B. LE CNL : UN OPÉRATEUR À RÉFORMER
1. Une envergure modeste
Le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication, agit comme opérateur du ministère dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, à côté des représentants publics, des représentants des professions du secteur et des personnalités qualifiées. Depuis 2010, son président est nommé pour cinq ans par le Président de la République, ce qui a favorisé une gouvernance plus dynamique.
Le CNL est chargé de soutenir, aux différents niveaux de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques, organisateurs de manifestations), les projets de qualité en favorisant plus particulièrement la création et la diffusion des oeuvres les plus exigeantes sur le plan littéraire ou scientifique. Il attribue notamment des subventions et des prêts après avis de commissions ou comités spécialisés.
Dans ce cadre, il a pour mission de :
- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains français par des bourses ;
- favoriser par des subventions ou des avances de fonds l'édition ou la réédition d'oeuvres littéraires dont il importe d'assurer la publication ;
- concourir à la diffusion, sous toutes ses formes, des oeuvres littéraires ;
- contribuer au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre (et notamment les librairies) ;
- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;
- contribuer aux manifestations littéraires d'envergure organisées sur tout le territoire lorsqu'elles offrent au public de découvrir toutes les formes de littératures et de rencontrer des auteurs et contribuent à la diffusion du livre ;
- intensifier les échanges littéraires internationaux en invitant des auteurs étrangers à rencontrer le public français et en encourageant les éditeurs français à traduire la littérature étrangère ;
- favoriser les commandes par les bibliothèques, les établissements culturels et les librairies en France et à l'étranger, des ouvrages de langue française dont la diffusion présente un intérêt culturel, scientifique ou technique ;
- aider à la numérisation de revues ou d'ouvrages, la préparation de maquettes de projets éditoriaux numériques et la mise en ligne des catalogues des éditeurs.
Malgré un périmètre d'action ambitieux, le poids du CNL dans l'ensemble de l'économie du livre reste modeste . Ses interventions représentent ainsi environ 1 % du chiffre d'affaires de l'édition , soit un taux d'intervention bien inférieur à celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en matière de cinéma, de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires du secteur. Elles sont toutefois décisives pour la qualité, la diversité et l'économie des domaines éditoriaux à rotation lente.
Le CNL bénéficie, pour son fonctionnement et ses interventions, du produit des deux taxes fiscales qui lui sont affectées :
- la première taxe, de nature redistributrice, est due par les éditeurs en fonction des ventes d'ouvrages de librairie. Elle est perçue au taux de 0,2 % sur la même assiette et dans les mêmes conditions que la TVA. Sont exonérés les éditeurs dont le chiffre d'affaires de l'année précédente n'excède pas 76 000 euros. Elle représente 12,4 % des recettes du CNL en 2012 ;
- la seconde taxe, de nature compensatrice, concerne les ventes des appareils de reprographie et, depuis 2007, de reproduction et d'impression, figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel. Elle a pour objet d'apporter une réparation partielle au préjudice subi par les éditeurs et auteurs du fait du développement de l'usage de la reprographie. Elle est perçue au taux de 3,25 % et concerne la première vente sur le territoire.
L'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a plafonné ces deux taxes, respectivement à hauteur de 5,3 millions d'euros pour la taxe sur l'édition et de 29,4 millions d'euros pour la taxe sur le matériel de reproduction et d'impression. Ce plafonnement est appliqué au produit des deux taxes avant prélèvement des frais d'assiette et de recouvrement estimés chaque année à 1,2 million d'euros. Il a été reconduit pour les exercices 2013 et 2014.
Les ressources du CNL se trouvent ainsi limitées à 33,5 millions d'euros après déduction des frais de gestion. Toutefois, le rendement des taxes, notamment celle sur les appareils de reproduction et d'impression, n'est pas à la hauteur des espérances, qui s'établissaient en 2007 à 30 millions d'euros par an.
Tableau d'évolution du rendement des taxes 2008-2013
En K€ |
2008 |
2009 |
2010 * |
2011 * |
2012 * |
Prévision
|
Taxe sur le matériel de reprographie |
28 492 |
22 074 |
29 318 |
32 470 |
29 638 |
29 400 |
Taxe sur l'édition |
5 492 |
5 282 |
5 257 |
5 549 |
4 993 |
5 300 |
Montant net
|
32 367 |
26 212 |
33 141 |
34 399 |
33 197 |
indéterminé |
* Source agence comptable CNL « les chiffres clés du CF 2012 » ;
** Source Budget primitif 2013 ;
*** Net des remboursements de taxes sur les exercices antérieurs.
Source : CNL
En outre, depuis 2004, le CNL ne perçoit plus de subvention de fonctionnement de son ministère de tutelle. Pire, la subvention mise en place au titre des transferts de compétence intervenus en 2009 entre l'administration centrale et le CNL, qui représentait 2,8 millions d'euros en loi de finances pour 2012, n'a pas été reconduite depuis 2013, l'établissement participant à l'effort de relèvement des comptes publics.
2. Une efficacité à améliorer
Le dispositif d'aides du CNL est caractérisé par sa complexité et son éparpillement. On compte ainsi trente-cinq catégories d'aides attribuées sur avis de dix-huit commissions et neuf comités, organisées par disciplines ou par type d'intervention. Ces structures rassemblent plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés pour trois ans par le ministre de la culture et de la communication, sur proposition du président du CNL. Elles s'appuient également sur un réseau bénévole de lecteurs et d'experts.
Sur les 4 218 demandes reçues en 2012, le CNL a alloué 2 800 aides, soit un taux de satisfaction de l'ordre de 66,4 %, pour un montant total d'interventions de 29,6 millions d'euros.
On observe une baisse du taux de satisfaction de 7,7 points, passant de 73,2 % en 2007 à 65,5% en 2011, pour se stabiliser en 2012 à 66,4 %, évolution qui rapproche le CNL d'établissements similaires.
Le nombre de demandes a diminué de 8 % entre 2011 et 2012 pour un montant d'aides attribué légèrement supérieur (+ 300 000 euros). Logiquement, l'aide moyenne allouée a augmenté de 913 euros par bénéficiaire, pour s'établir à 10 582 euros.
Source : CNL
En nombre d'aides, le secteur de l'édition est le plus soutenu et se détache significativement des autres. La diffusion marchande (librairies) supplante la diffusion non marchande (aides aux bibliothèques, dont 6 millions d'euros à la BnF au titre de la numérisation), mais la proportion s'inverse pour ce qui est des montants alloués.
Source : CNL
L'action du CNL en faveur des librairies poursuit un double objectif, de stabilisation du réseau d'une part, d'adaptation au numérique d'autre part. Conformément aux priorités fixées par le ministère de la culture et de la communication, l'opérateur a plus que doublé son budget dédié au soutien de la librairie depuis 2006 : en 2012, il a consacré 3,5 millions d'euros aux aides directes aux librairies et aux structures professionnelles, soit plus de 350 bénéficiaires par an. Ces aides seront portées à six millions d'euros en application du « plan librairies ».
La mission précitée confiée à Jacques Kancel a estimé que le dispositif de soutien du CNL aux librairies devrait être sensiblement renforcé. À cet effet, elle propose d' accroître la sélectivité des subventions par une analyse approfondie de la situation économique des bénéficiaires, afin d' éviter le saupoudrage des aides . Le ciblage des aides pourrait être également fonction des enjeux prioritaires pour l'économie du secteur, notamment la transmission de fonds de commerce et l'adaptation au numérique.
Conscient de la nécessité d'une rationalisation de son système d'aides, au-delà de celles consacrées spécifiquement aux librairies, en vue de le rendre plus efficace, le CNL a présenté en mars 2012 une réforme du dispositif, suspendue par la ministre de la culture et de la communication dès le mois de juillet 2012 en raison des inquiétudes suscitées chez les auteurs. La réforme envisagée consiste en la réduction du nombre de dispositifs d'aides à treize et du nombre d'instances à onze commissions et six comités.
La ministre de la culture et de la communication a confié à l'IGAC le soin de dresser un bilan du dispositif actuel et d'expertiser le projet de réforme du CNL. Les conclusions de cette mission ont été rendues en novembre 2012.
La première critique de l'IGAC porte sur la quasi-absence de concertation en amont de la présentation de la réforme, méthode qui a largement contribué à crisper les positions. La mission s'interroge ensuite sur la réalité de la diminution annoncée du nombre d'aides, dans la mesure où de nouveaux dispositifs seraient créés (soutien aux grands projets patrimoniaux, aide au roman, soutien aux manifestations littéraires internationales, etc.). Elle s'inquiète en revanche de la suppression des aides à vocation sociale , qui constituent une mission historique de l'opérateur. Enfin, la mission regrette qu' aucune évaluation de la réforme ne soit prévue, critique qu'elle formule également à l'encontre du CNL s'agissant de son fonctionnement actuel.
La mission conclut à la nécessité d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs du livre, comme de l' affirmation des priorités de la tutelle en matière de soutien au secteur, avant toute mise en oeuvre de la réforme. Elle rappelle que quelles que soient les pistes retenues, les aides du CNL devront être compatibles avec l'obligation de déclaration auprès de la Commission européenne.
Après une période d'incertitude à la tête de l'établissement entre la démission de Jean-François Colosimo en juin 2013 et la nomination de Vincent Monadé en octobre, le CNL a désormais toute latitude pour mener à bien une réforme nécessaire à l'efficacité du soutien public au livre et à la librairie . Votre rapporteur pour avis, qui a auditionné le nouveau président avec intérêt, appelle de ses voeux des décisions rapides en la matière.
DEUXIÈME PARTIE