B. LE PROGRAMME 138 « EMPLOI OUTRE-MER »
Ce programme vise à encourager la création d'emplois et la compétitivité des entreprises ultramarines. Il s'agit d'abord de compenser l'éloignement géographique, l'insularité, l'étroitesse des marchés et l'exposition aux risques naturels. Les voisins des territoires ultramarins sont également de redoutables concurrents économiques avec, par exemple, dans le tourisme et l'agriculture, des coûts salariaux parfois bien inférieurs et des « standards » à respecter beaucoup moins contraignants.
Enfin, il convient de rappeler que les entreprises ultramarines sont soumises à des normes et des exigences de certification similaires à celles de l'hexagone. Les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer démontrent que ces exigences, conçues pour un espace géographique et climatique continental, sont trop souvent inadaptées au contexte tropical : elles freinent la création de richesses et diminuent l'efficacité de la dépense budgétaire. C'est pourquoi le Sénat, à l'initiative de sa délégation et de votre commission a adopté ces deux dernières années plusieurs initiatives tendant à adapter ces normes aux réalités ultramarines dans le domaine agricole et commercial ; la délégation parachève ses travaux pour faciliter la construction de logements à la fois plus résistants aux cyclones et moins coûteux.
Pour 2018, les crédits du programme 138 en faveur de l'emploi ultramarin sont proposés en hausse d'environ 4 % par rapport à 2017, de façon quasiment identique en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Cela s'explique essentiellement par une « opération vérité » sur le coût réel des exonérations de cotisations sociales spécifiques à l'outre-mer qui représentent plus 80 % de ce programme.
1. Le soutien aux économies ultramarines
L' action n° 1 « Soutien aux entreprises » se compose principalement des remboursements par l'État à la Sécurité sociale du coût des exonérations spécifiques à l'outre-mer et des mesures de soutien aux entreprises.
La hausse de 4 % prévue pour 2018 résulte d'une budgétisation à hauteur de la prévision des caisses, ce qui doit permettre d'éviter les redéploiements budgétaires en cours d'exécution.
Au cours des cinq dernières années, on constate cependant une baisse du niveau de ces crédits : c'est la conséquence, depuis 2013, d'une politique de recentrage des allègements sur les bas salaires et de l'évolution de la masse salariale qui reflète la conjoncture économique insuffisamment dynamique.
L'ÉVOLUTION DES MESURES DE DIMINUTION DU COÛT DU TRAVAIL AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES : UN BREF APERÇU. Il convient de rappeler que, depuis le lancement du Pacte de responsabilité, plusieurs mécanismes - généraux et ultramarins - visant à améliorer la compétitivité des entreprises en minimisant le coût du travail, s'appliquent simultanément, avec des canaux de financement différents. Le dispositif spécifique aux outre-mer d'allégements de charges a été créé en 1994 et ensuite modifié à de nombreuses reprises, en 2000, 2003, 2007, 2008, 2009, 2013 et 2015. Sa base juridique est l'article L. 752-3-2 du code de la sécurité sociale. Les mesures introduites à cet article par la loi du 27 mai 2009 dite LODEOM visent à concentrer les allégements sur les bas et moyens salaires ainsi que sur les entreprises de moins de 11 salariés quel que soit le secteur d'activité. |
Par ailleurs, des zones géographiques prioritaires sont plus particulièrement ciblées ainsi que onze secteurs exposés et présentant de forts potentiels. S'agissant des réaménagements les plus notables, il convient d'abord de rappeler que l'article 130 de la loi de finances pour 2014 a amplifié le recentrage sur les plus bas salaires. Il a également pris en compte la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) : - les entreprises non éligibles au CICE, qui sont peu nombreuses, ont continué de bénéficier du régime antérieur d'allégement de cotisations ; - les entreprises bénéficiant du CICE ont en revanche été soumises à un régime d'exonération plus restrictif, avec des seuils resserrés sur les salaires les plus bas. Parallèlement, le Pacte de responsabilité , visant à abaisser le coût du travail grâce au CICE et à des allégements supplémentaires de charges sociales, a fait l'objet d'une déclinaison spécifique outre-mer pour que le tissu économique ultramarin, constitué à plus de 90 % de très petites entreprises, puisse également bénéficier d'un « coup de pouce » supplémentaire. La loi de finances pour 2015 a ainsi porté à 7,5 % en 2015 puis à 9 % en 2016 - de la masse salariale éligible - le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) pour les entreprises situées dans les départements d'outre-mer. L'article 10 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 s'est efforcé de maîtriser la dépense associée aux exonérations de charges patronales en outre-mer en les recentrant, une nouvelle fois, sur les bas et moyens salaires, avec une exonération totale de cotisations maintenue pour les rémunérations inférieures ou égales à 1,4 SMIC et sur les entreprises des secteurs particulièrement exposés à la concurrence . Au total, pour les entreprises ultramarines de moins de onze salariés, l'exonération demeure totale jusqu'à 1,4 SMIC et dégressive jusqu'à 2,3 SMIC alors que dans le dispositif national, l'exonération totale cesse dès 1,1 SMIC. Pour les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale, l'exonération totale est portée jusqu'à 1,7 SMIC et le point de sortie du dispositif dégressif est repoussé à 3,5 SMIC. Comme l'avait fait observer le Gouvernement, avec la multiplication des réformes, certains allégements généraux de droit commun deviennent paradoxalement plus favorables que les exonérations spécifiques prévues pour les outre-mer. Enfin, le budget 2017 a imposé des restrictions aux dispositifs d'exonérations des travailleurs indépendants . La loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer étendue à Saint-Martin à Saint-Barthélemy et à Mayotte, avait accordé aux travailleurs indépendants non agricoles ultramarins une exonération totale de cotisations pendant deux ans sans condition de revenus. La loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2017, a resserré ce régime d'exonération spécifique en le plafonnant et en le rendant dégressif. Votre commission a souligné, d'abord, que ce réaménagement porte atteinte à la simplicité et la stabilité du mécanisme et, ensuite, qu'il risque de freiner de nouvelles initiatives. Enfin, ce choix d'amoindrir les avantages accordés aux activités les plus rentables et les plus qualifiées correspond certes à une préoccupation de justice sociale mais elle ne favorise pas nécessairement l'essor économique des territoires ultramarins ni la nécessité d'attirer et de retenir l'excellence en outre-mer. |
Au cours des années précédentes, votre commission a insisté sur l'impact dans nos outre-mer du principe de la concentration des allégements sur les bas salaires. Certes, selon les modèles économétriques, ce ciblage est le plus efficace à court terme pour favoriser les embauches. Cependant, à plus long terme, il faut tenir compte des effets structurels de ce choix. En effet, les employeurs ont tendance à proposer des embauches autour du SMIC, même aux jeunes ultramarins très diplômés et ceux-ci s'orientent alors souvent vers la fonction publique ou vers l'exil. Pour éviter que nos outre-mer perdent leurs élites, votre commission a donc préconisé des allègements de charges moins concentrés sur les bas salaires .
Le projet de loi de finances pour 2018 soulève le débat sur la suppression du CICE à l'horizon 2019 (cf. infra dans la seconde partie du rapport) et la question techniquement complexe des compensations à apporter aux entreprises ultramarines afin de maintenir leur compétitivité.
2. Le service militaire adapté et la formation professionnelle des ultramarins
247,5 millions d'euros en AE et 252,5 millions d'euros en CP (en augmentation de 0,5 % et de 2,4 % par rapport à 2017) sont prévus en 2018 pour financer des actions de formation spécifiques, principalement à travers le service militaire adapté (SMA) et l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM).
Le service militaire adapté (SMA)
Rappelons que le service militaire adapté a été créé en 1961 : il s'agissait, à l'époque, de conjuguer les obligations du service national avec le besoin en formation professionnelle. Lors de la suspension de la conscription en 1996, le dispositif du SMA a été maintenu avec une inflexion de ses missions vers le développement économique et la protection civile.
Concrètement, le stage d'au moins six mois qui s'adresse aux jeunes ultramarins, garçons ou filles, âgés de dix-huit à vingt-six ans, comprend un mois de formation militaire, 800 heures de formation professionnelle dans l'une des cinquante filières existantes, une remise à niveau scolaire, la préparation et le passage du permis de conduire ainsi que de l'attestation de premiers secours et enfin des chantiers d'application. Grâce à ces derniers, le SMA participe à la mise en valeur des collectivités d'outre-mer et aux plans d'urgence et de secours en cas de catastrophe naturelle.
Plus de 130 000 jeunes sont passés par le SMA depuis sa création en 1961 avec des taux d'insertion avoisinant 80 % pour l'ensemble des jeunes incorporés. Fait essentiel, le taux d'insertion des volontaires stagiaires s'est maintenu autour de 77 %, malgré l'intégration massive de jeunes éloignés du marché du travail.
La hausse des crédits de paiements pour 2018 en faveur du SMA (+7 % en 2018 pour atteindre 33,4 millions d'euros) intègre les 20 personnels miliaires supplémentaires affectés en 2018 au SMA. La stabilité des autorisations d'engagement s'explique par la fin de la montée en puissance du plan SMA 6 000 l'objectif fixé pour 2017 de 6 000 bénéficiaires ayant été atteint.
Selon les réponses au questionnaire budgétaire, le SMA finalise aujourd'hui une étude qui pourrait servir de base à un nouveau projet "SMA 2025". Pour l'essentiel, l'objectif est de maintenir la performance de 77 % de jeunes insérés dont plus de la moitié dans l'emploi durable. Cela implique une amélioration de la qualité de la formation et l'accompagnement individualisé des volontaires : dont les caractéristiques ont considérablement évolué depuis 2009 avec le doublement des effectifs tandis que le taux d'encadrement est passé de 21,3 % à 15,6 % de 2010 à 2017.
Votre rapporteur pour avis estime que les outre-mer doivent continuer, à travers le SMA, de jouer un rôle de « laboratoire » en garantissant le maintien de sa performance actuelle et en ouvrant de nouvelles perspectives.
L'appui à la formation - mobilité
Malgré les actions menées par les collectivités territoriales, l'offre de formation ne permet pas de couvrir les besoins des outre-mer et la formation hors du territoire ultramarin est donc une nécessité. Dans un souci de rationalisation, l'ensemble des crédits dédiés à la formation professionnelle en mobilité des ultramarins a été regroupé, depuis la loi de finances pour 2015, dans la mission outre-mer, par des transferts en provenance du ministère du travail en charge de la formation professionnelle.
L'action 2 finance ainsi l' Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). Placé sous la tutelle du ministère chargé de l'outre-mer et du ministère chargé du budget, cet opérateur de l'État a pour mission d'améliorer l'employabilité et de favoriser l'insertion professionnelle des ultramarins à l'issue de leur formation. Le champ géographique d'intervention de LADOM couvre par principe les cinq départements d'outre-mer : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion. Il est étendu à Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Barthélemy pour les élèves en mobilité. La gestion des aides pour les collectivités d'outre-mer et pour la Nouvelle-Calédonie est assurée par l'État ; pour ces territoires, LADOM n'intervient que comme prestataire
Afin de développer la politique de continuité territoriale définie par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, LADOM gère les trois grandes actions financées par l'État à travers le fonds de continuité territoriale :
- le « passeport pour la mobilité de la formation professionnelle » qui finance les dépenses de formation professionnelle en mobilité, lorsque la filière recherchée n'existe pas sur place ;
- le « passeport pour la mobilité des études », qui finance tout ou partie des titres de transport des étudiants et des lycéens de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Barthélemy contraints de suivre en Europe une formation non disponible sur place ;
- l'aide à la continuité territoriale, qui finance une partie du titre de transport des résidents des départements et collectivités d'outre-mer, entre leur collectivité de résidence et l'hexagone ;
- et le « passeport pour la mobilité en stage professionnel » créé par la loi EROM pour financer les titres de transport des élèves et étudiants inscrits dans des filières professionnelles pour effectuer un stage dans une autre académie.
Les financements de LADOM prévus pour 2018 sont en retrait par rapport à 2017. Au cours des auditions, le Gouvernement a tout d'abord fait valoir que la réduction de 0,3 million d'euros de sa subvention pour charge de service public serait compensée par une forte revalorisation de la subvention versée à l'institut de formation aux carrières administratives, sociales et sanitaires (IFCASS), limitant ainsi les financements croisés entre les deux organismes.
D'autre part, la baisse de 8 millions d'euros qui frappe la formation professionnelle en mobilité se justifierait par une stabilisation des demandes attendue suite à la fin du plan "500 000 formations". De plus, le taux des crédits gelés de 3 % en 2018 au lieu de 8 % les années précédentes devrait permettre de stabiliser la réalisation budgétaire sur cette ligne par rapport à 2017.
Votre rapporteur pour avis souligne néanmoins que l'ouverture sur le monde des jeunes d'outre-mer est fondamentale et prend acte de l'engagement de la ministre à trouver des financements complémentaires en cas de besoin et selon le rythme d'application des nouvelles mesures prévues dans la loi de programmation relative à l'égalité outre-mer.
Enfin, la hausse de l' action 3 « Pilotage des politiques publiques » qui totalise 2,5 millions d'euros dans le projet de budget pour 2018 est liée à la prise en compte du quart du financement des assises des outre-mer dont le total (1,7 million d'euros) a été réparti entre plusieurs ministères.