AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires sociales a été saisie pour avis sur 29 des 116 articles du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, avec une délégation au fond sur 25 de ces articles.

Votre rapporteur souhaite faire part, à titre liminaire, de quelques réflexions sur la notion d'égalité réelle, tirées des auditions qu'elle a conduites. Quoique l'expression ait déjà été actée dans le titre d'un autre texte du quinquennat, la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle n'est pas sans susciter une certaine perplexité. Cela signifierait-il donc qu'il pourrait exister, a contrario , une égalité qui ne serait que de principe, sans se traduire dans les faits ? Ce serait là reconnaître l'impuissance des textes que nous adoptons, ainsi que des politiques publiques qui sont conduites dans notre pays. Face pourtant aux défis majeurs auxquels doivent faire face plusieurs de nos territoires ultramarins, le législateur devrait ici, sans s'attacher à mettre en avant des concepts qui ne sont bien souvent que d'affichage, privilégier une approche plus claire, plus humble peut-être, et sans doute davantage adaptée aux diverses situations de ces territoires.

Le projet de loi soumis à notre examen ne semble malheureusement pas de nature à satisfaire à cette aspiration. Il est tout d'abord difficile d'en donner une vision d'ensemble, tant les sujets abordés sont divers. Cette diversité résulte en grande partie de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, qui a multiplié par sept le nombre d'articles initialement contenus dans le texte. Sur le volet social, il en résulte nécessairement des dispositions éparpillées, souvent adoptées dans la précipitation, qui ne sont parfois que de complaisance, et qui, bien entendu, ne sont assorties d'aucune étude d'impact. Peut-on, dans ces conditions, parler d'une loi de programmation - qui supposerait un travail rigoureux en amont, visant à définir les grands principes et objectifs autour desquels s'organisera le droit applicable à l'outre-mer en matière sociale au cours des prochaines décennies ? Votre rapporteur ne le croit pas, et le regrette, car plusieurs de ces territoires de la République font face à de véritables situations d'urgence.

Elle s'interroge également sur l'application de la notion d'égalité réelle à l'ensemble des outre-mer : il semble en effet que l'objectif n'est pas ici d'aboutir à une uniformité complète entre ces territoires et l'hexagone, qui serait de toute façon chimérique, tant ils font face à des enjeux et des situations de développement contrastées. Il faut au contraire prendre en compte ces différences, et définir, en tenant compte des spécificités de chaque territoire, une dynamique de convergence plutôt qu'un objectif d'égalité parfaite, en tout état de cause inatteignable.

Par ailleurs, les derniers textes dont nous avons eu à connaître se caractérisent par une véritable inflation des demandes de rapport ; celui-ci, qui n'en compte pas moins de 19, ne fait pas exception. Considérant, comme elle le souligne régulièrement, que la remise de rapport ne saurait constituer un substitut à l'action publique - ou à l'inaction publique, selon les cas -, la commission des affaires sociales vous proposera de supprimer systématiquement ces demandes.

Sans entrer dans le détail des mesures éparses que contient ce texte, votre rapporteur souhaiterait insister sur quatre des dispositions qu'il porte.

S'agissant en premier lieu du volet du texte relatif à la santé, l'article 10 quater prévoit que la déclinaison mahoraise de la stratégie nationale de santé (SNS) doit inclure un volet relatif à la mise en place progressive de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) à Mayotte. Il s'agit là de l'une des préconisations formulées par le rapport de notre commission sur la situation sanitaire des populations de l'Océan Indien 1 ( * ) ; nous avions en effet constaté que le très faible développement de l'offre de soins libérale à Mayotte résulte en partie de l'organisation de la couverture maladie de la population, et singulièrement de l'absence de CMU-c. La commission propose donc d'adopter cette disposition sans y apporter de modification, tout en regrettant, d'une part, que la mesure proposée n'englobe pas également l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) -alors même que les deux dispositifs poursuivent le même objectif et fonctionnent ensemble-, et, d'autre part, qu'il ne soit pas procédé à une mise en oeuvre plus directe de cette mesure. Le renvoi à la stratégie nationale de santé apparaît en effet pour le moins flou, d'autant qu'aucun élément de calendrier n'est précisé.

S'agissant ensuite de la consommation nocive d'alcool, il apparaît que le lien entre le prix et la consommation d'alcool, sur lequel l'article 10 decies demande un rapport au Parlement, est déjà très largement établi par de nombreuses études. Ainsi que nous avons pu le constater lors de notre déplacement à la Réunion, la fiscalité spécifique des alcools applicable outre-mer, sous les effets cumulés des aménagements de la TVA, de l'octroi de mer interne, des droits de consommation sur les alcools ou de la cotisation de sécurité sociale, permet un accès à prix très bas des populations à des alcools au titrage alcoométrique élevé. Il ne semble dès lors pas justifié de maintenir une cotisation de sécurité sociale, instaurée expressément pour des motifs de santé publique, qui soit près de 7 fois inférieure dans les outre-mer par rapport à l'hexagone. C'est pourquoi la commission des affaires sociales propose de supprimer la demande de rapport au profit de dispositions plus normatives prévoyant notamment une convergence progressive, sur dix ans, du taux de la cotisation entre les outre-mer et l'hexagone, et une affectation à la Cnam du produit de cette taxe au profit d'actions conduites dans les Dom.

Sur le volet famille, les aménagements apportés par l'article 9 ter au dispositif du complément familial paraissent emblématiques de la façon dont on légifère trop souvent pour l'outre-mer, par strates successives, sans se soucier de la cohérence d'ensemble des mesures adoptées. Cet article prévoit en effet une revalorisation ciblée en direction des familles ultramarines, sans remise en cause de la différence de nature entre le complément familial métropolitain et le complément familial ultramarin - qui constituent en réalité deux prestations très nettement différentes. Il est par ailleurs proposé d'étendre le complément familial à Mayotte. Trois régimes coexisteront donc pour cette prestation : celui de Mayotte, celui des autres départements d'outre-mer, et celui de la métropole. Il semble que cette complexité viendra encore alourdir la charge de travail de la Cnaf, et contribuera à renforcer l'illisibilité de ces différents régimes de prestations pour les allocataires - notamment pour ceux qui devraient déménager entre l'hexagone, La Réunion et Mayotte. Une véritable réflexion sur l'égalité réelle outre-mer supposerait de s'interroger sur l'ensemble de ces différences et sur leur justification plutôt que d'improviser, peut-être pour satisfaire des équilibres politiques, une série de mesures de revalorisations ciblées et d'extensions partielles sans étude d'impact préalable.

Enfin, sur le volet du texte relatif au droit du travail et à la formation professionnelle, l'article 9 D définit les critères que doit remplir une organisation patronale ou un syndicat de salariés pour être déclaré représentatif à l'échelle d'un territoire ultramarin. Il faut rappeler que le cadre législatif patiemment bâti depuis 2008 ne reconnaît actuellement que quatre niveaux de représentativité pour les syndicats : l'entreprise, le groupe, la branche et l'échelon national. L'objectif de cet article est de permettre aux partenaires sociaux représentatifs dans une collectivité ultramarine de négocier et conclure des accords locaux en cas d'absence de couverture conventionnelle. La commission partage naturellement cet objectif ; elle regrette cependant que cet article n'ait fait l'objet d'aucune concertation préalable avec les partenaires sociaux représentatifs au niveau national, en contradiction avec l'esprit de l'article L.1 du code du travail, alors qu'il modifie en profondeur les règles de représentativité. Alors, en outre, qu'il est largement satisfait par un article de la loi « Travail », il risque d'ouvrir la boîte de Pandore en incitant différents syndicats locaux à demander l'extension de ces dispositions à d'autres territoires. C'est pourquoi la commission des affaires sociales proposera, ici encore, sa suppression.

Au total, c'est un volet social certes allégé, mais plus normatif, plus cohérent, et moins soucieux de sacrifier aux seules exigences de l'affichage politique, qu'elle vous propose d'adopter sur ce texte.


* 1 Promouvoir l'excellence sanitaire française dans l'Océan Indien, Rapport d'information de MM. Alain Milon, Gilbert barbier, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne et M. Jean-Louis Tourenne, rapport d'information n° 738 (2015-2016) du 29 juin 2016 fait au nom de la commission des affaires sociales.

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