B. DES RESSOURCES PRÉSERVÉES POUR 2015

1. Le dispositif de l'article 20 du projet de loi de finances

Le manque à gagner résultant de l'abandon de l'écotaxe est intégralement compensé, pour 2015, par un relèvement de la fiscalité sur le gazole.

La transformation de l'« écotaxe » en « péage de transit poids lourds » décidée en août 2014 devait déjà entraîner un manque à gagner pour l'AFITF. Le Gouvernement l'a compensé en proposant, à l'article 20 du projet de loi de finances pour 2015, une augmentation de 2 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au carburant gazole . D'après l'évaluation préalable annexée au projet de loi de finances, cette mesure doit rapporter, à volume constant de gazole et en incluant l'incidence de la TVA, 807 millions d'euros environ en 2015 et 730 millions d'euros à l'horizon 2017.

Pour compenser l'abandon du péage de transit poids lourds annoncé en octobre 2014, le Gouvernement a fait adopter un amendement à l'Assemblée nationale, au même article 20, pour augmenter de 4 centimes la TICPE sur le gazole applicable aux transporteurs routiers de marchandises, qui bénéficient d'un niveau de taxation inférieur aux autres véhicules. 332 millions d'euros sont attendus de cette mesure pour 2015.

2. Des ressources convenables pour l'AFITF en 2015

Au total, 1,139 milliard d'euros du produit de la TICPE sera affecté à l'AFITF pour l'année 2015. L'agence bénéficiera ainsi au total de plus de 2 milliards d'euros de recettes, soit 300 millions supplémentaires par rapport à 2014.

LES RECETTES PRÉVISIONNELLES DE L'AFITF EN 2015

Recettes

Montant prévisionnel

Produit de la TICPE affecté

1 139 millions d'euros

Taxe d'aménagement du territoire

561 millions d'euros

Redevance domaniale

310 millions d'euros

Produit des radars

230 millions d'euros

Total

2 240 millions d'euros

Cette recette est particulièrement bienvenue, à l'heure où l'AFITF fait face, depuis deux ans, à des difficultés budgétaires, en raison des reports successifs de l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds.

Le montant de la subvention d'équilibre apportée par l'État, qui devait disparaître avec la mise en place de la taxe poids lourds, a en effet été réduit dès l'année 2013, passant de 939 millions d'euros à 660 millions d'euros, alors même que la taxe n'était pas entrée en vigueur. L'agence a pu compenser ce manque à gagner en 2013 par un prélèvement de 430 millions d'euros sur son fonds de roulement, qui était élevé. Mais en 2014, l'agence n'a pu avoir recours au même mécanisme (elle n'a pu prélever que 83 millions d'euros sur son fonds de roulement), et a seulement bénéficié de 656 millions d'euros de la part de l'État.

Ainsi, alors que son budget avoisinait les 2,2 milliards d'euros par an de 2011 à 2013, il a été réduit en 2014 à 1,8 milliard d'euros. D'après le président de son conseil d'administration Philippe Duron, ce budget « peut être qualifié de crise 6 ( * ) » . L'AFITF a ainsi dû se contenter d'assurer le paiement des engagements antérieurs, en limitant au maximum les nouveaux engagements de crédits. La réalisation des contrats de projets État-régions ou des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), par exemple, a été retardée. Malgré ces restrictions, l'agence a accumulé des retards de paiement 7 ( * ) .

Fin 2013, le cumul des engagements contractés par l'agence s'élevait à un total de 33,8 milliards d'euros, dont 17,3 milliards avaient déjà été payés. Il restait ainsi 16,5 milliards d'euros de « restes à payer ». Dans ce contexte, pour réaliser les seuls engagements passés de l'État, un budget de 2,2 milliards d'euros par an est au minimum nécessaire.

Grâce à l'article 20 du projet de loi de finances, les ressources de l'agence en 2015 vont atteindre un niveau satisfaisant et lui permettre en particulier de mobiliser à nouveau des crédits pour la réalisation des PDMI et d'autres opérations routières, à hauteur de 340 millions d'euros environ.

3. La réduction de l'écart de taxation entre les carburants en faveur du gazole

Pour votre rapporteur, cette mesure présente également l'avantage de réduire l'écart de taxation entre les carburants en faveur du gazole, de 18 centimes d'euros par litre à 16 centimes d'euros par litre 8 ( * ) - ce qui correspond à l'écart de taxation moyen observé au sein de l'UE à 15. Cette mesure avait été préconisée par le comité pour la fiscalité écologique. Sa mise en oeuvre est aujourd'hui facilitée par la baisse du prix des carburants.

LE DIAGNOSTIC RELATIF À L'ÉCART DE TAXATION ENTRE LE GAZOLE ET L'ESSENCE EFFECTUÉ PAR LE COMITÉ POUR LA FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE (18 AVRIL 2013)

La France taxe plus lourdement (au travers de la taxe intérieure de consommation-TICPE) l'essence et le gazole que la moyenne des 27 États membres de l'Union européenne, mais moins lourdement que ses principaux voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Italie) et plus généralement que l'UE-15. La taxation du carburant ne représente que 1,1 % du PIB français contre 1,4 % du PIB en Allemagne et 1,7 % au Royaume-Uni.

L'écart de taxation en faveur du gazole est plus important en France que dans la moyenne des États membres de l'Union européenne : il s'élève à 17 centimes/l contre 12 centimes/l en moyenne pour l'UE-27 et 16 centimes/l pour l'UE-15. La situation au sein de l'UE-15 varie fortement d'un pays à l'autre, le Royaume-Uni ayant totalement gommé l'écart depuis le 1er janvier 2013, alors qu'il s'élève à 18 centimes en Allemagne et à 11 centimes en Italie. Le taux réduit de TICPE du diesel par rapport à l'essence a représenté une perte de recettes de 6,9 milliards d'euros en 2011, que la Cour des Comptes recommande de qualifier de dépense fiscale.

Le gazole a d'abord été un carburant destiné aux poids lourds. Il a bénéficié historiquement d'une fiscalité préférentielle, en raison de son utilisation majoritairement professionnelle. Progressivement, les constructeurs automobiles - notamment français - ont équipé les véhicules particuliers de moteurs diesel, à une époque où les impacts sanitaires de ce carburant étaient méconnus. Aujourd'hui, les immatriculations de véhicules diesels représentent plus de 72 % des immatriculations de véhicules neufs en France et près de 60 % du parc automobile national est équipé de moteurs diesel. La part du gazole dans le total des consommations de carburants dépasse 80 % en France, contre moins de 70 % dans l'UE-27. Certains secteurs professionnels sont dépendants quasi exclusivement du gazole.

Les raffineries françaises ne peuvent pas, sans investissements lourds, produire davantage de gazole à partir d'un litre de pétrole brut qu'elles ne le font aujourd'hui. Du fait de la structure de consommation nationale, la France doit importer des quantités croissantes de gazole et exporter son surplus de supercarburant. En 2012, la France a dû importer plus de 50 % de sa consommation de gazole pour un coût brut pour l'économie nationale de 16 milliards d'euros (13 milliards si on déduit les exportations d'essence).

La combustion d'un volume de gazole émet 15 % de CO 2 de plus que la combustion du même volume d'essence. En outre, l'écart est défavorable au gazole en ce qui concerne la pollution atmosphérique locale. En effet, un litre de gazole émet plus de particules d'oxyde d'azote (NOx) et de particules fines en suspension qu'un litre d'essence. L'OMS a d'ailleurs classé en 2012 les gaz d'échappement des moteurs diesels « cancérogènes ».

Pour un type de motorisation donné, gazole ou essence, la quantité de CO 2 émise par litre de carburant est identique pour tous les véhicules, quels que soient leurs caractéristiques techniques et leur âge. Pour les polluants locaux, les émissions sont liées aux caractéristiques techniques des véhicules, les modèles neufs émettant nettement moins en masse du fait du renforcement progressif de la réglementation européenne (normes EURO).

La consommation de carburant au kilomètre est inférieure pour le gazole, comparé à l'essence, du fait de la meilleure performance énergétique de la motorisation des véhicules diesel. Un prix au litre équivalent pour les deux carburants se traduirait donc toujours par un avantage financier au kilomètre en faveur du gazole.

La fiscalité actuelle des carburants est héritée de la TIPP, dont l'introduction date de la loi de finances pour 1928. Elle n'a pas été construite historiquement pour tarifer les externalités environnementales. Sa structure actuelle en faveur du gazole apparaît contraire à l'objectif de réduction des pollutions locales, vu le parc de véhicules existant aujourd'hui en France. En effet, même si les véhicules neufs roulant au gazole et respectant les normes les plus récentes ramènent, dans les meilleurs des cas, leurs rejets de polluants locaux au niveau des véhicules roulant à l'essence, il faut environ 8 ans pour renouveler 50 % du parc et 20 ans pour renouveler 90 % du parc.

L'augmentation de 4 centimes du prix du gazole renchérit en outre le coût du transport de marchandises par la route, ce qui était l'un des objectifs de l'écotaxe . Elle a toutefois l'inconvénient de toucher les camions étrangers dans une moindre mesure, puisque ces derniers conservent la possibilité de faire leur plein dans les pays voisins.

Il n'est toutefois pas certain que cette mesure soit pérennisée après 2015. Comme l'a indiqué Alain Vidalies devant votre commission, « la modification fiscale que je vous ai présentée est valable pour 2015. Il n'est pas impossible qu'elle soit pérennisée, car certains transporteurs lui trouvent plusieurs avantages. Cependant, un système de vignettes permettrait de faire payer les poids lourds étrangers. »


* 6 Audition devant votre commission le mardi 9 septembre, à l'occasion du renouvellement de son mandat.

* 7 Elle doit plus de 770 millions d'euros à Réseau ferré de France (RFF).

* 8 Source : évaluation préalable annexée au projet de loi de finances.

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