TABLE RONDE 1 -
LE MOZAMBIQUE APRÈS LES ÉLECTIONS 2014 -
SITUATION ÉCONOMIQUE DU MOZAMBIQUE
ET DE SES GRANDS PROJETS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique


Ont participé à cette table ronde :

Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Présidente déléguée pour le Mozambique, au sein du groupe d'amitié France-Madagascar et pays de l'Océan indien du Sénat
M. Serge SEGURA, Ambassadeur de France au Mozambique
M. Philippe FOUET, chef du service économique, Ambassade de France au Mozambique

M. Arnaud FLEURY. - Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, vous êtes sénatrice de la Haute-Vienne et vous venez d'être nommée Présidente déléguée pour le Mozambique au sein du groupe d'amitié France-Madagascar et pays de l'Océan indien du Sénat. Avez-vous déjà une idée des priorités à poursuivre du point de vue des relations entre la France et le Mozambique ?

Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT. - Je suis nouvelle sénatrice et nouvelle Présidente du groupe d'amitié. J'ai sollicité cette présidence car j'ai la conscience aiguë que de nombreuses choses vont se jouer en Afrique et que le Mozambique fait partie de ces pays auxquels nous devons nous intéresser.

Nous savons tous que l'Afrique est un continent en pleine croissance, tant sur le plan démographique qu'économique. La France a une proximité diplomatique, militaire et culturelle qui n'a jamais faibli avec l'Afrique. Au sein du continent africain, le Mozambique est un des États les plus prometteurs. Connaissant un fort taux de croissance, il dispose de ressources naturelles considérables qui lui offrent des perspectives d'expansion importantes, pour peu que ces développements soient maîtrisés. Ma conviction est donc que la France pourrait participer davantage à la mise en oeuvre des atouts économiques nombreux de ce pays.

Si la France n'est pas, pour l'heure, le partenaire commercial majeur du Mozambique, nos relations de voisinage sont anciennes dans la région, notamment avec la proximité géographique de Mayotte et La Réunion. Dès lors, la question, pour moi, vise à savoir de quelle manière le groupe d'amitié France-Madagascar et pays de l'Océan indien du Sénat peut s'impliquer afin de favoriser au mieux le processus de développement des échanges entre nos deux pays.

Tout d'abord, je crois que le groupe d'amitié doit jouer le rôle d'interlocuteur permanent de l'ambassade du Mozambique. Je me suis entretenue avant ce colloque avec Son Excellence M. Zandamela, et l'ai assuré que le Palais du Luxembourg lui était toujours ouvert. Je m'efforcerai d'être disponible et à son écoute, pour recevoir également les autorités mozambicaines lorsqu'elles seront en visite dans notre pays.

Le groupe d'amitié se doit aussi de permettre de tisser des liens personnels entre les parlementaires français et leurs homologues ainsi qu'avec les acteurs de la vie politique et institutionnelle du Mozambique. Nous ne pouvons que nous féliciter, à cet égard, que les dernières élections législatives, présidentielles et provinciales d'octobre dernier se soient tenues dans un contexte apaisé et que nous puissions envisager des relations interparlementaires plus denses autour de valeurs communes. Certes, les événements du début du mois et l'assassinat de Gilles Cistac ont apporté une tache d'ombre. Mais je me félicite que nos deux gouvernements soient en contact et que le gouvernement du Mozambique, ainsi que le Président, aient condamné cet assassinat. Toute la lumière sera faite sur ce meurtre. C'est absolument nécessaire.

Le groupe d'amitié peut également intervenir en point d'appui pour l'implantation des entreprises françaises. J'invite les chefs d'entreprise à nous solliciter en cas de difficulté de nature législative, réglementaire ou administrative, par exemple, afin que nous puissions faire notre travail et les aider à les résoudre.

Les groupes d'amitié parlementaires ont enfin une capacité à développer ce que nous appelons une « diplomatie de complément » qui, tout en respectant la ligne diplomatique étatique, peut s'avérer plus pragmatique et à l'écoute des forces vives des nations.

Vous pourrez donc compter sur moi pour accompagner autant que possible le développement de nos échanges bilatéraux dans toutes leurs composantes (économiques, sociales, environnementales). Je souhaite que ce colloque et les rencontres qu'il favorisera puissent avoir des résultats aussi fructueux que possible pour l'amitié et les collaborations entre nos deux pays.

M. Arnaud FLEURY. - Avez-vous prévu de vous rendre à Maputo prochainement ?

Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT. - Comme vous le savez, cette Maison est très bien gérée. Il y a un nombre de déplacements contingenté tous les ans. Dès lors qu'il y aura les moyens pour ce déplacement, je serai ravie de me rendre au Mozambique.

M. Arnaud FLEURY. - Le message est passé.

M. l'Ambassadeur de France au Mozambique, Serge Ségura, vous avez fait le déplacement spécialement pour participer à ce colloque. Voulez-vous nous livrer votre analyse de la situation politique de la région, que vous connaissez fort bien ? Je rappelle notamment que vous avez été en poste à Madagascar.

M. Serge SEGURA. - Je ne sais pas si vous imaginez ce que représente, pour un ambassadeur français au Mozambique, la nécessité d'effectuer une analyse rapide de la situation politique du pays où il est en poste, devant un parterre impressionnant de chefs d'entreprises français et devant le ministre mozambicain des affaires étrangères, qui sera naturellement attentif à chaque mot que je prononcerai.

Excusez-moi par avance, M. le Ministre. Vous connaissez ma franchise, de même que je connais la vôtre. Je dirai peut-être des choses qui vont vous surprendre.

Les relations qui existent entre la France et le Mozambique sont des relations de grande sincérité et de grande ouverture. Avec la période qui s'est tristement ouverte avec l'assassinat de notre compatriote, j'ai entendu des interrogations surgir parmi la communauté française. Je voudrais souligner d'emblée que lorsque notre compatriote (que je connaissais bien), qui avait la nationalité française et la nationalité mozambicaine, a été assassiné, ce fut un choc pour la communauté française mais au moins autant pour la communauté mozambicaine.

M. Baloi a eu l'amabilité de me recevoir très rapidement, dans les heures qui ont suivi cet assassinat. Je dois dire que j'ai trouvé auprès du gouvernement mozambicain tout le soutien dont nous avions besoin, à l'ambassade, pour faire en sorte que le séjour de la famille de notre compatriote et le transfert de son corps en France se déroulent dans les meilleures conditions. Les parents de notre compatriote sont repartis hier. Ils sont maintenant en France et m'ont demandé de transmettre aux autorités mozambicaines leurs remerciements pour tout le soutien qui leur a été apporté.

Le Mozambique est entré, à nos yeux, dans une nouvelle phase politique depuis les élections du mois d'octobre 2014, dont les résultats officiels ont été connus à la fin du mois de décembre. Il existe 13 ambassades de l'Union européenne au Mozambique, ce qui est très important au regard de la taille du pays. Un nouveau Président a été élu, apportant des idées nouvelles et notamment la volonté de mettre l'accent sur le développement économique.

Lorsque je l'ai rencontré pour lui remettre la lettre de félicitations du Président Hollande, le Président Filipe Jacinto Nyusi m'a dit d'emblée : « Je veux développer les relations avec la France. Je veux aussi les développer sur le plan économique et permettre aux entreprises françaises de venir ». Il y a des obstacles à cela. Ils sont parfois de nature psychologique. Il existe aussi quelques obstacles administratifs du côté mozambicain. Le nouveau gouvernement constitué après l'élection du Président Nyusi est composé de spécialistes qui savent cependant de quoi ils parlent. Il faut également signaler une nouvelle structure de gouvernement inaugurée depuis quelques mois. J'en veux pour preuve le regroupement des ressources minérales avec l'énergie, de même que celui de l'économie et des finances. Le fait que le ministre Baloi ait été reconduit dans ses fonctions constitue pour nous un gage de continuité dans le dialogue avec la France.

Pour toutes ces raisons, nous sommes très optimistes. Si vous m'aviez posé la question il y a un an, je me serais montré beaucoup plus circonspect. Le principal parti d'opposition, la Renamo, était alors retourné dans le maquis et menait des opérations de guérilla. Le pays était économiquement coupé en deux, en raison de la séparation, par ces actions, de la route nationale qui relie le nord au sud du pays. La Renamo a participé aux élections et même si elle en conteste les résultats, les députés rénamistes sont au Parlement. Ils vont participer aux discussions de lois très importantes comme celle portant sur l'autonomie des provinces. Le Président Nyusi a reçu le Président de la Renamo, Afonso Dhlakama. Le dialogue existe.

M. Arnaud FLEURY. - Puisque vous avez été en poste à Madagascar, comme je le rappelais, je suppose que vous êtes également soucieux de l'évolution politique de l'ensemble de la région.

M. Serge SEGURA. - Lorsque je suis arrivé au Mozambique, il y a trois ans, le ministre des Affaires étrangères, M. Baloi, m'a reçu. Ce fut une douche froide. Comme tout ambassadeur qui prend son poste, j'avais pris mon ton le plus onctueux pour souhaiter que les relations politiques entre la France et le Mozambique se développent. Le ministre m'a interrompu en me disant : « Monsieur l'Ambassadeur, ne me parlez pas de relations politiques, nous ne nous parlons pas ». C'était vrai. En dressant la liste des rencontres ministérielles entre la France et le Mozambique, je me suis rendu compte avec horreur qu'il n'existait pas réellement un dialogue continu. Les choses ont changé, grâce à la volonté des autorités françaises et des autorités mozambicaines. La présence du ministre aujourd'hui en est un bon exemple, avant, peut-être, une nouvelle visite présidentielle au cours de l'année.

La France est présente au Mozambique depuis l'indépendance. Il est important de rappeler aux entrepreneurs que le Mozambique est encore un des pays les plus pauvres du monde. Nous parlons d'une « pépite » à l'export et d'un pays qui connaît un développement rapide, ce qui est exact.

Toutefois, 75 % de la population du Mozambique vit encore de l'agriculture et dans des zones non urbanisées. Le pays reste extrêmement pauvre et mérite toute notre action au titre de l'aide au développement. C'est pourquoi notre action au Mozambique doit être ambivalente. Nous agissons d'une part dans des secteurs de base (santé, éducation) ainsi que sur le plan du droit (à travers une forte coopération avec le tribunal administratif).
Nous oeuvrons d'autre part dans des secteurs plus « modernes » comme on le fait avec des pays qui sont à un stade de développement avancé.

Lorsque vous viendrez au Mozambique, vous devrez aussi garder à l'esprit la nécessité de faire valoir à vos interlocuteurs la responsabilité sociétale des entreprises : votre action dans le pays doit se traduire par un avantage pour les populations des endroits où vous allez vous installer. Un autre aspect crucial a trait à la formation professionnelle. Le Mozambique a des besoins considérables dans ce domaine. Un des projets de l'Agence française de Développement, au cours des cinq années à venir, vise à développer les crédits de formation professionnelle dans certains secteurs tels que le tourisme et l'énergie. Il est primordial que les entreprises françaises participent à cet effort. À l'ambassade, nous pouvons vous y aider. Il existe déjà de bons exemples, à l'image d'Aquapesca, installée de longue date dans le pays. Je tiens à rendre hommage à cette entreprise, qui assume pleinement sa responsabilité sociale tout en contribuant au progrès scientifique, ce qui est également très important pour le Mozambique. Si vous venez avec des projets de formation de vos employés et de substitution progressive des expatriés par des Mozambicains, vous susciterez un intérêt tout particulier chez vos interlocuteurs.

M. Arnaud FLEURY. - Que peut-on dire du dispositif économique que met en place l'ambassade, dans la lignée de la « diplomatie économique » chère aux autorités françaises ?

M. Serge SEGURA. - Je suis arrivé au Mozambique en septembre 2012, deux mois après la fermeture du service économique de l'ambassade. Fort heureusement, grâce aux entreprises, qui se sont émues de cette situation, le ministère de l'économie et des finances a révisé sa position et a rouvert ce service au mois d'avril. J'ai la chance, depuis lors, d'avoir un excellent collaborateur en la personne de Philippe Fouet, qui m'aide énormément et apporte un appui précieux aux entreprises. Je suis donc un ambassadeur presque heureux, car toutes les ambassades n'ont plus de service économique, en particulier dans la région.

De son côté, le ministère des affaires étrangères a eu la bonne idée de nommer quelques volontaires internationaux en Afrique. Ils sont trois et je suis heureux que l'une d'entre deux soit affectée au Mozambique depuis un an. Nous venons d'en accueillir une deuxième. La volontaire internationale constitue le lien avec Business France, qui siège à Johannesburg. Je lui ai demandé de s'intéresser plus particulièrement aux PME et plus spécifiquement à celles de l'île de La Réunion et de Mayotte.

Je suis en effet très agréablement surpris de constater l'engouement que suscite le Mozambique parmi les entreprises réunionnaises. Celles-ci envoient régulièrement des missions au Mozambique. La Chambre de commerce et d'industrie et le Conseil général de La Réunion vont ouvrir bientôt auprès de l'institution chargée des PME au Mozambique un bureau permanent.

En dehors de l'ambassade, il existe une « pseudo-section » des conseillers du commerce extérieur. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il n'y en avait plus qu'un. Ces conseillers sont aujourd'hui au nombre de six, ce qui signifie qu'il ne nous manque qu'une personne pour pouvoir officiellement former une section. Je pense que nous pourrons officiellement le faire avant la fin de l'année 2015, ce qui sera très utile.

À ce jour, 40 à 45 entreprises françaises sont déjà installées au Mozambique. Le pays n'est donc pas méconnu par tous. Ces entreprises souhaitent créer un club d'investisseurs France-Mozambique qui serait ouvert aux entreprises mozambicaines aussi bien qu'aux entreprises françaises. Les statuts de ce club sont déposés actuellement auprès du ministère de la Justice.

M. Arnaud FLEURY. - Nous reviendrons avec sa fondatrice, Mme Médina, sur cette initiative. En un mot, si je comprends bien, vous êtes optimiste. Voyez-vous des similitudes entre la situation du Mozambique et celle que vous avez connue à Madagascar, de l'autre côté du canal ?

M. Serge SEGURA. - J'ai effectivement été en poste durant quatre ans en tant que numéro deux de l'ambassade à Madagascar, il y a une dizaine d'années. C'est un pays splendide et humainement très attachant, pour lequel j'ai une grande affection. Le Mozambique se trouve politiquement, économiquement et géographiquement dans une situation très différente de celle de Madagascar. Il est tout aussi attachant que Madagascar et je suis très optimiste quant à son développement. Le pays dispose de matières premières. Le ministre a souligné que le gouvernement mozambicain était conscient de la nécessité de rechercher un développement inclusif, c'est-à-dire qui inclue toutes les couches de la société mozambicaine. C'est ce à quoi travaillent les bailleurs de fonds avec les autorités du pays. Le ministre a également souligné à juste titre la nécessité de ne pas centrer seulement le développement sur les matières premières (en particulier le gaz). Les priorités énoncées aujourd'hui par le nouveau Président, notamment dans le secteur agroalimentaire (où les entreprises françaises devraient avoir un rôle à jouer), démontrent que ces préoccupations sont prises en compte par le gouvernement.

M. Arnaud FLEURY. - Philippe Fouet, c'est vous qui avez rouvert le service économique de Maputo. Dites-en nous davantage sur la situation du pays et les opportunités qu'il peut receler.

M. Philippe FOUET. - Comme vous le voyez sur la carte, le pays est très étendu. Il en tire un avantage sur le plan des ressources. C'est un inconvénient du fait de la dispersion de la population, qui crée un important besoin de développement d'infrastructures de diverses natures (routières, scolaires, de santé, etc.). L'indice de développement humain est assez faible, puisqu'il figure parmi les plus bas au monde. Il progresse lentement. Le PIB du pays s'élève aujourd'hui à 16 milliards de dollars, soit 640 dollars par habitant, ce qui fait du Mozambique un des pays les plus pauvres. La moitié de cette richesse est produite à Matola-Maputo.

Depuis dix ans, le pays connaît une croissance moyenne de 7 % à 8 % par an et le PIB a quadruplé en vingt ans, même s'il demeure assez faible. En 2014, le Mozambique a attiré 7 milliards de dollars d'investissements, ce qui en fait le premier pays d'Afrique australe en termes d'investissements directs étrangers, devant l'Afrique du Sud. La plupart de ces investissements ont été réalisés dans le secteur du développement des ressources naturelles (charbon et gaz).

M. Arnaud FLEURY. - Quelle est la part des Français dans ces investissements ?

M. Philippe FOUET. - La France a été présentée comme le dixième investisseur en termes de flux. Je pense que cette position est plus élevée en termes de « stock ». Total a par exemple acquis 40 % d'un bloc mais n'investit pas depuis la France. Cet investissement n'est donc pas comptabilisé dans les statistiques françaises.

Le pays dispose de nombreuses ressources naturelles, notamment de nombreux minerais. Il présente un très fort potentiel hydroélectrique. A titre d'illustration, le lac qui se trouve derrière le barrage de Cabora Bassa contient plus d'eau que l'ensemble de l'Afrique du Sud. 75 % de la population vit de l'agriculture. Elle en vit mal, toutefois, puisque cette production ne représente que 25 % du PIB. Il existe cependant un potentiel très fort et de nombreux investissements ont été réalisés dans le secteur agricole ou agroindustriel.

Tout n'est pas rose pour autant et il existe des difficultés au Mozambique. Le prix des matières premières a beaucoup baissé, ce qui conduit les compagnies installées dans le secteur charbonnier à perdre de l'argent actuellement. C'est vrai aussi dans le secteur du gaz, même si je suis très optimiste quant au développement de celui-ci au Mozambique.

Le pays dépend encore beaucoup de l'aide extérieure, qui représente aujourd'hui près du tiers du budget de l'État. Cette aide diminue, ce qui oblige le pays à trouver de nouvelles ressources budgétaires. La dette du pays augmente, ce qui est normal, car le pays a besoin de développer ses infrastructures. La dette atteignait l'an dernier 56 % du PIB, ce qui représente une progression de 10 % en un an. Même s'il faut voir là un effet de rattrapage, il s'agit d'un indicateur auquel il faut rester attentif.

Le climat des affaires tend à s'améliorer. Les principales difficultés évoquées par les entreprises ont trait à la formation de la main d'oeuvre : il est difficile de trouver du personnel formé et celui-ci est très cher. Une autre difficulté a trait au financement du coût de l'investissement. Le Dr Machungo a évoqué les résultats de sa banque mais ceux-ci ont été rendus possibles par un taux d'intérêt élevé. La pauvreté reste, d'une façon générale, très prégnante.

La moitié de la population vit avec un demi-dollar par jour et l'immense majorité de la population survit avec moins de 2 dollars par jour.

S'agissant de la base industrielle, pour l'heure, l'investissement dans le secteur industriel a repris avec l'aluminium. Cette base demeure aujourd'hui limitée.

En termes de perspectives, le pays a besoin de se reconstruire et de développer ses infrastructures dans tous les secteurs, notamment celui des transports.

M. Arnaud FLEURY. - Le pays est-il très en retard par rapport à des pays de niveau de développement comparables ?

M. Philippe FOUET. - Il est plutôt en avance par rapport à des pays de niveau de développement équivalent. Il reste cependant beaucoup à faire, notamment pour relier le nord et le sud du pays, distants de 3 000 kilomètres. On transporte plus difficilement des produits agricoles des régions de production vers la capitale que depuis l'Afrique du Sud, distante de 500 kilomètres. Cette concurrence oblige le pays à développer des infrastructures plus efficaces.

Le gaz occupe une place particulière dans le potentiel du pays, qui a même été qualifié de « nouveau Qatar ». Dans le même temps, des interrogations sont nées parmi les investisseurs potentiels suite à la chute du prix du gaz, qui a diminué de 50 % en un an. Le Mozambique a découvert des ressources gigantesques de gaz, réparties sur deux blocs, attribuées à ENI (Italie) d'une part et à Anadarko (États-Unis) d'autre part. ENI ne dispose plus que de 50 % du bloc, le reste ayant été vendu à des intérêts asiatiques, notamment. Anadarko ne possède plus que 25 % du bloc dont il est l'opérateur. Deux types de gisements ont été découverts dans ces blocs. Certains sont à cheval sur les deux blocs, tandis que des champs indépendants ont aussi été identifiés.

Un projet de développement concerne l'exploitation des champs indépendants. Le champ étant assez éloigné du rivage, il est prévu de réaliser de la liquéfaction en mer. Les appels d'offres sont en cours et la décision doit être prise au milieu de l'année 2015. Pour l'autre opérateur, il s'agit de développer des tuyaux jusqu'à terre, où sera réalisée la liquéfaction. Le champ commun aux deux opérateurs sera sans doute développé un peu plus tard dans la mesure où il faut que les deux intéressés se mettent d'accord.

Les investissements sont estimés entre 40 et 100 milliards de dollars au total, c'est-à-dire trois à six fois le PIB du Mozambique (16 milliards de dollars). Ceci donne une idée de l'étendue des défis auxquels le pays doit faire face et des opportunités qui se font jour. Malgré la diminution du prix du gaz, les observateurs attendent des recettes budgétaires d'au moins 200 milliards de dollars sur quarante ans, soit 5 milliards de dollars par an.

M. Arnaud FLEURY. - Quel est le message que vous souhaitez faire passer aux acteurs français du secteur ?

M. Philippe FOUET. - Je pense que le message est déjà passé, au moins en partie, car nous avons reçu la semaine dernière une importante délégation du Groupement des entreprises pétrolières et parapétrolières (GEPP), dont plusieurs représentants sont ici. Il faut se positionner aujourd'hui. Le Mozambique est très courtisé et présente un potentiel important. Les décisions se prennent cette année et les partenaires qu'il faudra trouver pour développer les actions de formation et le transfert de technologie sont assez peu nombreux, puisque le secteur est nouveau. Il faut vous associer à ces partenaires avant que vos concurrents ne le fassent.

Les ressources minières sont très importantes, mais les Français ne sont pas très présents sur ce créneau. Un autre secteur d'activité à développer porte sur l'industrie dérivée du gaz. La loi mozambicaine oblige les futurs découvreurs de gaz à utiliser dans l'industrie locale (engrais, production d'énergie, etc.) 25 % du gaz produit localement.

En ce qui concerne le transport, il existe de nombreux projets, notamment dans le secteur ferroviaire et dans le transport urbain, essentiellement pour la conurbation Maputo-Matola (deux villes très proches l'une de l'autre, avec des problèmes de liaison importants). Il faudra également développer des ports, pour le charbon mozambicain mais aussi pour l'évacuation des productions minérales des pays de la région (Zimbabwe, Zambie, Malawi, République démocratique du Congo), et à Pemba et à Palma, au nord du pays, près des champs gaziers, afin de faciliter l'exploitation du gaz.

L'agriculture a déjà été évoquée. Il s'agit d'un secteur d'avenir et d'un moyen d'arracher à la pauvreté une part significative de la population. La terre mozambicaine est riche mais les exploitations sont de très faible taille. Leurs moyens sont donc très limités pour acheter des semences améliorées, des engrais ou du matériel agricole. Du point de vue de l'industrie agroalimentaire, le Mozambique doit monter en gamme et créer de la valeur ajoutée pour développer l'emploi et accroître le niveau de vie de sa population.

Dans l'eau et l'environnement, l'activité se concentre, là aussi, à Maputo-Matola, où il existe un projet d'envergure conduit par la Banque mondiale en vue de développer l'approvisionnement en eau. Aujourd'hui, il faut aller chercher l'eau à 100 kilomètres de Maputo, faute d'un approvisionnement suffisant pour l'ensemble de l'agglomération.

Le secteur des télécommunications se résume principalement à la téléphonie mobile. Le pays compte seulement 70 000 abonnés au téléphone fixe, sur 25 millions d'habitants.

Sur le plan du tourisme, le Mozambique offre 3 000 kilomètres de côtes et des réserves d'animaux sauvages. Il doit développer ses infrastructures aériennes et hôtelières. Le Mozambique reçoit aujourd'hui dix fois moins de touristes que l'Afrique du Sud voisine.

Globalement, les échanges commerciaux du Mozambique sont déséquilibrés puisque le pays importe de plus en plus, du fait de la nécessité de développer les infrastructures et de soutenir différents projets de développement. Ses principaux produits d'exportation sont l'aluminium (notamment grâce au projet Mozal conduit dans les années 1990), le charbon et l'électricité : près de 90 % de la production hydroélectrique sont exportés. L'agriculture fournit le reste des marchandises exportées (tabac, sucre, crevettes, etc.).

M. Arnaud FLEURY. - La part de l'industrie de transformation est donc encore très limitée.

M. Philippe FOUET. - C'est exact, mis à part l'aluminium. Cette « montée en gamme » est attendue notamment par la mise en valeur du gaz.

Les échanges économiques de la France avec le Mozambique sont encore très faibles (200 millions d'euros) et équilibrés, en termes de balance commerciale. La France est à la fois un client et un fournisseur secondaire du Mozambique. Il faut cependant avoir à l'esprit que pour des raisons logistiques, une large partie des importations du Mozambique passe aujourd'hui par l'Afrique du Sud et n'apparaît donc pas dans ces chiffres.

Les importations du Mozambique, en 2013, ont concerné pour une part importante des biens d'équipement, puisque le marché offert aux biens de consommation est encore restreint compte tenu du niveau de vie de la population. L'essentiel des exportations françaises porte ainsi sur l'aéronautique, les machines-outils, les technologies de communication, etc. Les combustibles représentent aussi une part significative des importations. Cette part devrait décroître à la faveur du développement de la production gazière. Il existe un projet de Shell dans la conversion du gaz en liquide ( Gas to Liquid, GTL ), qui pourrait être développé à proximité des champs du Nord du pays.

Le Mozambique exporte vers la France de l'aluminium, du charbon et des minerais métalliques.

Selon la Banque de France, le stock d'investissements français au Mozambique s'élèverait à 47 millions d'euros. Ce montant paraît faible mais n'inclut pas des investissements transitant par d'autres pays, à l'image des investissements de Total dans le secteur gazier. Certaines entreprises françaises présentes au Mozambique emploient plusieurs milliers de personnes, par exemple dans le secteur de la sylviculture, où l'entreprise réunionnaise Fibres emploie plusieurs milliers de personnes pour l'exploitation des forêts. Bolloré compte 800 à 1 000 personnes sur place. La sucrerie Tereos est également un employeur important.

M. Arnaud FLEURY. - Nous avons peu évoqué les biens de consommation, alors qu'on parle souvent de la frénésie de consommation qui gagnerait l'Afrique. Des opportunités se dessinent-elles dans ce domaine également ?

M. Philippe FOUET. - Ce marché existe mais me paraît très limité. La Banque africaine indiquait que 90 % de la population africaine faisait partie de la classe moyenne. Le chiffre semble optimiste, même si la définition de cette notion de classe moyenne n'était pas précisée. Une classe moyenne émergente va sans nul doute se développer au Mozambique. Les principales perspectives sont néanmoins aujourd'hui fournies par le secteur des biens d'équipement.

M. Arnaud FLEURY. - J'animais la semaine dernière un colloque pour Business France sur le Kenya, où Carrefour va s'implanter. Ce type de projet existe-t-il au Mozambique ?

M. Philippe FOUET. - Ce n'est pas le cas à ma connaissance. Les Sud-Africains ont déjà réalisé de très importants investissements dans le secteur de la distribution, où ils détiennent plusieurs enseignes. J'ai essayé d'évaluer le chiffre d'affaires de la grande distribution au Mozambique. Il serait d'un milliard de dollars selon mes estimations, ce qui est assez faible pour l'ensemble du pays.

M. Serge SEGURA. - Les choses changent très vite. Je suis en fonction au Mozambique depuis deux ans et demi. Maputo (qui compte 2 millions d'habitants) ne ressemble déjà plus à la ville que j'ai découverte en arrivant. Il y a une très forte croissance, qui se traduit par l'émergence d'une petite classe moyenne déjà attirée par des produits européens (et, pourquoi pas, par des produits français).

J'ai entendu parler de Casino mais je n'ai jamais reçu ses représentants, ce que je regrette. À titre d'anecdote, j'ai eu le plaisir d'inaugurer une nouvelle concession pour un grand constructeur automobile français. Trois modèles étaient présentés, l'un fabriqué en Corée, l'autre en Turquie et le troisième en Afrique du Nord. Les chiffres sont bas mais la notoriété des entreprises françaises est bien supérieure, notamment parce que de nombreuses entreprises passent par l'Afrique du Sud.

On trouve par exemple de la Vache qui Rit dans les supermarchés mozambicains, de même que des produits de l'entreprise italienne Parmalat. Ces produits sont tous importés d'Afrique du Sud.

M. Philippe FOUET. - Le Mozambique a un marché automobile de 25 000 véhicules par an, dont 5 000 véhicules neufs et 20 000 véhicules d'occasion importés. Ces chiffres sont évidemment très faibles au regard de la taille du pays.

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