II. L'INSERTION RÉGIONALE : GARANTIE DES FRONTIÈRES ET DÉVELOPPEMENT DES SOLIDARITÉS RÉGIONALES

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la nation yéménite, vieille de plusieurs milliers d'années, issue de la civilisation sabéenne, a tardé à voir ses frontières reconnues par l'ensemble de ses voisins engendrant une instabilité chronique et des troubles frontaliers constants.

De plus, le Yémen, pays à l'identité forte, est dans le même temps un pays charnière, situé au carrefour de la Mer rouge et de l'Océan Indien, face à la Corne de l'Afrique, à l'angle sud-est de la péninsule arabique. S'il se présente assurément comme un pays arabe, le Yémen a des liens étroits, quoique parfois conflictuels avec la Corne de l'Afrique. Les influences lointaines, d'Inde, de Singapour se font également sentir, par exemple en Hadramaout.

Dès lors, l'insertion du Yémen dans des ensembles régionaux est problématique. La délégation du groupe sénatorial souhaite que la résolution de l'ensemble des contentieux territoriaux, intervenue récemment, puisse déboucher sur des coopérations renforcées entre le Yémen et ses voisins.

A. DES FRONTIÈRES MIEUX DÉFINIES

Le Yémen a une frontière terrestre avec Oman et l'Arabie Saoudite et une frontière maritime avec l'Érythrée. Le Yémen entretient des relations paisibles avec le sultanat d'Oman et a pu définir ses frontières dès 1992. L'établissement des frontières avec l'Érythrée et l'Arabie Saoudite s'est avéré, lui, beaucoup plus conflictuel. L'arbitrage international rendu sur les îles Hanish, dont la souveraineté était revendiquée par l'Érythrée et le Yémen, comme la conclusion d'un traité frontalier entre le Yémen et son grand voisin du Nord, permettent au pays d'envisager son avenir avec plus de confiance, sur un territoire dont les limites sont enfin reconnues.

1. Un traité frontalier avec le grand voisin saoudien

a) Un conflit frontalier ancien

Les territoires entre Arabie Saoudite et Yémen sont des territoires désertiques, une partie de la frontière passant notamment par le désert du Grand Quart Vide (Rub al-Khali), peuplés au Nord comme au Sud depuis des siècles par des tribus nomades pour lesquelles la question des frontières ne se pose pas de la même façon que pour un État sédentaire.

L'affirmation de la souveraineté des deux États, la volonté d'exploiter ses ressources naturelles par l'Arabie Saoudite ont conduit dans les années 30 à se préoccuper de la question des frontières. Elle n'a pu être réglée définitivement à cette époque. Les accords de Taëf signés en 1934 prévoyaient en effet la cession par bail renouvelable tous les vingt ans des provinces de Jizan, Najran et de l'Assir à l'Arabie Saoudite sans statuer véritablement sur la souveraineté de ces territoires, ni définir un tracé précis des frontières. En annexe de ces accords figurait une lettre garantissant aux travailleurs yéménites un accès privilégié au marché du travail saoudien.

La frontière saoudo-yéménite, longue de 1.300 km, est ensuite restée dépourvue de validité juridique internationale, les pourparlers entre les deux pays étant marqués par une méfiance réciproque.

La rivalité entre les deux pays explique ainsi la permanence, tout au long des années d'un contentieux territorial. On a pu relever parmi les causes de cette rivalité un fort déséquilibre démographique entre les deux pays (17 millions de Yéménites face à 10 millions de Saoudiens), les disparités de développement et les reproches d'ingérence formulés à l'encontre de l'Arabie Saoudite. Cette rivalité a même été avivée durant la guerre du Golfe et la prise de position du Yémen en faveur de l'Iraq, causant ainsi le renvoi des travailleurs yéménites hors du territoire d'Arabie Saoudite. L'Arabie Saoudite a ainsi pris ouvertement parti en faveur du Yémen du Sud durant la guerre civile de 1994.

La fixation des frontières suscitait d'autres difficultés, liées au nomadisme des tribus peuplant les régions du Nord du Yémen et à la traditionnelle contrebande existant entre les deux pays. Elle était enfin source de tensions pour une raison simple : les zones frontalières sont riches en réserves pétrolières et l'Arabie saoudite n'entendait renoncer à aucune de ses prétentions sur ces réserves. Elle réclamait également un corridor d'accès à l'Océan indien aux confins des deux pays avec le sultanat d'Oman.

L'intransigeance saoudienne, en position écrasante de force en raison de sa puissance économique et militaire, a ainsi bloqué pendant longtemps le règlement du conflit, ne souhaitant rien céder à un pays qu'elle percevait d'abord comme une menace.

b) Une résolution récente

La résolution récente de ce vieux contentieux, par le Traité de Djeddah du 12 juin 2000, est due pour l'essentiel à la bonne qualité des relations entre Ali Abdallah Saleh et le Prince héritier saoudien Abdallah. L'amélioration des relations entre les deux pays était déjà en germe depuis le mémorandum de 1995 qui ne concernait pas directement les frontières mais prévoyait l'approfondissement des relations économiques, commerciales et culturelles.

Le traité de Djeddah recense 310 coordonnées géographiques définissant les frontières terrestres et maritimes entre les deux pays. Il entérine la souveraineté de l'Arabie Saoudite sur les provinces de Jizan, Najran et de l'Assir. S'agissant de la frontière orientale, la plus contestée entre les deux parties, le Yémen bénéficie de gains territoriaux substantiels, de 37.000 km² selon le ministère des affaires étrangères sur le saillant en forme de triangle particulièrement visible sur les cartes géographiques. C'est dans cette région que le Yémen espère exploiter de nouvelles ressources pétrolières. Cette exploitation devra vraisemblablement être commune entre les deux pays, les réserves étant situées de part et d'autre de la frontière.

Au lieu d'une ligne, seuls des points ont été fixés pour cette partie orientale de la frontière, afin que les repérages sur le terrain puissent prendre en compte les particularités locales. Une société occidentale de bornage a été sélectionnée pour effectuer ce travail 24( * ) .

Enfin, les frontières maritimes ont été définies conformément aux arguments yéménites.

Traité frontalier entre le Yémen et l'Arabie Saoudite du 12 juin 2000

Préambule : Traité frontalier international signé le 12 juin 2000 entre le Yémen et l'Arabie Saoudite et renforçant les liens de fraternité qui unissent les deux peuples.

Article 1

Les deux parties confirment leurs engagements et leur respect du traité de Taef et de ses annexes, y compris des rapports établis sur les frontières communes. Elles confirment également leur engagement vis à vis du mémorandum d'entente signé à La Mecque au mois de février 1995.

Article 2

La ligne de frontière définitive et permanente est fixée comme suit

a) La première section va du point côtier situé sur la Mer Rouge RAS AL MIWAJ SHAMI sur l'estuaire appelé RADIF QIRAD dont les coordonnées sont 16.24.14.8 Nord et 42.46.19.7 Est, jusqu'au JEBEL THAR dont les coordonnées sont 44.21.58 Est et 17.26.00 Nord. On peut déterminer l'appartenance des villages situés sur le tracé de cette partie de la frontière en fonction de ce qui avait été déjà décidé par l'accord de Taef et ses annexes, y compris leur appartenance tribale. Au cas où la ligne frontière traverserait un village, il serait tenu compte de l'ethnie de ses habitants et de son appartenance à l'une des deux parties, afin de modifier le tracé de la ligne. Les points fixant la frontière figurent dans l'annexe 1.

b) La seconde section correspond à la partie de la frontière qui n'avait pas encore été tracée. Les deux parties se sont entendues pour tracer la frontière à l'amiable et en toute fraternité. Elle court du JEBEL THAR jusqu'au point d'intersection 52 Est/ 19 Nord. La liste des points précis figure dans l'annexe 2.

c) La troisième section est constituée par les frontières maritimes et part de RAS AL MIWAJ SHAMI sur l'estuaire appelé RADIF QIRAD.

Article 3

1) Le bornage de la frontière du point 52/19 à RAS AL MIWAJ SHAMI sera confié par les deux parties à une société internationale qui effectuera le travail pour l'ensemble des frontières terrestres et maritimes. Cette société, en collaboration avec une équipe conjointe yéméno-saoudienne, devra respecter rigoureusement les points fixés, leur écart et toutes les spécifications mentionnées dans le traité de Taef Il s'agit en effet de dispositions contraignantes engageant les deux parties contractantes.

2) La société internationale dressera des cartes détaillées de la frontière terrestre qui seront soumises pour approbation et ratification aux représentants des deux pays et ensuite officialisées. Les deux parties signeront un accord de financement relatif aux travaux de la société.

Article 4

Les deux parties confirment et renouvellent leur engagement vis à vis de l'article cinq du traité de Taef relatif à la démilitarisation d'une zone de 5 km de part et d'autre de la frontière, laquelle sera tracée conformément aux rapports annexés à l'accord de Taef En ce qui concerne la frontière non encore tracée entre le JEBEL THAR et le point 52/19, elle sera déterminée par le tableau 4 du présent traité (coordonnées des points).

Article 5

Le traité prendra effet après sa ratification conformément aux institutions et procédures en vigueur auprès de chacune des parties contractantes et aussitôt après l'échange mutuel des éléments de ratification.

Une nette amélioration des relations entre les deux pays est attendue à la suite de ce traité. S'il convient de ne pas faire preuve d'un optimisme excessif, la conclusion heureuse du contentieux territorial peut autoriser à terme le retour de travailleurs yéménites en Arabie saoudite et le développement de l'aide publique saoudienne au Yémen.

2. Une médiation internationale dans le conflit érythréo-yéménite

Le règlement du contentieux des îles Hanish, archipel situé en Mer Rouge dépourvu de statut international, est parvenu à son terme. 25( * )

Ces îles inhabitées et désertiques, fréquentées par les seuls pêcheurs des deux pays, ont suscité une montée des tensions entre 1995 et 1998. Le déclenchement du conflit est assez confus et les versions des faits divergent entre les deux pays. Il semble que le Yémen ait envoyé en juillet 1995 une force militaire importante sur l'île de la grande Hanish pour « protéger » les travaux de construction d'un complexe hôtelier destiné à la plongée et que le 11 novembre 1995, une patrouille navale érythréenne ait intimé l'ordre aux forces yéménites de quitter l'île. Malgré une tentative de conciliation entre les dirigeants érythréens et yéménites, un affrontement meurtrier aura lieu du 15 au 17 décembre 1995. Les forces érythréennes bousculent la garnison yéménite, faisant plusieurs morts et 195 prisonniers.

Les deux parties feront preuve de sagesse en acceptant d'abord une médiation française, puis par accord du 21 mai 1996 le recours à une Cour internationale d'arbitrage ad hoc .

Celle-ci a rendu deux sentences. La première, rendue en octobre 1998, a été favorable à Sanaa, établissant sa souveraineté sur les îles Hanish. La seconde, de décembre 1999, délimite de manière équilibrée les frontières maritimes entre les deux pays. Le Yémen et l'Érythrée ont accepté ces sentences.

Il convient de saluer la manière dont le Yémen a su recourir de manière pacifique à l'arbitrage pour un conflit territorial, lui permettant ainsi de garder de bonnes relations avec ses voisins de la Corne de l'Afrique et de ne pas déstabiliser la situation dans les îles de la Mer Rouge.

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