B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Si votre commission considère que le secret des sources est un droit nécessaire qui justifie une protection particulière, elle a toutefois souhaité rappeler qu'il n'était pas intangible et qu'il devait être concilié avec d'autres impératifs tenant à la préservation de l'ordre public mais également avec la préservation d'autres secrets.
1. Équilibrer les atteintes pouvant être portées au secret des sources avec la préservation d'autres intérêts
Votre commission est particulièrement attentive à la protection du secret de l'enquête ou de l'instruction en tant qu'elle est essentielle à l'efficacité des actes d'investigations, pouvant être entravés en cas de diffusion d'informations au public, mais elle l'est tout autant au respect de la présomption d'innocence.
Dès lors, votre commission s'est interrogée sur l'immunité absolue du secret des sources qui ne connaît d'exceptions que pour certaines hypothèses très limitées, soit les crimes et certains délits punis d'au moins sept ans d'emprisonnement. Or les journalistes révèlent parfois des informations mettant gravement en péril l'efficacité de certaines enquêtes 8 ( * ) ou la présomption d'innocence 9 ( * ) .
Votre rapporteur a soulevé la faible pertinence d'un seuil lié à un quantum de peines, l'infraction étant susceptible de requalifications en cours d'enquête, ou aux évolutions législatives.
En conséquence, outre une clarification rédactionnelle visant à mettre en cohérence les dispositions modifiant la loi de 1881 et le code de procédure pénale, votre commission a adopté un amendement LOIS-3 de votre rapporteur visant à permettre des atteintes aux secrets des sources, indépendamment d'un seuil de quantum de peine lorsque ces mesures sont « strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi » et relèvent d'un intérêt public prépondérant.
Ces dispositions semblent d'autant plus nécessaires que ces garanties procédurales étant à peine de nullité, une erreur de qualification pourrait invalider l'intégralité d'une procédure.
En outre, votre commission a relevé que la référence à une « archive de l'enquête » du bénéficiaire du secret des sources, sans que celle-ci soit définie, entretient une confusion terminologique avec l'enquête pénale. Plus concrètement, la définition proposée par le texte de « l'atteinte indirecte » au secret des sources est susceptible d'élargir excessivement le champ des personnes concernées par cette protection : toute personne susceptible d'être en contact régulier avec des journalistes pourrait s'en prévaloir à bon droit. Dès lors, votre commission a supprimé cette définition de l'atteinte indirecte par l'adoption de l'amendement LOIS-2 de son rapporteur.
Enfin, par l'adoption d'un amendement LOIS-1 de son rapporteur, votre commission a souhaité restreindre le champ des bénéficiaires de la protection du secret des sources, en supprimant l'extension aux collaborateurs de la rédaction, en considérant qu'un secret partagé largement ne pouvait prétendre au même degré de protection.
2. Affirmer le rôle du juge d'instruction
A l'instar de sa position dans le projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée, votre commission ne souscrit pas à la position du Gouvernement et de l'Assemblée nationale qui tend à faire du juge des libertés et de la détention, un juge de l'enquête et à marginaliser en conséquence le juge d'instruction.
Votre commission relève l'originalité d'un dispositif qui soumet à la discrétion d'un juge des libertés et de la détention, juge qui ne dispose pas des garanties de nomination et d'indépendance du juge d'instruction, une décision qui relève traditionnellement du juge d'instruction.
En outre, votre commission rappelle que l'objet de la loi du 15 juin 2000 à l'origine de la création du juge des libertés et de la détention avait pour objectif de ne plus concentrer entre les mains du juge d'instruction à la fois le pouvoir d'investiguer et le pouvoir de décider du placement en détention provisoire. Cette proposition de loi contribue à cette reconcentration des décisions mais cette fois en faveur du juge des libertés et de la détention.
Enfin, à l'inverse des décisions du juge d'instruction susceptibles de recours devant la chambre de l'instruction, les décisions du juge des libertés et de la détention ne peuvent pas, pour la majorité d'entre elles, faire l'objet d'un recours juridictionnel. Aussi votre commission n'approuve-t-elle pas la possibilité d'un recours devant le président de la chambre d'instruction, qui en semblant positionner le juge des libertés et de la détention comme un juge de l'enquête, entretient la confusion procédurale
Par conséquent, votre commission des lois a supprimé ces dispositions par l'adoption d'un amendement LOIS-5 de son rapporteur.
3. Maintenir le délit de recel du secret de l'instruction
Votre commission des lois a par ailleurs estimé que le délit de recel de violation du secret de l'enquête relevait d'ores et déjà d'une stricte interprétation par les juridictions et qu'il ne convenait pas de réduire cette application.
En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation 10 ( * ) , seul le recel d'une chose peut être poursuivi. Dès lors, les journalistes ne peuvent pas être poursuivis pour recel d'une information mais seulement pour le recel d'une pièce d'une procédure judiciaire qu'ils ont matériellement détenue 11 ( * ) .
De plus, les poursuites à l'encontre d'un journaliste pour recel de la violation du secret de l'enquête doivent être examinées à l'aune de l'article 10 de la Convention européenne et doivent donc être nécessaires et proportionnées. Ainsi, dans une décision Dupuis et Pontaut c/ France du 7 juin 2007, la CEDH a censuré la décision de la juridiction française qui avait condamné des journalistes détenteurs de copies de pièces issues du dossier de l'instruction 12 ( * ) . Cette stricte appréciation se retrouve dans la jurisprudence française, notamment de la 17 e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, spécialisée dans les délits de presse 13 ( * ) .
Alors que ce délit est aujourd'hui strictement encadré, ces nouvelles dispositions rendraient très difficiles les investigations portant sur des faits de violation du secret de l'instruction, du secret professionnel, médical ou de la défense nationale.
Aussi, par l'adoption de l'amendement LOIS-6 de votre rapporteur, votre commission a-t-elle supprimé les dispositions relatives au recel de la violation du secret de l'instruction.
4. La suppression de l'obligation de publier les cessions de fonds de commerce dans un journal d'annonces légales
Introduit en séance publique par les députés Patrick Bloche, rapporteur du texte, Pascal Terrasse et Joëlle Huillier, avec un avis favorable exprimé par le Gouvernement, l'article 11 ter vise à rétablir à l'identique des dispositions supprimées il y a quelques mois, avec l'approbation du Gouvernement, dans le cadre de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Il s'agit de rétablir l'obligation de publier les cessions de fonds de commerce dans un journal d'annonces légales, outre la publication dans le bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), au motif qu'elle constitue une ressource complémentaire pour certaines entreprises de presse, indépendamment de toute considération de simplification et de coût pour les commerçants souhaitant vendre leur fonds de commerce.
Cette obligation avait été supprimée par l'Assemblée nationale, avec l'approbation du Gouvernement, en première lecture de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée, puis le Sénat, à l'initiative de notre collègue François Pillet, rapporteur de ce texte, a étendu cette suppression et l'a complétée par d'autres mesures, issues notamment de la proposition de loi, déposée par notre collègue Thani Mohamed Soilihi, de simplification, de clarification et d'actualisation du code de commerce 14 ( * ) , pour simplifier davantage et alléger les démarches administratives et le coût de cession des fonds de commerce.
Aujourd'hui, outre le coût qu'elle représente, la publication dans un journal d'annonces légales est devenue très largement obsolète pour assurer l'information des tiers, en particulier les créanciers du vendeur, alors que c'est son unique objectif. Bulletin annexe au Journal officiel 15 ( * ) , le BODACC est en effet le principal instrument permettant d'assurer une information fiable des tiers, d'autant que cette information est unifiée au plan national, ce qui n'est pas le cas pour les journaux habilités à recevoir des annonces légales, souvent locaux, et que le BODACC est publié de manière uniquement électronique depuis juillet 2015. De plus, l'accès au BODACC est gratuit, contrairement à la plupart des journaux habilités, et les annonces qui y sont publiées sont accessibles de manière permanente.
Très récemment, le décret n° 2016-296 du 11 mars 2016 relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial a d'ailleurs fait mention de la dématérialisation du BODACC dans le code de commerce 16 ( * ) et a tiré les conséquences de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée s'agissant des formalités de vente du fonds de commerce.
Votre commission estime donc que l'article 11 ter entre en flagrante contradiction avec l'exigence de simplification et d'allègement des coûts pour les petites entreprises, légitimement promue par le Gouvernement. S'il est nécessaire de trouver des ressources pour les entreprises de presse, il n'y a pas lieu de le faire par le maintien d'un système obsolète de « taxation » des cessions de fonds de commerce. Votre rapporteur ajoute que les cessions de fonds de commerce ne constituent qu'une partie des annonces légales qui devaient être publiées dans un journal habilité : ce n'est pas l'ensemble du système des journaux d'annonces légales qui a été remis en cause.
Enfin, votre commission considère, du point de vue de la cohérence de l'action du législateur, qu'il n'est pas satisfaisant de revenir à quelques mois d'intervalle sur une disposition adoptée en toute connaissance de cause par le Parlement. Aussi a-t-elle, pour l'ensemble de ces raisons, adopté sur la proposition de son rapporteur un amendement supprimant l'article 11 ter .
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Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles 1er ter, pour lequel elle avait reçu une délégation au fond, et 11 ter.
* 8 Dans un arrêt du 9 juin 2015, la Cour de cassation a confirmé la condamnation, pour recel de la violation du secret de l'instruction, d'un journaliste qui avait diffusé le portrait-robot d'un violeur en série.
* 9 Cour de cassation, chambre criminelle, 14 mai 2013 (n° 1186626).
* 10 Cass, crim, 19 juin 2001, « Une information, qu'elle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal, qui ne réprime que le recel de choses, et ne relève, le cas échéant, si elle fait l'objet d'une publication contestée par ceux qu'elle concerne, que des dispositions légales spécifiques à la liberté de la presse ou de la communication audiovisuelle. »
* 11 Si la Cour de cassation a admis dans un arrêt du 20 juin 2006 que puisse être prononcée une condamnation pour recel d'informations à l'encontre d'un fonctionnaire de police ayant transmis des informations issus du fichier STIC à une personne non habilitée, cette jurisprudence ne semble pas s'appliquer aux journalistes au regard de la spécificité du droit de la liberté de la presse.
* 12 CEDH, 7 juin 2007, Dupuis et Pontaut c/ France, considérant n° 46 « Qu'il convient d'apprécier avec la plus grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d'une telle importance, exerçant ainsi leur mission de «chiens de garde» de la démocratie. L'article 10 protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d'intérêt général dès lors qu'ils s'expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de l'éthique journalistique. »
* 13 Dans un jugement du 14 novembre 2006, le tribunal a considéré « qu'il ne saurait, d'une part, être admis que le journaliste poursuivi pour le contenu d'un de ses écrits contribuant à l'information du public puisse produire pour se défendre en justice les pièces, mêmes couvertes par le secret, sur lesquelles il s'est appuyé et, d'autre part, prohibé qu'il détienne les dites pièces alors qu'il n'est en mesure de produire que des pièces qu'il détient (...) dans ces conditions, la condamnation d'un journaliste pour recel de violation du secret professionnel et du secret de l'enquête et de l'instruction , du chef de la détention de pièces couvertes par le secret et utilisées par lui pour des publications contribuant à l'information du public, ne peut pas être considérée comme nécessaire dans une société démocratique ».
* 14 Cette proposition de loi n° 790 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-790.html
* 15 Article R. 123-209 du code de commerce.
* 16 Selon l'article R. 123-209 du code de commerce, tel qu'il résulte de ce décret, le BODACC « est publié sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir son authenticité et son accessibilité permanente et gratuite ».