grande instance est passé de 7,5 mois à 11,1 mois.

Les tribunaux de grande instance sont, de l'aveu même du bleu budgétaire, « la juridiction la plus en difficulté qui ne parvient pas à couvrir ces affaires nouvelles, avec une hausse des délais de traitement, du stock et des délais de traitement qui augmentent sans pouvoir être maîtrisés » 79 ( * ) .

En une seule année (2015 à 2016), les délais de traitement passent de 10,8 à 11,1 mois, et cette tendance devrait se poursuivre avec un délai prévisionnel de 11,5 mois pour 2017. Le stock des affaires à traiter a ainsi augmenté de plus de 29 % en presque dix ans (770 819 affaires restant à traiter fin 2016 contre 595 481 en 2007), conséquence logique du retard cumulé chaque année dans le traitement des affaires nouvelles.

Pour les cours d'appel, ce délai est passé de 12,7 à 13,9 mois entre 2007 et 2016, avec une moyenne de 18,2 mois pour les chambres sociales, et une augmentation du stock d'affaires à traiter de plus de 30 % sur la même période.

En une année (2015 à 2016), les cours d'appel passent d'un délai de traitement de 13,3 mois à 13,9 mois et voient leur stock d'affaires augmenter de presque 4 %. Pour les seules chambres sociales, ce délai est passé de 15,8 mois en 2013 à 18,2 mois en 2016. Deux cours d'appel seulement connaissent une réduction de leurs délais de traitement et de leur stock, celles de Paris et Versailles, qui ont signé un contrat d'objectifs avec le ministère et bénéficient de renfort d'effectifs.

Par ailleurs, les effets de la réforme de l'appel en matière civile 80 ( * ) , entrée en vigueur le 1 er septembre 2017, ne vont pas alléger la charge des juridictions à court terme puisqu'il faut au contraire gérer des dossiers qui ont connu plusieurs régimes successifs de mise en état. Il a d'ailleurs été porté à la connaissance de votre rapporteur une augmentation des incidents de mises en état, du fait de l'inadaptation des outils informatiques.

En outre, selon les derniers chiffres disponibles (année 2016), ce sont près de 29 % des tribunaux de grande instance et 40 % des cours d'appels qui dépassent de plus de 15 % ces délais moyens, alors qu'ils n'étaient que 18 % de chaque catégorie en 2013.

Quant aux conseils des prud'hommes, il fallait 17 mois en moyenne pour voir son affaire jugée en 2016, contre 12,5 mois en 2007, alors pourtant que l'on peut constater une baisse significative du nombre de saisines (- 19 % entre 2015 et 2016) 81 ( * ) .

Seuls les tribunaux d'instance voient leurs délais se stabiliser (5,8 mois en 2016, contre 5,9 en 2015), le champ de leurs compétences ayant été réduit.

Conséquences de ces délais de jugement excessifs, d'après les éléments indiqués à votre rapporteur par la Chancellerie, le nombre annuel des actions en responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice est passé de 173 à 658 entre 2003 et 2015, traduisant une augmentation de 280,35 % entre ces deux dates.

En 2016, 526 décisions mettant en cause la responsabilité de l'État pour dysfonctionnement du service public de la justice judiciaire ont été recensées. La matière civile représente la majorité des décisions rendues, en raison de l'important contentieux généré par les délais non raisonnables de procédure en matière prud'homale, qui représente 237 des 264 condamnations prononcées en 2016 et un coût de 821 727 euros pour l'État.

2. L'accroissement continu de délais, déjà excessifs, en matière pénale

Votre rapporteur regrette tout d'abord que les données relatives aux délais de traitement en matière pénale ne soient pas disponibles pour l'année 2016, presqu'une année après la fin de l'année civile concernée.

Il n'en reste pas moins qu'il constate là encore une dégradation des délais de traitement des affaires. Celle-ci est particulièrement marquante en matière criminelle sur la période 2007-2015, puisque le délai moyen de traitement en première instance passe de 34,6 mois à près de 40,1 mois, soit une augmentation de près de 15,9 %. Le délai de traitement de la cour d'assises d'appel passe quant à lui de 18,4 mois en 2007 à 21,8 mois en 2015.

Un procès pénal, en cas d'appel, peut donc durer près de 61,9 mois en moyenne, soit une durée complète de plus de 5 ans, ce qui semble difficilement acceptable, tant pour les victimes que pour les prévenus.

En matière correctionnelle, le délai de traitement diminue légèrement entre 2007 et 2015, passant de 11 mois à 10,9 mois, ce qui peut s'expliquer par la diminution de la part des affaires complexes, au profit des procédures simplifiées telles les ordonnances pénales et les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité.

27 condamnations de l'État pour dysfonctionnement du service public de la justice ont été rendues en 2016, dont 11 au titre du déni de justice, en raison du délai non raisonnable de la procédure pénale.


* 79 Projets annuels de performances pour 2018, mission « Justice » p. 28.

* 80 Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile. Cette réforme a pour objet principal de renforcer l'effet dévolutif de l'appel, qui n'impose de statuer à nouveau en fait et en droit que dans les limites qu'il détermine, en affirmant le principe selon lequel l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. Il instaure également un principe de concentration des prétentions et moyens dès le premier jeu de conclusions, à peine d'irrecevabilité relevée d'office ou soulevée par la partie adverse.

* 81 Celle-ci serait principalement liée à la complexification du formulaire à compléter pour saisir la juridiction.

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