EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs
Répondant à la demande formulée par le Président de la République lors de ses voeux aux Français, le 31 décembre 2006, le Gouvernement a élaboré et déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, le 17 janvier 2007, un projet de loi n° 170 (2006-2007) instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
Ce projet de loi, dont les dispositions diverses prévoient la création d'une cotisation sociale proportionnelle au chiffre d'affaires pour les travailleurs indépendants en micro-entreprise, facilitent les séjours de longue durée dans leur pays d'origine des personnes immigrées à faibles ressources, ajustent le crédit d'impôt des ménages non imposables et suppriment le droit à l'obtention de certaines prestations pour les citoyens de l'Union européenne pendant la période où ils tirent leur droit au séjour de leur recherche d'emploi, a été renvoyé au fond à la commission des affaires sociales qui a désigné rapporteur notre collègue M. Bernard Seillier.
A l'instar de la commission des affaires économiques, qui a désigné notre collègue M. Dominique Braye rapporteur pour avis , votre commission des lois s'est saisie pour avis des cinq premiers articles de ce texte qui instituent le droit opposable au logement , c'est-à-dire une obligation de résultat à la charge de l'Etat et la possibilité de former un recours juridictionnel pour obtenir le respect de cette obligation. Cette réforme majeure, dont l'examen coïncide avec la disparition de celui qui en fut l'un des inspirateurs historiques, l'abbé Pierre, soulève en effet des questions relatives au droit de propriété, au principe de libre administration des collectivités territoriales ainsi qu'aux procédures contentieuses qui relèvent de son champ de compétence.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi « les résultats obtenus dans le domaine de la construction de logements sociaux et les travaux du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par M. Xavier Emmanuelli, permettent d'aller plus loin et d'inscrire dans la loi un droit opposable au logement garanti par l'État. Ce droit doit permettre aux personnes défavorisées prioritaires dans l'attribution d'un logement de pouvoir non seulement saisir la commission de médiation mais aussi d'engager un recours devant la juridiction administrative en cas d'avis favorable de la commission non suivi d'effet dans un délai raisonnable . »
Peu de pays se sont déjà engagés dans cette voie. Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, qui y a consacré de nombreux travaux, relève ainsi que l'Ecosse a décidé de généraliser le droit opposable pour tous en 2012.
Après avoir rappelé les difficultés de mise en oeuvre du droit au logement, votre rapporteur examinera les conditions dans lesquelles celui-ci est rendu opposable.
I. UN DROIT AU LOGEMENT RECONNU MAIS DIFFICILE À METTRE EN OEUVRE
Comme l'a justement observé M. René Ballain 1 ( * ) , la revendication d'un droit au logement, qui s'accompagne d'une contestation du droit de propriété, est apparue dans des périodes de tension sur le marché du logement, quand l'insuffisance de l'offre ou son inadaptation engendraient de graves difficultés pour de larges couches de la population française.
Il en a été ainsi dans la seconde moitié du XIXe siècle, qualifiée de « temps des taudis », après la première guerre mondiale, quand l'industrialisation a provoqué une forte urbanisation, et surtout après la dernière guerre. Les mouvements sociaux revendiquent alors l'application de l'ordonnance du 11 octobre 1945 relative à la réquisition des locaux insuffisamment occupés et lancent des occupations illégales de logements. En 1954, l'Abbé Pierre lance « l'insurrection de la bonté ».
Pendant les années 1970 et 1980, les revendications s'affaiblissent à mesure que les besoins quantitatifs sont progressivement satisfaits et se déplacent vers la recherche d'un meilleur équilibre des rapports entre propriétaires et locataires, avant que ne réapparaissent, dès la fin des années 1980, les inquiétudes liées aux difficultés qu'éprouvent les ménages les plus vulnérables pour accéder à un logement et s'y maintenir.
A. UN OBJECTIF À VALEUR CONSTITUTIONNELLE
Le droit au logement est consacré par la loi, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et par les engagements internationaux de la France. Sa portée demeure cependant relative. Aussi peine-t-il à entrer dans les faits.
1. Une reconnaissance tardive
La consécration légale , en 1982 2 ( * ) , du droit fondamental à l'habitat a été suivie, en 1989 3 ( * ) , par la reconnaissance d'un droit au logement puis, en 1990 4 ( * ) , du droit à un logement décent et indépendant.
Ce droit a été complété, en 2004 5 ( * ) , par le droit à disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques.
Le Conseil constitutionnel a d'abord reconnu, en 1990 6 ( * ) , que la promotion du logement des personnes défavorisées répondait à « une exigence d'intérêt national ». Depuis 1995 7 ( * ) , il considère que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle . » Cette jurisprudence s'appuie sur un doublement fondement :
- les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui disposent que la Nation « assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » et proclament que « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence . » ;
- le principe à valeur constitutionnelle, dégagé par le Conseil constitutionnel en 1994, de « sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme de dégradation ».
Enfin, le droit au logement est consacré dans de nombreux engagements internationaux souscrits par la France, non pas en tant que tel mais comme composante de la « dignité humaine », qu'il s'agisse de l'article 25-1 de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, des deux pactes adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en décembre 1966 et relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels ou de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne adoptée à Nice en décembre 2000.
* 1 René Ballain - Le droit au logement, une revendication toujours d'actualité - Regards sur l'actualité n° 320, page 48.
* 2 Loi « Quilliot » n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs.
* 3 Loi « Malandain-Mermaz » n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
* 4 Loi « Besson » n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.
* 5 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
* 6 Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990.
* 7 Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995.