2. L'Assemblée Constituante bolivienne : un processus laborieux
Lors de sa visite, la délégation a abordé en priorité la question de la future Constitution. Si la présidente de l'Assemblée Constituante est demeurée très évasive, le Président du Sénat bolivien et le Vice-Président de la République ont apporté des précisions sur le contenu du projet. De leur côté, les représentants de l'opposition ont émis des craintes et des réserves.
Ces entretiens ont ainsi mis en lumière un certain nombre de difficultés, voire de contradictions, dans le processus de rénovation politique en cours. Les plus marquantes tenaient à la capacité ou non de la Constituante à ignorer la majorité des deux tiers et à l'introduction, au-delà de la légitime prise en compte de la majorité indigène, des us et coutumes communautaires.
La question du vote
Alors que la plupart des articles du règlement intérieur ont été adoptés, le choix du mode d'approbation du texte constitutionnel ( majorité absolue ou majorité des deux tiers ) continuait de provoquer des discussions « houleuses » entre les délégués de l'Assemblée Constituante.
Sur cette question, les positions de Mme Silvia LAZARTE, Présidente de l'Assemblée Constituante, ont été peu nuancées. Selon elle, « le MAS, en tant que peuple, a toute latitude pour demander la majorité absolue ». Celui-ci se serait montré très patient alors même que Podemos (opposition) « tente de compromettre le processus ».
M. Santos RAMIREZ, Président du Sénat, a reconnu que la loi de convocation de la Constituante prévoit un vote à la majorité des deux tiers. Cependant, a-t-il indiqué, le règlement de la Constituante peut imposer la majorité absolue pour chaque article puis un vote aux deux tiers pour l'ensemble du texte. Selon lui, l'attachement de l'opposition au principe des deux tiers vise à rendre plus difficile le travail des Constituants. Il préconise donc d'avancer sur le texte de la future Constitution à la majorité absolue avant d'approuver l'ensemble aux deux tiers, quitte à voir l'opposition le refuser et à devoir « redéfinir le pacte politique de la Bolivie ».
L'audience avec le Président du Sénat M. Santos Ramirez
Le projet du MAS : bâtir un État social communautaire
Le Vice-Président de la République, M. Alvaro GARCIA LINERA, a fait part des motivations du MAS à proposer une nouvelle charte suprême aux Boliviens. Pour lui, la majorité paysanne et indigène du pays s'est longtemps heurtée à une « société excluante et raciste » et à une « sorte d'apartheid social ». Il convient néanmoins, a-t-il ajouté, de trouver « un consensus graduel » et « un nouvel équilibre de pouvoir entre indigènes et non indigènes ». Alvaro GARCIA LINERA a en effet précisé que le Gouvernement souhaite parvenir à un texte permettant « la reconnaissance des droits des indigènes et la préservation des droits des anciens dirigeants ».
Le Président du Sénat, M. Santos RAMIREZ, a énoncé pour sa part les trois points fondamentaux du projet de société du MAS :
- sur le plan politique, la fondation d'un État social communautaire doté d'une réelle indépendance des pouvoirs. Le MAS veut « aller de la démocratie représentative à la démocratie participative » ;
- sur le plan économique, la mise en place d'un modèle social et communautaire basé sur « le contrôle, la direction et la planification des ressources naturelles » selon des principes de redistribution, d'équilibre et de réciprocité ;
- sur le plan social enfin, face à une « dette sociale incroyable » (graves problèmes de santé publique, déficit éducatif, manque de logements décents, sous-emploi), l'établissement d'un droit collectif à la sécurité sociale, basé sur l'universalité et la solidarité.
Composition de l'Assemblée Constituante
Source : Ambassade de la République de Bolivie
Les craintes de l'opposition face au processus en cours.
M. Carlos Alberto GOITIA, représentant de Podemos, a reproché au Gouvernement de ne pas respecter les règles établies pour les modalités de vote. Selon lui, Evo MORALES était convaincu de l'emporter avec plus de 80 % des voix. Compte tenu des résultats (51 %), il se serait vu contraint d'imposer la majorité absolue.
Il a indiqué que Podemos propose un projet de Constitution alternatif destiné à prendre en compte le nouvel état politique de la Bolivie. Celui-ci s'articule autour des thèmes suivants : généralisation de l'élection populaire, renforcement du rôle de l'État dans l'économie, notamment dans le secteur des hydrocarbures, création d'organismes d'inclusion sociale en faveur des peuples indigènes, meilleure défense des droits de l'homme, autonomie des régions.
M. GOITIA a, enfin, exprimé des craintes quant au respect de la démocratie en Bolivie. Pour lui se dessine « un pouvoir hégémonique qui se projette sur vingt ans ».
Pour M. Jorge LAZARTE, du parti Unidad Nacional, cette crainte est légitime. Selon lui, le Gouvernement veut utiliser l'Assemblée Constituante pour « contrôler tout le pouvoir en Bolivie ». C'est pourquoi Unidad Nacional propose de soumettre les articles controversés à référendum (notamment la question du vote et celle des autonomies).
Mais, a-t-il ajouté, le MAS, qui a subi dans le passé les dérives de gouvernants peu scrupuleux, n'est « pas intéressé par l'État de droit » et souhaite uniquement mettre en place la démocratie participative. Il s'est néanmoins dit inquiet de l'émergence d'un ressentiment historique chez les indigènes et du risque de « passer de la revendication à la revanche ». Tout comme la volonté de « décolonisation » du Gouvernement pourrait conduire la future Constitution à une « radicalisation ethnique ».
M me Silvia Lazarte, Présidente de l'Assemblée constituante
Crédit photo : M. Pierre Fauchon
Six mois de blocage...
L'Assemblée Constituante est présidée par une femme indigène quechua, originaire de l'Orient bolivien et proche d'Evo MORALES.
Surplombée d'un chapeau blanc aux larges bords qui semble reposer sur deux longues nattes tressées, Mme Silvia LAZARTE, élue le 6 août 2006 au premier tour de scrutin, arbore sans complexe à la tribune la tenue typique des « cholas » du tropique des cocaleros. Lors de son discours inaugural, dans un style très revendicatif, illustratif de son caractère décidé, elle a mis l'accent sur la discrimination dont elle a été victime depuis son enfance et la nécessité d'en terminer avec l'exclusion sociale.
Installée dans le théâtre municipal de Sucre, l'Assemblée Constituante a mis près de deux mois à entamer véritablement ses débats.
En septembre 2006, elle s'est déclarée « originaire et plénipotentiaire », ce que la Cour Suprême a contesté le 4 octobre 2006.
La proposition du Vice-Président Roberto AGUILAR (MAS), de voter immédiatement le premier article du règlement définissant l'Assemblée Constituante comme « originaire » a été adoptée par 156 voix contre 77 et 13 abstentions. Ce terme, qui fait explicitement référence au caractère premier des peuples indigènes de Bolivie, signifie que la Constituante est souveraine et non dérivée de la Constitution actuelle. Elle a ainsi toute latitude pour définir une nouvelle charte suprême, notamment en ce qui concerne l'organisation communautaire des pouvoirs publics et la mise en place des autonomies.
Se référant à la loi de convocation de l'Assemblée Constituante, l'opposition a dénoncé l'illégalité de la procédure, car cette proposition n'a pas atteint la majorité des deux tiers qu'elle réclame pour l'ensemble des décisions.
En imposant le principe d'une assemblée « originaire », le MAS a ainsi pris le risque de voir l'opposition mettre en oeuvre un référendum régional. Six gouverneurs des neuf régions boliviennes ont en effet protesté contre ce qu'ils estiment être un passage en force.
C'est ainsi que début octobre 2006, les mouvements d'opposition, et notamment les comités civiques de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando, ont cherché une réplique et évoqué la possibilité d'un recours auprès du Tribunal Constitutionnel. Ils ont surtout annoncé qu'ils envisageaient de mettre en place, dans les quatre régions favorables aux autonomies, un référendum sur le processus constitutionnel en cours. Ce projet a immédiatement été rejeté, comme sécessionniste et anti-constitutionnel, par le Gouvernement et le MAS.
Fort de cette première avancée, le MAS a également obtenu de faire voter les articles de la nouvelle Constitution à la majorité simple et de ne recourir à la majorité des 2/3 que pour l'approbation du texte final.
Véritables décideurs, le Gouvernement et le MAS souhaitent aujourd'hui faire avancer leur projet constitutionnel. Inexpérimentés, peu au fait des questions juridiques, les Constituants attendent en effet leurs instructions de l'extérieur.
Le MAS ne se cache d'ailleurs plus d'exercer un rôle moteur dans les débats. Il semble décidé à promouvoir le principe de l'élection pour les représentants de chacun des trois pouvoirs et la possibilité de leur révocation. Il entend respecter l'autonomie des peuples indigènes (en matière de justice et d'utilisation des ressources naturelles notamment) et serait prêt à aller vers de larges autonomies, le Gouvernement gardant cependant ses prérogatives régaliennes. Son projet constitutionnel s'organise notamment autour de l'inclusion politique, économique et sociale de la majorité indigène, dans le cadre d'un État communautaire et social.
Quant au Gouvernement, il semble décidé à reprendre la main dans l'élaboration du projet de Constitution. Les résultats obtenus jusqu'à présent étant peu probants, il lui apparaît urgent de commencer à traiter les thèmes au fond, tels ceux concernant la place et le rôle des us et coutumes indigènes ainsi que les modalités de la décentralisation. Le Président Evo MORALES souhaite que le Gouvernement s'implique davantage dans « les changements structurels » pour mettre en oeuvre la « révolution démocratique et culturelle - promise par le MAS ». Ses propos ont immédiatement été dénoncés par l'opposition comme une nouvelle preuve son autoritarisme, alors qu'il avait toujours affirmé jusqu'à présent que les Constituants étaient libres de leurs décisions.
L'opposition s'inquiète en effet d'une dérive hégémonique et tente d'avancer des propositions alternatives.
C'est ainsi que les préfets et les représentants des comités civiques des quatre départements de l'Oriente (Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija) ont appelé le 15 décembre 2006 les populations à se mobiliser en faveur du vote des articles de la future Constitution aux deux tiers des voix et des autonomies régionales. La réponse de leurs partisans a été massive. Selon la presse, ce seraient plus de 800.000 personnes qui se seraient mobilisées dans l'Oriente, dont plus de la moitié dans la seule ville de Santa Cruz.
Si la Constituante ne devait pas respecter le principe du vote à la majorité des deux tiers ou si elle ne mettait pas en place les autonomies régionales, ces départements ont déclaré qu'ils s'organiseraient autour des principes suivants :
- autonomies départementales avec maintien du découpage actuel des départements (soit 9 départements alors que le MAS a fait circuler un projet prévoyant jusqu'à 42 départements) ;
- élection directe des préfets par les populations des départements ;
- reconnaissance des droits indigènes ;
- partage des compétences entre État, préfectures et communes dans le domaine de la propriété foncière (notamment conservation, protection et redistribution des terres) ;
- régime de « décentralisation fiscale », permettant aux départements de disposer des ressources suffisantes pour assumer leurs charges.
Sans revenir sur ce projet, le Président MORALES a pris acte de la volonté des représentants de l'Oriente de ne pas remettre en cause l'unité de la Nation. De fait, les préfets comme les présidents de comités civiques ont tenu à affirmer leur vocation à construire un pays uni qui soit à la fois « indivisible, pluriculturel et pluriethnique ».
Ces évènements montrent qu'une grande partie du pays s'oppose aux projets constitutionnels du MAS et souhaite une véritable négociation sur le mode d'adoption des décisions à la Constituante et sur les autonomies est également clair que toutes les régions de Bolivie souhaitent rester unies dans un seul ensemble.
Pour autant les conditions d'une réussite de cette Assemblée Constituante seraient que les députés du MAS surmontent leurs divisions et recherchent les moyens de parvenir à un pacte avec les partis minoritaires. Mais le pari est loin d'être gagné et le risque demeure que la Constituante aboutisse, soit à une réforme constitutionnelle « cosmétique », soit à un affrontement destructeur.
Touchés par les critiques qui se sont élevées dans tout le pays contre leur inaction, les Constituants ont fini par faire de nouvelles propositions sur le mode d'adoption des articles de la future Constitution. Ils accepteraient une formule mixte selon l'alternative suivante : soit deux tiers pour une partie des articles et majorité absolue pour le reste, soit vote de tous les articles aux deux tiers jusqu'au 6 juillet 2007 et à la majorité absolue à partir de cette date, la Constitution devant être achevée le 6 août 2007.
Le 15 février 2007, le MAS a accepté la règle des deux tiers des voix pour l'adoption de la réforme constitutionnelle. Mais l'accord conclu entre les différents partis politiques sur les règles du vote pourrait s'avérer dangereux, dans le cas -probable- où deux textes seraient soumis à un référendum : le premier regroupant les articles approuvés aux deux tiers par les Constituants, le second regroupant les articles sur lesquels les Constituants n'auraient pu se mettre d'accord.
Ainsi après six mois de blocage, l'Assemblée Constituante peut à peine commencer ses travaux. Et il ne reste qu'un peu plus de quatre mois pour aborder les questions de fond, ce qui paraît très court 1 ( * ) .
De nombreuses questions restent posées et de nombreux risques majeurs, liés en particulier à la volonté d'autonomie de l'Oriente, ne sont en effet pas à écarter.
Une issue juridique correcte, suggérée en particulier par le sénateur Pierre FAUCHON, serait d'attendre l'expiration du délai d'un an imparti à la Constituante pour constater, s'il y a lieu, l'impossibilité de réunir une majorité des deux tiers. Dès lors, le Gouvernement serait fondé à provoquer la réunion d'une nouvelle Assemblée constituante chargée d'établir et d'adopter la nouvelle Constitution à une majorité simple. La seule perspective d'une telle issue, en elle-même parfaitement démocratique, pourrait inciter les membres de l'actuelle Constituante à dégager un consensus qui sauverait cette Assemblée du discrédit de l'échec.
* 1 Alors que certains responsables de l'opposition commencent à s'inquiéter de la capacité des constituants à terminer leurs travaux à la date butoir du 6 août, le chef du groupe du Mas à la Constituante, M. Roman LOAYZA, a déclaré le 8 avril 2007 qu'un délai pourrait être octroyé, en accord avec le Gouvernement et le Parlement jusqu'à la fin de l'année.