2. Les rapports de symbiose entre l'État et les journalistes.
Les propriétaires des moyens de communication n'ont pas été les seuls à rechercher ou à obtenir des privilèges auprès du Pouvoir. À l'instar des hommes d'affaires du journalisme, les professionnels ont toujours eu des relations bien enracinés dans les jardins du pouvoir. Presse, journalistes et pouvoirs publics ont vécu, en diverses occasions, des situations de concubinage, d'échange et de concession de faveurs, qui allaient de l'exemption d'impôts à la concession de logements bon marché 305 ( * ) . Cette pratique, peu recommandable dans un modèle journalistique indépendant, a laissé des traces autant dans les routines éditoriales que dans le schéma d'organisation professionnelle.
La ligne pro-gouvernementale, selon certains, ou le clientélisme, selon d'autres, de la presse nationale se reflétait dans le propre règlement interne de l'Association Brésilienne de la Presse, considérée à l'époque comme la plus grande entité représentative du milieu journalistique national. Les premiers statuts la classaient comme une entité conseillère de l'État brésilien pour la question des relations internationales et d'autres thèmes. Toutes ces attributions se mêlaient à des questions plus corporatives comme la lutte contre les violations de la liberté de la presse et les restrictions du libre exercice de la profession, la défense du libre droit à la critique, ainsi que les intérêts commerciaux des entreprises journalistiques et les intérêts fiscaux des professionnels 306 ( * ) .
Le rapprochement avec l'État a atteint un tel point que Getúlio Vargas - président de la République de 1930 à 1945 et de 1951 à 1954 - fut nommé président d'honneur de l'association, sans qu'il n'ait jamais été journaliste. Cette politique de bonnes relations avec le pouvoir a fourni d'importants bénéfices 307 ( * ) . Outre la concession de privilèges fiscaux et matériels aux hommes d'affaires et aux professionnels de la presse, la Maison du Journaliste elle-même - c'est ainsi que l'ABI se surnommait - survivait grâce à l'aide financière de l'Union et du gouvernement de Rio de Janeiro 308 ( * ) .
La symbiose État/presse existant au niveau de la représentation corporative se reflétait aussi dans les rapports de travail des journalistes. À travers elle, beaucoup de journalistes, avec le feu-vert de leur employeur, avaient un emploi au journal et un cabide (cintre), un salaire, dans le service public. L'offre d'emplois pour les journalistes dans le secteur public, qu'il soit municipal, des états ou fédéral, était une politique courante du pouvoir qui cherchait ainsi à récompenser le professionnel ou le support. Elle servait aussi à brider un éventuel discours critique du professionnel. Fréquemment, un reportage bien fait ou élogieux sert de point de départ à une invitation à être conseiller de la personne interrogée - souligne RIBEIRO 309 ( * ) . La double casquette, qui jouit d'un statut légal, comme ce sera détaillé plus loin, est un facteur qui a eu des retentissements dans les champs du journalisme et des relations publiques. Génération après génération, ceux-ci se sont habitués à cette situation 310 ( * ) .
* 305 Dans les années 1940/1950, l'ABI a obtenu des autorités économiques l'exemption de l'Impôt sur les Revenus pour les journalistes. L'imposition du salaire du professionnel était, selon le point de vue de la Maison du Journaliste , une agression contre la liberté d'expression. Avec la justification d'assurer le droit de circulation des professionnels, elle a obtenu aussi des réductions de 50 % des prix des voyages aériens, terrestres et maritimes auprès des entreprises publiques ferroviaires (décret présidentiel 3.590, du 11-01-1939), de navigation (Décret 4.144, du 2 mars 1942) et auprès des concessionnaires de transport aérien (loi 1.181, du 07-08-1950). Tous ces bénéfices ont été abrogés par le régime militaire. Pour tenter de résoudre les problèmes de logement des professionnels, elle utilisait son poids politique pour obtenir, auprès des pouvoirs publics, des logements à des conditions spéciales et pas toujours de façon légale. La vente spéciale de logements construits par l'ancien Instituto de Aposentadorias et Pensões dos Comerciários (IAPC) - la caisse mutuelle des salariés du commerce - en est venue à faire l'objet d'une enquête d'une Commission Parlementaire d'Investigation, car le président de l'IAPC était alors en campagne électorale pour le siège de sénateur. (SEGISMUNDO, op. cit. p. 67). En 1959, par la Loi 3.529/59, promulguée par le président Juscelino Kubitschek, les journalistes ont conquis le droit de se mettre à la retraite cinq ans plus tôt que tout autre salarié, avec la justification que la profession était pénible. Cet avantage a été abrogé en 1997 par la loi n°. 9.528 du 10/12/1997, dans le cadre d'un projet de réduction du déficit public du système de prévoyance sociale brésilien.
* 306 Cf. Boletim da ABI, n° 1, maio de 1952, pág. 2.
* 307 Avec ce profil polyvalent de conseiller de l'État et de représentant d'entreprise et de travailleurs, il était courant que l'ABI reçoivent des traitements différenciés. Elle a reçu la visite de diverses personnalités internationales, ou siégé des conférences de presse de personnalités comme Franklin Roosevelt, Yuri Gagarine, Robert Kennedy, Che Guevara, Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Fidel Castro y Truman. Il était aussi dans la coutume que les candidates au titre de Miss Brésil visitent l'institution avant le choix final de la lauréate.
* 308 L'entité a reçu un terrain dans une zone noble du centre de Rio de Janeiro pour la construction de son siège actuel. L'édifice, comportant plus de treize étages, est considéré par l'organisation comme un monument à la presse du Brésil et un salon de visite de Rio de Janeiro. Le terrain été donné par le maire de Rio de Janeiro et l'argent nécessaire aux travaux est venu de la présidence de la République, d'où, à partir de la prise de fonction de Getúlio Vargas, les fonds coulaient en abondance pour assurer la construction de la Maison du Journaliste . (SEGISMUNDO, op. cit. p. 66). La politique d'obtention de fonds des pouvoirs publics pour la survie de l'entité persiste encore. Entre 1990 et 2000, les installations ont été réformées avec des fonds libérés par le gouvernement de l'État de Rio et par l'Assemblée de l'État. En 2006, l'ABI tentait d'obtenir du Congrès National l'amnistie de ses dettes d'impôts et de contributions sociales.
* 309 Freqüentemente uma reportagem bem feita ou elogiósa serve de ponte para um convite para ser assessor do entrevistado. RIBEIRO, op.cit. p. 205.
* 310 Bien que ce soit une pratique condamnée, elle est encore pratiquée dans le pays. Le 29/11/2006, l'Assemblée Législative de l'État du Rio Grande do Sul a abrogé l'article 266 de son Règlement Interne, qui interdisait le recrutement, par ces parlementaires régionaux, de journalistes travaillant dans les médias traditionnels pour exercer simultanément les fonctions de reporter dans la presse et de communicateur institutionnel à l'Assemblée. À cette occasion, le député d'État Raul Pont a considéré que cette entité inaugurait une antichambre du trafic d'influences.