D. LES INCERTITUDES LIÉES À LA RÉFORME DE LA TAXE D'HABITATION

Conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, le Gouvernement a entrepris de réformer la taxe d'habitation pour dispenser de cette charge 80 % des foyers . Il a été décidé de procéder par voie de dégrèvement, ce qui présente de meilleures garanties pour les communes et EPCI auxquels est affectée cette taxe. Le taux du dégrèvement progressera au cours des trois prochaines années, afin de parvenir à un dégrèvement total pour 80 % des foyers à compter de 2020.

Cette réforme, qui augmentera le pouvoir d'achat d'une grande partie des ménages, fait néanmoins peser de lourdes incertitudes sur les finances communales et intercommunales.

1. Un impôt qui, malgré son vieillissement, maintient le lien entre le financement des services publics locaux et leurs usagers

La taxe d'habitation, due par toute personne qui, au 1 er janvier de l'année d'imposition et à quelque titre que ce soit, a la disposition ou la jouissance de locaux meublés affectés à l'habitation, est affectée aux communes et EPCI. Avec les deux taxes foncières et la taxe professionnelle (remplacée depuis par la contribution économique territoriale, composée de la cotisation foncière des entreprises et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), c'est l'une des « quatre vieilles » - les quatre principaux impôts directs locaux - et un pilier de la fiscalité locale .

En 2016, son produit s'est élevé à 21,862 milliards d'euros, dont 15,113 milliards au profit des communes.

L'assiette de la taxe d'habitation est constituée de la valeur locative des logements. Son taux est fixé par la commune ou l'EPCI, suivant les règles de plafonnement et de liaison fixées à l'article 1636 B sexies du code général des impôts. En 2016, le taux moyen observé était de 24,35 %, dont 16,81 % pour les communes. Le nombre de foyers acquittant la taxe d'habitation au titre de leur résidence principale s'est élevé à 29,1 millions.

Les critiques formulées à l'encontre de cette imposition sont connues. On lui reproche notamment de tenir insuffisamment compte des capacités contributives des ménages, de présenter d'importantes disparités géographiques - la taxe d'habitation pèse souvent plus lourd dans les communes où l'activité économique est le plus faible - et de reposer sur des bases vieillies , les valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation n'ayant pas été révisées depuis 1970, mais seulement augmentées forfaitairement au moyen d'un coefficient annuel de revalorisation. Les multiples exonérations et dégrèvements mis en place au fil des années, au profit des contribuables les plus âgés ou les plus modestes notamment, n'ont pas suffi à corriger ces travers.

Toutefois - et malgré le fait qu'à la faveur des dégrèvements et compensations d'exonérations, l'État prend désormais en charge 25 % du produit de cette taxe - la taxe d'habitation contribue à maintenir un lien direct entre le financement des services publics locaux et leurs usagers . En 2015, elle représentait plus de 20 % du total des recettes de fonctionnement des communes et EPCI. Il s'agit également d' une ressource dont les communes et leurs groupements conservent une certaine maîtrise , puisqu'elles disposent d'un pouvoir de taux.

2. Un dégrèvement progressif, qui fait peser de lourdes incertitudes sur les finances locales

L'article 3 du projet de loi de finances pour 2018 tend à créer un dégrèvement de taxe d'habitation au profit d'environ 80 % des ménages, dont le taux passerait de 30 % en 2018 à 65 % en 2019 et 100 % en 2020 . Bénéficieraient d'un dégrèvement intégral en 2020 les foyers dont le revenu fiscal de référence n'excède pas 27 000 euros pour une part, majorés de 8 000 euros pour les deux demi-parts suivantes et 6 000 euros pour les demi-parts supplémentaires. Pour les foyers dont les ressources se situent entre cette limite et 28 000 euros pour une part, majorés de 8 500 euros pour les deux demi-parts suivantes et 6 000 euros par demi-part supplémentaire, le dégrèvement serait dégressif.

Le mécanisme du dégrèvement offre de meilleures garanties pour l'autonomie financière et les ressources des collectivités territoriales que celui de l'exonération. En effet :

- les exonérations font l'objet d'une compensation par l'État par le biais de dotations de compensation intégrées aux prélèvements sur recettes, tandis qu'un dégrèvement constitue une prise en charge directe de l'impôt par l'État au lieu et place des contribuables, les dépenses afférentes relevant de la mission budgétaire « Remboursement et dégrèvements » ;

- le contribuable exonéré ne figure pas sur le rôle d'imposition et les bases fiscales de la collectivité ou de l'EPCI n'en tiennent pas compte ; tel n'est pas le cas du bénéficiaire d'un dégrèvement ;

- en conséquence de ce qui précède, les compensations d'exonérations sont calculées suivant des règles spécialement fixées par la loi (généralement en fonction du montant des recettes fiscales perçues par chaque collectivité l'année précédant la mise en place de l'exonération), tandis que les sommes dues par l'État au titre d'un dégrèvement sont égales au montant de celui-ci ;

- dans le cas d'un dégrèvement, la collectivité conserve donc un réel pouvoir de taux, puisque toute hausse de taux a une incidence sur le produit qu'elle perçoit (que le supplément d'imposition qui en résulte fasse également l'objet d'un dégrèvement ou qu'il soit mis à la charge du contribuable) ;

- les compensations d'exonérations entrent, pour la plupart, dans le champ des « variables d'ajustement » de l'enveloppe normée des concours financiers de l'État et se réduisent donc d'année en année ; tel n'est pas le cas des dégrèvements.

Hélas, les modalités retenues par le projet de loi de finances pour 2018 pour la réforme de la taxe d'habitation atténuent cette distinction entre dégrèvement et exonération.

En premier lieu, contrairement à la pratique la plus courante, le montant du dégrèvement sera calculé en fonction des taux et des abattements en vigueur en 2017, et n'évoluera pas avec les taux votés chaque année par les communes et EPCI . Toute hausse de taux postérieure à 2017 sera ainsi mise à la charge des foyers. Il s'agit, selon le Gouvernement, de ne pas « accorder aux collectivités un droit de tirage sur le budget de l'État et donc sur le contribuable national, sans nécessité d'assumer la responsabilité de leurs choix fiscaux auprès de leurs administrés 38 ( * ) ».

En second lieu, et de manière beaucoup plus préoccupante, il est annoncé qu'« un mécanisme de limitation des hausses de taux décidées ultérieurement par les collectivités et de prise en charge de leurs conséquences sera discuté dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, de manière à garantir un dégrèvement complet, en 2020, pour les foyers concernés 39 ( * ) ». Le Gouvernement envisage donc, soit de retirer aux communes et EPCI le pouvoir de modifier le taux de la taxe d'habitation, soit de fixer à ce pouvoir de nouvelles limites (qui s'ajouteraient aux règles de plafonnement et de liaison en vigueur). Dans le cas où la liberté de taux des communes et EPCI ne serait pas purement et simplement abolie, et puisque le montant du dégrèvement au profit de 80 % des foyers devrait être revu à la hausse, en cas de relèvement des taux, pour garantir un dégrèvement total en 2020, on ne sait à qui incomberait le poids de cette hausse du dégrèvement . Les communes et leurs groupements seront-ils mis à contribution, partiellement ou totalement ? Cela reviendrait à faire payer en partie au bloc communal le prix d'une réforme voulue par le Gouvernement . En outre, une hausse du taux de la taxe d'habitation ne procurerait aux collectivités de nouvelles ressources nettes qu'en tant qu'il s'appliquerait aux 20 % de foyers non dégrevés 40 ( * ) . La tentation serait alors forte d' alourdir sensiblement la pression fiscale sur ces derniers...

Votre rapporteur remarque en outre qu' il est arrivé plusieurs fois, par le passé, que des dégrèvements soient transformés en exonérations , dont la compensation par l'État a ainsi été fixée en fonction du produit perçu au cours d'une année de référence, puis éventuellement gelée en valeur, avant d'être intégrée aux variables d'ajustement de l'enveloppe normée et réduite en conséquence d'année en année 41 ( * ) . Vu les sommes en jeu - pour la seule année 2018, où le dégrèvement sera partiel, le Gouvernement évalue les dépenses correspondantes pour l'État à 3 milliards d'euros 42 ( * ) - il conviendra de faire preuve de la plus grande vigilance afin que les communes et leurs groupements ne se voient pas, peu à peu, priver d'une part essentielle de leurs ressources .


* 38 Évaluation préalable de l'article 3 du projet de loi de finances pour 2018.

* 39 Ibid .

* 40 Pour être plus précis, dans le cas où les communes et EPCI ne prendraient en charge qu'une partie du coût du dégrèvement supplémentaire, l'État se chargeant du reste, une hausse de taux fournirait aux communes et EPCI : 1° le produit supplémentaire acquitté par les foyers non dégrevés ; 2° les sommes correspondant à la prise en charge partielle par l'État du dégrèvement supplémentaire.

* 41 Il en a été ainsi des dégrèvements de taxe foncière sur les propriétés bâties au profit des personnes âgées de condition modeste prévus aux articles 1390 et 1391 du code général des impôts, transformés en exonérations en 1992. Ces exonérations donnent lieu à l'allocation de compensation dite « ECF », intégrée depuis 2009 aux variables d'ajustement, et dont le montant est ainsi passé de 290 millions d'euros en 2008 à... 26 millions d'euros en 2017.

* 42 Voir le projet annuel de performance de la mission « Remboursement et dégrèvements » du projet de loi de finances pour 2018, consultable à l'adresse suivante : http://www.performance-publique.budget.gouv.fr .

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