C. UN BESOIN D'ADAPTATION DES DISPOSITIONS MÉTROPOLITAINES AUX OUTRE-MER
1. Une application différenciée justifiée par les spécificités des territoires ultramarins
La diversité des statuts et des principes qui régissent l'application des lois et règlements dans les différentes collectivités territoriales ultramarines rend l'exercice délicat. Comme le soulignait à juste titre la ministre des outre-mer lors de son audition devant votre commission des lois, « cette diversité est toutefois un progrès puisqu'elle permet de tenir compte de la spécificité du territoire », l'application des règles métropolitaines faisant ainsi l'objet d'adaptations ou de compléments pour assurer leur adéquation avec la réalité locale.
L'existence de dispositions législatives particulières à une partie du territoire n'est d'ailleurs pas une exception ultramarine. Elle existe également en métropole, à commencer par les départements d'Alsace-Moselle ou, plus récemment, par la Corse. L'éloignement de nos collectivités ultramarines, leur histoire particulière sans oublier leur organisation sociale spécifique justifient les particularismes législatifs des outre-mer. Toutefois, les règles diffèrent et les conditions mêmes dans lesquelles le droit métropolitain s'y applique varient d'une collectivité à l'autre.
Cette diversité est donc autant un gage de subsidiarité que d'efficacité, le droit prenant en compte le fait. Elle tempère le principe d'indivisibilité de la République mais pour mieux intégrer à la Nation des populations qui vivent dans un environnement objectivement différent de celui de la métropole.
L'exemple le plus emblématique est celui de nos compatriotes de la collectivité de Saint-Martin qui partage le territoire de leur île avec les habitants de Saint-Marteen, « pays » au sein du Royaume des Pays-Bas, sans qu'une frontière terrestre ne puisse être dressée comme l'exige le traité de Concordia de 1648. Il en résulte des différences de part et d'autre de la limite territoriale dont nos collègues députés René Dosière et Daniel Gibbes ont parfaitement fait état dans le rapport d'information qu'ils ont présenté devant la commission des lois de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2014. Dans ce cas, les entreprises connaissent une distorsion normative auxquelles les facultés d'adaptation normative doivent répondre.
Cette souplesse existe au demeurant au sein de l'Union européenne pour les collectivités qui sont soumises au droit que ses institutions édictent 11 ( * ) . L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit explicitement, pour les outre-mer, que « le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes » afin de tenir compte « de la situation économique et sociale structurelle [...] qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement ».
2. Des difficultés liées à la multiplicité des procédures
Ce pluralisme normatif n'est cependant pas sans soulever des questions au regard de ses conséquences sur l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi, objectif à valeur constitutionnelle consacré par le Conseil constitutionnel 12 ( * ) . Il oblige le citoyen et le praticien à maîtriser les règles de répartition des compétences entre l'État et les collectivités situées outre-mer ainsi que les règles d'entrée en vigueur des dispositions législatives et règlementaires selon que le principe d'identité ou celui de spécialité s'applique.
A ce maquis législatif, s'ajoute un phénomène propre aux outre-mer : le recours massif, pour ne pas dire systématique, aux ordonnances , soit sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, soit sur celui de l'article 74-1 de la Constitution. Les réserves que votre commission des lois formule traditionnellement à la technique des ordonnances sont connues mais elles prennent un relief particulier lorsque le recours est d'une telle ampleur.
Enfin, cette question n'est pas sans incidence budgétaire . Adapter les règles de droit commun, suivre l'exercice des compétences locales et veiller à la préservation des compétences de l'État, assurer la bonne application des lois et règlements, pouvoir indiquer l'état du droit applicable à un moment donné dans telle collectivité nécessitent des moyens humains en administration centrale. Comme le rappelle l'article 10 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer, « la direction générale des outre-mer exerce [...] l'expertise et le traitement des affaires juridiques, contentieuses et institutionnelles outre-mer ». Or, elle a été soumise, lors de la révision générale, à une réorganisation à partir de 2007.
* 11 Ne sont pas soumis au droit de l'Union européenne et forment ainsi des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, la Nouvelle-Calédonie, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et les terres australes et antarctiques françaises.
* 12 Conseil constitutionnel, 12 janvier 2002, n° 2001-455 DC.