B. LA MOBILITÉ, NOUVELLE DIMENSION DE LA TÉLÉVISION
Alors que la haute définition peut être lue comme une révolution industrielle pour la télévision, l'avènement massif de la mobilité pourrait bouleverser plus en profondeur le monde de la télévision en révolutionnant les usages.
1. La réception en mobilité, un monde nouveau pour la télévision
Certes, la télévision n'est d'ores et déjà plus accessible qu'en réception fixe. Depuis quelques années, elle peut être reçue dans un véhicule en déplacement, grâce à l'antenne de ce véhicule et à son alimentation électrique. Elle est également déjà accessible sur les téléphones mobiles depuis 2004 mais de manière encore confidentielle 2 ( * ) : en effet, les réseaux de téléphonie mobile de troisième génération (l'UMTS) acheminent le signal d'un point à un autre, avec un débit certes élevé, mais l'accès à la télévision sur de tels réseaux est évidemment onéreux en raison de l'importance de la bande passante mobilisée. En outre, du fait du fonctionnement cellulaire des réseaux UMTS, le réseau est vite engorgé si, dans une même cellule, de nombreuses personnes l'utilisent au même moment pour recevoir la télévision sur leur mobile. C'est pourquoi, si la télévision mobile existe bien déjà, elle bute néanmoins sur ces contraintes spécifiques et ne peut se développer dans ce contexte.
La télévision mobile personnelle dont ce projet de loi encadre le lancement, s'appuie sur ce constat pour développer, de manière massive, un nouveau mode de consommation de la télévision qui pourrait se résumer ainsi « où je veux, quand je veux, ce que je veux ». Il s'agit donc d'une double rupture : d'une part, la télévision devient personnelle, alors qu'elle est le plus souvent aujourd'hui regardée en commun par les membres d'un foyer ; d'autre part, elle devient accessible partout, à tout moment, même en mobilité.
Si la mobilité peut devenir un nouveau monde pour la télévision, en totale continuité et symétrie avec la télévision fixe, c'est grâce à la mise au point d'une norme de modulation dérivée de la norme DVB-T utilisée pour la diffusion de la TNT : la norme DVB-H (H pour « handheld », portable en anglais), qui, contrairement à l'UMTS, permet une diffusion de bonne qualité , c'est-à-dire la transmission de point à multipoint du signal, échappant ainsi aux risques d'engorgement décrits plus haut sur un réseau point à point, vers des récepteurs de poche fonctionnant sans alimentation externe, sans antenne importante et en déplacement (même à une vitesse motorisée) . Le protocole de transport qu'est le DVB-H présente la particularité d'envoyer les flux de données non pas en continu mais en rafales, divisant ainsi par dix la consommation d'énergie du récepteur, qui ne s'éveille que lors de la réception d'une rafale. En outre, il est doté d'un code de correction d'erreurs plus robuste, adapté à la réception en vitesse élevée. D'un point de vue technique, ces récepteurs de poche peuvent être dédiés à la seule réception de la télévision, du type de ceux distribués par Archos ou Apple (i-Pod vidéo), ou bien être des terminaux de téléphonie mobile intégrant une antenne de réception pour la télévision, les premiers étant aujourd'hui largement plus chers à la vente que les seconds.
Certes, d'autres normes existent pour permettre la diffusion de services de télévision en mobilité et pourraient d'ailleurs être utilisées à titre complémentaire 3 ( * ) , mais la particularité de la norme DVB-H est d'être mûre et d'avoir déjà été adoptée par la majorité des équipementiers et même utilisée en Italie où la télévision mobile personnelle a été lancée en juin 2006, ce qui permet d'imaginer un lancement rapide en France de ces nouveaux services. Un consensus sur les normes étant quasiment établi, seul manque l'arrêté ministériel qui autoriserait le CSA à lancer, sur le fondement de cette norme, un appel à candidatures pour octroyer des autorisations en TMP en application de l'article 30-1 de la loi de 86 4 ( * ) . Il importe qu'il soit pris sans tarder pour que la France reste dans le peloton de tête, alors même que ces services de TMP devraient être lancés en 2007 en Finlande, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Espagne et Suisse. La perspective de la coupe du monde de Rugby en septembre 2007 semble être un catalyseur, comme ont pu l'être jadis les Jeux Olympiques de 1968 pour la télévision couleur, la coupe du monde de football en 1998 pour la TNT ou celle de 2006 pour la haute définition.
Quelques expérimentations à l'étranger et en France ont déjà été menées par les opérateurs de téléphonie mobile qui sont riches d'enseignements sur les formes que pourrait prendre ce nouveau mode de consommation de la télévision. Deux chiffres sont particulièrement parlants :
- d'une part, les expérimentations montrent que 70 % des usages de télévision mobile personnelle ont lieu non pas en extérieur mais à l'intérieur des bâtiments, ce qui a des incidences concrètes en termes de densité du réseau DVB-H pour couvrir également « indoor » ;
- d'autre part, les usages semblent se partager à parts strictement égales entre la réception en direct des flux télévisés et la vidéo à la demande (qui peut d'ailleurs permettre de visionner un épisode d'une série télévisée ou d'un flash d'information dont on a manqué le visionnement en direct). Ceci implique donc la possibilité d'une interactivité forte et donc d'une voie de retour sur le réseau : en la matière, le réseau DVB-H n'est pas approprié et il faut pouvoir utiliser les réseaux de radiocommunications mobiles déjà existants (GSM ou UMTS) pour permettre cette communication du récepteur de télévision vers l'émetteur. La complémentarité entre les réseaux des opérateurs de téléphonie mobile et le réseau DVB-H semble donc s'imposer.
De surcroît, il importe d'avoir notion de la diffusion massive de la téléphonie mobile sur la planète : il s'est vendu dans le monde 900 millions de téléphones portables en 2006 (à rapporter aux 100 millions de baladeurs numérique i-Pod vendus dans le monde depuis 1999), dont 19 millions en France avec un taux de renouvellement important (tous les 18 mois). De même, le parc de près de 50 millions d'abonnés à la téléphonie mobile en France en septembre 2006 est à comparer aux 600.000 terminaux multimédia portables (PMP) prévus en France pour 2010.
Malgré le discours discordant de certains éditeurs de télévision que vos rapporteurs pour avis ont auditionnés, la conjonction de ces éléments les incline à présumer que l'émergence d'un marché de masse pour la télévision mobile personnelle se fera à partir des téléphones mobiles, qui seront vraisemblablement les principaux supports de réception de la TMP. Cette présomption implique de reconnaître pleinement le rôle des opérateurs mobiles pour le succès de la TMP.
* 2 Orange affiche 400.000 clients mobiles actifs en TV/vidéo par mois pour une durée de consultation pouvant aller jusqu'à deux heures (l'offre de télévision illimitée, à 6 euros par mois, propose 50 chaînes de télévision). SFR propose, pour sa part, 74 chaînes à ses clients en 3G, à la carte ou par abonnement à 7 euros par mois.
* 3 Vos rapporteurs pour avis pensent tout particulièrement à la norme DVB-SH développée par Alcatel pour permettre une réception directe des signaux satellitaires sur le terminal mobile.
* 4 Cette exigence est posée par l'article 12 de la loi de 86 : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est consulté sur tout projet visant à rendre obligatoires les normes relatives aux matériels et techniques de diffusion ou de distribution des services de radio et de télévision par un réseau de communications électroniques au sens du 2° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. Il peut formuler toute recommandation concernant ces normes.
Toutefois, les caractéristiques techniques des signaux émis pour la fourniture des services diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite doivent être conformes à des spécifications techniques définies par arrêté interministériel, pris après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; lorsque ces signaux sont numérisés, leurs caractéristiques techniques sont normalisées. Cet arrêté précise également les conditions de la protection radioélectrique des services de communication audiovisuelle considérés. »