EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque année, la France commémore le 24 avril, le génocide des Arméniens de 1915. Pourtant, au même titre que les Arméniens, les Turcs ont exterminé toutes les autres communautés chrétiennes présentes dans cette région en Turquie et sur le front turco-persan. Il y avait des Assyriens, des Chaldéens et des Syriaques.
Dès l'été 2014, les Chrétiens présents depuis 2 000 ans en Irak et en Syrie, se sont vus apposer une lettre les désignant comme nazaréen qui marque d'un sceau ces populations comme d'autres mettaient l'étoile jaune. Puis, ils ont reçu un ultimatum par les djihadistes de l'État islamique :
- se convertir à l'Islam
- s'acquitter d'un impôt spécial pour les non-musulmans
- fuir et tout abandonner
- ou bien rester et être exécuté « par le glaive ».
Depuis, la quasi-totalité des chrétiens ont fui pour échapper aux persécutions.
Pour ceux qui sont encore présents, ils sont victimes des pires atrocités : autodafés, saccage des églises, des musées, des monuments, de crucifixions, des tortures, des femmes réduites à l'état d'esclaves sexuelles ou encore des exécutions. Ces atrocités nous rappellent l'horreur du génocide arménien. Les pires exactions sont commises.
Aujourd'hui, les chrétiens d'Orient sont en danger de mort et nous sommes les témoins de ce massacre annoncé.
107 ans après 1915, l'histoire bégaie.
Pourquoi la France doit-elle reconnaître le génocide assyro-chaldéen de 1915-1918 ?
Nous avons un rôle de protection envers les Chrétiens d'Orient, qui est l'héritage d'une longue histoire remontant aux capitulations signées par François 1 er avec le sultan Soliman le Magnifique en 1535.
La mémoire et l'histoire contribuent à l'identité des peuples. L'oubli et la négation portent atteinte au respect de la dignité humaine.
Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d'Orient pour ne pas faire rougir l'Histoire !
Il y a un siècle, le génocide des Assyro-Chaldéens-Syriaques, a été ignoré, il continue à l'être, tout comme aujourd'hui celui des Chrétiens d'Orient.
Les Assyro-chaldéens ont inventé un mot pour désigner ce massacre :
« Sayfo », qui signifie « épée » en araméen. Ce génocide a provoqué l'exode massif de ces populations dans le Caucase, en Syrie, en Irak et dans le reste du monde. Leur fuite s'est poursuivie jusque dans les années 1970, car ils étaient réduits par les Turcs à un état de dhimmitude qui en faisait des sous-citoyens.
Ceux qui ont fui les persécutions en 1915 sont les mêmes qui ont été chassés par Daech en Irak et en Syrie. Comme en 1915, les victimes sont chrétiennes et les bourreaux musulmans.
Si le génocide assyrien a eu lieu durant la même période et dans le même contexte que le génocide arménien et des Grecs Pontiques, il n'est aujourd'hui toujours pas reconnu par la France, alors même qu'elle était liée par les accords Sykes-Picot de 1916 et son rôle de protecteur.
Le génocide assyrien se réfère au meurtre en masse de la population « assyrienne » de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. La population assyrienne du nord de la Mésopotamie (régions du sud-est de l'actuelle Turquie et la région du nord-ouest de l'Iran) a alors été déplacée de force et massacrée par les forces ottomanes (turques) et les forces kurdes.
Les estimations sur le nombre total de morts varient. Il s'agit de plus de 250 000, ce qui représente plus de la moitié de la population de l'époque.
La population assyrienne sous l'Empire ottoman s'élevait à plus de 500 000 personnes au début du XX e siècle et était largement concentrée dans ce qui est maintenant le Nord-Ouest de l'Iran, l'Irak et la Turquie. Comme les autres chrétiens de l'empire, ils étaient traités comme des citoyens de deuxième classe et ne pouvaient accéder à certains postes. Beaucoup d'Assyriens ont été soumis au brigandage kurde, massacrés ou encore convertis de force à l'islam, comme ce fut le cas des communautés assyrienne et arménienne de Diyarbakir durant les massacres de 1895 et 1896.
Le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, reconnaît les Assyro-Chaldéens en vertu de l'article 62 (section III, Kurdistan).
C'est dans ce cadre, qu'au travers des associations assyriennes de la diaspora, l'Union Européenne a tenté d'exercer une pression sur le gouvernement turc pour ainsi faire reconnaitre ce peuple.
En 2007, l'Association internationale des spécialistes des génocides (International Association of Genocide Scholars) est parvenue à un consensus selon lequel « la campagne ottomane contre les minorités chrétiennes de l'Empire entre 1914 et 1923 constituait un génocide contre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs pontiques d'Anatolie. » et adopte avec une écrasante majorité (83 % des voix) une résolution reconnaissant officiellement le génocide assyrien.
Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays, organisations internationales et considéré comme l'un des quatre génocides officiellement acceptés par l'ONU, le massacre des Assyriens souffre du manque de reconnaissance en tant que génocide.
Ce manque de reconnaissance est sans doute dû au fait que la nation assyrienne est souvent méconnue. En effet, ayant été réduit de plus de la moitié en 1915-1918, ce peuple a souffert tant au niveau politique que social, économique, identitaire et démographique. Cependant depuis l'émigration en masse des Assyriens en Europe, aux États-Unis et en Océanie au cours des années 1970 à 1990, causée par les persécutions qu'ils ont continué à subir dans leur terre natale (Turquie, Irak, Syrie, Iran et Liban), une lutte croissante s'organise pour la reconnaissance. Ce qui explique la raison pour laquelle les reconnaissances sont assez récentes.
Des initiatives ont été prises dans plusieurs États et auprès des autorités politiques, civiles et morales, tant au niveau fédéral, parlementaire et gouvernemental (Suède, USA, Allemagne, Australie, République d'Arménie, le Vatican...).
Parce que nous sommes à la fois des protecteurs historiques des Chrétiens d'Orient, mais aussi le pays des Droits de l'Homme, ces « génocides » du XX e siècle, comme du XXI e siècle, ne doivent pas faire face à la passivité de la communauté internationale. La lutte contre la barbarie doit mobiliser l'ensemble des pays du Monde et nous devons reconnaitre le génocide des Chrétiens d'Orient.
Les actes commis par les forces ottomanes il y a plus d'un siècle, comme ils sont commis aujourd'hui par l'État islamique de Daesh, doivent être considérés comme un crime de génocide au sens de l'article 6 du Statut de Rome et comme des crimes contre l'humanité au sens de l'article 7 du même texte. Hélas, aujourd'hui, nous ne pouvons que déplorer la passivité de l'ONU pour la protection de ces minorités, victimes de tortures et de purification ethnique (exil de milliers de chrétiens, de Kurdes et de Yézidis).
Comme l'explique Joseph Yacoub 1 ( * ) , la France soutenait les Assyro-Chaldéens et les Arméniens en allant même jusqu'à dénoncer les persécutions et les massacres. Par exemple, le 24 juin 1915, Alfonse Nicolas alors consul à Tabriz, alertait son ministre des Affaires étrangères au sujet des affiches appelant au Djihad, au nom de l'islam, placardées dans la ville d'Ourmiah.
Dans une tribune publiée dans « Le Figaro », le 23 avril 2021, Joseph Yacoub met en avant le courage des diplomates Français qui, à l'époque, ont dénoncé ces massacres 2 ( * ) .
Plus récemment, Ban Ki-Moon, alors secrétaire général de l'ONU affirmait le 20 juillet 2015 que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l'humanité.
Mais il s'agit d'un véritable génocide, comme Valérie Boyer l'avait dénoncé à l'occasion des questions au gouvernement le 23 juillet 2014 à l'Assemblée nationale. Ce génocide est aussi celui de la matrice de notre civilisation et nous oblige à agir au nom de l'Histoire et des engagements de la France.
Comme l'explique Joseph Yacoub, « ce génocide physique et cette spoliation des terres et des biens étaient accompagnés d'atteintes graves à l'héritage culturel. Des monuments historiques ont été détruits et laissés à l'abandon, des églises profanées et des écoles démolies. Des bibliothèques contenant des livres rares et de riches manuscrits ont été dilapidées et détruites, comme celles du diocèse chaldéen de Séert ou du siège patriarcal assyrien à Kotchanès, petit village au Hakkari, désormais abandonné, ou encore des monastères syriaques de Tour Abdin. » .
Comme aujourd'hui les Arméniens de l'Artsakh, les Assyro-Chaldéens se sont vus ainsi déposséder d'une grande partie de leurs lieux de vie, de culture et de mémoire. En tout, plus de 400 églises et monastères ont été ruinés.
Plus de 250 000 Assyro-Chaldéens-Syriaques - ce qui représente plus de la moitié de la communauté - ont péri des mains des Turcs et des irréguliers kurdes utilisés à ces fins. Tous les documents montrent à l'évidence que ces massacres furent des actes « combinés et concertés » par les autorités ottomanes et qu'il ne s'agit nullement d'actes isolés ou incontrôlés.
Rappelons-nous cette phrase d'Elie Wiesel, qui disait : « En niant l'existence d'un génocide, en l'oubliant, on assassine les victimes une seconde fois » . Avec cette proposition de résolution et la reconnaissance du génocide assyrien de 1915, le Parlement français, dans son ensemble, s'honorera de s'inscrire, comme d'autres Parlements nationaux, dans cette démarche profondément démocratique et permettra de ne pas oublier les Chrétiens d'Orient qui meurent chaque jour.
* 1 Joseph Yacoub (né le 2 août 1944 à Hassaké au nord-est de la Syrie) est un politologue et historien d'origine assyro-chaldéenne-syriaque. Professeur honoraire de sciences politiques à l'Université catholique de Lyon, premier titulaire de la chaire UNESCO « Mémoire, cultures et interculturalité » de ladite Université. Il est notamment l'auteur du livre « Qui s'en souviendra ? 1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaque », d'un ouvrage avec son épouse Claire Weibel Yacoub, « Oubliés de tous : les Assyro-Chaldéens du Caucase », Éditions du Cerf, Paris, septembre 2015, prix académique de l'OEuvre d'Orient en mai 2016. Ou plus récemment « Le Moyen-Orient syriaque, la face méconnue des Chrétiens d'Orient », éditions Salvator, Paris, 2019, et Les Assyro-chaldéens. Mémoires d'une tragédie qui se répète, L'Harmattan, Paris, mai 2021.
* 2 2 https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/genocide-armenien-n-oublions-pas-le-massacre-des-missionnaires- francais-et-des-assyro-chaldeens-20210423