II. UN BUDGET CONTRAINT QUI PRÉSENTE DE RÉELS MOTIFS D'INSATISFACTION, PARTICULIÈREMENT L'ÉVOLUTION DE L'AEFE

En raison des priorités qu'il a fixées à son action, le ministère des affaires étrangères a inégalement réparti les faibles marges de mesures nouvelles dont il dispose. Au sein même de la DGCID, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) qui représente une proportion élevée de l'ensemble des crédits dévolus à la direction, ne bénéficie que d'une progression de 2,09% alors que les Centres et Instituts culturels reçoivent une mesure nouvelle de 4,5%.

A. L'INSUFFISANTE DOTATION FINANCIÈRE DE L'AEFE

a) Le rôle et l'organisation de l'AEFE

L'AEFE regroupe 67 établissements scolaires répartis dans 125 pays. Elle emploie 6.130 fonctionnaires dont 5.500 enseignants. Les établissements rémunèrent un nombre égal d'enseignants non titulaires dits « recrutés locaux » (dont 300 sont titulaires, mais pour lesquels l'Agence n'a pas obtenu du ministère des Finances les emplois budgétaires nécessaires à la régularisation de leur situation). Depuis la création de l'Agence par la loi du 6 juillet 1990 et le décret du 31 mai de la même année qui régit le statut et les rémunérations des fonctionnaires détachés à l'AEFE, ces écoles constituent un ensemble cohérent, et attirent un nombre croissant d'élèves. L'effectif s'élevait à 144 000 élèves en 1990. Il est de 158 000 aujourd'hui, soit 13 000 élèves supplémentaires, dont 12 000 Français et 1 800 étrangers. L'augmentation de la population scolarisée atteint ainsi 9% en dix ans.

Les deux missions d'égale importance de l'AEFE sont, d'une part, de contribuer au rayonnement de la langue et de la culture française par l'accueil d'élèves étrangers (56% de l'effectif), et, d'autre part, d'assurer en faveur des enfants de nationalité française (44 % de l'effectif) les missions de service public relatives à l'éducation. Les contraintes budgétaires qui pèsent sur l'AEFE sont donc depuis 10 ans les mêmes que celles que connaît le ministère de l'éducation nationale en France : toutes les innovations techniques, telles que les expériences assistées par ordinateur en sciences physiques, les modifications de programmes et de méthodes pédagogiques, avec leurs conséquences sur le nombre d'heures de cours réglementaires, doivent être appliquées sans délais dans les écoles du réseau. Les salaires des enseignants titulaires augmentent selon les même règles qu'en France. La plupart des indemnités statutaires sont versées - ou devraient l'être- aux fonctionnaires détachés du ministère de l'éducation nationale, tout comme en France.

Le problème réside dans la disproportion entre le financement public affecté respectivement à l'AEFE et au ministère de l'éducation nationale, rapporté au nombre d'élèves (environ 12 000 FF/an pour l'Agence et 36 000 FF/an pour le ministère). Cette distorsion s'accroît d'année en année, car l'augmentation annuelle du budget de ce ministère est proportionnelle à l'évolution des effectifs et des charges, alors que la subvention de l'AEFE stagne même si ses effectifs s'accroissent et si ses contraintes pédagogiques et budgétaires se renforcent. Par exemple, la scolarisation des 13 800 élèves supplémentaires mentionnés ci-dessus n'a été accompagnée d'aucune création d'emploi budgétaire d'enseignant ! Dans le projet de loi de finances 2002, le ministère de l'Education Nationale progresse de 4% , soit le double de l'AEFE, et ce phénomène est cumulatif au fil des années.

b) La crise du financement

Cet écart grandissant est la cause fondamentale de la crise que connaît l'AEFE depuis deux ans, et du mécontentement bien antérieur des familles, dont le budget est lourdement grevé par des droits de scolarité en augmentation inévitable dans un tel cadre. En effet, la subvention que reçoit l'AEFE couvre intégralement la rémunération des personnels « expatriés », c'est-à-dire recrutés en France et bénéficiaires d'une prime d'expatriation qui, selon les pays et les fonctions, double ou triple le salaire de base. Cette subvention permet aussi à l'AEFE de prendre partiellement en charge la rémunération des personnels « résidents », c'est-à-dire titulaires du ministère de l'éducation nationale théoriquement établis et recrutés dans leur pays d'exercice et rémunérés au niveau du salaire français. L'AEFE subvient à d'autres dépenses immobilières et pédagogiques selon des règles et des clés qui dépendent du statut de l'établissement dans le réseau.

Le tableau ci-après récapitule l'évolution financière de l'AEFE depuis 1997.

Le reste des dépenses, soit près de 50% du total, est financé par les familles sous forme de droits d'écolage. Ces dépenses portent sur la rémunération des personnels recrutés localement (plus de la moitié du corps enseignant et la quasi-totalité des agents administratifs et de service), les investissements immobiliers et l'équipement. Ainsi, ce sont les familles qui paient intégralement la rémunération des enseignants recrutés pour faire face aux 9% d'accroissement des effectifs d'élèves des dix dernières années.

c) L'analyse du budget de l'AEFE pour 2002

La fusion des administrations des Affaires étrangères et de la Coopération s'est traduite, pour cet établissement public, par une unité de tutelle, et une unité de subvention. Celle dévolue à l'AEFE figure au chapitre 36-30 « subventions aux établissements publics », chapitre 10, et se monte à 313,770 millions d'euros (2,06 milliards de francs) pour 2002, soit une mesure nouvelle de 3,400 millions d'euros (22,30 millions de francs).

A ces ressources budgétaires, qui représentent environ 80 % du budget de l'Agence, s'ajoutent les contributions des parents d'élèves à la rémunération des enseignants résidents.

Le calendrier budgétaire de l'Agence prévoit la présentation du projet de budget pour l'exercice 2002 au conseil d'administration fixé au mois de décembre 2001 ; il n'est donc pas encore élaboré : aussi sont répertoriées dans le tableau suivant présente les mesures obtenues à l'issue de la 2e conférence budgétaire.

Mesures

euros

francs

Effets change - prix sur les rémunérations, point d'indice, revalorisation des carrières



3 800 000

24 926 366

Bourses scolaires et d'excellence

1 372 000

8 999 730

Rationalisation du réseau

- 820 000

- 5 378 847

Transfert des emplois de résidents au siège

- 3 000

- 19 679

Transformation des postes de CSN en résidents

- 150 000

- 983 936

Mesure de transfert à la DGCID après déconventionnement

- 810 000

- 5 313 252

Total

3 389 000

22 230 383

A l'issue de la conférence budgétaire de 2 e phase, aucun crédit nouveau ne devrait être alloué à l'AEFE au titre des investissements.

Le ministère des affaires étrangères analyse ainsi les recettes et dépenses de l'Agence pour 2001 et 2002.

. Les recettes

La subvention d'Etat


Elle progresse globalement de 2,09 %. Son montant est de 310 369 991 euros (2 035 893 685 F. Elle constitue la ressource essentielle de l'AEFE puisqu'elle représente 81,8 % des produits prévus.

Les mesures d'ajustement représentent 4 264 386 euros (27 972 543 F) ; les mesures nouvelles sont de 2 073 531 euros (13 601 472 F), dont 244 142 euros (1 601 472 F) pour la création d'emplois affectés au siège, 1,52 ME (10 MF) pour les bourses, 0,30 ME (2 MF) pour favoriser le développement des technologies d'information et de communication dans l'enseignement (TICE).

Les contributions des parents d'élèves à la rémunération des enseignants résidents

En raison de la progression générale de rémunérations des résidents (6,44 %), elle est passée de 58 736 370 euros (385 285 332 F) à 59 958 087 euros (393 299 269 F), soit une augmentation de 2 %, à comparer à celle de 3,7 % de 2000.

. Les dépenses

Les charges de personnel


Elles ont globalement augmenté de 3,4 % par rapport aux dépenses réelles de 2000. L'Agence tire les conséquences, dans la prévision budgétaire pour 2001, de l'exécution du budget 2000. Aussi a-t-il été jugé opportun de revoir certains paramètres d'ajustement dans les bases de calcul des rémunérations d'expatriés et de résidents.

Dans l'attente de la refonte du décret du 31 mai 1990, le budget 2001 prend en compte les mesures transitoires et en particulier, le versement de majorations familiales aux résidents. Cette mesure est inscrite pour un montant de 5,19 ME (34,1 MF).

Les dépenses de rémunérations tiennent compte des mesures accordées en loi de finances dont les principales étaient les suivantes :


schéma d'adaptation des effectifs pour la rentrée 2001

- 0,20 ME (-1,33 MF)

mesures « Jospin » et « Bayrou » rentrée 2001

+ 0,22 ME (+ 1,46 MF)

effet change rémunération

+ 4,41 ME (+ 28,95 MF)

transfert des emplois au siège de l'Agence

+ 0,24 ME (+1,6 MF)

Les frais de voyages et déménagement

Une diminution de 27,13 % entre les crédits ouverts en 2000 et les projections pour 2001 s'explique par la différence du volume des mutations. En 2000, le mouvement a été de 485 expatriés, en 2001, 300 étaient prévus ; par ailleurs, le nombre des CSN employés a décru de 100 individus en 2000, de 30 en 2001.

Les actions de formation continue

Les crédits atteignent 2 210 510 euros (14 500 000 F), contre 1 957 327 euros (12 839 230 F) en 2000, soit une progression de 12,9 %. Ces crédits sont répartis entre les établissements conventionnés, ceux en gestion directe, et le siège.

Les autres charges

Elles diminuent encore, principalement en raison de la nécessité d'adapter les dépenses aux recettes ; les nécessités de fonctionnement du service ont donc contraint à moduler les ouvertures de crédits.

Les crédits d'intervention

Ils portent sur l'aide aux personnes et l'aide aux établissements.

L'aide aux familles françaises

Une augmentation des bourses scolaires a été obtenue en PLF pour un montant de 1,52 M€ (10 MF). Pour l'année 2001, 36,89 M€ (242 MF) ont été versés à ce titre. C'est la quatrième fois depuis 1997 que ce crédit des bourses scolaires est accru. Ceci est à mettre au crédit du gouvernement et de la direction de l'Agence : la régularité de l'augmentation est essentielle pour les familles qui doivent être assurées d'une aide constante et durable tout au long de la coûteuse scolarité de leurs enfants. Rien n'est pire en ce domaine que les « coups d'accordéon »

L'aide aux élèves étrangers (bourses d'excellence)

L'Agence y a consacré 1 980 129 euros (12 988 800 F) contre 1 781 005 euros (11 682 632 F) en 2000, soit une augmentation de 11,18 % des crédits. La DGCID a mis en place des bourses « majors » qui sont données en relais de ces bourses d'excellence de deux ans, afin que leurs bénéficiaires puissent achever leur second cycle.

L'aide aux établissements

L'augmentation des subventions de fonctionnement découle des 0,30 ME (2 M€) affectés au développement des TICE.

Les aides pour le jury du baccalauréat sont maintenues au même niveau qu'en 2000. En revanche les crédits consacrés aux projets d'établissement s'élèvent à 1,19 M€ (7,84 MF) et progressent en valeur absolue de 0,45 M€(3 MF), soit une augmentation de 38 %.

L'Agence alloue aux établissements conventionnés des subventions dites d'investissement. Elles sont destinées à aider les établissements à engager des opérations immobilières pour faire face à la croissance des effectifs d'élèves français dans les secteurs Europe, Asie et Afrique. Les crédits ouverts augmentent de 12,7 % par rapport à 2000 et représentent 5,39 M€ (35,4 MF). Il aurait fallu 60 MF pour aider les établissements à mettre leurs locaux aux normes pédagogiques et aux normes de sécurité ainsi qu'à réaliser les agrandissements nécessités par l'augmentation du nombre d'élèves.

Quant aux établissements en gestion directe(c'est -à-dire gérés directement sous la responsabilité de l'AEFE et non par une association comme les établissements « conventionnés) leurs dépenses d'investissement entrent dans le cadre du titre V du budget de l'Etat. Un effort réel est réalisé dans ce cadre. En 2002 ce sont les lycées du Caire, d'Istanbul, de Milan et de Pékin qui seront les principaux bénéficiaires du titre V.

Pour les établissements conventionnés, l'AEFE devra financer les dépenses d'investissement par prélèvements sur ses propres réserves si la dotation actuelle, reconduite, se révèle insuffisante.

Votre rapporteur doit donc vous alerter sur la gravité de la situation financière de l'Agence. Fin 2001, son fonds de roulement s'élevait à 252MF. Si le gel de crédit de 50MF est transformé, ce qui est probable, en annulation, il tombera à 202MF. Les mesures nouvelles destinées à financer l'effet change-prix et les mesures de revalorisation de salaires applicables au 1 er avril 2002 sont insuffisantes. L'Agence devra donc prélever les sommes nécessaires sur son fonds de roulement. Les projections font craindre un déficit dès 2003.

d) La réforme du décret du 30 mai 1990

La réforme des rémunérations du personnel « résident », engagée depuis près de deux ans et qui sera pleinement applicable à la rentrée 2002 vise à améliorer la rémunération de cette catégorie d'enseignants titulaires qui sont de plus en plus souvent recrutés en France (on les appelle alors « faux-résidents ») et sont confrontés aux coûts de l'expatriation : voyages, loyers élevés, coût des soins médicaux et des rapatriements sanitaires, coût de l'insécurité dans de nombreux pays, coûts de la scolarisation de leurs propres enfants.

La rémunération d'une grande partie des « résidents » sera améliorée par le versement d'un supplément familial équivalent à 40% des majorations familiales servies aux expatriés (entrée en vigueur de la mesure dès la rentrée 2001) et par le versement d'une « indemnité spécifique de vie locale » destinée à remplacer l'indemnité de résidence Paris et la prime de cherté de vie versée jusqu'alors par les établissements. Diverses mesures techniques ont été prises pour que cet avantage salarial soit versé aux intéressés dès le 1 er janvier 2002 alors que le nouveau décret n'entrera en vigueur que le 1 er septembre 2002 et non le 1 er septembre 2001 comme prévu.

Que peut-on attendre de cette réforme ? Dans la mesure où les postes de résidents qui se substituent aux postes d'expatriés sont intégralement pris en charge par le budget de l'AEFE, les charges des établissements , et donc des familles, ne devraient pas, au début du moins , en être alourdie. Mais où trouver 4 900 résidents, « vrais » ou « faux » ?Les établissements riches situés dans des pays attractifs trouveront des candidats. Mais que se passera -t'il pour les disciplines déficitaires ? Que se passera -t-il dans les pays à risques ?

Les mesures adoptées en faveur des « résidents » ont été financées par la transformation pour l'année 2001-2002 de 102 postes d'expatriés en postes de résidents. Le ministère des affaires étrangères indique que : « Ceci porterait progressivement, d'ici 2006, le nombre de personnels résidents à un peu plus de 4 900 et celui des personnels expatriés à un peu moins de 1 200. Le chiffre global actuel de personnels titulaires affectés dans les établissements d'enseignement français à l'étranger serait ainsi intégralement maintenu. »

Les tableaux ci-après indiquent les créations et suppressions de postes pour l'année scolaire 2001-2002.

Le réseau des écoles françaises reste un grand atout de la politique culturelle de la France à l'étranger en direction des élites étrangères. Par ailleurs, il offre aux jeunes Français la possibilité d'accéder pleinement à la langue et à la culture de leur pays d'origine. Cet enseignement les conforte dans leur nationalité française, ce qui est conforme à la vocation de l'école républicaine.

Toutefois, il ne faut pas cacher les risques inhérents au hiatus entre les contraintes de plus en plus lourdes imposées au réseau et son sous-financement endémique. Le « décrochage » entre ce réseau et les établissements est réel même s'il reste heureusement sans incidence, actuellement, sur la qualité de l'enseignement et les résultats obtenus. Il est vrai qu'en matière de niveau, on part de très haut et que les établissements de l'étranger n'ont commencé à être confrontés aux difficultés exogènes (incivilités, violence, trafic de drogue) que récemment. Mais quel établissement en France fonctionnerait avec un corps enseignant composé pour moitié d'auxiliaires sous-rémunérés, sans perspective d'avenir et dont une partie seulement , dans le cadre de la réforme, vient de conquérir l'assurance maladie ? Quelle Académie financerait les réformes ministérielles et les investissements afférents en faisant payer les familles ? Quelle académie rémunérerait 300 enseignants titulaires en qualité de maîtres-auxiliaires, sur des fonds propres, faute d'emploi budgétaire à leur attribuer ?

Que les écoles françaises de l'étranger respectent les normes pédagogiques en vigueur en France, c'est le voeu de tous , enseignants et parents. Encore faut-il que le coût d'une aussi juste ambition ne retombe pas pour l'essentiel sur les familles. 10% à peine des Français de l'étranger bénéficient aujourd'hui de primes d'expatriation. Les écoles françaises deviennent progressivement hors de portée pour les familles à revenus intermédiaires qui ne bénéficient pas des bourses scolaires.

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