E. L'ACTION CULTURELLE « HORS LES MURS »
La suppression du « détachement administratif » de fonctionnaires à l'étranger relevant du ministère des affaires étrangères, a mis en lumière un versant largement ignoré de l'influence culturelle extérieure de la France. Il s'agit de l'activité de milliers de Français, dont plus de 2.350 fonctionnaires, dans des établissements tels que des écoles primaires et secondaires, des institutions de formation continue, des universités, des centres de production et de diffusion de la culture et des arts, des laboratoires de recherche scientifique, cette liste n'étant pas exhaustive.
Ces Français sont dispersés dans le monde entier avec une dominante en Amérique du Nord et dans l'Union européenne. Ils sont totalement intégrés dans leur structure de travail où leur carrière évolue comme celle de leurs pairs : leur promotion dans des fonctions de directeur de recherche, de chef de département, de conseiller pédagogique fait d'eux des personnalités reconnues, et ils sont perçus, dans leur milieu professionnel, comme des symboles de la France, même s'ils ont acquis la nationalité de leur pays de résidence.
Un urbaniste français à Harvard : un bel exemple d'action culturelle française « hors structures » Architecte diplômé du MIT et docteur en urbanisme (Ph .D. in City and régional Planning) François Vigier a été, au sein de l'université d'Harvard l'un des précurseurs de l'enseignement moderne de l'urbanisme et de la planification urbaine . Directeur du Département de planification urbaine (1992-1998) il réforme en profondeur l'enseignement de l'aménagement à Harvard, avec, notamment, une collaboration entre la School of Design et la Faculté des sciences politiques ( Kennedy School of Government ). Plusieurs urbanistes français viennent y enseigner. Dominique Perrault et Jean Nouvel sont invités à donner des conférences très appréciées. En 1987, grâce à une donation de Son Altesse l'Aga Khan, François Vigier fonde le Centre de recherches sur le développement urbain. Ce centre rassemble une équipe de chercheurs spécialisés dans les problèmes du développement, tant aux Etats Unis qu'en Europe et dans les pays du Tiers-Monde. Ses activités sont financées par l'USAID américaine, la Banque Mondiale, la Banque Interaméricaine de Développement, les gouvernements intéressés et des fondations. Depuis deux ans, le Centre a des rapports soutenus avec des chercheurs français sur le thème de la participation des organisations de résidents à l'amélioration de l'habitat et des espaces publiques au niveau des quartiers . Durant ces six dernières années, les principaux travaux du Centre se sont localisés dans les pays suivants : |
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En plus de l'assistance technique qu'il apporte, le Centre organise des programmes de formation pour des décideurs du secteur publique. Il participe également à plusieurs activités internationales: Comité Directeur de l'initiative « meilleurs projets mondiaux » de UN/HABITAT; Forum des Nations Unies sur le micro-crédit; Initiative « culture et développement économique » organisée par la Banque Mondiale et l'UNESCO. Ainsi, que ce soit par l'enseignement dispensé à Harvard en urbanisme ou par les activités d'expertises menées par le Centre de recherche sur le développement urbain, des spécialistes de toutes nationalités, dirigés par un Français, son adjointe américaine d'origine égyptienne, francophone, Mme Mona Serageldin, son correspondant pour la France, le Proche-Oient et l'Afrique du Nord, M .Samir Abdulac (directeur du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement d'Eure-et-Loir) la France est présente, la langue française est pratiquée dans un secteur clé du développement des pays pauvres et émergents. Voilà qui relativise le discours étriqué sur la « fuite des cerveaux ». Cet exemple, parmi tant d'autres, prouve que l'influence internationale de la France dépend tout autant de l'initiative personnelle de Français dynamiques que de plans technocratiques souvent inadaptés aux objectifs recherchés, faute de connaissance du milieu universitaire ou technique dans lequel on prétend opérer. |
Lors de ses visites aux communautés françaises, votre rapporteur a le bonheur de les rencontrer et de découvrir grâce à eux des résultats tangibles et démultipliés de l'action publique « colbertiste » en faveur de la diplomatie culturelle depuis le début du XXème siècle.
Un exemple : visite du centre de recherche de Los Alamos, organisée par le consul honoraire de France à Santa Fé au Nouveau Mexique en 2000.
Le directeur du laboratoire de recherche sur les champs magnétiques en haute pression (ce qui a donné naissance aux IRM médicales), de nationalité mexicaine, a fait ses études de physique et obtenu son doctorat à Grenoble (de l'utilité des bourses universitaires...). Grâce aux relations qui se sont nouées pendant les années d'études du directeur, des chercheurs français confirmés sont régulièrement invités à venir travailler à Los Alamos et bénéficient ainsi des installations exceptionnelles de ce laboratoire pour la réalisation de leurs expériences. Des échanges fréquents de chercheurs et des programmes communs de recherche sont organisés entre ce laboratoire et les facultés de Sciences de Grenoble et de Toulouse, les plus en pointe dans ce domaine en Europe. Lors de ma visite, des étudiants français en post doctorat étaient accueillis et rémunérés par le laboratoire pour y achever leurs travaux.
L'influence culturelle de la France, dans ce cas comme dans des centaines d'autres, différents, originaux, résulte de la synergie entre l'action de l'Etat sur des points-clés (les bourses universitaires) dont l'effet n'est perceptible (mais pas mesurable) que sur le long terme, la mobilité des chercheurs et étudiants français, la capacité de certaines de nos facultés à développer les échanges internationaux. Cela ne se met pas en graphiques, pas plus que cela ne s'évalue en termes monétaires. Il n'empêche que c'est la multiplication de ce type de situation qui maintient la France dans le mouvement brownien de la vie culturelle internationale et contribue à lui garder un rang de puissance culturelle et politique dans le monde.
Quel rapport avec la suppression du détachement administratif des fonctionnaires par ministère des affaires étrangères ? C'est que, parmi les Français impliqués, plus de 2.350 sont des fonctionnaires qui relèvent de différents ministères, en majorité du Ministère de l'Education Nationale. Le détachement administratif leur permettait de mener leur action à l'étranger, pour l'essentiel dans le secteur de l'enseignement et de la recherche (1.517 d'après le ministère des affaires étrangères) et dans les organisations internationales (plus de 8.000). Ils n'étaient rémunérés que par leur employeur étranger, mais cela avait tout de même un coût pour la France :
- gestion administrative de ces fonctionnaires par la direction des ressources humaines du ministère des affaires étrangères,
- versement, pour les enseignants, d'une cotisation de 1 % assise sur la base de leur salaire de référence français, au régime d'assurance maladie des fonctionnaires, afin de leur assurer une couverture pour leurs soins médicaux lors de leurs séjours en France,
- à terme, versement de la pension pour laquelle ces fonctionnaires détachés étaient astreints à cotiser.
L'encadré ci-dessous explique dans quelles conditions le ministère des affaires étrangères a décidé de mettre fin à cette modalité de détachement de fonctionnaires à l'étranger. La difficulté a été résolue, dans des conditions désavantageuses mais qui préservent l'essentiel de leurs droits (rester fonctionnaire de l'Etat français) pour les enseignants. En revanche, rien n'est assuré pour les autres fonctionnaires et, même en ce qui concerne les enseignants, on peut craindre que le ministère de l'Education nationale ne mène, dès l'an prochain, une politique beaucoup plus restrictive de détachement que ne le faisait le ministère des affaires étrangères, car l'enjeu d'influence internationale est accessoire pour lui. Les non-fonctionnaires continueront leur action comme par le passé, mais il faut tout faire pour que des agents issus de la fonction publique continuent à pouvoir contribuer à cette action « hors les murs ». Enfin, il faudrait obtenir que les postes diplomatiques soient beaucoup plus attentifs à ces acteurs de l'influence française, veille à ce que les distinctions honorifiques qu'ils méritent à ce titre leur soient attribuées et participent à la création d'une banque de données sur ce versant méconnu de la présence française à l'étranger.
DU DÉTACHEMENT ADMINISTRATIF
Le « détachement administratif » n'a jamais existé en droit . Le ministère des Affaires étrangères a « créé » cette notion au début des années 70 comme un moyen simple de détacher des fonctionnaires qui partaient en poste à l'étranger, sur toute catégorie de poste. C'était une application extensive du décret 61-421 du 2 mai 1961 destiné aux seuls personnels de coopération technique et culturelle . Au milieu des années 80, la direction du budget a alerté le ministère des Affaires étrangères sur l'irrégularité de la procédure et ce, d'autant plus que le décret de 1961 sur lequel se fondaient ces détachements, avait été abrogé par les décrets 73-321 du 15 mars 1973 et 80-344 du 12 mai 1980. Mais, cela constituait une telle facilité de gestion pour l'administration et un tel avantage pour les agents, puisqu'ils étaient en pratique « agents du ministère des Affaires étrangères », qu'ils cotisaient pour leur retraite et que leur carrière administrative se poursuivait, que le ministère des Affaires étrangères a persisté dans ce système. De plus, la direction du budget n'a jamais donné l'injonction ferme d'y mettre fin. Les agents concernés occupaient des fonctions diverses : universitaires et chercheurs, enseignants employés dans des structures telles que les établissements d'enseignement homologués par le MEN, des écoles de l'AEFE, des écoles étrangères. Le détachement « direct » est une facilité de langage. En réalité , si un fonctionnaire est « détaché », il ne peut l'être que par son ministère de rattachement et auprès de son employeur véritable. Rappelons que ce détachement administratif avait un coût pour le ministère des Affaires étrangères : coût de la gestion des agents et versement à la sécurité sociale d'une cotisation de 1% assise sur le traitement indiciaire dans le corps d'origine de l'agent, afin qu'ils bénéficient de l'assurance-maladie pendant leurs congés en France. Ce coût modique était accepté par le ministère des Affaires étrangères en contrepartie des services rendus par les agents ainsi détachés.
M. Papet-Perin, détaché administratif auprès d'un établissement de l'OSUI (Mission Laïque) au Maroc a porté plainte devant le tribunal administratif de Strasbourg contre le fait que la rémunération (équivalente à celle d'un « résident » de l'AEFE) que lui versait cette école privée ne comprenait pas l'indemnité de résidence prévue tant par le décret du 28 mars 1967 que par le décret du 5 mai 1950. Pour le tribunal, la requête de M. Papet-Perin est recevable car, même si son détachement était irrégulier, au regard de la législation et des décrets d'application, l'administration devait assumer ses turpitudes et lui verser des indemnités de résidence. Le ministère ayant été condamné à verser une indemnité de résidence à M. Papet-Perin, il en a tiré la conséquence que le « détachement administratif » ne pouvait plus servir de base au détachement à l'étranger de tout fonctionnaire exerçant dans un établissement privé étranger, hors assistance technique ou réseau de l'AEFE, soit plus de 2350 agents dans le monde. Le jugement « Papet-Perin » a donc signé l'arrêt de mort du « détachement administratif ». La solution retenue comme base juridique de remplacement a été le « détachement » selon le décret du 16 septembre 1985 qui autorise le détachement des fonctionnaires dès lors que la fonction accomplie relève de l'enseignement (même si le fonctionnaire n'est pas enseignant).Rien n'est précisé, à la connaissance de votre rapporteur, pour toutes les autres fonctions exercées, que le décret de 1985 ne concerne pas. La perte de l'assurance-maladie du régime des fonctionnaires Le versement d'une cotisation de 1% du salaire pour faire bénéficier les agents détachés de la sécurité sociale pour les soins effectués en France a été supprimée par le ministère de l'éducation nationale qui est désormais le ministère gestionnaire des détachés enseignants à l'étranger (hors AEFE et assistance technique), pour les personnels détachés, à la demande du ministère des Affaires sociales. |
FONCTIONS EXERCÉES PAR LES
« DÉTACHÉS ADMINISTRATIFS »
NE SERVANT
PAS DANS LES SERVICES DE L'ETAT À
L'ÉTRANGER
(
données au 1
er
mai
2003
)
Fonctions exercées par les « détachés administratifs » |
Nombre
|
Solution envisagée |
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Enseignement à l'étranger |
1.335 |
Solution envisagée : Détachement direct auprès de la personne morale avec laquelle l'agent a souscrit un contrat. Base réglementaire : Décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, art. 14, 6° Avis du ministre chargé de la Fonction publique : accord par lettre n° 6183 DGAFP/FP3 du 22 novembre 2002. Avis du ministre chargé du Budget : accord par lettre n° 2E-02-4923 MINEFI/DB/2E du 4 décembre 2002 |
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Enseignant-chercheur |
13 |
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Chercheur |
74 |
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Activité dans une organisation internationale |
809 |
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Activité privée |
3 |
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Archéologue |
4 |
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Assistant technique |
2 |
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Bibliothécaires et documentalistes |
2 |
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Chef d'un établissement d'enseignement |
75 |
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Comptable |
2 |
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Conseiller auprès d'un chef d'Etat, d'un gouvernement ou d'une autorité administrative |
3 |
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Conseiller pédagogique |
4 |
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Conservateur |
3 |
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Documentaliste |
5 |
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Directeur technique auprès d'une fédération sportive |
4 |
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Entraîneur sportif dans un club |
5 |
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Editeur |
1 |
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Fonctions d'administration générale et de gestion |
4 |
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Pilote |
1 |
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Psychologue |
2 |
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Responsable de développement |
3 |
|||||
Responsable pédagogique |
3 |
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Enseignants du second degré en détachement direct
|
Enseignants du cycle primaire en détachement
direct
par continents
Continent |
primaire |
secondaire |
supérieur |
Afrique |
84 |
23 |
|
Amérique |
43 |
5 |
4 |
Asie |
29 |
6 |
|
Australie |
5 |
3 |
|
Europe - UE |
111 |
19 |
9 |
Europe - hors UE |
58 |
5 |
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TOTAL |
330 |
61 |
13 |
Source : ministère des affaires étrangères