2. L'AFD : une forte augmentation des engagements fondée sur une diversification sectorielle et géographique
La période récente se caractérise par une forte hausse des engagements globaux de l'AFD dans les Etats étrangers, qui ont plus que triplé de 2005 à 2009, avec un saut marqué au cours de l'exercice 2009.
L'objectif de 6,7 milliards a été retenu pour 2010.
Alors que les prévisions d'engagements dans le POS-II n'étaient que 3,4 milliards d'euros en 2009, elles ont été largement dépassées.
a) La hausse des engagements résulte d'abord de l'augmentation des prêts
La hausse des engagements résulte d'abord de l'augmentation des prêts, comme le montre la répartition par instruments. Les prêts représentent désormais 87 % des engagements dans les Etats étrangers contre 74 % en 2005.
La croissance des prêts est due autant à l'augmentation des prêts souverains qu'à celle des prêts non souverains. La stabilité de la répartition des engagements entre les prêts souverains et non souverains recouvre une évolution entre 2007 et 2009 à l'intérieur de chacune des catégories : apparition des prêts souverains à concessionnalité indirecte qui, inexistants en 2007, passent à 600 millions d'euros en 2009 et des prêts non souverains non concessionnels. De 10,8 % des prêts non souverains et 4,3 % du total des prêts en 2007, ces pourcentages s'élèvent respectivement à 64,5 % et 30,8 % en 2009.
b) L'augmentation de l'activité de l'AFD s'est accompagnée d'un recul relatif des pays pauvres d'Afrique
L'activité de l'AFD s'est répartie en 2009 à raison de 31 % dans les PMA et de 69 % pour les pays à revenu intermédiaire.
Sur les 11 pays pour lesquels les engagements ont dépassé 500 millions d'euros sur la période 2005-2009, seuls quatre sont africains (Afrique du Sud, Cameroun -dont une annulation de dette de 500 millions d'euros-, Kenya et Sénégal), les autres, essentiellement des pays à revenu intermédiaire ou émergents, se situent en Méditerranée (Liban, Maroc, Tunisie et Turquie) et en Asie (Chine, Indonésie et Vietnam).
La stratégie de montée en puissance des activités de l'AFD s'est néanmoins accompagnée du maintien d'une plus grande concentration de l'effort budgétaire sur l'Afrique, conformément aux décisions du CICID du 5 juin 2009 qui avait adopté un indicateur de concentration géographique des dons aux 14 pays pauvres prioritaires en retenant le taux de 50 % des subventions consacrées aux OMD dans ces pays.
Le tableau ci-dessus illustre cependant les limites de la priorité « africaine pauvre » avancée par l'Agence. Les émergents d'Asie et de la Méditerranée mobilisent des ressources importantes non seulement en termes d'engagement mais aussi d'effort budgétaire de l'Etat (subvention et bonification de prêt).
Les engagements à destination des pays méditerranéens ont triplé et l'effort budgétaire qui leur est alloué a presque doublé. Les engagements à destination de l'Asie et du Pacifique sont multipliés par deux pour un effort budgétaire qui reste constant. L'Amérique latine et les Caraïbes ne bénéficient quasiment d'aucun effort budgétaire pour des engagements qui sont multipliés par 40.
L'Afrique est, certes, mieux servie pour l'effort budgétaire de l'Etat puisque, sur les 13 pays pour lesquels l'effort budgétaire dépasse 100 millions d'euros sur la période, huit sont africains (Cameroun, Sénégal, Kenya, Afrique du sud, Burkina, Ghana, Mali et Madagascar), dont quatre PMA. Les autres bénéficiaires sont méditerranéens (Maroc, Tunisie, Turquie) et asiatiques (Chine et Vietnam).
De fait, le respect de la priorité africaine apparaît problématique. Alors que la proportion de l'effort financier de l'Etat consacré à l'Afrique subsaharienne avait atteint 74 % en 2006 (en hausse par rapport à 2005 où elle était de 59 %), elle a été ramenée à 62 % en 2007, à 53 % en 2008 et à 55 % en 2009 , soit sensiblement en dessous des 60 % demandés par le CICID du 5 juin.
Pour vos rapporteurs ce constat valide le choix effectué en 2009 de fixer des cibles de concentration des moyens budgétaires sur l'Afrique subsaharienne.
c) Des interventions croissantes dans les pays émergents au titre de la préservation des biens publics mondiaux
Au niveau des secteurs d'intervention, l'augmentation globale de son activité a conduit à une diversification de ses interventions.
Le groupe AFD intervient selon trois axes : le soutien aux secteurs « sociaux », puis, plus récemment, la promotion de la croissance économique et la préservation des biens publics mondiaux .
Les projets liés aux OMD demeurent la priorité affichée, mais ces deux nouveaux objectifs tendent à devenir prédominants.
Ainsi, si la concentration sectorielle des engagements de l'AFD sur les infrastructures et le secteur productif est une conséquence de la diminution des ressources en subvention, elle résulte aussi de la conviction de l'AFD que la réduction de la pauvreté et le développement passent avant tout par la croissance économique qui doit être stimulée par une gamme large d'interventions.
L'Agence rattache donc son action à un pari sur la croissance, notamment sur l'accompagnement de la transition urbaine.
L'intervention dans le domaine des biens publics mondiaux résulte à la fois de la conviction qu'il s'agit d'enjeux majeurs et de la recherche de nouveaux débouchés pour ses prêts afin d'assurer la croissance de l'Agence.
Au début des années 2000, l'AFD s'est trouvée confrontée au paradoxe d'avoir la possibilité financière de consentir davantage de prêts grâce à un ratio favorable d'engagements sur fonds propres mais d'être dans l'impossibilité opérationnelle de le faire compte tenu du caractère alors limitatif de son portefeuille de clients. La question de son extension géographique s'est donc posée et l'Agence a été autorisée à s'engager dans des pays émergents pour mandat circonscrit à la défense des « biens publics mondiaux ».
La finalité affichée de la démarche est de promouvoir surtout l'influence et l'exemplarité. En finançant tel ou tel projet d'énergie propre en Chine ou au Brésil, en démontrant son expertise dans les domaines du climat et de la biodiversité, l'AFD affiche l'objectif de faciliter des partenariats avec ces pays, de peser au sein de la communauté des bailleurs ou d'influer les politiques publiques et les comportements des Etats aidés.
Il est encore tôt pour porter un jugement sur le degré de réussite de ces objectifs. Mais vos rapporteurs souhaiteraient approfondir cet aspect de la stratégie de l'AFD pour comprendre dans quelle mesure ses engagements dans les pays émergents ont des retombées.
La commission des affaires étrangères avait déjà eu l'occasion de souligner combien il lui paraissait nécessaire de réserver, dans le contexte budgétaire actuel, les moyens budgétaires, aux pays en développement les plus vulnérables et de réduire en conséquence le degré de bonification des prêts utilisés dans les pays émergents. Elle observe d'ailleurs que, grâce uniquement à la maturité et le taux des prêts qu'elle peut offrir par sa simple intermédiation financière, l'AFD peut, sans bonification, présenter des conditions susceptibles d'intéresser ces pays.
Il semble qu'elle ait été entendue sur ce point.
Poursuivant sa réflexion, la commission des affaires étrangères souhaite s'interroger sur les retombées des engagements de l'AFD dans les pays émergents et leur influence. La faiblesse relative des moyens engagés par l'AFD par rapport aux besoins de pays comme l'Inde ou la Chine laisse penser que cette influence est réduite. Mais il convient de bien mesurer si, au-delà de l'aspect quantitatif, le caractère exemplaire des projets soutenus permet d'avoir ou non une influence dans le sens d'une croissance plus sobre en carbone.
d) La négociation du prochain contrat d'objectif entre l'AFD et l'Etat
La réforme de l'organisation administrative de la coopération, engagée depuis 2004, a été complétée depuis par la mise en place d'un nouveau mode d'exercice de la tutelle de l'AFD.
En vue d'obtenir une meilleure répartition des rôles entre, d'une part, des administrations centrales stratèges et, d'autre part, un opérateur disposant d'une véritable autonomie opérationnelle, il a été décidé la poursuite du transfert des compétences sectorielles du ministère des affaires étrangères et européennes à l'AFD et la création, en son sein, d'un Conseil d'orientation stratégique (COS), présidé par le ministre en charge de la coopération.
La réaffirmation de l'insertion de l'activité des agences locales de l'AFD « dans le cadre de la mission de coordination et d'animation des ambassadeurs » a été confirmée par le décret n°2009-618 du 5 juin 2009, qui précise que l'action des représentations de l'AFD dans les pays d'intervention s'exerce dans le cadre de la mission de coordination et d'animation assurée par le chef de mission diplomatique.
La loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat a confirmé cette organisation tout en modifiant quelques aspects de la gouvernance interne de l'AFD.
La loi prévoit notamment que l'action des établissements contribuant à l'action extérieure de la France dont l'AFD et l'Institut Français « s'exerce sous l'autorité des chefs de mission diplomatique, dans le cadre de la mission de coordination et d'animation de ces derniers et sans préjudice des particularités de leur action relevant des dispositions du code monétaire et financier ». Cette dernière précision at été introduite pour prendre en compte la spécificité des activités bancaires de l'AFD.
La loi modifie également la composition du conseil d'administration et devrait permettre à votre commission d'être mieux représentée au sein du conseil d'administration.
Quel bilan dresser de ces réformes ?
S'il est trop tôt pour évaluer les conséquences de la loi qui devraient être mineures pour ce qui concerne l'AFD, courant septembre dernier, le CAD a procédé à l'évaluation à mi-parcours de la politique française d'APD pour évaluer la manière dont le gouvernement français avait pris en compte les recommandations qu'il avait formulées en 2008.
Le CAD a constaté que la France avait entrepris de réelles réformes sur la base des conclusions formulées en 2008. Il souligne que notre pays s'est effectivement doté d'une orientation stratégique, et il y a désormais une structure pour la détermination de la politique, comme cela avait été demandé en 2008. Le CAD a également relevé une meilleure implication des différentes parties prenantes dans la définition de cette stratégie et une meilleure coordination entre les ministères et l'AFD.
Vos rapporteurs se félicitent de ce satisfecit qui correspond aux efforts réels poursuivis par l'ensemble des acteurs pour rendre cette politique plus efficace.
Ils ont néanmoins encore des interrogations sur certains des aspects touchant au pilotage stratégique de l'APD tel qu'il est organisé.
Vos rapporteurs constatent en effet que la Cour des comptes a une appréciation plus critique de la gouvernance de l'AFD et de ses relations avec l'Etat.
Dans son dernier rapport sur l'AFD, la Cour rappelle que « l'action de l'AFD doit s'exercer dans le cadre stratégique fixé par l'Etat, dont la tutelle exercée sur l'établissement permet de vérifier le respect », soulignant que « ce cadrage est tributaire d'une coordination interministérielle complexe qui n'a pas encore trouvé son équilibre »
La Cour souligne que le comité interministériel pour la coopération internationale et le développement ne s'est pas réuni depuis juin 2009 et que le co-secrétariat, assuré à l'échelon administratif par les ministères des affaires étrangères et de l'économie, ne semble pas jouer pleinement son rôle.
Le comité d'orientation stratégique (COS), instance ministérielle créée en 2009 pour encadrer plus spécialement l'activité de l'AFD, n'a, d'après la Cour des comptes, « encore pleinement trouvé sa place ». La COSP (conférence d'orientation stratégique et de programmation), qui aurait dû permettre de déterminer les ressources budgétaires disponibles pour l'ensemble de la coopération, et notamment pour l'agence, est tombée en désuétude.
Soumise jusqu'en 2008 à deux contrats d'objectifs et de moyens (COM) distincts, signés séparément avec ses deux principaux ministères de tutelle, l'AFD ne bénéficie toujours pas du contrat unique avec l'Etat dont le principe a été arrêté par le Premier ministre en 2009. Ainsi, depuis bientôt deux ans, la relation entre l'AFD et l'Etat n'est-elle encadrée par aucun document contractuel précis.
La Cour des comptes de conclure : « Ces défauts aboutissent à une certaine confusion des rôles entre les tutelles et l'AFD. Il serait souhaitable de ce point de vue que les tutelles se concentrent davantage sur la détermination précise des orientations stratégiques et l'AFD sur la conduite de ses opérations »
Dans ces conditions, votre commission souhaite qu'un contrat d'objectifs et de moyens entre l'AFD et l'Etat soit établi au plus vite pour clarifier la situation.
La signature de ce contrat devrait permettre de rationaliser et de clarifier les relations entre l'Etat et l'AFD, en fixant à l'Agence un ensemble cohérent d'objectifs stratégiques, assortis d'indicateurs de suivi, tout en précisant, de manière homogène entre les différentes tutelles, les moyens alloués à l'Agence à cette fin ainsi que les modalités techniques des relations financières entre l'Etat et son opérateur.
S'agissant des relations fonctionnelles entre l'Etat et l'AFD, ce contrat d'objectifs et de moyens devrait permettre, en outre, de développer les synergies, aussi bien à Paris que sur le terrain, et contribuer ainsi à une coopération plus étroite de tous les acteurs de la politique française d'aide publique au développement.
En matière de transferts de compétence, vos rapporteurs s'interrogent sur l'équilibre actuel entre les différents acteurs. Les transferts de compétences sont-ils achevés ? La compétence en matière de gouvernance financière n'a-t-elle pas vocation à être transférée à l'AFD ? Quel sera, à terme, le rôle en matière d'aide au développement des conseillers de coopération et d'action culturelle une fois la réorganisation de l'action extérieure de l'Etat achevée ? Quels sont les objectifs fixés aux agences de l'AFD, aux SCAC et aux conseillers financiers en matière de suivi des projets, des aides programmes et des aides budgétaires et, plus généralement, en matière de collecte de données et de remontée d'informations nécessaires au pilotage de l'aide, aussi bien dans nos relations avec les pays partenaires qu'avec les institutions multilatérales à laquelle la France contribue ? N'y a-t-il pas des redondances dans ce domaine ?
L'arrivée d'un nouveau directeur général et le début du triennium budgétaire constituent un moment propice pour redéfinir les objectifs que le gouvernement entend fixer à l'AFD.
Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 1 er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat, ce contrat d'objectifs et de moyens prend la forme d'une convention dont le projet est soumis aux commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat : « Une convention pluriannuelle conclue entre l'Etat, représenté par les ministres concernés, et chaque établissement public contribuant à l'action extérieure de la France, représenté par le président de son conseil d'administration, définit, au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ses missions. Le projet de convention est transmis par le Gouvernement, avant sa signature, aux commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ces commissions peuvent formuler un avis sur ce projet de convention dans un délai de six semaines. » 23 ( * ) .
Le Directeur général de l'AFD, lors de son audition, a fait part à la commission des propositions formulées par l'AFD à ses tutelles et notamment son souhait de concentrer 80 % des subventions vers les quatorze pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne, principalement dans deux secteurs prioritaires, la santé et l'éducation, et de recentrer les prêts dans trois secteurs : l'agriculture, l'industrie agroalimentaire et les infrastructures.
Il a indiqué qu'il proposerait une réorganisation de la géographie des implantations de l'AFD avec le développement d'agences régionales intervenant dans plusieurs pays. Il a suggéré que les financements de l'AFD offrent plus d'opportunités aux entreprises françaises.
Votre commission attend d'avoir une vue d'ensemble du projet de contrat d'objectifs et de moyens pour se prononcer sur son contenu.
Estimant, en tout état de cause, que les dispositions de la loi relative à l'action extérieure s'appliquent pleinement aux négociations en court, elle sera donc attentive à la rédaction du projet de convention et entend s'en saisir.
* 23 Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat, article 1 er