B. LES AGENCES DE L'EAU, DES OPÉRATEURS EN DIFFICULTÉ

1. Les agences de l'eau au coeur d'un système de fiscalité écologique axé sur le principe « pollueur-payeur » et sur la solidarité entre les territoires

La loi sur l'eau du 16 décembre 1964 a décentralisé la gestion de l'eau par bassin-versant en délimitant six grands bassins hydrographiques. Elle a créé les agences de l'eau , qui interviennent sur chaque bassin.

La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (dite loi « LEMA ») a précisé la définition et les missions de ces agences. Aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'environnement, les agences de l'eau sont des établissements publics de l'État à caractère administratif chargés de mettre en oeuvre les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) prévus par l'article L. 212-1 et les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) prévus par l'article L. 212-3 en favorisant plusieurs objectifs :

- une gestion équilibrée et économe de la ressource en eau et des milieux aquatiques ;

- l'alimentation en eau potable ;

- la régulation des crues ;

- le développement durable des activités économiques.

Les agences de l'eau ne bénéficient pas de subventions de l'État mais sont directement financées par des taxes redevances affectées , dont le montant est plafonné chaque année. Ces redevances sont payées par les consommateurs d'eau, les industriels, les producteurs d'électricité, les agriculteurs et les pêcheurs, en fonction des quantités d'eau qu'ils prélèvent, de la pollution qu'ils rejettent ou de l'impact de leur activité sur les milieux aquatiques.

La perception de ces redevances auprès des usagers de l'eau permet le versement d'aides financières aux personnes publiques ou privées qui réalisent des actions ou projets d'intérêt commun au bassin ayant pour finalité la gestion équilibrée et durable des ressources en eau (article L. 213-9-2). Ces aides sont définies dans le cadre d'un programme pluriannuel d'intervention voté par le conseil d'administration de l'agence sur avis conforme du comité de bassin , créé lui aussi par la loi de 1964.

Les principaux bénéficiaires des aides des agences de l'eau sont les collectivités territoriales , pour subventionner leurs projets de lutte contre la pollution (assainissement domestique, réduction des pollutions industrielles et agricoles), de préservation des ressources en eau potable (en particulier des champs captants prioritaires), d'économie d'eau et de gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que de restauration des rivières, milieux aquatiques, zones humides et milieux marins.

Ce système de redevances fait de la gestion et du financement du circuit de l'eau en France un des rares modèles vertueux de fiscalité écologique s'appuyant sur le principe « pollueur-payeur » . En outre, les redevances étant majoritairement payées par les territoires les plus peuplés comme les métropoles et les subventions les plus importantes étant accordées aux projets d'investissements situés en zone rurale, souvent plus coûteux, il s'agit également d'un modèle exemplaire de solidarité entre les territoires au profit des territoires ruraux , pour les aider à faire face à leurs besoins d'équipement en matière d'eau potable et d'assainissement.

2. Des missions élargies et des défis à relever

La feuille de route des agences de l'eau est fixée par des programmes d'actions de six ans , qui définissent leurs priorités, les modalités financières ainsi que les modalités d'intervention.

2018 est la dernière année des X èmes programmes 2013-2018 . Ces derniers ont fait l'objet d'une révision à mi-parcours à l'automne 2015 afin de réorienter les aides des agences en fonction des objectifs des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) 2016-2021 , de tirer les conséquences du rapport public 2015 de la Cour des comptes et du contexte budgétaire.

Les aides versées aux maîtres d'ouvrage - en grande partie les collectivités territoriales - concernent pour l'essentiel des projets d'investissement pour lesquels le paiement s'étale sur plusieurs années (en moyenne 3 à 4 ans).

Les XI èmes programmes pluriannuels , qui couvriront la période 2019-2024 , actuellement en préparation, devront intégrer des orientations découlant de l'élargissement des compétences des agences dans deux domaines :

- la biodiversité et les milieux marins ;

- les adaptations au changement climatique.

a) Les conséquences de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
(1) Un soutien plus fort à la biodiversité terrestre

L'article 29 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a élargi les missions des agences de l'eau à la connaissance, à la protection et à la préservation de la biodiversité terrestre et marine dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie nationale et des stratégies régionales pour la biodiversité, ainsi que du milieu marin dans le cadre des plans d'actions pour le milieu marin. Ce même article pose le principe d'un élargissement, par cohérence, des redevances des agences de l'eau vers les usages portant atteinte à la biodiversité et au milieu marin.

Les agences de l'eau intervenaient déjà sur la biodiversité dite « humide », avec plus de 200 millions d'euros d'aides attribuées chaque année au total par les six agences à des projets en lien direct avec la protection de la biodiversité (rétablissement de la continuité des cours d'eau, restauration des zones humides, etc.).

Elles intervenaient également dans le champ de la biodiversité via des actions spécifiques de conservation ou de restauration des milieux, de restauration des continuités écologiques ou de mesures en faveur d'espèces patrimoniales aquatiques ou de zones humides. Ainsi, certaines agences s'investissaient déjà plus particulièrement sur les migrateurs, la lutte contre les espèces invasives ou encore le soutien aux plans nationaux de protection des espèces menacées.

Certaines actions de prévention subventionnées par les agences avaient également des effets induits non négligeables sur la biodiversité sur des thèmes importants comme la réduction des pesticides, le développement de l'agriculture biologique ou de l'agroforesterie dans les aires d'alimentation de captages par exemple.

Au-delà de ce spectre d'intervention déjà large, les agences contribuent désormais financièrement annuellement aux actions menées par l'Agence française pour la biodiversité (contribution fixée par le Gouvernement calculée en fonction du potentiel économique du bassin hydrographique et de l'importance relative de sa population rurale). L'article 29 de la loi biodiversité prévoit que la coopération entre l'AFB et les agences de l'eau doit faire l'objet de conventions passées conformément à une convention-type, fixée par arrêté du ministre chargé de l'environnement, qui à ce jour n'a pas été publiée.

Dans le PLF 2017, la contribution des agences à l'AFB s'est élevée à 145 millions d'euros, à laquelle s'est ajouté un prélèvement annuel plafonné à 41 millions d'euros destiné au volet national du plan Ecophyto, sur le produit de la redevance pollutions diffuses perçu par les agences de l'eau.

Cette contribution s'ajoutait au prélèvement exceptionnel de 175 millions d'euros prévu chaque année entre 2015 et 2017 sur le fonds de roulement des agences de l'eau.

En outre, les agences ont dû adapter leurs programmes d'actions afin de prendre en compte cette extension de leurs missions à la biodiversité.

ACTIONS COMPLÉMENTAIRES DES AGENCES DE L'EAU LIÉES À L'EXTENSION DE LEURS COMPÉTENCES PRÉVUE PAR LA LOI DE RECONQUÊTE DE LA BIODIVERSITÉ DU 8 AOÛT 2016

Sans attendre la mise en place complète du nouveau dispositif de financement et de gouvernance impliqué par la loi sur les territoires, les agences de l'eau ont lancé dès 2016 des appels à « initiatives pour la biodiversité » , pour lesquelles elles mobilisent collectivement 30 millions d'euros et qui préfigurent les futures actions des XI èmes programmes d'intervention. Cet appel vise à faire émerger auprès d'un large panel d'acteurs des initiatives pour la biodiversité.

Comme le rappelle le cahier des charges de cet appel à initiatives pour la biodiversité publié par l'agence de l'eau Artois-Picardie, le cadre commun de ces initiatives des six agences s'articule autour de trois axes :

*Axe 1 : Restaurer les continuités des trames écologiques et les espaces de transition

Cet axe concerne la restauration de corridors écologiques , pour les différentes sous-trames (identifiées dans les documents régionaux approuvés ou arrêtés) et dans le SDAGE et/ou les SAGE pour les milieux aquatiques et humides, ou les documents de planifications plus précis les déclinant à l'échelle du territoire.

Sont favorisés les projets intégrant des études d'avant-projets ou des travaux. Les initiatives traiteront au titre de cet axe la biodiversité ordinaire comme patrimoniale (espèces et espaces protégées).

*Axe 2 : Réhabiliter les coeurs de biodiversité

Cet axe vise plus spécifiquement des réseaux d'espaces remarquables . Il ne s'agira pas en priorité d'aider un opérateur ou une opération particulière, mais de réhabiliter et/ou de mettre en valeur des espaces (réservoirs de biodiversité tels que définis au L. 373-1 du code de l'environnement) de manière coordonnée pour un/des objectif(s) dépassant l'échelle du site remarquable particulier, en favorisant la mise en réseau d'acteurs d'un même territoire ou d'un même espace de fonctionnalité.

Sont favorisés les projets justifiant la cohérence de l'action globale proposée à l'échelle d'une trame écologique, ainsi que les programmes de travaux de réhabilitation d'habitats remarquables ou d'espèces remarquables inféodées aux milieux visés dans l'appel à initiatives, à l'échelle de l'ensemble des réservoirs de biodiversité du territoire. S'agissant d'espaces bénéficiant d'un régime de protection, ne sont éligibles à un soutien que les actions complémentaires aux programmes de travail annuels faisant déjà l'objet d'un soutien financier de l'État et/ou des collectivités. Ainsi, les organismes bénéficiant déjà de subventions de l'État et/ou des collectivités pour leurs actions en faveur de la biodiversité devront démontrer la complémentarité des actions proposées dans le cadre de l'initiative avec ces soutiens existants.

Actions aidées : restauration de milieux remarquables y compris lutte contre les espèces exotiques envahissantes, études de suivi, acquisition foncière, valorisation auprès du public ; établissement de plan de gestion (incluant la définition d'un programme d'action précis et hiérarchisé), animation territoriale (si collective et non préexistante).

*Axe 3 : Faciliter la mise en oeuvre effective des trames écologiques sur le territoire du bassin

Cet axe s'adresse aux maîtres d'ouvrage ou porteurs de projets, qui par une action spécifique favorisent la mise en oeuvre effective de trames écologiques sur les milieux visés par l'appel à projet.

Il peut s'agir (liste non limitative) de :

- développer des filières spécifiques permettant un changement de pratique sur les espaces considérés ;

- apporter un appui aux collectivités dans la déclinaison et la transcription dans les documents d'urbanisme ;

- mettre en place une animation territoriale locale permettant de définir et concerter un programme d'actions territorial permettant la bonne mise en oeuvre des objectifs des politiques régionales, du SDAGE et des SAGE le cas échéant en matière de TVB, complémentaires aux contrats territoriaux en place sur le bassin.

À titre d'exemple , pour l'agence de l'eau Seine-Normandie , entendue par votre rapporteur pour avis, cet appel à initiatives, doté de 10 millions d'euros, a permis de financer des projets dans le cadre actuel du X ème programme, à hauteur maximale de 80 % de l'assiette retenue.

À ce jour, l'agence a apporté des aides pour 27 dossiers, dont 1,6 million d'euros dans le cadre de cet appel à projets (15 dossiers), et 1,1 million d'euros pour des dossiers éligibles aux aides de l'agence déjà explicitées dans le programme (12 dossiers).

Pour 2018, l'agence prévoit de poursuivre le soutien aux actions consolidant les liens entre gestion de la biodiversité et gestion des ressources en eau, dans le cadre d'une instruction « au fil de l'eau », et non plus dans le cadre d'un appel à projets, dont le calendrier peut s'avérer contraignant pour faire émerger des projets de qualité.

De son côté, l'agence Loire-Bretagne , également reçue par votre rapporteur pour avis, a lancé 2 appels à initiatives dotés chacun de 3 millions d'euros, le second étant plus tourné vers le milieu marin.

(2) Un nouveau partenariat à construire avec l'Agence française pour la biodiversité (AFB)

En tant que principaux établissements publics porteurs de financements locaux, les agences de l'eau seront amenées à rester des acteurs charnières sur les territoires , au coeur des concertations avec les régions, chefs de file en matière de biodiversité, les antennes régionales de l'Agence française pour la biodiversité, les services déconcentrés de l'État, notamment les DREAL, et les futures agences régionales de la biodiversité (ARB).

Un partenariat s'est d'ores et déjà mis en place, malgré l'absence de conventions formalisées à ce jour. Il se traduit :

- au niveau national par le soutien de l'AFB à des programmes de recherche et développement intéressant les agences de l'eau, une collaboration sur la question de la surveillance de l'état des milieux dans la mesure où l'AFB a notamment repris la mission de l'Onema de construction des indicateurs d'évaluation ;

- au niveau de chaque agence de l'eau par un échange d'expertise sur les projets de restauration des milieux aquatiques (en particulier sur la restauration de la continuité écologique des cours d'eau) et de partage des priorités d'action dans les domaines de compétence respective des deux établissements ; l'AFB sera également plus apte à apporter son soutien aux agences de l'eau pour l'évaluation des projets de biodiversité terrestre qu'elles seront amenées à examiner ;

- de manière renouvelée dans le cadre de la préfiguration puis de la création des agences régionales de la biodiversité , actuellement en cours.

Votre rapporteur pour avis a pu constater, lors de ses auditions, que les agences de l'eau étaient satisfaites des rapports entretenus avec l'Agence française pour la biodiversité. Il est d'ailleurs à noter qu'elles sont représentées au conseil d'administration de l'AFB et que réciproquement, l'AFB est présente au conseil d'administration des agences.

Il souligne que des questions se posent néanmoins pour éviter des superpositions de financement .

b) Des priorités nouvelles à conjuguer avec les missions « traditionnelles » exigeantes des agences de l'eau

La priorité des agences de l'eau, dans le cadre des X èmes programmes d'intervention 2013-2018 qui a fixé un cadre global de dépenses maximales de 13,3 milliards d'euros , est la mise en oeuvre des directives communautaires dans le domaine de l'eau , structurées par la directive-cadre sur l'eau (DCE) 16 ( * ) , qui fixe un objectif décliné dans les plans de gestion des eaux par grands bassins hydrographiques, les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).

En découle un accent mis sur :

- la lutte contre les pollutions diffuses , notamment agricoles (produits phytosanitaires et nitrates).

- la restauration des milieux aquatiques , de la continuité écologique et des zones humides.

- la gestion des ressources en eau et le partage de ces ressources en anticipation au changement climatique ;

- les actions pour le littoral , qui contribuent à la mise en oeuvre de la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin » (5 370 km de façade maritime en métropole).

Pour les deux priorités, pollutions diffuses et milieux aquatiques, les capacités de financement globales sont très fortement augmentées, voire doublées dans les bassins les plus impactés.

Source : lesagencesdeleau.fr

Les nouveaux SDAGE (2016-2021) intègrent des mesures d'adaptation au changement climatique au niveau des bassins (réduction des pollutions à la source, amélioration de la continuité écologique, limitation de l'imperméabilisation, sauvegarde des zones humides, maîtrise des prélèvements d'eau, etc.), qui ont conduit les agences à adopter des plans ou des stratégies d'adaptation au changement climatique 17 ( * ) ambitieux, qui appellent des besoins de financement supplémentaires.

3. Les inquiétants impacts du projet de loi de finances pour 2018
a) Les dispositions du projet de loi de finances initial

Le projet de loi de finances initial pour 2018 prévoyait :

- la non-reconduction du prélèvement exceptionnel de l'État, qui avait été mis en place sur la période 2015-2017 à hauteur de 175 millions d'euros par an ;

- la mise en place d'un plafonnement des redevances pour l'ensemble des agences de l'eau à 2,105 milliards d'euros (alors qu'il était fixé dans le PLF 2017 à 2,3 milliards d'euros et que les recettes réelles en 2017 ont été de 2,28 milliards d'euros), soit un manque à gagner de 175 millions d'euros dans la mesure où l'excédent de recettes perçu par les agences en 2018 serait automatiquement versé au budget de l'État ( article 19 du projet de loi de finances ) ;

- la prise en charge par les agences de l'eau de subventions pour charges de service public, jusqu'à présent versées par l'État (sur la ligne du programme 113), à l'AFB, aux parcs nationaux et à l'ONCFS , pour un total de 270 à 297 millions d'euros (240 à 260 millions d'euros pour l'AFB et 30 à 37 millions pour l'ONCFS), alors que la contribution des agences de l'eau s'élevait à 145 millions d'euros en 2017 ( article 54 du projet de loi de finances ).

Le cumul de ces dispositions représentait une perte nette pour l'ensemble des agences de l'ordre de 140 millions d'euros , alors même que 2018 est la dernière année d'exécution du X ème programme d'intervention et qu'on constate un réel dynamisme des engagements depuis 2015.

Pour l'agence de l'eau Loire-Bretagne par exemple, que votre rapporteur a entendue, ces dispositions se traduiront par une perte nette de 27 millions d'euros, avec une nette diminution des prévisions de paiement des interventions et une importante augmentation des restes à payer.

CHIFFRES CLÉS DU BUDGET PRÉVISIONNEL 2018
POUR L'AGENCE DE L'EAU LOIRE-BRETAGNE

Source : Réponse transmise par l'agence de l'eau Loire-Bretagne au rapporteur pour avis

Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis au cours de l'audition du directeur général de l'aménagement, de la nature et du logement, ces dispositions s'appuient sur le constat d'un X ème programme un peu trop élevé par rapport aux besoins réels, notamment en matière d'assainissement, et sur une trésorerie des agences de l'eau qui reste élevée.

En outre, le projet de loi de finances prévoit une forte réduction des effectifs des agences de l'eau , avec 200 suppressions de postes prévues sur la période 2018-2022 dans les six agences , alors que le nombre attendu de départs à la retraite ne devrait pas dépasser 120 personnes.

Pour l'agence de l'eau Loire-Bretagne, cela représente une réduction de 35 à 40 postes en 5 ans.

Pour l'agence de l'eau Seine-Normandie, le plafond en ETP a baissé d'environ 3 % par an depuis 2013. Mais pour 2018, une augmentation du rythme de réduction de l'ordre de 20 % a été annoncée par le ministère, et la réduction passera donc de 3 à 3,6 %.

b) Le texte voté par l'Assemblée nationale

Lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2018 par l'Assemblée nationale, un amendement gouvernemental modifiant l'article 19 a :

- rehaussé le plafond des redevances à 2,28 milliards d'euros en reportant la diminution du plafond à 2019 : le texte de l'amendement prévoit uniquement une dérogation pour 2018 à la baisse du plafonnement qui demeure dans l'article ;

- rétabli un prélèvement de l'État pour 2018 augmenté à 200 millions d'euros sur les ressources accumulées des agences de l'eau.

AMENDEMENT DU GOUVERNEMENT ADOPTÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
LE 21 OCTOBRE 2017

Source : Assemblée nationale

Ces évolutions se traduisent par une perte de ressources pour le budget 2018 des agences de l'eau de 352 millions d'euros , alors même qu'elles ne prévoyaient pas de prélèvement supplémentaire pour 2018 lors de la révision à mi-parcours des X èmes programmes.

Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis par l'agence de l'eau Seine-Normandie, qu'il a reçue dans le cadre de ses auditions, ses prélèvements pour 2018, après la première lecture à l'Assemblée nationale, seront de 66 millions d'euros pour le nouveau prélèvement de l'État et de 104 millions d'euros pour l'AFB, soit 53 millions d'euros de plus qu'en 2017.

Comme l'a indiqué l'agence Seine-Normandie à votre rapporteur pour avis, le maintien d'un prélèvement pour 2018, même s'il n'avait pas été décidé lors de la construction du budget 2017, était une hypothèse qui avait été envisagée et l'agence avait choisi de construire son budget en dégageant une trésorerie prévisionnelle de 74 millions d'euros fin 2018. Si l'augmentation du prélèvement en 2018 reste donc soutenable, la trésorerie de l'agence serait amenée à un peu moins de 10 millions d'euros fin 2018 , ce qui aura des conséquences importantes sur la situation financière de l'agence dans les premières années du XI ème programme , dont le niveau de dépenses sera fortement déterminé par les engagements des années antérieures. Les aides aux maîtres d'ouvrage pourraient ainsi s'élever à 3,7 milliards d'euros pour le XI ème programme, contre 4,3 milliards d'euros pour le X ème programme.

Pour cette agence, ce sont ainsi 16 % des redevances issues de l'eau qui seront sorties du « cycle de l'eau ».

4. La position de votre commission : redonner aux agences de l'eau les moyens d'assurer leurs missions

Votre rapporteur pour avis a entendu les très vives inquiétudes des agences de l'eau et des présidents de comités de bassin , qui ont publié un communiqué commun le 14 septembre dernier, en réaction au projet de loi de finances initial, dénonçant « un nouveau coup dur pour les agences » qui risque de ne pas leur permettre de faire face à leurs « énormes défis : l'adaptation au changement climatique, l'atteinte de 100 % de bon état des eaux en 2027, la prise en main de la GEMAPI par les collectivités territoriales, l'élargissement des compétences à la biodiversité, l'accompagnement dans le financement du renouvellement des réseaux et la lutte contre les fuites » . L'association des maires de France (AMF) a également publié un communiqué « exigeant le respect du budget des agences de l'eau » , de même que l'association des départements de France et Régions de France.

Il a reçu les directeurs des agences de l'eau et les présidents de deux comités de bassin, celui de Seine-Normandie et celui de Loire-Bretagne, dont les positions étaient semblables et semblaient refléter celles de l'ensemble des agences, touchées par cette forte baisse de moyens.

Il a constaté que 28 amendements identiques de suppression de l'abaissement du plafonnement des redevances perçues par les agences de l'eau avaient été déposés à l'article 19 du projet de loi en séance à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la première partie, malgré l'adoption de l'amendement du Gouvernement remontant ce plafond pour 2018 seulement mais aggravant en contrepartie la situation budgétaire des agences par le prélèvement d'une nouvelle contribution de 200 millions d'euros.

Après quatre années de prélèvement sur leur fonds de roulement - 210 millions d'euros en 2014, puis 175 millions d'euros en 2015, 2016 et 2017 - votre rapporteur pour avis craint que les nouveaux efforts demandés aux agences de l'eau pour 2018, dernière année d'exécution de leur X ème programme pluriannuel d'intervention marquée par une forte dynamique des subventions à décaisser, ne mettent en péril l'atteinte de leurs objectifs ainsi que, mécaniquement, le volume des aides qu'elles apportent prioritairement aux collectivités territoriales . Cette crainte est renforcée par la situation plus que tendue des effectifs des agences , qui continuent de baisser, mais cette année beaucoup plus fortement que les précédentes. À terme, votre rapporteur pour avis s'inquiète pour la viabilité de ce modèle vertueux de fiscalité écologique et de solidarité entre les territoires .

a) Un budget qui pèse sur la capacité à investir des agences de l'eau

La baisse de ces moyens, concomitante de l'extension des missions des agences de l'eau, risque en effet d'affecter de manière importante leur capacité à investir alors même que les engagements de la France en matière de qualité des eaux doivent être tenus et que les nouvelles missions incombant aux agences demanderont une marge d'intervention supplémentaire en termes de financement. L'accompagnement des collectivités territoriales pour le renouvellement des canalisations , notamment dans les communes rurales, risque ainsi de pâtir de cette baisse de moyens, alors même qu'il convient de conserver un taux d'aide significatif. L'agence de l'eau Seine-Normandie indiquait ainsi à votre rapporteur pour avis que le premier plan d'accompagnement avec un taux de subvention à 20 % n'avait pas fait l'objet de beaucoup de demandes, tandis que le nouveau plan lancé avec un taux d'aide à 50 % remportait un réel succès. Au total pour cette agence, c'est 17 à 20 % du plan d'investissement qui seraient détournés.

Cette marge d'investissement des agences de l'eau est essentielle car elle permet d'injecter de l'argent dans les économies locales. Il a ainsi été calculé qu' un million d'euros d'aides d'une agence de l'eau induit en moyenne 24 emplois dans le secteur du BTP.

b) Un impact certain sur le prix de l'eau

Les collectivités territoriales seront donc directement touchées par une baisse des aides des agences de l'eau, qui aura également un impact sur le prix de l'eau . En effet, si l'adoption de ces dispositions devrait, dans un premier temps, conduire à faire baisser les redevances, la baisse des aides aux collectivités induira dans un second temps une hausse du prix de l'eau , alors même qu'il devient déjà souvent élevé en zone rurale.

c) Un prélèvement qui ne tient pas compte du fonctionnement des agences de l'eau

L'argument avancé par le Gouvernement relatif au fort niveau de trésorerie des agences de l'eau ne tient pas compte du mode de fonctionnement d'un système qui conduit les agences à accorder des subventions à d'importants investissements, qui mettront plusieurs années à se réaliser concrètement et qui nécessiteront un décaissement échelonné des aides , au fur et à mesure de la réalisation effective des opérations subventionnées. Le système des avances remboursables , qui est pratiqué depuis des années et qui va perdurer pour les aides aux collectivités territoriales, fait apparaître une trésorerie qui masque souvent des restes à payer importants .

À titre d'exemple, l'agence de l'eau Loire-Bretagne devrait disposer d'une trésorerie ne s'élevant plus qu'à 31 millions d'euros au 31 décembre 2017, alors même que ses restes à payer visant à couvrir les engagements qu'elle a pris pour 2017, s'élèveront à la fin de l'année à plus de 675 millions d'euros. Hors prélèvement, le projet de budget 2018 aboutirait à une trésorerie chutant à 4 millions d'euros fin 2018 et donc à des reports de paiement de subventions sur 2019.

L'adoption de ces dispositions conduirait ainsi les agences de l'eau à consacrer, pendant les premières années du XI ème programme, leurs dépenses d'intervention au paiement de subventions déjà accordées , au détriment des nouveaux besoins d'investissement des territoires.

d) La remise en cause d'un modèle vertueux

Votre rapporteur pour avis estime ainsi que les dispositions du projet de loi de finances pour 2018, tel que modifié par l'Assemblée nationale, menacent gravement l'équilibre d'un modèle vertueux , qui met en oeuvre le principe pollueur-payeur et qui permet d'atteindre les objectifs ambitieux de la directive-cadre sur l'eau en matière de qualité des eaux et de faire face aux défis d'adaptation au changement climatique, tout en s'appuyant sur un partenariat étroit avec les collectivités territoriales, et plus largement les maîtres d'ouvrage.

Même si le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature a indiqué à votre rapporteur pour avis qu'une réflexion était en cours pour faire évoluer l'assiette des redevances des agences de l'eau afin de leur donner un lien plus substantiel avec la biodiversité terrestre , à l'image de la diversification des missions des agences, cette piste ne résoudrait pas la question de la diminution des moyens de ces opérateurs, concomitante de l'extension de leurs missions.

Les présidents des comités de bassin considèrent que l'adoption d'un tel budget nécessitera de dégager des priorités dans les actions et les interventions des agences de l'eau et d'abandonner d'autres objectifs dans le cadre d'une feuille de route qui devra être clairement fixée par le Gouvernement.

e) La contribution supplémentaire votée à l'Assemblée nationale doit être supprimée

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur pour avis a proposé à votre commission d'adopter un amendement visant :

- d'une part, à supprimer le prélèvement supplémentaire de 200 millions d'euros en 2018 adopté à l'Assemblée nationale ;

- d'autre part, à supprimer la baisse du plafonnement des redevances perçues par les agences de l'eau à partir de 2019 ; le PLF adopté par l'Assemblée prévoit un plafond fixé à 2,28 milliards d'euros en 2018 puis à 2,105 milliards dès 2019. L'amendement de votre rapporteur pour avis propose de prévoir un seul plafond fixé à 2,28 milliards d'euros . En vertu du principe d'annualité budgétaire, il ne convient pas en effet de maintenir cette baisse du plafond pour 2019. Le débat aura lieu de nouveau l'année prochaine.

Votre commission a suivi la position du rapporteur en adoptant son amendement.


* 16 La directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau poursuit 4 objectifs : la non-dégradation des ressources et des milieux, le bon état des masses d'eau (sauf dérogation motivée), la réduction des pollutions liées aux substances, le respect des normes dans les zones protégées.

* 17 L'agence de l'eau Seine-Normandie a par exemple adopté, le 8 décembre 2016, à l'unanimité du comité de bassin, une Stratégie d'adaptation au changement climatique du bassin Seine-Normandie : http://www.eau-seine-normandie.fr/mediatheque/Dossier_partage/INSTITUTIONNEL/PLAQUETTES/AESN_ChangclimStrat_v8BD.pdf

Autre exemple, le comité de bassin Rhône-Méditerranée avait anticipé en adoptant en mai 2014 un Plan de bassin d'adaptation au changement climatique dans le domaine de l'eau : https://www.eaurmc.fr/fileadmin/grands-dossiers/documents/Changement_climatique/Plan_Bassin_Chgt_Clim-VF30-06-14.pdf

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