C. LE FRANCAIS
1. Relations historiques anciennes
Avant l'établissement des relations
diplomatiques entre la France et la Corée, en 1886, il y eut plusieurs
tentatives de contacts venant d'abord des Français, puis des
Coréens.
Le premier Français à les avoir rencontrés, sans se
rendre pour autant dans la péninsule, a été le moine
Guillaume de RUBROUCK, envoyé de Saint-Louis auprès du Khan
Mongol, en 1256. Les Coréens, venus rendre hommage à la cour du
Khan en tant que vassaux de la Mongolie, lui semblaient
" petits et
basanés comme des Espagnols ".
Leur vêtement, sorte de
dalmatique, et leur regard, toujours baissé, le frappèrent
également, comme il le relata dans son ouvrage,
Voyage dans l'Empire
Mongol
21
.
Le Père Jean-Baptiste REGIS fut le deuxième français
ayant rencontré des Coréens en Chine vers 1720. Sans être
allé au
" royaume ermite ",
mais à partir de
témoignages chinois et coréens, il publia, en 1748,
Observations géographiques et Histoire de la Corée.
Les premières relations directes franco-coréennes sont
nées à travers l'introduction du catholicisme. Cette introduction
représente un cas unique dans l'histoire : ce n'est pas par des
missionnaires étrangers que la première
évangélisation s'est faite, mais par les Coréens
eux-mêmes. En effet, une ambassade se rendait chaque année
à Pékin, la Corée étant vassale de la Chine. Ces
contacts annuels permirent aux lettrés de prendre connaissance
d'ouvrages en chinois sur la science occidentale et sa religion. Parmi ces
ouvrages se trouvaient
Le discours véridique sur Dieu
du
Père RICCI et
Les sept victoires
du Père de PANTOJA. Les
lettrés coréens furent séduits par
" la
cohérence et la beauté des doctrines
exposées "
22
.
L'Ambassade de 1783 fut décisive pour la naissance de
l'église coréenne. Un attaché de cette Ambassade, sur les
conseils d'un ami déjà instruit de la doctrine occidentale,
demanda aux missionnaires français des éclaircissements à
ce sujet. Ce diplomate, Seung-Hun LEE, qui était le propre fils de
l'ambassadeur, manifesta le vif désir de se convertir. Il fut
baptisé l'année suivante par un jésuite français,
le Père de GRAMMONT, et reçut le nom de Pierre, dans le souhait
qu'il devînt le précurseur de cette église. Seung-Hun
LEE
23
fut ainsi le premier catholique coréen.
A son retour, lui et quelques amis, entièrement acquis au catholicisme,
se mirent à catéchiser et baptiser. Dix ans plus tard, la
Corée comptait 4 000 fidèles. Le désir le plus cher de
cette église qui, au départ, ne comptait que des laïcs,
était d'avoir des prêtres que les chrétiens coréens
demandèrent à l'évêque de Pékin. Seulement de
nombreuses années plus tard, un prêtre chinois fut envoyé
en Corée où il exerça quelques années de
ministère dans la clandestinité, avant d'être
exécuté avec 300 convertis.
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21
Claude et René KAPPLER, Voyage dans l'Empire Mongol,
traduction et commentaire, Paris, Payot, 1985, p. 318.
22
Missions Etrangères de Paris, Lumière sur la
Corée, Paris, Le Sarment Fayard, 1988, pp. 21-22.
Cette nouvelle religion, qui rencontrait un vif succès dans toutes les
classes sociales, apparut très vite suspecte aux yeux des
autorités. En effet, les valeurs chrétiennes fondées sur
l'égalité et donc
" l'abolition des différences
sociales étaient perçues comme une menace contre l'ordre
établi et le système politique en place " (Chul-Koo
WOO)
24
. De plus, le catholicisme s'opposait au culte
confucéen des ancêtres, considéré comme le premier
devoir filial, et surtout comme le pilier central de la religion d'Etat et le
Vatican refusa d'écouter les Jésuites, qui prônaient un
accommodement avec les coutumes locales. La persécution commença
à partir de 1791, avec l'exécution de deux chrétiens qui
avaient osé brûler des tablettes ancestrales. Puis le prêtre
chinois se livra aux autorités, croyant ainsi mettre fin à ces
persécutions.
Le nombre des convertis continua néanmoins de croître. Les
chrétiens voulurent alors envoyer un message de détresse
directement au Pape. Ce message mit de nombreuses années à
parvenir à son destinataire et fut enfin délivré, en 1827,
au Pape Léon XII qui décida de confier
l'évangélisation de la Corée aux missionnaires des
Missions Etrangères de Paris (ce document, retrouvé à
Rome, est actuellement conservé à la Maison mère). C'est
ainsi que douze religieux français partirent, après
l'érection du pays en diocèse, en 1831, et pendant les cinquante
années suivantes. Ces missionnaires, entrés clandestinement
à travers des frontières extrêmement surveillées,
risquaient leur vie en permanence. Ils se déplaçaient la nuit
sous un déguisement. Au bout de quelque temps, ils furent
arrêtés les uns après les autres, torturés et mis
à mort par les autorités locales.
On peut donc remarquer que les premiers occidentaux à être
entrés intentionnellement en Corée étaient des
Français. Le Père MAUBANT, premier missionnaire arrivé,
envoya trois jeunes à Macao pour les préparer au sacerdoce. Ils
furent, à cette occasion, les premiers Coréens à avoir
étudié une langue occidentale, en l'occurence le français.
Mais l'arrivée de ces missionnaires n'a rien apporté quant
à la représentation de la France, si ce n'est une idée
plutôt négative liée à l'expédition punitive
de la marine française, qui demanda des comptes pour l'exécution
de ses compatriotes et tourna court à la suite d'une escarmouche
sanglante. Les Coréens ne s'intéressaient guère à
la France. Les persécutions des missionnaires français et des
néophytes coréens en étaient la cause. Mais, cette
indifférence était sûrement due au fait que, pour les
Coréens, la Chine était reconnue comme la seule puissance
civilisée du monde. Et d'autre part, leur isolement total les rendait
complètement ignorants de la situation du monde extérieur.
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23
Canonisé en 1984, année où le Pape
Jean-Paul II s'est rendu en Corée pour célébrer le
bicentenaire de l'église catholique. A cette occasion, il a
proclamé la sainteté de 103 martyrs : 93 Coréens et 10
prêtres français.
24
L'introduction du catholicisme et l'arrivée des
missionnaires français en Corée, Korea Journal n° 6, juin
1986.
L'échec de l'intervention française confirma les Coréens
dans l'idée que tout ce qui venait de l'extérieur était
mauvais, et qu'ils étaient assez forts chez eux pour imposer leur point
de vue.
Ces relations historiques anciennes n'ont pas eu de conséquences
directes en termes d'influence politique et économique. En revanche, les
premières études occidentales sur le coréen furent
réalisées grâce au travail laborieux des missionnaires
français : dictionnaire coréen-français (1880), grammaire
de la langue coréenne (1881), ainsi que
L'Histoire de l'Eglise de
Corée
(1874) par l'Abbé Charles DALLET, le premier ouvrage
à présenter les moeurs et les coutumes coréennes aux
lecteurs français. A cette époque où les relations
n'étaient pas encore officielles, les missionnaires étaient les
seuls à pouvoir parler d'un pays dans lequel ils s'étaient
entièrement investis en étudiant la langue et la culture
coréennes.
Malgré leur existence précaire, toujours cachés et
poursuivis, ils ont fait de leur mieux pour
" garantir
l'exactitude des
renseignements ",
tout en gardant une certaine
" timidité consciencieuse "
pour respecter la
vérité des paroles (
Charles DALLET)
25
.
Après la signature du traité de 1886, la France resta
très attentive à l'attitude du gouvernement coréen
à l'égard des catholiques. Les missionnaires furent priés
de s'en tenir strictement aux dispositions prévues par le traité,
afin de ne pas indisposer le roi et de l'amener progressivement à
proclamer la liberté religieuse dans son pays. En effet, si l'article 9
donnait aux Français la possibilité d'enseigner librement, la
garantie de l'enseignement religieux et la liberté de culte furent
accordées seulement en 1889, à l'issue d'une véritable
offensive diplomatique de la France. En 1904, les prêtres français
furent autorisés à acheter des terrains et construire des
églises
(Chul-Koo WOO, 1986).