CONCLUSION GÉNÉRALE
Au terme de cette recherche, le statut du français en
Corée peut être considéré sous deux angles.
Pour un observateur extérieur, ce statut peut apparaître
très favorable. En tant que seconde langue vivante, le français
bénéficie d'une bonne implantation -la meilleure de tous les pays
d'Asie- à la fois dans l'enseignement secondaire et supérieur.
Les statistiques font impression : 800 professeurs enseignent le
français à 315 000 lycéens, soit près d'un
lycéen sur quatre, répartis dans 470 établissements
publics et privés ; 20 000 étudiants, dans
75 départements de faculté, se spécialisent dans
l'étude de la langue et de sa littérature
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.
Mais ce tableau flatteur cache une vision plus réaliste de la
situation. On constate que le français est cantonné au milieu
scolaire et universitaire, et n'en sort guère. Sa présence dans
la vie économique et sociale de la Corée est extrêmement
réduite. Ce n'est pas un hasard si le choix du français est
majoritairement opéré par les étudiantes, acteurs mineurs
de l'économie nationale.
Ces deux points de vue correspondent chacun à une réalité.
La place du français dans le milieu institué est due, en grande
partie, à l'héritage du confucianisme, qui a toujours mis en
avant l'étude comme moyen de perfectionnement de soi, et donné au
pays, depuis longtemps, une forte tradition culturelle. Ce pays de
lettrés ne pouvait qu'apprécier le riche patrimoine historique,
littéraire et artistique de la France. L'action de la France en faveur
des arts renforce cet attrait. Le lien que les Coréens font entre la
culture française et sa langue, confère à celle-ci un
statut particulier. Cela la protège des aléas politiques ou
économiques, auxquels peuvent être soumises les autres secondes
langues.
Cependant, malgré sa bonne implantation et son prestige, tous les
efforts déployés pour l'enseignement/apprentissage du
français aboutissent actuellement à un résultat modeste. A
long terme, cette situation risque d'entraîner le
désintéressement des apprenants et, par voie de
conséquence, le recul du français en Corée. Il est donc
nécessaire d'améliorer cet enseignement/apprentissage. Un certain
nombre de facteurs négatifs de l'enseignement/apprentissage du
français ont été identifiés : ils sont liés
au manque de formation des enseignants en premier lieu, aux méthodes
livresques et aussi à la lourdeur des effectifs.
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Bulletin spécial de l'Ambassade de France à
Séoul, 23 janvier 1995, objet : La présence culturelle,
linguistique et scientifique française en Corée, p. 333.
La formation inappropriée des enseignants les laisse souvent peu
motivés et passifs : très peu d'entre eux possèdent une
maîtrise acceptable de la langue-culture française. Ils sont donc
naturellement peu enclins à introduire l'oral, totalement absent de
l'enseignement secondaire, ou à le développer dans le cursus
universitaire ; d'autant moins que cela soulignerait leurs propres faiblesses
dans ce domaine.
Il est vrai que le maintien de méthodes théoriques ne les
encourage guère à se perfectionner en langue. Si la tradition
confucéenne a été bénéfique pour
développer le goût de l'étude spéculative, elle
n'est pas adaptée à l'enseignement/apprentissage des langues
vivantes, car elle privilégie beaucoup trop les méthodes
livresques.
Enfin, la lourdeur des effectifs ainsi que la pratique linguistique et
culturelle en milieu exolingue (langue étrangère enseignée
en langue maternelle) ne peuvent favoriser les échanges. Il
résulte des carences de cet enseignement/apprentissage une très
faible connaissance de la langue-culture.
Vis-à-vis de l'omniprésence de l'anglais et de la culture
américaine et devant la concurrence nouvelle d'autres langues vivantes,
le français occupe, en définitive, une place restreinte dans la
société coréenne.
Face à ce constat, les propositions visant à valoriser le statut
du français en Corée ont essentiellement porté sur la
formation des enseignants, les programmes d'études et l'action
linguistique et culturelle de la France.
En ce qui concerne la formation initiale, une participation
régulière à des séjours partagés avec des
professeurs natifs et une meilleure préparation du stage pratique
d'enseignement seraient souhaitables.
Pour parfaire leur formation continue, il faudrait organiser, d'une part, des
réunions régulières en petits groupes, sous la direction
d'un formateur coréen, d'autre part, augmenter le nombre des
séjours linguistiques en France, avec une durée plus courte et un
contenu plus souple que le stage pédagogique existant.
Pour l'aménagement des programmes, la grammaire
"
décortiquée
" devrait être
remplacée par une vision globale de son fonctionnement, et le seul
exercice de traduction de textes littéraires complété par
l'analyse de leur style. A cela devrait s'ajouter un travail
systématique de la phonétique, au lieu de la simple
répétition de phrases isolées, avec pour objectif de
comprendre et de se faire comprendre, grâce à la mise en valeur de
la prosodie française, ce qui correspond aux attentes des apprenants.
Concernant l'action linguistique et culturelle de la France, un certain nombre
de souhaits ont été exprimés, dont les principaux seraient
de mieux préparer les enseignants français au contexte local
(mentalité, habitudes d'apprentissage en particulier), et de s'assurer,
dans la mesure du possible, de leur motivation.
Pour la mise en oeuvre de ces propositions, il ne peut être question de
remettre en cause le système préétabli. Il s'agit, en
effet, de
favoriser une nécessaire évolution, mais sans
révolution
. La maîtrise de l'oral ainsi que l'accès
à la "
culture quotidienne et comportementale
"
(selon
R.
GALISSON)
constituent des outils permettant aux apprenants une meilleure
compréhension linguistique et culturelle. En aucun cas, il ne s'agit
d'imposer le modèle occidental, mais d'améliorer le
système existant, afin de le rendre plus opérationnel et mieux
adapté, à l'image de l'évolution positive intervenue
récemment dans l'enseignement du coréen et de l'anglais.
Ces recommandations en faveur de l'oral, soutenues par les étudiants et
les parents, apparaissent non seulement souhaitables, mais possibles. Mais en
même temps, au-delà de cette nécessaire dynamisation de son
enseignement/apprentissage, on ne peut manquer de s'interroger sur l'avenir du
français en Corée. La suprématie de l'anglais dans les
échanges internationaux paraît difficilement réversible et,
d'autre part, le chinois et le japonais ont toutes les chances d'occuper une
place grandissante.
Le français bien enseigné rendra plus fructueux les
échanges bilatéraux, mais globalement, il continuera à
avoir peu d'incidence dans la vie courante. Par conséquent, sa vocation
doit rester éminemment culturelle ; la dimension formatrice, la richesse
et la valeur humaniste de la langue-culture française, seront toujours
ses meilleurs atouts pour l'avenir. Puisse la Corée ne pas céder
à la tentation utilitaire, pour que le français demeure un lien
d'échanges et d'enrichissement, qui l'aide à préserver,
à valoriser, sa propre langue-culture dans l'équilibre et
l'harmonie avec les autres.