C. LE PROFIL DE LA PRESSE ÉCRITE AU BRÉSIL

La presse écrite nationale - journaux et magazines - est essentiellement à capitaux privé et elle est, d'un point de vue commercial, très dynamique pour les standards des pays émergents. Sur trois reais (l'argent brésilien, en 2006, $EU 1,00 équivalait à R$ 2,80) investis en publicité dans le pays, elle en consomme environ un réal. Entre 1993 et 1999, les journaux ont absorbé à eux seuls 6,482 milliards de $EU. Les recettes provenant des petites annonces ne sont pas incluses dans ces chiffres. Les données concernant les magazines ne sont pas aussi précises, mais elles doivent représenter, approximativement, la moitié de celles des journaux. Parmi les quinze principaux annonceurs du pays, dix sont des entreprises multinationales de la taille de Gessy Lever - en tête -, Volkswagen, General Motors, Ford, Nestlé et Coca Cola. (Voir plus de detail dans la Iere Partie, chapitre I, item I-A-4 - Les distorsions éditoriales et l'influence de la publicité officielle au Brésil) 858 ( * ) .

Il existait au Brésil, début 2000, 465 quotidiens et 1 780 magazines non quotidiens, sur un total de 2 245 publications. La circulation moyenne de ces publications est très faible. En 1999, 7,245 millions d'exemplaires de journaux circulaient quotidiennement 859 ( * ) . L'industrie journalistique travaille avec un indice de lecture de quatre personnes par exemplaire de journal, ce qui permet de conclure que 29 millions de Brésiliens ont l'habitude de lire tous les jours l'actualité. C'est un contingent fort réduit pour un pays de plus de 170 millions d'habitants.

Entre 1990 et 1999, la circulation quotidienne moyenne a pratiquement doublé, passant de 4,276 millions aux plus de 7 millions déjà mentionnés. En dépit de cette croissance, le coût élevé des publications, la situation socio-économique des Brésiliens, la distribution des tranches d'âge dans la population 860 ( * ) et même l'analphabétisme, qui touche 13 % des Brésiliens âgés de plus de quinze ans, constituent des obstacles à une plus grande pénétration des journaux dans la société. En 1999, le pays possédait l'un des indices de lecture de journaux le plus bas du monde. Il était de 45 exemplaires/jour pour mille habitants, contre 598 en Norvège, 573 au Japon, 321 au Royaume-Uni, 149 en France, 73 au Portugal et au Costa Rica et 56 exemplaires en Argentine 861 ( * ) .

La situation des magazines n'est pas non plus très différente. L'Association Nationale des Éditeurs de Magazines - Aner indique que tous les mois, 2 150 titres différents sont proposés aux Brésiliens dans les kiosques. Au cours des neuf premiers mois de 2003, le chiffre d'affaires du segment éditorial a représenté 9,2 % du volume de 7,023 milliards de reais (2,508 milliards de $EU). Les 25 magazines de plus grande circulation - qu'ils soient hebdomadaires, bimensuels ou mensuels - correspondaient à la production de 7,26 millions d'exemplaires, soit une moyenne de 290 000 par titre.

Sur ces 25 magazines, seuls six peuvent être considérés comme relevant du journalisme traditionnel, travaillant sur ce qu'on appelle le hard news (couverture en routine des faits politiques, économiques, nationaux et internationaux, etc.). Les autres pourraient être aisément classés dans le champ de l' info-entreteniment . L'ensemble des tirages des publications consacrées au journalisme (trois sont hebdomadaires, deux bimensuelles et une mensuelle) chute ainsi à 2,402 millions d'exemplaires.

1. Des exemples de médias de source imprimés

Cette diversité éditoriale n'a toutefois pas empêché l'apparition de médias de source imprimés. L'élément économique, qui interdit à beaucoup de Brésiliens de suivre les actualités dans les journaux et les magazines vendus en kiosque, peut constituer l'un des principaux inducteurs de cette presse parallèle. Les exemples sont également variés, même si les entités syndicales et communautaires représentent peut-être le plus grand contingent de publications. Beaucoup de ces publications ont pour racines les traditionnels house organs, conçus dans une logique relationniste, pour informer un public interne. L'élément innovant est que le public interne a été abandonné en tant qu'objectif, et substitué par une nouvelle cible qui est l'opinion publique dans son ensemble.

De même que pour la recherche sur le terrain dans le segment radiophonique, nous avons ici cherché à apporter dans ce travail quelques exemples de la diversité des acteurs qui interviennent en tant que médias de source imprimés 862 ( * ) .

Outre l'hebdomadaire Folha Universal, traité en détail par la suite, trois autres publications de natures distinctes ont été analysées. La première, Jornal da OAB Nacional, appartient à une entité professionnelle corporative, l'Ordre des Avocats du Brésil. La seconde, proposée par un mouvement social, apporte aux lecteurs le point de vue des paysans sans terre. La Revista Sem Terra sera analysée ultérieurement, dans le chapitre 2.5 - Les médias de source syndicaux et ouvriers. Et enfin, le Jornal Fêmea, une publication du mouvement féministe brésilien qui débat des questions de genre et qui circule depuis plus d'une décennie.

Jornal da OAB Nacional - La publication a été créée en 1990 ; elle est tirée tous les mois à 150 000 exemplaires, destinés à un public cible qualifié d'«opérateurs du Droit ». Il s'agit d'avocats, de juges, de procureurs, de parlementaires, d'entités de classe et de leaders d'opinion. Éditée par le Conseil Fédéral de l'Ordre des Avocats du Brésil, avec seize pages polychromes au format tabloïde français - la désignation fait référence au format du Le Monde -, elle cherche, selon son éditeur, à donner de la visibilité aux thèmes concernant les questions corporatives des avocats et intéressant la société. Le journal fournit aussi un résumé des principaux faits du pays, même s'ils ont été publiés dans la presse classique.

Parmi les thèmes qui disposent du plus d'espace éditorial, on trouve les questions de Droits de l'Homme, de Politique Nationale et de violence, ainsi que, bien sûr, des sujets plus intrinsèques au Droit et au Pouvoir judiciaire. La technique de rédaction vise à faciliter la lecture, de façon à ce que toute personne puisse en comprendre le contenu, même si elle n'est pas spécialisée en Droit. La distribution est nationale et gratuite. Elle se fait par abonnement et par distribution au détail dans tous les états, à travers les bureaux régionaux de l'OAB.

Le professionnel responsable de son édition, Bartolomeu Rodrigues, a travaillé jusqu'en 1997 dans des supports de grande circulation, comme O Globo et o Estado de São Paulo. Au moment de cette recherche, il était aussi responsable du service de presse de l'Ordre des Avocats. Entre 1989 et 1992, il a présidé le Syndicat des Journalistes Professionnels du District Fédéral. Lorsqu'il a quitté l'entité, il a fait grand bruit en affirmant, dans un article publié dans la presse, qu'un attaché de presse ne pouvait pas être classé comme journaliste. Cependant, maintenant il assure que la publication qu'il dirige est de nature journalistique, qu'il n'y a pratiquement pas d'interférence supérieure, bien que le journal ne soit pas imprimé sans être lu au préalable par le président de l'OAB. Bartô, comme il est surnommé dans le milieu professionnel, nie que le journal tente d'influencer les gatekeepers ou le processus de construction de l'actualité de la presse traditionnelle. Selon lui, pour cela, il est préférable d'utiliser les communiqués de presse produits par l'Ordre des Avocats 863 ( * ) .

ILLUSTRATION 2.2

FAC-SIMILÉS DE LA UNE DU JORNAL DA OAB NACIONAL

L'OAB a établi un contrat avec une entreprise spécialisée pour effectuer le relevé de toute l'actualité liée aux questions du droit, des avocats, du pouvoir judiciaire, etc., publiée par la presse écrite traditionnelle. Outre le fait qu'elle qualifie les textes publiés par l'utilisation dune technique basée à l'analyse du discours - en classifiant les articles en tant que porteur d'un approche positif, négatif ou neutre -, l'entreprise en question, Guria Communications, cherche à identifier l'origine des thèmes, les primary definers 864 ( * ) de chaque texte. Le rapport auquel nous avons eu accès indique qu'au dernier trimestre 2001, un tiers des informations relatives à l'OAB, au Pouvoir judiciaire et aux avocats en général diffusées par la presse écrite brésilienne avait pour origine les contenues diffusés par le Jornal da OAB Nacional et les communiqués de presse produits par le service de presse de l'Ordre.

Jornal Fêmea - La nuance de base de cette publication, couleur lilas, donne le ton de la ligne éditoriale qui prévaut cette publication mensuelle depuis février 1992. L'objectif de la publication est de traiter des centres d'intérêt de la femme, principalement pour ce qui a trait aux événements politiques, nationaux et internationaux. Il ne contient que douze pages, au format 30 cm x 21 cm, imprimées en deux couleurs. La seconde est le noir. La ligne éditoriale a pour but de donner une vision du Brésil et du monde sous une optique féministe. Elle aborde des thèmes comme la santé, la violence, les droits de sexuels et reproducteurs, la culture, le travail et le pouvoir, la politique et les élections.

ILLUSTRATION 2.3

FAC-SIMILÉS DE LA UNE DU JORNAL FÊMEA

La publication est éditée par l'organisation non gouvernementale Centro Feminista de Estudos et Assessoria - Cfêmea, qui investit tous les mois 10 000 R$ (3 571 EU$) pour l'impression et la distribution postale des treize mille exemplaires de la publication. Dans le passé, elle a déjà bénéficié d'un tirage de cent mille exemplaires, mais le format était plus petit, 15 cm x 21 cm, avec seulement quatre pages. Aujourd'hui, outre le format papier, elle peut aussi être lue sur Internet. Deux journalistes professionnels recrutés par l'ONG sont responsables de la rédaction et de la production des textes.

Outre des femmes liées à des mouvements sociaux, raciaux et d'orientation sexuelle, des organisations non gouvernementales (ONG), des universités, des syndicats, des groupes professionnels discriminés - comme les employées domestiques et les travailleurs ruraux - et des partis politiques, le journal est aussi distribué gratuitement à chacun des 513 députés fédéraux et des 81 sénateurs de la République, et aux parlementaires des états et les élus locaux. Le Cfêmea intervient prioritairement dans la formulation de lois qui répondent aux aspirations des mouvements féministes. À travers le journal, l'entité cherche à informer sur la lutte des femmes pour leurs droits et à donner de la visibilité à cette lutte, et à fournir aux législateurs des reportages consacrés à l'action en faveur de l'égalité et de l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes.

Le journal, selon la secrétaire générale du Centre, Guacira de Oliveira, constitue un instrument de l'action politique, quelle qu'elle soit : communication sur les droits des femmes et l'égalité des genres, visant à socialiser et à démocratiser les informations relatives au législatif et à la lutte féministe, y compris auprès des médias de masse 865 ( * ) . Il intervient ainsi non seulement en présentant ses thèmes d'intérêt aux parlementaires, mais aussi en informant son public cible sur l'action parlementaire. Ce pourrait être une sorte de quatrième pouvoir féministe, exerçant un contrôle sur les formulateurs de politiques publiques sous l'optique des femmes.

La une du n° 129 est par exemple consacrée au thème Violence domestique au Brésil, un diagnostic des agressions perpétrées par les époux, les compagnons et les pères sur leurs compagnes et filles. Deux autres thèmes ont bénéficié d'appels de couverture : Égalité raciale et Innovations législatives dans le cadre de l'État. Le périodique présente systématiquement un tableau indiquant l'avancée des projets de lois intéressant les femmes, une session destinée aux Droits de l'Homme et une autre qui présente un agenda d'événements et de lancements de livres intéressant les féministes.

La publication dispose d'un conseil éditorial, formé de deux journalistes et de trois spécialistes de thèmes liés à l'action du Cfêmea. Il se réunit une fois par mois pour définir le contenu du numéro suivant. Une étude d'évaluation de cet instrument en tant qu'outil de communication du Centre était en cours è l'époque de cette recherche, mais d'après une évaluation empirique, les éditrices jugent que la publication remplit sa fonction d'information. Elle n'accepte pas de publicité commerciale, mais la publication est maintenue par des donations d'entités comme les fondations Ford et Mac Arthur, IWHC, Unifem et par le programme national de prévention des MST/Sida du Ministère de la Santé.

* 858 ANJ : 2000, p. 37-39

* 859 Idem. p.40

* 860 Au Brésil, en 1996, sur une population de 157,1 millions de personnes, environ 49,5 millions, soit 31,5 %, avaient moins de 15 ans.

* 861 ANJ : 2000, p. 40.

* 862 La recherche a été réalisée au premier semestre 2004 avec l'appui des étudiants de la discipline Journalisme Corporatif Fábio Sousa, Jaciene Alves, Katrine Boaventura, Yuri Achcar.

* 863 Témoignage donné à l'auteur pour la recherche.

* 864 Pour plus de détails consulter HALL, Stuart et alli, 1978 et HALL, Stuart, 1993.

* 865 Témoignage donné à l'auteur pour la recherche.

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