D. LES COMPÉTENCES NORMATIVES DE L'ÉTAT ET DES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES : UN PARTAGE D'APPARENCE CLAIRE
À l'exception des communes, les collectivités territoriales situées outre-mer bénéficient de compétences étendues par rapport à leurs homologues métropolitaines. C'est particulièrement le cas des collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution - la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna - et de la Nouvelle-Calédonie dont les compétences sont déterminées par la loi organique.
1. Une limite à la compétence de l'État pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie
a) La protection particulière des compétences des collectivités territoriales et de la Nouvelle-Calédonie
L'article 3 de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 élève au niveau organique le statut des territoires d'outre-mer. Consacrant cette règle, le constituant l'applique, par la révision du 28 mars 2003, à la catégorie qu'il crée des collectivités d'outre-mer qui prend, pour l'essentiel, la suite de celle des territoires d'outre-mer. L'article 74 de la Constitution dispose ainsi que « ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe [...] les compétences de cette collectivité ». L'article 77 de la Constitution comporte la même règle pour la Nouvelle-Calédonie et ses provinces.
Le partage de compétences fixé par la loi organique peut se révéler délicat dans son application. Les débats parlementaires témoignent des hésitations dont le législateur peut être légitimement saisi lorsqu'il doit mettre en oeuvre la répartition décidée au niveau organique.
Le cas emblématique est celui de l'extension du pacte civil de solidarité (PACS) en Polynésie française. Lors de l'examen de la loi n° 2013-1029 loi du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relative aux outre-mer, notre collègue Catherine Tasca soulevait cette question à l'occasion de la ratification d'une ordonnance relative au droit civil en Polynésie française : « L'instauration du PACS relève-t-elle de la compétence de l'État, au titre de l'état des personnes, ou de la Polynésie française, au titre du droit des obligations ? Si l'État est compétent, pourquoi les dispositions en cause n'ont-elles pas été étendues à ce territoire ? Si la Polynésie française est compétente, l'État sollicitera-t-il prochainement l'adoption d'une réglementation locale par l'assemblée de la Polynésie française ? Il paraît en effet assez incongru que le PACS ne puisse pas être mis en oeuvre sur le seul territoire de la Polynésie française. » Le ministre des outre-mer répondait alors que le PACS, constituant « aux termes de l'article 515-1 du code civil, un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe » [...] relève de la seule compétence de la Polynésie française » . Dans un avis 13 ( * ) sollicité par le Gouvernement, le Conseil d'État concluait en faveur de la solution avancée par le Gouvernement, mettant ainsi un terme à la controverse entre la Polynésie française et l'État, sans que les autorités polynésiennes n'engagent pour autant l'édiction d'un PACS polynésien.
Cette difficulté existe également lorsque le législateur intervient en bordure de sa compétence et que des dispositions nationales appellent des suites dans un secteur connexe qui relève de la compétence locale de la collectivité ultramarine.
Lors de l'examen de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, notre ancien collègue Jean-Pierre Michel, alors rapporteur, relevait à propos de l'article 22 assurant son application outre-mer, que « visant le mariage et la filiation, [le principe de l'égalité de traitement entre les époux ou les parents de même sexe et ceux de sexe différents] relève donc de la compétence de l'État et est applicable, du fait de la mention portée au présent article, dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie » . Les collectivités concernées devront en tirer les conséquences sur le plan de l'accès aux prestations sociales et familiales puisque le législateur interdit, dans son domaine de compétence - le droit civil -, une différence de traitement. Cette différence ne peut donc servir de fondement objectif à une différenciation pour ce motif dans les normes locales.
b) Les conséquences d'un empiètement de compétence de la part de l'État
La méconnaissance de la compétence d'une collectivité d'outre-mer ou d'une institution calédonienne peut être sanctionnée par le juge constitutionnel lorsqu'il est appelé à connaître de la conformité à la Constitution d'une disposition législative. Le Conseil constitutionnel censure même d'office un tel empiètement de compétence : il a, par exemple, censuré d'initiative une partie du III de l'article 99 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire au motif qu'en autorisant l'État à conclure une convention avec le Territoire des îles Wallis et Futuna pour la prise en charge de la santé des personnes détenues, le législateur avait méconnu la répartition de compétences entre le Territoire et l'État 14 ( * ) .
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit, au sein de l'article 74 de la Constitution, la possibilité pour le législateur organique d'instituer, en faveur des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie locale, une procédure permettant au Conseil constitutionnel de constater qu'une disposition législative est intervenue dans le domaine de compétence de la collectivité. Ensuite, la collectivité peut, si elle le souhaite, modifier ou abroger cette disposition qui a été en quelque sorte « déclassée » par le Conseil constitutionnel. Cette procédure a été ouverte à la Polynésie française dès 2004 15 ( * ) puis en 2007, à Saint-Barthélemy 16 ( * ) et Saint-Martin 17 ( * ) .
Cette procédure permet à une de ces trois collectivités d'outre-mer de faire reconnaître sa compétence pour une disposition législative qui n'a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité. À défaut d'intervention du Conseil constitutionnel, sa forme législative l'empêcherait de la modifier d'autorité 18 ( * ) .
Pendant près une décennie, cette procédure n'a été sollicitée qu'une seule fois, aboutissant à une décision de rejet du Conseil constitutionnel en 2007 19 ( * ) .
En 2014, la Polynésie française a décidé de saisir le Conseil constitutionnel de sept requêtes conduisant ce dernier à rendre six décisions. Cinq d'entre elles ont constaté, en tout ou partie, que l'État avait excédé sa compétence. Les modifications « déclassées » résultaient, dans quatre cas, de dispositions adoptées par ordonnance.
La réactivation de cette procédure, y compris pour des dispositions récemment adoptées par le Parlement ou le Gouvernement, appelle une vigilance accrue du législateur dans l'extension des dispositions qu'il adopte dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie.
2. Une possibilité de délégation de la part de l'État
Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l'article 73 de la Constitution ouvre aux départements et régions d'outre-mer, à l'exception de La Réunion, deux formes d'habilitation . D'une part, ces collectivités peuvent être habilitées à adapter les lois et règlements sur leur territoire et dans leurs domaines de compétences. D'autre part, elles peuvent être habilitées à fixer dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement les règles applicables sur leur territoire. Cette habilitation est accordée, selon le cas, par la loi ou le règlement. En revanche, ces habilitations ne peuvent, en vertu de l'article 73 de la Constitution, porter sur « la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral », cette liste pouvant être précisée et complétée par une loi organique.
La procédure a été fixée par la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Pour en faciliter l'exercice, la loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution a assoupli les conditions de recours à cette procédure. Le législateur organique a rappelé, à cette occasion, l'impossibilité pour le Gouvernement de contrôler l'opportunité des demandes d'habilitations dans le domaine législatif, ce rôle incombant au législateur. En outre, la durée d'habilitation, prévue initialement pour deux ans, a été prolongée jusqu'à l'expiration du mandat de l'assemblée locale qui sollicite l'habilitation et sa prorogation rendue possible.
L'article 73 de la Constitution permet donc de disposer d'une forme de pouvoir législatif délégué sans pour autant que le Parlement soit parallèlement dessaisi de la compétence déléguée. La collectivité territoriale doit formuler une demande à l'État qui peut accorder ou non cette habilitation qui ne vaut que pour la durée du mandat en cours. L'assemblée délibérante peut alors adapter les règles de droit commun par délibération. Ces délibérations obéissent à un régime particulier : elles ne peuvent être adoptées qu'à la majorité absolue des élus, elles sont publiées au Journal officiel et peuvent être déférées au Conseil d'État.
Les demandes d'habilitation se sont multipliées, particulièrement de la part des collectivités guadeloupéennes et martiniquaises. Aucun bilan n'a cependant été dressé sur l'usage de ces habilitations, ce qui aurait pourtant l'avantage d'éclairer le Parlement lorsqu'il est saisi d'une nouvelle demande d'habilitation.
3. L'imbrication des compétences : le cas des sanctions pénales attachées à des actes locaux
La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon peuvent assortir la violation de règles qu'elles édictent de sanctions pénales . À l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, les assemblées locales peuvent même prévoir des peines d'emprisonnement mais sous réserve de deux conditions : elles ne peuvent excéder le niveau maximal des peines d'emprisonnement fixé par le législateur national pour une infraction de même nature et doivent respecter la classification des infractions.
En outre, en Polynésie française 20 ( * ) et en Nouvelle-Calédonie 21 ( * ) , contrairement aux amendes édictées, les peines d'emprisonnement n'entrent pas en vigueur tant qu'elles n'ont pas été homologuées par le législateur.
Pour Saint-Barthélemy 22 ( * ) et Saint-Martin 23 ( * ) , les sanctions pénales dans leur ensemble doivent être approuvées par décret pour entrer en vigueur. S'il s'agit d'une peine d'emprisonnement, le décret d'approbation doit alors être ratifié par le législateur pour permettre son entrée en vigueur.
Saisi d'une demande d'homologation ou de ratification, le législateur doit contrôler le respect des dispositions organiques qui encadrent l'édiction de ces sanctions ainsi que le respect des principes constitutionnels applicables en matière pénale. Il dispose, en outre, du pouvoir d' apprécier l'opportunité de cette sanction pénale. En revanche, n'est ouverte au Parlement que la possibilité d'accepter ou de refuser l'homologation ou la ratification. La loi ne peut donc pas modifier la délibération ou la loi du pays.
Tout en préservant la compétence en matière pénale de l'État qui s'assure ainsi de l'égalité des citoyens et garantit la liberté individuelle, cette procédure permet aux collectivités d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie d'assurer l'effectivité des règles qu'elles édictent en proposant ou prévoyant la sanction pénale qui sanctionne leur violation.
C'est pourquoi le retard pris dans l'homologation et la ratification est préjudiciable à ces collectivités.
Lors de l'examen de l'article 29 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, votre rapporteur soulignait déjà cette difficulté et se faisait l'écho des propos similaires de notre ancien collègue Bernard Laurent en 1991. Le rythme des homologations s'est récemment accru puisqu'en 2010 et 2011 , autant d'homologations ont été prononcées qu'entre 1976 et 1991 . Il existe cependant encore des délais de plusieurs années entre l'édiction de la peine et son homologation.
Une difficulté similaire existe en matière de ratification. Le 26 septembre 2012, en séance publique, notre collègue Michel Magras relevait ainsi, à propos de Saint-Barthélemy, qu'avait été adopté un « code de l'environnement en 2009, mais, depuis lors, les délais ne sont pas respectés et l'on nous demande régulièrement de délibérer de nouveau. À l'instant où je vous parle, nous disposons donc d'un code de l'environnement pour lequel il n'existe aucune sanction applicable. ». Cette situation n'a pu être résolue que par l'ordonnance n° 2014-470 du 7 mai 2014 portant dispositions pénales et de procédure pénale pour l'application du code de l'environnement de Saint-Barthélemy. En effet, initialement, le décret n° 2013-878 du 30 septembre 2013 approuvait un projet d'acte du conseil territorial de Saint-Barthélemy qui avait été annulé au jour de l'approbation, faisant obstacle à la ratification du décret. C'est pourquoi le Gouvernement, à la demande de notre collègue Catherine Tasca, alors rapporteur, avait accepté de procéder par ordonnance après que le Parlement l'a habilité à cet effet.
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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la mission outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2015.
* 13 Conseil d'État, avis, 29 avril 2014, n° 388614
* 14 Conseil constitutionnel, 19 novembre 2009, n° 2009-593 DC.
* 15 Article 12 de la loi n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
* 16 Article L.O. 6213-5 du code général des collectivités territoriales.
* 17 Article L.O. 6313-5 du code général des collectivités territoriales.
* 18 Conseil d'État, avis, 5 octobre 1999, n° 363633.
* 19 Conseil constitutionnel, 3 mai 2007, n° 2007-1 LOM.
* 20 Article 21 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
* 21 Article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
* 22 Article L.O. 6351-3 du code général des collectivités territoriales.
* 23 Article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales.