2. Un modèle économique encore imprécis qui exige une grande souplesse de l'encadrement réglementaire
A la veille du lancement de la télévision mobile personnelle, de nombreuses incertitudes subsistent chez les divers acteurs de la chaîne de valeur qui va se mettre progressivement en place.
a) La construction d'un nouveau réseau : des investissements lourds
La seule certitude aujourd'hui est que le déploiement d'un nouveau réseau en norme DVB-H est très coûteux, beaucoup plus coûteux que celui de la TNT . Ce réseau, pour être adapté à la réception sur des terminaux mobiles dotés d'antennes réduites et en mouvement, devra en effet se constituer d'un nombre important de réémetteurs, notamment en zone urbaine, pour garantir une très bonne couverture à l'intérieur des bâtiments, exigence d'ailleurs reconnue par le projet de loi à travers les critères de sélection par le CSA pour l'autorisation des services de TMP. Alors que les émetteurs du réseau DVB-T visent exclusivement les antennes de toit, les émetteurs du réseau DVB-H seront de faible puissance et placés sur des points bas, afin de mieux pénétrer dans les bâtiments, d'où la nécessité qu'ils soient nombreux. D'après une étude menée par le cabinet Toulouse & Associés, il faudrait 800 à 3000 sites -suivant les normes techniques retenues et la qualité de réception souhaitée 5 ( * ) - pour couvrir 35 % de la population et plus du double pour atteindre 50 % de la population. Les coûts associés sont donc très importants, les investissements nécessaires pour déployer le réseau minimal de 800 sites afin de couvrir 35 % de la population avoisinant 110 millions d'euros 6 ( * ) .
Dans un premier temps, ces coûts seront supportés par un seul multiplex, le M7 (réseau multivilles) étant pressenti pour cela. Il devrait, du fait de la largeur de la bande passante du réseau DVB-H, pouvoir supporter près de 20 chaînes 7 ( * ) , ce qui reste inférieur aux 30 chaînes de la TNT, faisant donc peser sur ces chaînes de la TMP une plus grande part relative de coûts de diffusion déjà plus élevés que la part supportée par chaque chaîne de la TNT. Les limites de couverture de ce multiplex M7 amènent le Forum Télévision Mobile, qui regroupe les acteurs de la TMP, à estimer qu'une extension de ce réseau à l'ensemble du territoire ne pourra d'ailleurs se faire sans une partie du dividende numérique .
b) Un modèle économique probablement payant
Un deuxième aspect est plus controversé, même s'il n'est pas sans lien avec le premier : s'agira-t-il d'un modèle gratuit ou payant ?
D'aucuns sont convaincus que l'usage se développera d'abord par le gratuit, comme ce qui se constate sur la TNT. Ils mettent en avant que seul le quart des foyers français est abonné à une offre de télévision payante. Surtout, ils imaginent que la diffusion sera financée par un accroissement de la publicité proportionnel à l'accroissement des usages.
D'autres relèvent que le mode de consommation de la télévision mobile personnelle sera sans doute plus fragmenté que celui de la télévision résidentielle : des durées de consultation plus courtes et un « zapping fréquent » paraissent peu adaptés au modèle publicitaire traditionnel de la télévision par « tunnels de publicités ».
Selon Orange, auditionné par vos rapporteurs pour avis, le marché publicitaire de la TMP ne dépasserait pas, en 2010, 1 % du marché publicitaire de télévision en France, soit 40 millions d'euros par an, même avec des hypothèses optimistes sur la valorisation publicitaire de cette nouvelle audience et sur le nombre de « mobispectateurs ». Il est vrai qu'il est difficile de comparer 15 millions de « mobispectateurs » potentiels regardant trois heures de télévision mobile par mois, audience observée lors des expérimentations DVB-H en France, aux 60 millions de téléspectateurs regardant la télévision trois heures et demi par jour.
L'observation de la Corée et du Japon où la télévision sur mobile a été lancée en 2005 atteste d'ailleurs des limites des modèles gratuits imposés par les régulateurs : qualité de réception insuffisante pour le client (un financement insuffisant empêchant d'optimiser le réseau), coût trop élevé des terminaux non subventionnés par les opérateurs et faible implication des opérateurs dans la commercialisation des offres.
Vos rapporteurs pour avis ont également l'intuition que le modèle économique de la TMP ne pourra s'appuyer uniquement sur les recettes publicitaires qui, même en cas de prévisions optimistes, ne sauraient in fine amortir les coûts de déploiement du réseau et de lancement. Il devra donc s'appuyer sur la mise en place d'offres payantes : le service que le « mobispectateur » payera sera précisément l'accès en mobilité , ce qui est sans rapport avec la gratuité de certaines des chaînes accessibles.
Le projet de loi a la sagesse de ne pas entraver l'un ou l'autre des modèles économiques, laissant la porte ouverte à toutes les évolutions. Il permet aussi une grande souplesse pour d'éventuelles modifications de l'offre de services de TMP autorisés, autorisant là encore les services à s'adapter à la demande des consommateurs, qui devrait d'abord se diriger vers les grandes chaînes de référence du paysage audiovisuel et progressivement se tourner vers des contenus aux formats plus spécifiques qui restent à inventer et qui pourraient faire place à une plus grande interactivité.
* 5 En effet, la réception visée peut être en « light indoor », c'est-à-dire à proximité de la première fenêtre à tous les étages, ou, à l'inverse, en « deep indoor », soit après le passage de deux murs à tous les étages, la solution médiane susceptible d'être retenue pouvant être qualifiée de « good indoor ».
* 6 Selon le cabinet Toulouse, un déploiement de 1.500 sites pour une couverture de 50% de la population exigerait 210 millions d'euros d'investissement ; 2600 sites pour couvrir 70% de la population coûteraient quant à eux 360 millions d'euros.
* 7 Le nombre de chaînes qui cohabiteront sur le multiplex TMP dépend des techniques utilisées (modulation, encodage...) pour la diffusion selon la norme DVB-H. Selon le Forum TV mobile, le nombre de services de télévision sur un canal DVB-H pourrait se situer entre 16 ou 17 chaînes, avec une modulation en QPSK 2/3, et 25 ou 26 chaînes avec une modulation en 16QAM.