II. UNE GESTION DE L'INVESTISSEMENT PUBLIC QUI RESTE À PROFESSIONNALISER
A. LES CARENCES ACTUELLES DE L'INVESTISSEMENT PUBLIC
1. Un entretien défaillant, des besoins d'investissement réels
La politique d'investissement public est marquée par une double exigence, qualitative et quantitative.
- sur le plan qualitatif, les équipements existants souffrent d'un entretien défaillant et coûteux. Selon le rapport de l'Inspection générale des finances sur l'ingénierie immobilière et la gestion patrimoniale de février 2003 : « les professionnels de l'immobilier rencontrés par la mission convergent sur l'idée qu'une politique préventive en continu des bâtiments, fondée sur une gestion préventive et non curative, est, à terme, facteur d'économie, dans une proportion de l'ordre de 40 % à 50 % ». Ce constat n'a pas fondamentalement changé, d'autant que l'Etat ne connaît toujours pas précisément sa dépense immobilière, faute d'identifier les coûts de gestion correspondants, et de recenser les crédits consacrés à l'entretien.
Les conditions d'hygiène et de sécurité dans un grand nombre de bâtiments publics apparaissent dégradées : en 2003, au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, 38 % des bâtiments présentaient des défauts d'éclairage, 19 % révélaient la présence de locaux à risque et 18 % souffraient d'un aspect intérieur dégradé. Pourtant, la charge budgétaire liée à la gestion de l'immobilier public représente un coût annuel de 1,7 à 2 milliards d'euros.
- sur le plan quantitatif, les missions régaliennes de l'Etat (justice et sécurité intérieure), ainsi que la priorité accordée à l'enseignement supérieur et la recherche, nécessitent des investissements considérables, dont le financement ne peut être systématiquement délégué aux collectivités territoriales.
2. Un respect des délais et des coûts encore insuffisant
Votre commission des finances, au cours des travaux de contrôle budgétaire menés par ses rapporteurs spéciaux, a régulièrement pu constater des dépassements de délais et de coûts dans la réalisation des investissements immobiliers.
Ainsi, notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », a-t-il pu s'inquiéter au cours de l'audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, le 17 juillet 2007, dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement pour 2006 15 ( * ) , de la montée des coûts en ce qui concerne la Maison de la francophonie 16 ( * ) . En effet, le coût des travaux nécessaires à l'installation de cette organisation internationale, avenue de Ségur, était passé de 35 millions d'euros dans le devis initial à 60 millions d'euros en juillet 2006, puis à 80 millions d'euros, avant que le gouvernement, sur la recommandation de votre commission des finances, ne décide d'opter pour une localisation moins coûteuse et au demeurant plus rapide.
Dans son rapport sur l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (EMOC), notre collègue Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture », a publié une enquête de la Cour des comptes demandée par la commission des finances, qui a donné lieu à une audition « pour suite à donner » le 11 juillet 2007 17 ( * ) , montrant que toutes les opérations prises en charge par l'EMOC, et terminées à ce jour, témoignaient d'un dépassement de l'enveloppe financière conséquent, et que seules 3 opérations terminées sur 15 enregistrent un retard inférieur à 20 mois.
Analysant les différents projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances pour 2008, votre rapporteur pour avis n'a pas trouvé trace d'indicateurs de performances relatifs à la qualité de l'investissement public en termes de respect des délais et des coûts . Seul le programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » comporte un indicateur, non renseigné, s'appliquant au « taux de performance de la production immobilière - mesure du rapport coût/délai ». L'indicateur se décline en deux sous-indicateurs, le premier consacré au rapport entre le coût final constaté à la date de livraison et le coût prévisionnel à la date de la signature de la convention de mandat, et le second exprimant le rapport entre le délai de livraison prévisionnelle et le délai réel de livraison.
Votre rapporteur pour avis recommande de généraliser un tel indicateur , à l'ensemble des investissements de l'Etat, ce qui permettrait ensuite des comparaisons entre investissements réalisés en direct et PPP.
Les enseignements des PFI britanniques paraissent, en effet, éclairants : selon le Trésor britannique, dans des évaluations ex post réalisées de manière systématique , selon un référentiel commun, les projets de construction réalisés en mode PFI ont respecté leur budget dans 80 % des cas, contre 27 % pour les projets réalisés en mode de gestion traditionnel. Pour ces mêmes projets, 70 % des investissements ne respectent pas les délais, contre 20 % en PPP.
Pour la France, et s'agissant de l'Etat, la réalisation de progrès dans le respect des délais et des coûts initiaux suppose d' étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères, en leur permettant de recourir à un marché à bons de commande interministériel pour des expertises extérieures, qui deviennent cruciales dans la négociation avec les cocontractants privés. Si la mission d'appui aux partenariats public-privé du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi permet une évaluation préalable approfondie des PPP, les mêmes garanties ne sont pas toujours apportées dans l'exécution de l'investissement, et dans le suivi du contrat.
* 15 Rapport n° 393 (2006-2007), tome 2 : contributions des rapporteurs spéciaux.
* 16 La Maison de la francophonie vise à regrouper sur un site unique l'ensemble des institutions de la francophonie, dont l'Organisation internationale de la francophonie, présidée par M. Abdou Diouf. L'Organisation internationale de la francophonie (327 agents) est financée de manière prépondérante par la France, à hauteur de 21 millions d'euros par an. Le principe du regroupement sur un seul site d'implantations immobilières multiples n'apparaît pas contestable.
* 17 Rapport n° 382 (2006-2007) de notre collègue Yann Gaillard, au nom de la commission des finances du Sénat.