3. Les menaces pesant sur la situation du lycée français et l'enseignement du français en Bolivie
En juillet 2006, le ministre de l'Éducation nationale, M. Felix PATZI 2 ( * ) , a fait à la presse des déclarations menaçantes pour les établissements enseignant en langue étrangère des programmes étrangers et a annoncé la fin de l'enseignement du français dans le nouveau schéma de l'enseignement des langues vivantes en Bolivie.
Une de ses premières décisions a été en effet de remettre en cause les acquis de la réforme éducative des dix années précédentes et de proposer une nouvelle « révolution éducative » sur des bases très marquées : accès amélioré à l'éducation, remise à plat des programmes, priorité donnée à l'enseignement des et en langues indigènes, remise en question de l'enseignement religieux, rôle moteur des comités de quartier.
Les fondements idéologiques de cette réforme reposent sur le concept de « décolonisation », pour lequel l'enseignement de et en langue indigène est un prérequis incontournable, sur l'articulation de l'éducation et des besoins du secteur productif, sur les valeurs de la société communautaire indigène et sur l'intraculturalité (connaissance réciproque des cultures qui composent le paysage bolivien).
Interrogé par le Président Roland du LUART sur la situation du lycée français au regard de la réforme de l'éducation en cours, le Vice-Président Alvaro GARCIA LINERA a tenu à rassurer la délégation. Il a affirmé que le Gouvernement bolivien « respecterait la présence d'établissements d'enseignement en langue étrangère, qu'il s'agisse des collèges français, allemand ou américain ». Mais, a-t-il ajouté, la Bolivie « demanderait à ces établissements d'introduire l'apprentissage d'une langue indigène, ce qui serait très profitable en termes d'interculturalité dans le milieu éducatif ».
Il a par ailleurs écarté les menaces proférées par son ministre de l'Éducation, déclarant qu'il s'agissait de « propos malheureux » et que le Gouvernement « respecterait l'enseignement du français sans le réduire ».
Plus encore, il a souhaité que le français soit plus présent dans les enseignements des sciences politiques et de sociologie en Bolivie, dans la mesure où les étudiants de ces disciplines ne peuvent « ignorer la production universitaire française ».
Ces déclarations confirment la francophilie et l'attachement d'Alvaro GARCIA LINERA à la production intellectuelle française.
Malgré ces assurances reçues au plus haut niveau, la menace qui pèse sur le lycée franco-bolivien de la Paz ainsi que sur l'enseignement du français n'est pas complètement écartée. En particulier si le Congrès et le Gouvernement suivent les orientations de Felix PATZI, favorable, sous prétexte de décolonisation et de lutte contre les privilèges, à un alignement de tous les établissements d'enseignement de Bolivie, publics comme privés, sur un programme fondé sur le retour aux valeurs traditionnelles du pays et à l'enseignement obligatoire d'une langue indigène.
Présenté au Parlement, le projet de loi de réforme éducative serait actuellement étudié par une commission. S'il en édulcore les termes, il en respecterait néanmoins les idées. C'est ainsi que la vocation de la « révolution éducative », qui est présentée dans le projet de loi comme étant « décolonisatrice, libératrice et anti-impérialiste » s'est retrouvée simplement « réformatrice ». Ce toilettage sémantique ne semble pas être le signe d'un infléchissement des ambitions révolutionnaires affichées.
Il importe donc de rester vigilant. Sans doute serait-il aussi opportun de réviser rapidement notre accord culturel afin d'y mentionner explicitement la spécificité du lycée Alcide d'Orbigny et d'en assurer ainsi la pérennité.
La situation de cet établissement franco-bolivien n'est en effet pas très solide sur le plan juridique. Le lycée a été créé en 1969, en conformité avec l'article IV de l'accord de coopération culturelle, scientifique et technique franco-bolivien de 1966, qui stipule que « chacune des parties contractantes favorise l'installation sur son territoire et le fonctionnement d'institutions culturelles ou scientifiques telles que les établissements d'enseignements. Ces institutions bénéficient des facilités les plus larges pour leur fonctionnement dans le cadre de la législation nationale ».
Or le lycée n'est pas spécifiquement couvert par un accord intergouvernemental : l'Institut franco-bolivien pour l'éducation, association gestionnaire dont les statuts ont été déposés en 1993 auprès des ministères boliviens des affaires étrangères et de l'éducation, a simplement signé une convention avec l'AEFE en 1993, renouvelée en 2002.
* 2 Le 23 janvier 2007 Felix PATZI a été remplacé par Victor CACERES RODRIGUEZ, instituteur et avocat, dirigeant du syndicat des enseignants urbains et membre du parti communiste. La priorité donnée aux thèmes indigénistes par M. PATZI pourrait être remise en question par M. CACERES qui devrait favoriser les enseignants urbains (trotskistes) face aux ruraux.