IV. L'OPACITÉ CONFIRMÉE DES AUTRES CONCOURS DE L'ÉTAT

Au-delà de sa participation au financement de l'alternance et de la formation des demandeurs d'emploi, l'Etat assure budgétairement la charge de deux types d'actions :

- la dotation de décentralisation ;

- les autres « actions de formation à la charge de l'Etat »

Ces actions, de nature très diversifiée, se rejoignent néanmoins par leur opacité.

A. DES DOTATONS DE DÉCENTRALISATION TOUJOURS IMPARFAITES

1. Une évolution somme toute mécanique

Les dotations de décentralisation ont une triple origine :

- la loi du 7 janvier 1983 transférant aux régions la compétence de droit commun en matière de formation professionnelle continue et d'apprentissage ;

- la loi du 23 juillet 1987 portant réforme de l'apprentissage qui a institué une dotation afin de compenser l'allongement de la durée des formations en CFA ;

- la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle du 20 décembre 1993, qui a poursuivi la décentralisation des actions de formation pour les jeunes de 16 à 25 ans, ces dernières mesures de décentralisation ayant pris effet le 1 er juillet 1994 pour les actions qualifiantes et le 1 er janvier 1999 pour les actions préqualifiantes.

Elles résultent ainsi de la sédimentation progressive de plusieurs textes, ce qui explique alors que ces crédits de décentralisation sont constitués de sept dotations spécifiques, correspondant chacune à un transfert de charges distinctes.

Dotations de décentralisation

(en millions d'euros)

 

LFI 2000

LFI 2001

PLF 2002

Dotation de décentralisation apprentissage (loi de 1983)

494,7

511,9

532,3

Allongement des durées de formation en apprentissage (loi de 1987)

16,4

17,0

17,7

Dotation de décentralisation collectivité territoriale de Mayotte

0,2

0,2

0,2

Dotation de décentralisation loi quinquennale

283,9

293,6

305,3

Dotation complémentaire

8,5

8,8

9,2

Dotation de décentralisation (actions préqualifiantes - fonctionnement)

208,0

215,1

223,7

Dotation de décentralisation (actions préqualifiantes - rémunérations)

198,2

205,0

213,2

Frais de gestion du CNASEA

4,7

4,2

4,4

Total

1.214,7

1.256,0

1.306,0

Ces dotations devraient augmenter de 3,97 % en 2002 pour atteindre 1,3 milliard d'euros en 2002.

Il convient toutefois d'observer que cette croissance des crédits tient à un fondement somme toute mécanique, ceux-ci étant actualisés au même rythme que l'évolution de la dotation globale de décentralisation.

2. Une gestion encore déficiente

Ces dotations ont vocation à compenser le coût inhérent aux transferts de charges intervenus parallèlement à la décentralisation de la formation professionnelle.

Au regard de cet objectif, la gestion de ces dotations se révèle aujourd'hui doublement déficiente.

D'une part, on peut regretter que la répartition des dotations entre les régions ne soit figée depuis 1983
, comme l'a observé la Cour des comptes dans son dernier rapport public.

« Quant aux modalités de répartition entre les régions, elles ont été assez largement gelées.

« Le décret de 1985 a prévu la combinaison de différents critères diversement pondérés : nombre de demandeurs d'emploi inscrits depuis plus de six mois en avril de l'année précédente (50 % de la pondération), nombre total d'actifs de plus de seize ans sans diplôme au recensement (30 %), nombre total d'apprentis en centre de formation d'apprentis en 1982 (12 %), durée totale des formations financées par l'Etat en 1982 au titre du fonctionnement des stages ou de la rémunération des stagiaires (8 %).

« Il est à noter que ces deux derniers critères (20 % de la pondération) prennent en compte une situation qui date de 18 ans et font double emploi avec l'évaluation et la répartition de départ de la dotation globale. Pour ce qui est des actifs de plus de 16 ans sans diplôme, le dernier recensement retenu est celui de 1990. Seules les données intéressant les demandeurs d'emploi sont actualisées annuellement. Compte tenu de la faible proportion des sommes donnant lieu à modulation entre régions, l'ajustement annuel de la dotation aux situations réelles de chacune des régions peut être considéré comme négligeable.

« Les conditions de répartition de la dotation de la loi quinquennale de 1993 qui concerne les formations qualifiantes des jeunes de moins de 26 ans (article 50 du chapitre 43-06 du budget de l'emploi) ont fait l'objet d'un décret en date du 2 juin 1994 : 80 % des crédits sont répartis en fonction des dépenses effectuées par l'Etat l'année précédant le transfert (1993) au titre des formations qualifiantes, 10 % en fonction du nombre de jeunes de 16 à 18 ans sortant sans diplôme du système éducatif, 10 % en fonction du nombre de demandeurs d'emploi de moins de 25 ans sans diplôme ou titulaires d'un diplôme de niveau V. Ainsi, la répartition de 20 % de la dotation est censée être évolutive.

« Depuis 1994, les critères évolutifs ont été gelés. Le critère fondé sur le nombre de jeunes sortis du système éducatif sans diplôme reflétait la situation observée en septembre 1991 et celui fondé sur le nombre de demandeurs d'emploi de moins de 25 ans sans diplôme ou titulaires d'un diplôme de niveau V correspondait à la situation observée en janvier 1994.

« Un décret du 12 novembre 1999 a étendu le dispositif précédent à la dotation correspondant aux formations préqualifiantes ». 27( * )


Très largement figée, la répartition des dotations de décentralisation en vient, en définitive, à ne plus correspondre ni aux besoins, ni aux initiatives de chaque région.

D'autre part, les dépenses consacrées par les régions à la formation professionnelle dépassent toujours plus largement les recettes transférées à ce titre par l'Etat.

Un tel décalage, hélas fort classique, atteint cependant des proportions particulièrement inquiétantes en matière de formation professionnelle.

Ainsi, la dotation de décentralisation ne permet de couvrir qu'une part chaque année moins élevée des dépenses des régions, qui ont dû financer la formation à plus de 40 % sur les ressources propres en 2000.

Il semble désormais nécessaire, au moment où le projet de loi relatif à la démocratie de proximité envisage de nouveaux transferts de compétence, de réviser le régime actuel des dotations de décentralisation en matière de formation professionnelle afin de garantir une réelle couverture des transferts de charges.

B. DES ACTIONS DE FORMATION À LA CHARGE DE L'ETAT EN DÉCALAGE AVEC LES OBJECTIFS AFFICHÉS

1. Un programme national de formation professionnelle toujours aussi peu lisible

Le programme national de formation professionnelle, qui avait initialement pour vocation de promouvoir l'accès à la formation et à la qualification des publics les plus en difficulté, continue de voir son champ d'intervention s'élargir.

Le programme national de formation professionnelle

Il met en oeuvre diverses actions de formation professionnelle financées sur le Fonds de la formation professionnelle et de la promotion sociale (FPPS) en faveur de publics particulièrement défavorisés : illettrés et détenus. Le programme IRILL (insertion, réinsertion, lutte contre l'illettrisme) destiné aux illettrés, aux détenus et aux réfugiés (le volet concernant les réfugiés est inscrit à partir de 2001 sur le budget de la solidarité) a pour principal objectif l'apprentissage ou le réapprentissage des savoirs fondamentaux. La formation continue des ingénieurs et des cadres supérieurs regroupe l'ensemble des actions financées par l'Etat dans le domaine de la formation des cadres moyens (salariés ou demandeurs d'emploi). Les ateliers de pédagogie personnalisée (APP) ont pour mission d'assurer à toute personne sortie du système scolaire un complément de formation générale ou technologique et dont l'activité est cofinancée par l'Etat, les conseils régionaux, les communes, les entreprises et par des organismes paritaires agréés sur la base d'un même cahier des charges. Le programme national intervient enfin sur l'environnement de la formation (études et audits sur la formation, programme « formations ouvertes et ressources éducatives » -FORE dans le domaine de l'enseignement à distance et du multimédia-, subventions à divers organismes de formation : INFA et Centre-Inffo).

En 2002, 53 millions d'euros (hors crédits de rémunération) devraient lui être affectés.

Crédits du programme national de formation professionnelle 28( * )

(en millions d'euros)

Gestion 1999

Gestion 2000

LFI 2001

PLF 2002

54

55

48

53

Mais l'élargissement du champ du programme tend désormais à brouiller sa cohérence, son opacité étant d'ailleurs encore renforcée par le caractère évolutif des actions menées dans son cadre.

L'exemple du programme « PICS » (programme ingénieurs et cadres supérieurs) est à cet égard significatif.

Ce programme vise à permettre à des personnes titulaires d'un emploi de technicien d'accéder au statut d'ingénieur. C'est donc un instrument tout à fait pertinent de promotion sociale qui permet à environ 2.000 personnes par an d'accéder à des fonctions d'encadrement. Mais, en 2001, ce programme a été suspendu pour être fondue dans un autre programme -le programme Nouvelles Filières d'Ingénieurs (NFI)- dont la vocation est identique mais dont le financement est différent. L'accès à la formation est désormais assuré non plus par des aides aux organismes de formation mais par des aides directes à la personne en partie d'ailleurs financées non plus par l'Etat mais par les régions ou l'UNEDIC. On aboutit alors à ce résultat aberrant que les personnes engagées dans le programme PICS ne peuvent achever leur formation dans la mesure où le financement des cycles de formation n'est plus toujours garanti. Dès lors, pour assurer la continuité du programme, le ministère de l'emploi et de la solidarité est dans l'obligation de se tourner vers les ministères de l'éducation nationale, de l'agriculture et de l'industrie pour obtenir leur appui financier.

Votre commission ne peut donc, une fois encore, que relever la faible lisibilité et les difficultés de pilotage du programme national de formation professionnelle et réitère sa suggestion que le débat budgétaire soit chaque année l'occasion d'un examen approfondi de ce programme et d'une définition concertée de ses priorités.

2. Une politique contractuelle de formation des salariés peu dynamique

La « politique contractuelle de formation des salariés » est un dispositif tout particulièrement intéressant. Bien intégré dans le dialogue social, fondé sur la négociation, inscrit dans une logique de long terme, il vise à favoriser le développement de l'effort de formation continue des entreprises et à anticiper les besoins de compétences par la mise en place d'une véritable gestion prévisionnelle des emplois.

Dans le contexte actuel, où les questions relatives à l'anticipation et au développement des compétences prennent une place essentielle et appellent une étroite coopération des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, on aurait pu espérer une relance de ce dispositif.

La politique contractuelle de formation des salariés

La politique contractuelle de formation des salariés vise à anticiper les besoins de compétences et à développer la formation continue des entreprises en lien avec leurs stratégies de développement économique. Deux outils sont à la disposition de l'Etat pour mettre en oeuvre cette politique : un outil d'étude, le contrat d'études prospectives permettant de connaître, en partenariat avec les branches, l'évolution des métiers et un outil d'action, l'engagement de développement de la formation.

Les contrats d'étude prospective (CEP) lient les partenaires sociaux et l'Etat et fournissent des bases partagées à la négociation collective en permettant d'enrichir celle-ci. L'Etat prend en charge en moyenne 50 % du coût de l'étude. Ces contrats ont pour objectif de connaître l'évolution des métiers et des qualifications afin de favoriser l'adaptation des compétences des salariés confrontés à des mutations économiques, organisationnelles, ou technologiques fortes.

Les accords d' engagement de développement de la formation (EDDF) visent à subventionner les dispositifs de formation des entreprises qui s'engagent, au-delà de leur obligation légale, dans une démarche d'élévation des qualifications et des compétences des salariés. Les EDDF sont conclus avec des organisations professionnelles ou interprofessionnelles, des groupements d'entreprises ou des entreprises. Ils ont pour objectif d'impulser et d'accompagner les démarches d'investissement-formation dans les entreprises, d'enrichir le dialogue social sur les métiers et sur la formation professionnelle au sein des entreprises et des branches.

En 1999, la politique contractuelle a été réformée, sur la base d'une circulaire, avec pour finalité affichée « de renforcer l'intervention en faveur des démarches de gestion prévisionnelle des compétences et des qualifications dans un cadre expérimental et négocié avec les partenaires sociaux ».

On observe pourtant une relative désaffection.

Les contrats d'études prospectives affichent un bilan décevant depuis 1997. Seuls 18 contrats ont été conclus entre 1997 et 2001, limitant les dépenses de l'Etat à 19 millions de francs à ce titre.

De leur côté, les engagements de développement de la formation ont également tendance à stagner, plusieurs accords cadres importants (métallurgie, agriculture) n'étant pas reconduits.

Bilan des EDDF

 

1998

1999

2000

Nombre d'entreprises

3.804

3.976

3.866

Nombre d'agriculteurs et d'artisans

2.740

3.023

2.729

Nombre de stagiaires

271.680

248.779

183.282

Aides de l'Etat (en millions d'euros)

52

46

44

En définitive, l'évolution -à la baisse- des crédits de la politique contractuelle ne fait que souligner les réticences du Gouvernement à dynamiser le dialogue social en ce domaine.

Crédits de la politique contractuelle

( en millions d'euros)

LFI 1999

LFI 2000

LFI 2001

PLF 2002

51

51

43

42

Votre commission estime pour sa part que le développement de la gestion prévisionnelle des compétences constitue une priorité et justifierait alors une gestion plus active de la politique contractuelle.

3. La portée incertaine des contrats de plan Etat-région

La nouvelle génération des contrats de plan, portant sur les années 2000-2006, a été conclue en 2000. Il est prévu que l'Etat participe à hauteur de 828 millions d'euros sur la période.

Il reste que, pour l'heure, le soutien budgétaire à cette nouvelle génération de contrats de plan demeure parcimonieuse, soulignant en cela la lenteur du démarrage des actions visées par les contrats.

Crédits relatifs aux contrats de plan

(en millions d'euros)

 

LFI 2000

LFI 2001

PLF 2002

Fonctionnement

61

64

54

Investissement

15

4

12

Total

76

68

66

Il est vrai que, dans son dernier rapport public, la Cour des comptes se montrait particulièrement sévère sur le volet formation professionnelle des contrats de plan Etat-régions.

« Dans un domaine où les compétences des pouvoirs publics sont partagées entre l'Etat et les régions, les contrats de plan pouvaient constituer une procédure de concertation et d'harmonisation de l'action locale de l'Etat et de ces collectivités et même, dans une visée plus ambitieuse, contribuer à la définition d'une politique d'ensemble de la formation professionnelle. Les constatations de la Cour sont loin de correspondre à ces perspectives. » 29( * )

Plus précisément, les critiques de la Cour s'articulent autour de trois points :

- une procédure de portée limitée ;

- un suivi déficient ;

- une incidence difficile à apprécier pour les financements de l'Etat.

Pour sa part, et compte tenu du démarrage difficile de la nouvelle génération de contrats de plan, votre commission craint que celle-ci ne soit en définitive passible des mêmes critiques que celle qui l'a précédée.

*

* *

Depuis 1997, le Gouvernement a beaucoup parlé de formation professionnelle, s'inscrivant apparemment dans un processus de réforme.

Mais, au terme de la législature, le bilan du Gouvernement en matière de formation professionnelle est décevant.

La seule réforme réellement lancée depuis près de cinq ans -le volet formation du projet de loi de modernisation sociale- reste aujourd'hui encore inaboutie et ne devrait en définitive avoir qu'un impact presqu'anecdotique.

Au fil des budgets successifs, il est apparu que le Gouvernement est resté prisonnier d'une conception essentiellement budgétaire de la formation professionnelle, sans aucune ambition politique.

Car le bilan du Gouvernement se limite aujourd'hui à quatre types de mesures que votre commission ne peut en aucun cas cautionner :

- une fragilisation des formations en alternance, progressivement privées des aides de l'Etat ;

- une succession de prélèvements sur les fonds de la formation professionnelle lourds de conséquences pour le financement de la formation ;

- un désengagement brutal de l'Etat de la formation des demandeurs d'emploi ;

- la suppression des incitations fiscales en faveur du développement de la formation professionnelle des salariés.

La présente législature apparaît donc au mieux comme l'occasion manquée d'améliorer notre système de formation, domaine pourtant si primordial pour l'avenir de notre pays.

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