AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'année écoulée a été riche en actualités, parfois dramatiques, pour les outre-mer. L'ouragan Irma a dévasté les îles de de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. La Guyane a été secouée par un mouvement social d'une ampleur et d'une longueur remarquables, qui a donné lieu à des émeutes qui n'étaient pas sans rappeler celles de 2009. L'adoption de loi dite « Erom » 1 ( * ) a largement mobilisé les acteurs ultramarins et hexagonaux. La campagne présidentielle a donné l'occasion aux différents candidats de se rendre sur place et d'afficher leur vision pour ces territoires.
Ces événements ont au moins eu le mérite d'attirer l'attention de nos concitoyens sur la diversité et les réalités des outre-mer, encore trop souvent méconnus. Les difficultés économiques et sociales de Saint-Martin et de la Guyane ont ainsi été largement mises en évidence. Le déplacement de la ministre des solidarités et de la santé dans l'Océan Indien a par ailleurs jeté une lumière crue sur la situation sanitaire particulièrement dramatique de Mayotte. Enfin, l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre, qui a nécessité des transferts en urgence dans les établissements martiniquais et la mise en place d'un hôpital de campagne, est venu rappeler la permanence d'un enjeu lié aux infrastructures hospitalières sur ces territoires.
Si l'on ne peut que se réjouir de voir la situation humaine, sociale, économique et sanitaire des outre-mer devenir peu à peu plus présente dans le débat public, la plus grande vigilance s'impose cependant quant aux évolutions annoncées pour le prochain quinquennat. Alors même que la loi Erom n'a pas encore produit tous ses effets, de nouveaux chantiers d'ampleur sont en effet d'ores et déjà annoncés - à tel point qu'on peut craindre que cette loi de programmation ne connaisse une obsolescence accélérée, et ne demeure à l'état de simple loi programmatique.
Huit ans après les États généraux de 2009, dont nombre de constats et de propositions restent d'actualité, le Gouvernement a en effet ouvert de nouvelles Assises de l'outre-mer ; il s'agit d'établir pour le printemps prochain un « livre bleu des outre-mer » qui servira de base aux prochaines réformes. De nombreuses mesures ont par ailleurs été annoncées à l'occasion des déplacements gouvernementaux en Guyane et à Mayotte. Une remise à plat du système d'exonérations sociales et fiscales bénéficiant aux outre-mer serait en outre en préparation.
Dans ce contexte, le présent budget, qui ne porte pas de mesures particulièrement marquantes dans le champ de compétence de la commission des affaires sociales, ne peut constituer qu'un budget de transition. Il comprend des mesures symboliquement positives, comme la stabilisation des crédits de la mission au-dessus de deux milliards d'euros, ou la reconduction des crédits et des objectifs du service militaire adapté (SMA). Il comporte également des décisions plus problématiques, notamment s'agissant de la baisse des investissements en matière de logement.
Si, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la commission donne un avis favorable à l'adoption de ces crédits qui ne traduisent qu'un statu quo budgétaire, cet avis est donné sans guère d'enthousiasme. Les réserves sont grandes, en effet, sur la manque d'ambition affichée sur des enjeux aussi cruciaux que l'emploi, le logement, la santé, la jeunesse, le développement durable, ou encore l'adaptation des normes aux réalités de nos territoires. Il nous appartiendra dès lors de suivre avec attention, dans le cadre des prochains textes financiers, la traduction budgétaire des mesures annoncées ou en préparation, et surtout de celles qui seront prises -du moins nous l'espérons- à l'issue des Assises de l'outre-mer.
Il importe surtout et avant tout de créer les conditions d'un changement de regard sur nos territoires ultramarins. Bien souvent, ce qui nous est présenté comme des « spécificités » ultramarines n'est en réalité qu'une version plus concentrée des réalités traversées par certains territoires ou départements hexagonaux.
D'une manière plus générale, les outre-mer peuvent, à plusieurs égards, être considérés comme le laboratoire du monde qui vient : particulièrement exposés au défi migratoire, au changement climatique, à la transition écologique, à l'effondrement de la biodiversité et au renforcement des risques environnementaux (séismes, volcanisme, cyclones, inondations), ils traversent chacune de ces crises avec d'autant plus de heurts qu'ils font par ailleurs face à des difficultés socio-économiques importantes. De ce point de vue, les outre-mer n'ont besoin de rien d'autre que de voir enfin définie la politique de leur géographie, qui suppose une adaptation des normes nationales aux réalités locales.
Très divers dans leurs difficultés comme dans leurs atouts, les outre-mer pourraient ainsi constituer un formidable terreau d'expérimentation pour les défis que rencontreront demain d'autres territoires, à l'échelle de la France hexagonale comme à celle du monde - à condition cependant de nous en donner les moyens, notamment en matière de recherche et d'emploi.
Il semble au total que, avant même la conclusion des Assises, le diagnostic soit déjà bien connu, et les leviers d'action comme les freins à leur mise en oeuvre largement identifiés. Reste donc à développer une réelle volonté politique sur l'ensemble de ces aspects, afin d'aborder ces enjeux avec davantage d'audace et d'ambition, et de faire enfin des outre-mer les territoires d'expérimentation et d'innovation qu'ils pourraient et devraient devenir.
* 1 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.