B. LA LENTE AMORCE DE LA RÉFORME DE LA CARTE DES SOUS-PRÉFECTURES
Malgré le consensus existant sur la nécessaire réforme de la carte sous-préfectorale, cette dernière a de nouveau été reportée cette année. Pour votre rapporteur, elle ne doit pas se faire sans une réflexion approfondie sur le rôle des sous-préfets et les missions des sous-préfectures.
1. La nécessaire adaptation du réseau des sous-préfectures
La Cour des comptes l'avait souligné dans son rapport annuel 2012, le réseau des sous-préfectures doit se réformer pour résorber le « hiatus croissant entre l'intangibilité [...] et les transformations de leur environnement, aussi bien économique et social qu'administratif » 13 ( * ) . La Cour est allée jusqu'à conclure sévèrement que « ce niveau infra-départemental de l'administration de l'État devient de plus en plus inconsistant ».
L'utilité des sous-préfectures est certaine, dans la mesure où elle est la représentation de l'État de plus grande proximité. Cependant, si la présence de la puissance publique est nécessaire sur tout le territoire, son organisation doit être uniforme et surtout adaptée en fonction des contextes locaux. Or le réseau actuel des sous-préfectures n'a été que très peu modifié depuis 1926 14 ( * ) : de nombreux arrondissements ont depuis connu des évolutions majeures en termes de développement économique et démographique. Avec le temps, certains territoires sont devenus « suradministrés », alors que d'autres, en zone rurale notamment, connaissent un sentiment d'abandon, consécutif à la fermeture, parfois cumulée, de la perception, du tribunal, de la caserne...
En outre, la RéATE a considérablement modifié les attributions des sous-préfectures. Le contrôle de légalité est depuis 2011 centralisé dans les préfectures, un seul poste subsistant en sous-préfecture afin d'opérer le tri des actes prioritaires selon la stratégie de contrôle définie pour le département 15 ( * ) . Les dernières réformes relatives à la délivrance des titres devraient aboutir, lorsqu'elles seront achevées, d'une part au transfert des fonctions de guichet pour les personnes de nationalité française vers des partenaires publics (mairies, pour les cartes nationales d'identité et passeports par exemple) ou privés (concessionnaires pour les certificats d'immatriculation des véhicules) et, d'autre part, à la centralisation en préfectures des titres officiels pour les étrangers et les procédures de naturalisation. La mission de guichet des sous-préfectures est en conséquence appelée à devenir très limitée dans un avenir proche .
Les différentes possibilités d'adaptation du réseau des sous-préfectures Quelques adaptations du réseau des sous-préfectures ont été mises en oeuvre, de manière cependant limitée : - deux jumelages d'arrondissements, consistant à nommer un sous-préfet pour deux arrondissements, ont été opérés (Haguenau-Wissembourg dans le Bas-Rhin, et Bellac-Rochechouart dans la Haute-Vienne) ; - une fusion d'arrondissement a été opérée en 1974 (arrondissements de Sélestat et d'Erstein dans le Bas-Rhin) ; - la nomination d'un conseiller d'administration de l'intérieur et de l'Outre-mer (CAIOM, cadre supérieur de l'administration des préfectures) à la place du sous-préfet. Depuis 2008, 3 arrondissements ont bénéficié de ce dispositif : Montdidier (Somme), Boulay-Moselle et Saint-Pierre de la Martinique. Les économies de fonctionnement engendrées du fait de la suppression du logement et du véhicule de fonction restent toutefois limitées, puisque les coûts de déplacement (véhicule de service, frais de déplacement) ou d'entretien des bâtiments (dûs à la fréquente imbrication des résidences et des bureaux) ne peuvent pour autant être supprimés ; - le concept des Maisons de l'État consiste à regrouper avec souplesse, au niveau infradépartemental, les services de proximité de l'État ou d'opérateurs nationaux sur un même site. La plupart des maisons de l'État sont des sous-préfectures accueillant les services de la DDT, avec mutualisation du courrier et des salles de réunion : Commercy (55), Lure (70), Céret (66) ; des projets sont en cours pour Castelsarrasin (82) et Langres (52). Le CIMAP du 17 juillet 2013 a consacré les Maisons de l'État comme un des moyens d'assurer la continuité de la présence de l'État au niveau infra-départemental 16 ( * ) . |
2. L'expérimentation en Alsace-Moselle, en attendant la réforme pour 2015
Conscient de la nécessité de réformer la carte des sous-préfectures, le ministre de l'intérieur a confié début octobre 2012 une mission de réflexion sur le réseau des sous-préfectures à MM. Michel Sappin 17 ( * ) , Jean-Marc Rebière 18 ( * ) , et Emmanuel Berthier 19 ( * ) . La mission devait initialement rendre ses conclusions au printemps 2013, puis en juillet. Ses conclusions ont finalement été intégrées à la mission prospective plus large confiée à MM. Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss, sur l'évolution de l'organisation de l'État territorial à un horizon de cinq ans 20 ( * ) .
Dans la partie de leur rapport consacrée aux propositions pour les implantations infradépartementales de l'État, MM. Rebière et Weiss estiment souhaitable de créer des synergies par exemple entre les sous-préfectures et des implantations infradépartementales de la direction générale des finances publiques, pour construire des solutions de substitution attendues par les collectivités locales. Ces projets de synergies entre services « devraient [...] n'être recevables que sur la base d'un diagnostic départementale et réunir plusieurs conditions : une fragilité ou un questionnement sur les implantations actuelles des services, une demande socio-économique, ou un besoin de développement, une bonne coopération des responsables publics locaux de l'État et des collectivités 21 ( * ) ».
Le ministère de l'intérieur a finalement décidé le report de la réforme de la carte des sous-préfectures en 2015 . La perspective des échéances électorales de 2014 n'est probablement pas étrangère à ce report : les conséquences des remaniements du réseau sous-préfectoral sur les résultats de ces élections auraient sans nul doute été majeures dans certains territoires.
Pour le moment, le ministère se veut rassurant, en indiquant que « le réseau des 240 sous-préfectures, élément primordial de notre cohésion sociale et territoriale et auquel nos concitoyens sont très attachés, sera donc largement maintenu » 22 ( * ) . Sa volonté est d'ajuster la carte afin que chaque arrondissement de sous-préfecture corresponde bien à un bassin de vie sur lequel s'exprime une demande d'État.
Afin de préparer la réforme, le ministre a demandé aux préfets des régions Alsace et Lorraine d'expérimenter une méthodologie de rénovation de la carte des sous-préfectures concernant les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Cette rénovation devra avoir été opérée au 1 er janvier 2015, selon une méthode « déconcentrée, objective et ouverte vis-à-vis des acteurs locaux » 23 ( * ) . Lors de son déplacement en Moselle, votre rapporteur a pu observer la volonté du préfet de la région Lorraine d'associer fortement les élus locaux à la préparation de la réforme.
Dans le cadre de cette expérimentation, le ministère de l'intérieur a souhaité que soient pris en compte la gestion des équipes, les aspects budgétaires et immobiliers, l'organisation administrative actuelle, les contraintes géographiques et les difficultés économiques .
Les débuts de l'expérimentation sur la
réforme de la carte
Afin de mener le projet en concertation avec les élus, le préfet de la région Lorraine et préfet de Moselle a mis en place un comité de suivi de la démarche d'évolution du réseau des sous-préfectures du département. Ce comité est composé : - du président du conseil régional de Lorraine ; - du président du conseil général de la Moselle ; - des cinq sénateurs et neuf députés du département ; - du président de l'association des maires ruraux de Moselle ; - des maires des communes chefs-lieu d'arrondissement. Le comité a tenu sa première réunion le 18 novembre dernier. Parallèlement, un comité de concertation sociale a été mis en place. Dans son rapport de méthode en date du 30 octobre 2013, le préfet de la région Lorraine a notamment mis en avant : - le diagnostic des territoires et moyens des sous-préfectures effectué en 2012, qu'il conviendrait cependant d'actualiser en raison de l'approfondissement de la crise dans certaines zones ; - la nécessaire élaboration de la cartographie territoriale des implantations de l'État, qui devra être établie, devant prendre en compte la montée en puissance des intercommunalités et de la mise en place de la MATEC (agence technique départementale créée à l'initiative du conseil général, qui sera opérationnelle début 2014) ; - l'élaboration, en 2012, d'une charte du réseau des sous-préfectures de Moselle, issue du dialogue social, qui a servi de ligne directrice pour les décisions d'internalisation de certaines missions en préfectures ; - la spécificité du contexte mosellan, issu de l'Annexion, confortée par l'héritage du droit local ; - la difficulté posée par une gestion des ressources humaines très contrainte (pyramide des âges et importance des agents de catégorie C notamment) ; - l'affectation d'une chargée de mission dédiée « mobilité-carrière sous-préfecture », afin de gérer au mieux les mouvements induits par la réorganisation du réseau des sous-préfectures. |
En termes de résultats, cette expérimentation pourra aboutir à la proposition de fusions ou de redécoupages d'arrondissements, ou au regroupement de services au sein de « Maisons de l'État », conformément aux conclusions du CIMAP du 17 juillet 2013. À terme, la réforme s'orientera probablement vers la fermeture de sous-préfectures proches en zones urbaines et péri-urbaines. En revanche, les sous-préfectures situées en milieu rural seraient maintenues, ou transformées en maisons de l'État.
Extrait du relevé de décisions du CIMAP du 17 juillet 2013 Décision n°38 : Un cadre national d'action sera déterminé, sous forme de cahier des charges, entre les ministères de l'intérieur, de l'économie et des finances, de l'égalité des territoires et du logement et de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, afin de convenir des modalités de regroupement des services infra-départementaux au sein de « Maisons de l'État ». Les préfets de département, en coordination avec les directeurs départementaux des finances publiques, élaboreront un plan d'action organisant les sites de regroupement lorsqu'ils ont identifié des territoires présentant des enjeux particuliers de maintien de la présence de l'État. |
Malgré les précautions prises par le ministère de l'intérieur autour de cette réforme, avec cette démarche d'expérimentation de méthodologie, votre rapporteur note que le personnel des sous-préfectures est maintenu dans l'attente et se sent fragilisé par cet avenir incertain.
3. Une nécessaire réflexion sur le rôle des sous-préfets et les missions des sous-préfectures
L'approche de la MAP concernant le réseau des sous-préfectures s'appuie sur la nécessité de continuer à assurer la présence de l'État au niveau infra-départemental, mais de manière pragmatique. Si votre rapporteur adhère à ce principe, il considère que cette réforme ne peut être menée sans porter attention à l'évolution des missions des sous-préfets et des sous-préfectures.
Votre rapporteur tient particulièrement au maintien des postes de sous-préfets . En effet, le symbole qu'ils représentent aux yeux de la population n'est pas anodin : il a notamment pu constater, lors de son déplacement en Moselle, l'importance accordée à la présence du préfet en uniforme lors des cérémonies. Dans le cadre des différentes options de réforme de la carte sous-préfectorale (fusions d'arrondissement, nomination de conseiller d'administration de l'intérieur et de l'Outre-mer, transformation en maison de l'État, etc.), les économies représentées par la suppression de postes de sous-préfets demeurent très limitées. Par exemple, les résidences de fonction continuent d'être entretenues car elles sont intégrées au parc immobilier des sous-préfectures. Ainsi, la faiblesse des réductions de dépense publiques induites ne valent pas, selon votre rapporteur, l'ampleur de l'atteinte au symbole de la représentation de l'État que constitue la disparition du sous-préfet.
Dans ce contexte, il paraît pertinent de développer le principe de l'attribution aux sous-préfets de missions d'envergure départementale ou régionale . Prévue par un décret du 29 avril 2004 24 ( * ) et consacrée par la directive nationale d'orientation (DNO) 2010-2015, cette possibilité est notamment utilisée dans le département de la Moselle, où par exemple le sous-préfet de Thionville est chargé des énergies renouvelables, celui de Château-Salins de la présence postale et de l'école rurale 25 ( * ) , celui de Forbach de l'intelligence économique et des relations transfrontalières.
Lors de son audition par votre rapporteur, le président de l'association du corps préfectoral et préfet d'Ile-de France, M. Jean Daubigny, a approuvé cette idée de confier des missions à caractère départemental ou régional aux sous-préfets, tout en soulignant l'importance de prendre en compte l'aspect des ressources humaines mais aussi et surtout le contexte local.
Cette solution présente un double avantage :
- conserver la représentation de l'État, notamment dans les territoires dans lesquels le ressenti d'abandon du public et des élus locaux est présent ;
- valoriser les postes des sous-préfets, en les faisant contribuer de manière motivante au service de l'État. En effet, comme l'a souligné notre collègue Michèle André, certains sous-préfets ont l'impression, avec la centralisation du contrôle de légalité en préfecture, d'être devenus « une simple courroie de transmission des actes prioritaires, avec un rôle plus ou moins bien défini de conseil aux collectivités territoriales » 26 ( * ) .
Concernant cette fonction d'expertise et de conseil aux collectivités territoriales, vers laquelle les sous-préfectures doivent évoluer selon la DNO 2010-2015, votre rapporteur estime également essentiel de la développer. Cette fonction correspond en effet à un réel besoin de conduite, d'impulsion et de sécurisation juridique des projets locaux. Il est sur ce point rejoint par l'Association des maires ruraux de France, dont le premier vice-président notre collègue M. Pierre-Yves Collombat insiste sur l'importance pour les élus ruraux de continuer de bénéficier, sur les dossiers complexes auxquels ils sont confrontés, d'un haut niveau de compétence en termes de conseil et d'ingénierie territoriale.
Afin de maintenir et développer ce rôle, les sous-préfectures doivent pouvoir s'appuyer sur des équipes fiables et compétentes. Or, comme notre collègue Michèle André l'a récemment noté, le manque actuel de fonctionnaires de catégorie A n'est pas compatible avec cette évolution des sous-préfectures vers une mission d'appui au développement des territoires 27 ( * ) . Votre rapporteur adhère donc à la recommandation formulée par sa collègue concernant la nécessité de « doter les sous-préfectures en cadres qui seront la ?ressource? pour accompagner les projets locaux ».
* 13 Cf. rapport public annuel 2012.
* 14 Décret-loi du 10 septembre 1926.
* 15 Des pôles de contrôle de légalité ont cependant été maintenus dans les grandes sous-préfectures .
* 16 Voir infra.
* 17 Chef de l'Inspection générale de l'administration (IGA).
* 18 Président du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'Etat (Csate).
* 19 Délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR).
* 20 Réponse du ministère de l'intérieur au questionnaire de votre rapporteur.
* 21 Rapport précité, p. 51.
* 22 Réponse du ministère de l'intérieur au questionnaire de votre rapporteur
* 23 Communiqué de presse du 9 septembre 2013 du ministère de l'intérieur : « Réforme du réseau des sous-préfectures- expérimentation en Alsace et Lorraine ».
* 24 Décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements, art. 14, JO 30 avril 2004, p. 7755.
* 25 Cette mission départementale n'a plus cours, la sous-préfète de Château-Salins ayant quitté son poste en août 2013 et n'ayant pas été remplacée.
* 26 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les préfectures et la réorganisation territoriale de l'État, n° 77 (2013-2014), p. 16.
* 27 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les préfectures et la réorganisation territoriale de l'Etat, n° 77 (2013-2014), p. 17.