3. Dans les organisations non-institutionnelles
A côté de l'Institution scolaire et
universitaire, des organisations d'origine publique ou privée apportent
une contribution essentielle à l'enseignement du français. Ce
sont les instituts privés et les six centres de l'Alliance
Française répartis dans les villes principales.
Dans un pays où le français n'est pas du tout pratiqué,
hormis le milieu universitaire, ces centres représentent la France aux
yeux des Coréens et attirent les étudiants motivés et
curieux. Le contenu d'enseignement/ apprentissage a privilégié la
maîtrise de l'oral et a naturellement évolué au cours du
temps. Trois périodes se sont succédé, marquées
chacune par l'utilisation de différentes méthodes de
français langue étrangère (FLE) éditées en
France.
a) Période Mauger/De Vive Voix
Jusqu'au début des années quatre-vingt, tout débutant
devait s'inscrire d'abord au cours de
Mauger
(appelé cours de
grammaire), pour passer ensuite à
De Vive Voix
(cours de
conversation) et enfin à
Vif Transition
. Autrement dit, la
connaissance linguistique de base était considérée comme
indispensable pour accéder à l'apprentissage de la langue
proprement dite.
Le
Mauger
, avec ses défauts frappants et ses
qualités, est resté longtemps très populaire en
Corée. A l'issue de nombreuses observations recueillies auprès de
classes
" brillantes et animées "
46
,
cet enseignement a été dynamisé, à l'occasion
de la réunion pédagogique de décembre 1982 à
l'Alliance Française de Séoul. On y a proposé un
" déroulement idéal du
cours ",
fondé sur la connaissance grammaticale, la compréhension
textuelle et l'expression orale.
Les enseignants locaux travaillaient davantage l'explication grammaticale et
la version, pour répondre aux besoins des étudiants voulant
compléter leur formation universitaire ou préparant les concours
d'entrée en maîtrise ou en doctorat. Cette utilisation n'avait
donc rien à voir avec le principe de la méthode directe qui
excluait le recours à la langue maternelle
47
.
Mais la cause principale de sa disparition, après trente ans de
succès en Corée, porte sur ses contenus langagier et culturel
démodés au fil du temps et trop détaillés, car il
fallait une année entière à raison de cinq heures par
semaine pour terminer les deux premiers volumes. C'est la raison pour laquelle
le
Mauger Rouge
, avec son contenu allégé, a
été assez bien accueilli. Les étudiants ont
approuvé ses aspects positifs :
" présentation
phonétique détaillée, dialogues faciles pour les
débutants, construction brève et cohérente de chaque
leçon ".
Comme défauts, ils soulignaient les situations
peu variées, le manque d'exercices de grammaire, la difficulté
à l'étudier seul, les caractères trop petits et des
illustrations médiocres.
En ce qui concerne
De Vive Voix
, on a remarqué que les
étudiants se sont plus attachés aux personnages eux-mêmes
qu'au contenu. Ils les prenaient presque pour des personnages réels, en
admirant leur beauté physique et leur belle voix, au point d'aller
vérifier leur adresse, 6 rue Montmartre, s'ils faisaient un voyage
à Paris. Pourtant, les deux protagonistes, Pierre et Mireille, sont des
jeunes gens sans grande originalité au milieu d'autres personnages
stéréotypés, présentés dans des situations
banales et dans un quartier typique de Paris. Les étudiants ont
probablement été séduits par ces personnages, à la
fois proches par leur simplicité et
" exotiques "
par
leur mode de vie, et rendus vivants par la méthode audiovisuelle.
Quant au contenu linguistique, la priorité est donnée à
l'oral : langue orale simple et assez facile à retenir, avec des
exercices de réemploi. Ce n'est qu'en deuxième partie de la
méthode que l'écrit est abordé : questions-réponses
sur les images et exploitation écrite sur les images-clé.
________________________
46
Dossier Mauger, Alliance Française de Séoul,
décembre 1982.
47
Cf. Christian PUREN, Histoire des méthodologies de
l'enseignement des langues, CLE International, pp. 94-96.
b) Période Archipel/Sans Frontières
L'apparition de
Sans Frontières
a
remplacé assez rapidement le
Mauger Bleu,
qui est resté la
" Bible de l'étudiant coréen "
. A la fois
précis dans la progression grammaticale et dans la
répétition des modèles, mais également proche de la
vie quotidienne et du langage en situation,
Sans Frontières
a
effectivement suscité une plus grande motivation des apprenants.
C'est une méthode plus légère, constituée de
quatre unités de cinq leçons et d'un bilan par unité, dont
chacune présente un acte de parole prioritaire et une thématique.
Chaque unité présente un même personnage ou un même
groupe de personnages dans les diverses situations qui forment le thème.
Personnage
" de juste milieu "
entre les méthodes
structuro-globales qui racontent une seule histoire à travers toute une
méthode, et les approches communicatives qui dissocient chaque fois les
acteurs et les thèmes.
Le contenu propose un double objectif : à la fois communicatif et
linguistique. On constate, au début, une concordance entre ces deux
objectifs. Mais, à mesure que les séances avancent, la
progression linguistique peut apparaître comme trop limitée,
parfois trop lente par rapport aux besoins des apprenants dans leur progression
communicative.
Parallèlement au
Sans Frontières
conçu pour les
faux débutants,
Archipel
est réservé aux
niveaux moyen et avancé. Cahier d'exercices à part, absence de
grammaire explicite, phonétique non traitée... cette
méthode a été introduite à l'Alliance
Française de Séoul en 1983, après une
expérimentation avec des étudiants de niveau moyen, et elle reste
aujourd'hui toujours appréciée.
L'abondance des documents authentiques montre la volonté de faire
découvrir, avec l'apprentissage de la langue, les aspects culturels
propres à la communauté linguistique française.
Cependant, la France y est vue sous un angle un peu trop parfait, comme un
pays idyllique où tout le monde vit bien, sans aucune situation
conflictuelle. La dimension culturelle est également très
importante : cinéma, théâtre, opéra, musées.
Paris est omniprésent, mais le monde rural est presque totalement absent
dans cette présentation de la société française.
Les portraits de Fançais typiques n'échappent pas à des
partis pris, voire à des invraisemblances. Bien que la description de
ces personnages, réduite à quatre pages, aboutisse
forcément à des stéréotypes, elle ne devrait pas
donner une image déformée de la réalité. Il ne
faudrait pas abuser de la crédulité des apprenants, qui croient
sans discernement ce qui est imprimé dans une méthode.
c) Période autour du Nouveau Sans Frontières
A l'issue d'un succès largement
confirmé, l'équipe du
Sans Frontières
sort, en
1988, une version actualisée, le
Nouveau Sans
Frontières
, adopté immédiatement en Corée.
La structure de base reste inchangée : 4 unités de 5
leçons, dont chacune comprend dialogue, vocabulaire, grammaire et
activités, bilan par unité, lexique à la fin, etc. Le
changement repose davantage sur la présentation qui apporte une
meilleure lisibilité : format plus grand, avec davantage d'illustrations
et de photos en couleur, mise en page ample et aérée.
Cependant, l'actualisation s'arrête au niveau du langage, les
" fonctions "
ou
" actes de
parole "
effectivement présentés se limitent souvent à une
réalisation unique, sans indication d'usage, ni a fortiori de
variété d'usage. Seuls les enseignants formés pourraient
tirer parti de l'abondance des situations et des documents, qui permettraient
des exploitations complémentaires possibles.
Les étudiants coréens, interrogés sur le contenu de cette
nouvelle méthode, sont satisfaits pour 70 % d'entre eux. Ils
apprécient la priorité donnée à l'oral, la
diversité des contenus et les thèmes intéressants et
cohérents dans le développement de l'histoire et des personnages.
Leurs critiques portent, en revanche, sur l'absence de récapitulatif de
vocabulaire et d'expressions, la mauvaise synthèse de la grammaire, le
manque d'exercices phonétiques, les dialogues trop courts
présentés dans des situations peu variées. Autrement dit,
les thèmes choisis sont attrayants, mais les contenus proposés ne
sont pas à la hauteur de l'attente des étudiants.
En définitive, les modifications apportées par le
Nouveau
Sans Frontières
ne sont pas considérées comme de
réelles améliorations par les étudiants et les
professeurs. La rigidité de la progression grammaticale demeure dans la
nouvelle édition, alors même que celle-ci affiche un objectif plus
ambitieux en matière de langue-culture. Il en résulte une
certaine perte de cohérence par rapport à la première
édition. C'est la raison pour laquelle l'Alliance Française de
Séoul conserve les cours de
Sans Frontières
.
Espace
se veut plus moderne et plus clair. De grand format,
même un peu plus large que le
Nouveau Sans Frontières,
cet
ouvrage est caractérisé par une mise en page et un graphisme de
qualité, assurant une bonne lisibilité d'ensemble.
L'orientation générale donne la priorité à
l'écrit. Des documents écrits à contenu informatif
favorisent l'apprentissage de la langue en s'appuyant sur d'autres
connaissances culturelles ou scientifiques, par exemple le document de
" sensibilisation "
sur les groupes d'aliments.
La difficulté majeure réside dans les dialogues
présentés sous forme de bandes dessinées. Les
étudiants coréens ont déjà du mal à
déchiffrer l'écriture latine, à plus forte raison lorsque
tout est écrit en majuscules et que les répliques se superposent.
Cette présentation des dialogues complique le travail sur la
prononciation et l'intonation. Pour les étudiants coréens, les
dialogues avec les exercices proposés représentent, en effet, la
partie essentielle d'une méthode.
Ces exercices surestiment parfois la capacité des étudiants, en
particulier quand il s'agit de trouver les actes de parole correspondant aux
phrases mentionnées. Cette tâche incombe à l'enseignant qui
l'intègre à son programme en fonction des objectifs fixés
pour chaque séance.
Avec plaisir
est une méthode vidéo toujours
utilisée. Les étudiants apprécient l'authenticité
des documents qui leur permet de bien comprendre la situation de communication
dans sa totalité : le comportement, la prosodie, les aspects verbaux et
non-verbaux cadrent bien avec la priorité donnée à l'oral.
Néanmoins, cet aspect avantageux ne peut s'adresser qu'aux niveaux
moyen et avancé, car même les niveaux moyens trouvent les
dialogues trop rapides et difficiles à comprendre. Le manque de
récapitulatif de vocabulaire et d'expressions est également
cité.
Une autre remarque des apprenants revient de manière évidente :
" l'enseignant doit savoir utiliser la méthode vidéo et
posséder de larges connaissances langagières et
culturelles ".
En conclusion, toutes les méthodes présentées restent
insuffisamment adaptées aux besoins des apprenants, ce qui rend encore
plus nécessaire la formation des enseignants.
Les méthodes conçues en France ne peuvent tenir compte de toutes
les particularités culturelles et linguistiques de chaque pays. Pour
pouvoir les utiliser efficacement et s'adapter aux besoins de leur public, les
enseignants doivent constamment faire une
" expérimentation
ponctuelle ".
Un enseignant bien formé devrait être capable de
préparer son cours, de manière à combler les insuffisances
de la méthode utilisée. Il aurait ainsi à coeur de fournir
des supports adéquats à ses étudiants, tels que des
documents authentiques qui aident à fixer l'attention et offrent des
moyens linguistiques d'expression.