NOTE DE SYNTHESE
La
proposition de loi, adoptée en juillet 1995 par l'Assemblée
nationale et tendant à créer un
Office parlementaire
d'amélioration de la législation
, investit le futur organe
d'une triple mission :
- évaluer l'adéquation de la législation aux situations
qu'elle régit ;
- simplifier et unifier la législation ;
- veiller à l'élaboration des textes réglementaires
nécessaires à l'application des lois.
Il a paru intéressant de rechercher comment ces trois missions
étaient actuellement remplies chez certains de nos voisins. Pour chacun
des pays étudiés (Allemagne, Belgique, Italie, Royaume-Uni,
Suisse, Canada), on a donc, sans se limiter aux procédures
parlementaires d'évaluation législative, examiné trois
questions.
•
La loi fait-elle l'objet d'une évaluation formelle, aussi
bien avant son adoption par le Parlement qu'après
? En d'autres
termes, les projets de loi font-ils l'objet d'un examen critique de leur forme
juridique avant leur dépôt au Parlement ? Les lois en vigueur
sont-elles ensuite périodiquement révisées,
corrigées, consolidées ou codifiées ? On oppose ici la
consolidation, compilation de dispositions existantes sans modification de
fond, à la codification qui correspond à l'établissement
d'un ensemble systématique de dispositions novatrices.
•
L'opportunité de la loi
, c'est-à-dire sa
capacité à répondre au problème posé,
fait-elle l'objet d'une appréciation avant la discussion
parlementaire ?
•
Comment l'évaluation a posteriori de la loi est-elle
réalisée ?
Ce dernier point revêt un double aspect : il
recouvre aussi bien l'évaluation des effets de la loi que le
contrôle des règlements d'application.
De cet examen, il ressort que :
- le Royaume-Uni et le Canada ont beaucoup développé
l'évaluation formelle des lois ;
- l'opportunité des lois fait l'objet d'un examen
particulièrement minutieux en Allemagne et au Canada ;
- l'évaluation a posteriori des lois en vigueur demeure
limitée.
I - LES PAYS DE TRADITION ANGLO-SAXONNE ONT BEAUCOUP DEVELOPPE L'EVALUATION FORMELLE DES LOIS.
1) Avant leur examen parlementaire, les projets de loi font l'objet d'une procédure d'examen de leur forme juridique dans tous les pays sauf en Italie.
a) Des fonctionnaires spécialisés détiennent le monopole de la rédaction des projets de loi au Royaume-Uni et au Canada.
La
doctrine anglo-saxonne met un accent particulier sur la nécessité
de faire rédiger les projets de loi par des juristes
spécialisés qui suivent les différentes étapes de
l'élaboration des textes jusqu'à leur adoption. On peut
considérer comme un outil d'évaluation le processus même de
rédaction des projets de loi puisque le monopole des rédacteurs
garantit l'homogénéité formelle des lois et leur
qualité juridique.
Au Royaume-Uni, comme au Canada, il existe en effet un corps de fonctionnaires,
recrutés parmi d'anciens avocats ou notaires, qui détiennent le
monopole de la rédaction des projets de loi. Ils travaillent à
partir des indications que leur fournissent par écrit les fonctionnaires
du ministère qui est à l'origine de l'initiative. Ils cherchent
non seulement à traduire dans les projets de loi les intentions du
gouvernement aussi précisément que possible, mais
également à s'assurer de la compatibilité des projets avec
le droit en vigueur.
Aucun projet n'est rédigé par une seule personne : au Canada,
l'équipe de rédacteurs comprend nécessairement un
francophone et un anglophone, tandis qu'au Royaume-Uni, on associe un
rédacteur expérimenté à un autre moins ancien afin
de permettre au second de se former.
Plusieurs versions du projet sont successivement présentées avant
que le gouvernement ne donne son accord et que le texte ne soit
déposé au Parlement. L'équipe de rédacteurs qui a
commencé à rédiger un projet de loi le suit jusqu'à
son adoption finale car elle met également en forme les amendements,
même lorsqu'il s'agit d'amendements parlementaires.
b) En Allemagne, en Belgique et en Suisse, les projets de loi sont présentés à une instance consultative avant d'être déposés au Parlement.
Dans ces trois pays, les qualités formelles des projets de lois ainsi que leur compatibilité avec les normes pré-existantes sont vérifiées respectivement par le ministère de la justice , la section de législation du Conseil d'Etat et le service fédéral de la législation qui relève de la Chancellerie.
2) Seuls le Royaume-Uni, le Canada, et à un degré moindre la Belgique, procèdent à la consolidation et à la révision permanentes des lois.
Le Royaume-Uni et le Canada ont mis en place des commissions ad hoc : la Law Commission (1( * )) et la Commission de révision des lois. Au Canada, la section de législation du ministère de la justice gère également le " programme de correction " des lois. Toutes les propositions de réforme émises par ces organes doivent être soumises au Parlement.
a) La Law Commission anglaise
La
Law Commission
est un organe consultatif qui a été
créé en 1965 pour codifier, moderniser, réviser et
simplifier le droit.
Les propositions de codification qu'elle a émises au cours de ses
premières années de fonctionnement n'ont pas abouti et la
Commission met désormais l'accent sur des projets à plus court
terme.
Elle joue un grand rôle en matière de simplification du droit :
elle prépare les projets de loi d'abrogation ou de consolidation, dont
l'initiative première revient d'ailleurs souvent aux rédacteurs
législatifs. Chaque loi d'abrogation permet l'abrogation de plusieurs
lois ainsi que de centaines de dispositions législatives éparses.
Le Parlement adopte une telle loi environ tous les 3 ans. En revanche, il
adopte plusieurs lois de consolidation chaque année.
b) La Commission de révision des lois canadienne
Placée sous l'autorité du ministère de la
justice, la Commission de révision des lois refond et consolide
périodiquement toutes les lois fédérales.
Depuis la naissance de la Fédération canadienne, les lois
fédérales ont été révisées six fois.
La dernière révision, qui remonte à 1985, a permis de
réduire de 26 000 à 10 000 le nombre de pages de la collection
des lois fédérales.
Le travail de la Commission de révision des lois est
complété par les corrections de forme suggérées par
la section de législation du ministère de la justice qui donnent
lieu, environ une fois par an, à l'adoption de lois dites correctives.
Le programme de correction permet d'apporter des modifications formelles sans
attendre la révision de l'ensemble des lois.
c) La coordination des lois en Belgique
La
consolidation des lois, dénommée coordination en Belgique,
constitue une pratique assez développée. Il s'agit d'une
procédure à la fois législative et administrative puisque,
si le législateur décide du principe de la consolidation, la mise
en vigueur des lois coordonnées intervient par arrêté royal
après que le bureau de coordination du Conseil d'Etat a
réalisé la consolidation formelle.
Par ailleurs, au cours des dernières années, plusieurs
propositions de loi tendant à mettre en place une évaluation
systématique de la législation ont été
déposées. L'une d'entre elles a même été
adoptée par le Sénat en 1993.
d) L'instance italienne de codification
La création en 1988 de l'Office central de coordination de l'initiative législative et de l'activité normative du gouvernement, qui devait notamment mettre en évidence " la nécessité de procéder à la codification des textes régis sur certaines matières ou à la refonte d'autres textes ", n'a pas été suivie d'effets.
II - LE ROYAUME-UNI, ET SURTOUT LE CANADA ET L'ALLEMAGNE, SONT LES SEULS PAYS A EVALUER L'OPPORTUNITE JURIDIQUE DES LOIS.
1) L'approbation préalable des objectifs des projets de loi par le conseil des ministres au Canada
Au
Canada,
seuls les projets de loi dont l'objectif a été
approuvé par le Conseil des ministres peuvent être
rédigés par la section de législation.
Pour obtenir cette approbation, le ministre qui souhaite déposer un
projet de loi, qu'il s'agisse d'adopter une nouvelle loi ou d'en modifier une
précédente, doit, dans une " note au cabinet ",
démontrer les insuffisances de la législation en vigueur.
Il s'agit d'une procédure très formalisée puisque la note
que signe le ministre doit respecter une présentation
normalisée.
2) Les propositions de réforme du droit formulées par une commission au Canada et au Royaume-Uni
La
Commission canadienne de réforme du droit est un organe temporaire. La
précédente a été dissoute en 1993, mais le
gouvernement a promis d'en créer une nouvelle au début de
l'année 1996. Elle analyse les lacunes du droit en vigueur et propose
des améliorations. Ses propositions constituent souvent la base des
" notes au cabinet ".
De la même façon, la
Law Commission
anglaise formule des
propositions de réforme du droit. Même si elle reproche au
Parlement de négliger ses travaux, les récentes réformes
du droit pénal et du droit de la famille ont pour origine ses
travaux.
3) La vérification de l'opportunité des projets de loi en Allemagne
Le
processus d'élaboration des projets de loi allemands à
l'intérieur des différents ministères comprend
l'utilisation d'un questionnaire très détaillé visant
notamment à vérifier que la création d'une nouvelle norme,
législative ou réglementaire, constitue la meilleure solution au
problème qui se pose.
Ce questionnaire porte sur plusieurs dizaines de points et notamment sur la
situation initiale, aussi bien sur le plan juridique que pratique, les besoins
exprimés, les lacunes constatées, les buts à atteindre,
les alternatives possibles, leurs avantages et leurs inconvénients,
leurs conséquences pour tous et dans tous les domaines, la
nécessité d'une intervention fédérale...
Il s'agit d'obliger à démontrer que la création d'une
nouvelle norme, législative ou réglementaire, constitue la seule
réponse à un problème donné.
4) La faible efficacité des mesures prises en Suisse et en Italie
En
Suisse, le gouvernement doit accompagner les projets de loi qu'il transmet au
Parlement de renseignements portant sur la situation existante, les lacunes
constatées, les solutions rejetées au moment de
l'établissement du projet... Dans les faits, ces exigences sont
respectées plus sur le plan formel qu'au fond.
En Italie, lors de sa création en 1988, l'Office central de coordination
de l'initiative législative et de l'activité normative du
gouvernement avait, parallèlement à sa mission de codification,
été chargé de signaler "
les incohérences
et antinomies relatives aux divers secteurs législatifs
".
Toutefois, l'Office ne remplit pas dans les faits cette fonction.
III - LE CONTROLE DES EFFETS DE LA LOI S'EFFECTUE ESSENTIELLEMENT GRACE AUX CLAUSES D'EVALUATION
1) L'évaluation des effets de la loi
Les
clauses d'évaluation
sont apparues dans les années 70. Elles
prescrivent l'examen des effets des lois à l'expiration d'un certain
délai et, le cas échéant, la modification des lois qui ne
produiraient pas les effets attendus. Elles sont encore peu fréquentes
mais on les rencontre dans tous les pays étudiés sauf au
Royaume-Uni.
La technique de la
législation expérimentale
, qui consiste
à rendre caduque une loi à l'échéance d'un
délai donné et qui suppose l'évaluation de ses effets
pendant sa période de validité est moins répandue.
L'Allemagne et le Canada l'utilisent, mais très peu.
En Allemagne, les clauses d'évaluation se sont multipliées en
même temps que la Cour constitutionnelle développait sa
théorie sur la mise au point itérative de la loi. En effet,
celle-ci impose au législateur non seulement d'éliminer les
éléments anticonstitutionnels, mais également de corriger
ses textes si les prévisions qui les avaient justifiés se
révèlent inexactes avec le temps. Pour compenser le
caractère incertain des effets des lois, la Cour constitutionnelle
allemande demande au Parlement, dans la phase préparatoire, d'analyser
les différentes variantes de législation et leurs effets
prévisibles. Elle exige aussi qu'il observe ensuite les effets des lois
et qu'il les corrige en fonction de ses observations.
L'introduction d'un contrôle général des effets produits
par les lois avait été évoquée en Suisse lors de la
dernière réforme du Parlement en 1991. Le gouvernement avait
alors suggéré de charger les commissions permanentes du
contrôle des effets de la législation, ce qu'a refusé la
commission de gestion.
2) Le contrôle des règlements d'application
Dans les Parlements britannique et canadien, il existe une commission composée de représentants des deux Chambres chargée d'examiner l'ensemble des textes d'application.
*
* *
Le futur
Office parlementaire d'amélioration de la législation n'a donc
pas d 'équivalent dans les pays étudiés.
Bien qu'il s'agisse d'une activité encore peu développée,
l'évaluation de la législation constitue une préoccupation
grandissante dans tous les pays. Qu'elle concerne la forme ou le fond, qu'elle
s'applique aux projets avant leur examen par le Parlement ou aux lois
déjà en application, l'évaluation de la législation
est le plus souvent réalisée par l'exécutif ou par des
professionnels du droit.