B. LES CONCOURS FINANCIERS DE L'ÉTAT : UNE STABILITÉ EN TROMPE-L'oeIL
1. La programmation quinquennale
Pour l'heure, et avant toute mesure de « correction », le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoit une quasi-stabilisation en valeur des concours financiers de l'État , mettant ainsi fin à une baisse ininterrompue depuis 2014 32 ( * ) . On en revient donc au « gel » des concours financiers observé entre 2011 et 2013. Toutefois, cette stabilisation en valeur n'a pas les mêmes conséquences selon le niveau de l'inflation. Compte tenu des prévisions d'inflation plus élevées qu'au cours de la programmation précédente, les plafonds fixés par le Gouvernement actuel équivaudraient, entre 2018 et 2022, à une baisse de 5 % en volume des concours financiers de l'État.
Source : commission des lois du Sénat
Surtout, le périmètre des concours financiers de l'État retenu par le projet de loi de programmation pose problème , puisqu'il inclut non seulement les prélèvements sur recettes établis au profit des collectivités territoriales et les crédits du budget général relevant de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », mais aussi la fraction du produit de la TVA affectée aux régions, qui se substitue à partir de 2018 à leur dotation globale de fonctionnement 33 ( * ) . Or, comme le Gouvernement le rappelle volontiers, la TVA est une recette dynamique ; si la fraction de son produit affectée aux régions est incluse dans « l'enveloppe normée » des concours financiers, alors toute hausse de cette recette se traduira par une baisse des autres concours financiers, au détriment de l'ensemble des collectivités territoriales .
En outre, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui fait partie des prélèvements sur recettes, est inclus comme en 2014 dans l'enveloppe normée, alors qu'il en était exclu par la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. Dans l'hypothèse (incertaine) où la reprise de l'investissement local se confirmerait, l'augmentation des montants versés au titre du FCTVA se traduirait donc, là encore, par une diminution des autres concours financiers de l'État.
Aussi nos collègues députés ont-ils modifié l'article 13 du projet de loi de programmation pour ne plafonner que l'évolution des concours financiers autres que le produit de TVA transféré aux régions et le FCTVA. Ils ont été suivis en cela par le Sénat, qui, à l'initiative de notre commission des finances, a clarifié la rédaction de l'article et ôté la « TVA régionale » du périmètre des concours financiers de l'État. Cette fraction de TVA affectée aux régions a, en effet, toutes les caractéristiques de la fiscalité transférée, qui n'est traditionnellement pas incluse dans ce périmètre.
2. Les concours financiers de l'État en 2018
a) Une quasi-stabilité des crédits
Selon le projet de loi de finances pour 2018, les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales resteraient l'an prochain d'un montant proche de celui observé en 2017. Les documents budgétaires affichent une légère hausse de 0,3 milliard d'euros en valeur des crédits de paiement, liée notamment à la progression des dotations de péréquation « verticale », au dynamisme de la « TVA régionale » et à la revalorisation (en partie optique) des grandes dotations d'investissement, mais cela correspond à une légère baisse en volume. Quant aux autorisations d'engagement, elles reculent, en raison de la non-reconduction du fonds de soutien exceptionnel aux régions.
Évolution des concours financiers de l'État entre 2017 et 2018
LFI 2017 |
PLF 2018 |
Variation |
|||
(en milliards d'euros) |
(en milliards d'euros courants) |
(en milliards d'euros constants de 2017) |
en valeur |
en volume |
|
Prélèvements sur recettes |
|||||
AE=CP |
44,37 |
40,33 |
39,93 |
-9,1% |
-10% |
MissionêRCT |
|||||
AE |
4,21 |
3,78 |
3,74 |
-10,3% |
-11,1% |
CP |
3,44 |
3,66 |
3,62 |
+6,6% |
+5,5% |
TVA régionale |
|||||
AE=CP |
4,12 |
4,08 |
s.o. |
s.o. |
|
TOTAL |
|||||
AE |
48,59 |
48,23 |
47,75 |
-0,7% |
-1,7% |
CP |
47,81 |
48,11 |
47,63 |
+0,6% |
-0,4% |
Source : commission des lois du Sénat
S'agissant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) , qui fait partie des prélèvements sur recettes, elle passerait de 30,86 milliards d'euros en 2017 à 27,05 milliard d'euros en 2018 (en AE=CP), en raison de la substitution à la DGF des régions d'une fraction du produit de la TVA. Si l'on neutralise les effets de cette réforme, on aboutit à une légère hausse de 125 millions d'euros, qui s'explique par :
- une augmentation nette de 95 millions d'euros qui finance pour moitié la hausse des dotations de péréquation « verticale » (voir ci-dessous) ;
- une majoration de 30,8 millions d'euros liée à l'augmentation de la DGF effectivement répartie en 2017, du fait des cas de dotation forfaitaire nulle qui ont réduit le poids de la contribution au redressement des finances publiques qui aurait dû peser sur la DGF ;
- une baisse d'1,6 million d'euros liée au choix de trois départements de recentraliser des compétences sanitaires ;
- l'abondement d'1 million d'euros du fonds d'aide pour le relogement d'urgence (FARU).
Le Gouvernement a fait le choix de poursuivre la hausse des dotations de péréquation dite « verticale » , internes à la DGF, selon un rythme moins rapide, cependant, qu'au cours des années précédentes , où il était apparu nécessaire de neutraliser la forte baisse des dotations forfaitaires pour les communes les plus pauvres. Selon l'article 33 du projet de loi de finances pour 2018, la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR) augmenteraient ainsi de 90 millions d'euros chacune, la dotation de péréquation des départements de 10 millions d'euros. Cette hausse de 190 millions d'euros est financée pour moitié en interne à la DGF, par l'écrêtement de ses composantes forfaitaires, et pour l'autre moitié par la diminution des variables d'ajustement de l'enveloppe normée.
En dépit de ces évolutions marginales, votre rapporteur déplore que la réforme de la DGF du bloc communal soit une nouvelle fois reportée . Il existe pourtant un large consensus pour dire que l'architecture de la DGF du bloc communal est devenue excessivement complexe, que ses modalités de répartition ne reflètent plus la réalité des charges de fonctionnement des communes et EPCI, ni, pour ces derniers, leur degré réel d'intégration 34 ( * ) .
b) Une nouvelle extension du champ des variables d'ajustement
Conformément aux principes qui régissent l'enveloppe normée des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, certaines évolutions tendancielles de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et, pour moitié, la hausse de la péréquation « verticale » au sein de la DGF sont gagées par une diminution de 323 millions d'euros des « variables d'ajustement » . La loi de finances initiale pour 2017 a considérablement élargi le champ de ces variables d'ajustement , dont le montant ne suffisait plus à couvrir la hausse d'autres composantes de l'enveloppe normée, hausse qui atteignait le niveau inégalé de 788 millions d'euros. Ont ainsi été incluses parmi ces variables d'ajustement la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) versée aux régions et aux départements, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) et la totalité de la dotation de compensation pour transferts des compensations d'exonération de fiscalité directe locale (dite « dotation carrée »). Au total, en loi de finances pour 2017, l'assiette des variables d'ajustement a été fixée à 2,958 milliards d'euros, et le taux de minoration moyen à 15,7 %.
Pour 2018, le Gouvernement propose d' inclure dans le périmètre des variables d'ajustement la DCRTP du bloc communal . Selon le Gouvernement, « cette dotation, mise en oeuvre depuis 2011 et figée depuis plusieurs années, représente seulement 1,1 % des recettes de fonctionnement des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en 2016 alors même que la fiscalité économique est dynamique 35 ( * ) ». Par ailleurs, les hausses de crédits à gager bénéficient principalement aux communes et à leurs groupements, à hauteur de 303 millions d'euros. L'élargissement de l'assiette des variables d'ajustement à 3,75 milliards d'euros permettrait de leur appliquer un taux moyen plus modéré que l'an dernier, de 9,2 %. La DCRTP du bloc communal passerait de 1, 18 milliard d'euros en 2017 à 976 millions d'euros en 2018.
Ce choix est très contestable, car l'État revient ainsi sur l'engagement pris en 2009 de compenser intégralement les pertes de recettes subies par les collectivités territoriales en raison de la suppression de la taxe professionnelle. Il frappera les collectivités « perdantes » à la suite de cette réforme, qui se sont vu octroyer une dotation de compensation au lieu et place d'une recette dynamique. En outre, il pèsera lourdement sur des territoires anciennement industrialisés où se concentrent les difficultés sociales et économiques : selon les informations recueillies par votre rapporteur, la métropole d'Aix-Marseille-Provence perdrait dès l'an prochain environ 10 millions d'euros, la communauté urbaine de Dunkerque 5 millions d'euros, la métropole européenne de Lille 3,3 millions d'euros, et des agglomérations telles que celles du Havre, de Denain, Béthune, Maubeuge, Oyonnax ou Florange seraient également touchées 36 ( * ) .
On peut regretter que les documents budgétaires ne permettent pas d'apprécier l'impact de cette mesure sur les communes et EPCI concernés. Il est à craindre qu'il n'excède, au moins pour certains d'entre eux, le bénéfice qu'ils pourraient tirer de la progression de la péréquation verticale. Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements complémentaires de la part des services de l'État.
En outre, la diminution progressive des variables d'ajustement finit, après quelques années, par réduire à presque rien la compensation par l'État des réformes nationales de la fiscalité locale .
Taux de compensation en 2016, par allocation ou dotation compensatrice
Allocation compensatrice de la réduction de TP (puis de CFE) pour création d'établissements, minorée depuis 2008 |
Allocations compensatrices de diverses exonérations de TFPB, minorées depuis 2009 |
Dotations figées issues de la réforme de la taxe professionnelle (DUCSTP et une partie de la dot 2 ), minorées depuis 2011 |
Allocations compensatrices d'exonérations de TFPB, de CFE et de CVAE dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, minorées depuis 2016 |
17 % |
22,4 % |
40 % |
84,8 % |
Source : annexe « Transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales » au projet de loi de finances pour 2017
* 32 En 2017, les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales étaient inférieurs de 11,5 milliards d'euros à leur niveau de 2013.
* 33 Voir ci-dessous, pp. 41-42.
* 34 Voir notamment le rapport de notre collègue députée Christine Pirès Beaune et de notre regretté collègue Jean Germain, « Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme », juillet 2015, consultable à l'adresse suivante : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000507.pdf , ainsi que le rapport d'information n° 731 (2015-2016) de de nos collègues Charles Guené et Claude Raynal, fait au nom de la commission des finances du Sénat, « Sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal », consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r15-731/r15-7311.pdf .
* 35 « Transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales », rapport annexé au projet de loi de finances pour 2018, p. 72.
* 36 Selon les informations recueillies par votre rapporteur, à la suite de l'intégration en 2017 de la DCRTP des départements et des régions au sein des variables d'ajustement, ce sont l'Occitanie, la Normandie et les Hauts-de-France qui, parmi les régions, ont subi les plus lourdes pertes, alors que l'Île-de-France n'a pas été touchée puisqu'elle n'est pas éligible à la DCRTP.