II - LES DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT FACE AUX ENJEUX POLITIQUES
Les questions sécuritaires ne peuvent s'affranchir d'autres problématiques plus larges telles que la pauvreté, les effets du changement climatique, la fréquence des crises alimentaires ou les tensions internes. La création du G5 Sahel regroupant les cinq pays du Sahel, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, a ainsi pour ambition de coordonner les politiques de développement et de sécurité notamment dans la perspective de l'utilisation de l'enveloppe de 8 milliards d'euros promise par la communauté internationale pour des investissements dans ces deux domaines.
Les gouvernements nigérien et malien accordent la priorité économique au développement de l'agriculture, qui bénéficie d'atouts considérables : surface de terres arables non encore exploitées, système d'irrigation alimenté par le fleuve Niger, ...
Lors de la Conférence sur le développement et la sécurité au Sahel qui s'est déroulée en 2011, des projets avaient été lancés qui ont malheureusement dû être interrompus en raison de la situation sécuritaire.
A. AU NIGER
1. Le développement du Niger peut-il répondre au défi démographique ?
La paix et la stabilité dans la sous-région sont des conditions essentielles au développement économique. L'économie du Niger est fortement tributaire de la situation sécuritaire qui affecte notamment le tourisme du pays. Le tarissement des flux touristiques, principalement dans le nord du Niger, impacte négativement la création de richesses et d'emplois. Or au début des années 2000, le secteur du tourisme était prospère, plus particulièrement dans le nord du pays (région d'Agadez).
a) De nombreux indicateurs « dans le rouge »
Le Niger est également confronté à d'importants défis structurels. En effet, l'attention portée aux questions sécuritaires ne doit pas masquer les grandes difficultés qu'il rencontre. Tous les indicateurs se situent dans le rouge. Avec 7,6 enfants par femme, ce pays connaît la plus forte croissance démographique au monde, soit 3,9 % par an, ce qui bloque son potentiel de développement économique. 60 % de sa population vit avec moins d'un dollar par jour. Ce problème est aggravé par un très fort taux d'analphabétisme résultant d'un faible taux de scolarisation : à 25 ans, un Nigérien a passé en moyenne un an et demi à l'école.
Au regard de l'évolution du PIB par habitant, on assiste à un appauvrissement continu du pays. Conforté par des traditions religieuses et culturelles, l'accroissement de sa population conduit à disposer d'une main oeuvre nombreuse. Par ailleurs, le Niger est essentiellement un pays rural qui n'a pas encore amorcé de transition urbaine.
b) L'indispensable aide au développement
Dans ce contexte, l'aide publique au développement est perçue comme un appui aux politiques d'emplois et une réponse, certes imparfaite, aux tentations d'une jeunesse nombreuse, pauvre et désoeuvrée, malgré des difficultés en termes d'absorption dans le cycle économique. Les parlementaires nigériens ont ainsi exhorté la France à maintenir, et même à renforcer, son aide au développement. Un désengagement de notre pays donnerait un signal symptomatique aux bailleurs émergents de l'aide internationale, déjà présents, tels que la Chine ou l'Inde, d'y investir davantage. D'ailleurs, la Chine consolide sa présence dans ce pays en investissant financièrement dans la construction d'infrastructures essentielles à son développement (échangeur de Niamey, hôpital de référence de Niamey).
Au Niger, l'aide publique au développement, en hausse depuis les années 1990, représente 60 % du budget d'investissement et 40 % du budget de l'État. Son montant s'élevait à 70 millions d'euros en 2010. Ce pays appartient à la double catégorie prioritaire des pays pauvres prioritaires et de la zone sahélienne. Les efforts de la France y sont très importants.
Un document cadre de partenariat entre la France et le Niger a été signé le 25 novembre 2013, pour la période 2013-2016, qui confirme les engagements de la France et prévoit une enveloppe de 200 millions d'euros pour la période 2012-2015.
Le document-cadre de partenariat entre la France et le Niger Ce document concentre notre aide sur les secteurs suivants : - Le développement durable (85 à 105M€ de nouveaux engagements) : eau et assainissement, énergie, appui au secteur privé. - Le développement humain (29 à 47M€) : appui à l'éducation et formation professionnelle, l'enseignement supérieur et la recherche, ainsi que la santé. - La sécurité alimentaire et développement rural (30 à 40M€) : appui au programme de Kandadji (barrage), aide alimentaire. - Le soutien à la stabilité et la sécurité (28,1M€) : appui à la gestion des finances publiques, la sécurité et la justice, la décentralisation et le soutien à la société civile. - La diversité culturelle et la francophonie (4,1M€). |
Les activités de l'Agence française de développement au Niger ont reçu une autorisation de 77,5 millions d'euros en 2013, volume en constante augmentation.
c) La prévention des crises alimentaires
La France intervient également dans le domaine de la sécurité alimentaire. Lors de la crise alimentaire de 2012, qui a touché plus de 18 millions de personnes, l'appui de la France au Programme alimentaire mondial a été de 10 millions d'euros pour le Sahel et de 6,5 millions d'euros pour le dispositif nigérien de prévention et de gestion des risques.
L'agriculture et l'élevage sont les deux piliers de l'économie du Niger, et occupent 85 % de la population active. Néanmoins, la sécurité alimentaire constitue un problème structurel pour les dirigeants politiques depuis l'indépendance du pays. Le premier plan triennal de développement du Niger, en 1962-1963, posait le principe que l'autosuffisance alimentaire ne pourrait être obtenue sans la maîtrise du facteur hydraulique. Or, la politique d'aménagement hydro-agricole menée en coopération entre le Niger et la CEE a ensuite été délaissée au profit de grands projets de développement sans succès.
L'initiative « les Nigériens nourrissent les Nigériens » (« 3 N »), qui figurait dans le programme du Président Issoufou, dit « programme de la renaissance », renoue avec cette préoccupation d'autosuffisance alimentaire. L'accès à l'alimentation est notamment déterminant dans le calcul de l'indice de développement humain (IDH) puisqu'il influence d'autres facteurs. Le Niger a le triste record du plus faible IDH au monde pour l'année 2012 (0,304) soit un niveau pratiquement inchangé. Il connaît un taux de malnutrition sévère de l'ordre de 14 % et chronique de 40 %. Les dirigeants de ce pays qu'a rencontrés la délégation lui ont fait part de leurs fortes préoccupations à l'égard de ce très mauvais classement.
L'intensification des cultures agricoles repose sur la maîtrise de l'irrigation. Il s'agit de mettre en oeuvre des programmes d'aménagement avec des technologies facilement maîtrisables. Depuis 2012, des programmes spécifiques pour les régions sahélo-sahariennes marginalisées sont initiés afin d'améliorer les conditions de vie des populations autochtones.
2. Les projets et initiatives de terrain : des grands chantiers à la lutte contre la désertification
Dans le cadre de la Présidence Issoufou, de grands chantiers de construction de nouvelles infrastructures ont été initiés au Niger : le barrage de Kandadji, les routes afin de désenclaver le pays, le rail qui comprendra à terme une ligne allant d'Abidjan à Cotonou via Niamey, la fibre optique, le gazoduc qui reliera le Nigeria à l'Algérie, en passant par le Niger.
Interrogé également sur le développement de la zone d'Agadez et du pays Touareg, le Premier ministre, M. Brigi Rafini, a rappelé qu'il s'agit de zones particulièrement enclavées et qu'il est absolument nécessaire d'en assurer le développement pour améliorer les conditions de vie des populations, qui ne sont pas que touaregs, mais aussi peules et arabes. Et dans ce domaine, le Niger s'en sortirait mieux que ses voisins, avec notamment le programme SDS (Stratégie Défense et Sécurité - Sahel/Niger), qui est certes coûteux et sur lequel les partenaires techniques et financiers ne se bousculent pas, mais qui a permis d'éviter jusqu'à présent la situation catastrophique et les conséquences que l'on connaît au Mali.
a) Dosso ou les ambitions économiques et agricoles d'une région
La délégation a eu l'occasion de se rendre à Dosso, située dans la partie sud du Niger, sous escorte policière, pour y rencontrer les autorités locales : le gouverneur de la région de Dosso, M. Seydou Zataou Ali, le préfet de département de Dosso, M. Garba El Hadji Issoufou, le deuxième vice-président du conseil régional, M. Adabi Issa, le maire de Dosso, M. Idrissa Issoufou, et le sultan de la région de Dosso, M. Djermakoye Maidanda Hamadou Saidou, et s'entretenir notamment des projets de développement rural.
Visite de la commune de Dosso
Elle a ainsi visité les différents chantiers de construction et de rénovation des infrastructures : future gare ferroviaire, ensemble de logements « cité du 18 décembre », nouvel hôtel de ville, arène, stade, ... La ville de Dosso bénéficie d'une restructuration de ses différentes infrastructures dans le cadre de la fête nationale qui s'y est déroulée le 18 décembre en présence du Président de la République du Niger.
La région de Dosso comprend huit départements et quarante-trois communes dont huit sont considérées comme urbaines. Peuplée de 2,713 millions d'habitants (2012), elle offre de grandes potentialités dans le domaine agricole. Une meilleure exploitation de ses ressources agricoles permettrait, d'après les informations recueillies, de nourrir l'ensemble de la population du Niger.
Dans le cadre de l'initiative « 3N », des expériences de cultures irriguées sont menées dans cette région afin de diffuser cette méthode auprès de l'ensemble des populations agricoles. L'utilisation du facteur eau dans l'agriculture est l'axe principal de développement de la production agricole. Le monde agricole est encore organisé de façon traditionnelle et les exploitations sont dominées par un modèle familial. D'une surface moyenne d'un hectare, elles doivent nourrir une dizaine de personnes.
Le gouvernement souhaite attirer des investisseurs afin de favoriser la réorganisation agricole et d'accroître les surfaces exploitées pour en augmenter les capacités de production.
b) Une coopération réussie : la lutte contre la désertification dans la commune de Youri
La Fédération des unions d'associations de développement « Marhaba » regroupe 56 associations villageoises de développement. Créée en 2001, elle compte environ 6 300 membres, dont 43% de femmes. Elle mène notamment des actions de lutte contre l'érosion.
Un projet mené avec la fédération Marhaba et le réseau des chambres d'agriculture en matière de restauration des sols et de lutte contre la désertification a été présenté à la délégation lors de sa visite de la commune de Youri dont le maire est le président du groupe Niger-France de l'Assemblée nationale du Niger. Ce village est situé sur les rives du fleuve Niger et ses terres subissent une très forte dégradation en particulier à l'occasion de ses crues, dégradation qui affecte la surface de terres agricoles et la végétation utilisée pour les fourrages et le bois.
La désertification au bord de l'eau Pour bénéficier des fonds de l'Initiative régionale environnement mondiale et lutte contre la désertification (IREM-LCD) en Afrique saharienne, la société' civile (ONG, associations locales, organisations communautaires de base) des États membres du Comité inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) monte des documents de projet. L'adéquation de ces microprojets avec les politiques et priorités nationales de mise en oeuvre de la CCD est vérifiée au niveau national et les projets sont transférés au CILSS par les États. Les projets sont examinés au CILSS par une cellule technique qui appuie les candidats pour renforcer leurs propositions de projet sur les plans techniques, financiers et rédactionnels. Les projets reçus sont ensuite soumis a` un comite' de sélection d'experts base' a` Paris qui décide de l'octroi ou non de subventions de l'IREML-LCD pouvant atteindre 100 000 euros. Les projets doivent s'appuyer sur un cofinancement. Situe' au bord du fleuve Niger, le village de Youri (Niger) est directement affecte' par le processus de désertification. Le déboisement et le surpâturage des plateaux surplombant le village les ont transformés en surfaces planes et dénudées. Dès qu'il pleut, les eaux ruissellent sur ces plateaux et alimentent un kori (oued, rivière temporaire). Chaque année, ce ruissellement élargit le cours du kori qui « grignote » alors les terres de culture et les habitations. Le village est ainsi amené' à se déplacer au fur et à mesure. Ce ruissellement charrie beaucoup de sable qui se jette en contrebas dans le fleuve Niger. Les anciens du village disent que dans leur jeunesse, même les hommes forts ne pouvaient traverser le fleuve à gué à Youri. Aujourd'hui, même les enfants le traversent en saison sèche, ce qui donne une idée de l'ensablement dufleuve notamment par l'apport de sable des oueds comme celui de Youri. En concertation avec les populations, l'ONG Marhaba a entrepris en 2005 un projet d'aménagement anti-érosif des plateaux surplombant le village. Bénéficiant d'une subvention de l'IREM-LCD, ce projet a construit plus de 900 banquettes pour limiter l'écoulement des eaux sur une surface de 150 ha. Bénéficiant ensuite de reboisement, les plateaux aménagés seront alors moins sujets au ruissellement de grande envergure grâce a` la reconstitution du couvert végétal. En contrebas, des tranchées seront creusées dans la pente pour ralentir l'écoulement des eaux et des digues seront aménagées dans la plaine pour contenir le kori. Ainsi l'oued verra sa croissance maitrisée, le village et les terres de Youri seront épargnés et l'apport de sable dans le fleuve sera réduit. Source : Comite' Inter-États de Lutte contre la Sècheresse dans le Sahel (CILSS) |
3. Les questions institutionnelles au coeur de la démocratie nigérienne
a) Le fonctionnement de l'institution parlementaire contesté par l'opposition
La délégation sénatoriale a souhaité s'entretenir avec les représentants de l'ensemble des partis politiques du Niger. Elle a ainsi eu l'occasion de rencontrer des représentants de l'Alliance pour la Réconciliation, la Démocratie et la République (ARDR), qui regroupe les trois principaux partis de l'opposition. C'est le ralliement du Président de l'Assemblée nationale du Niger, M. Hama Amadou, à l'opposition en août 2013, après sa rupture avec la coalition gouvernementale, qui a entraîné la création de cette Alliance.
L'Alliance pour la Réconciliation, la Démocratie et la République se compose :
- de la Convention démocratique et sociale (CDS) de l'ancien président de la République (1993-1996), M. Mahamane Ousmane ;
- du Mouvement national pour la Société de développement (MNSD) du chef de file de l'opposition, M. Seyni Oumarou ;
- du parti LUMANA présidé par M. Hama Amadou, président de l'Assemblée nationale aujourd'hui réfugié en France et que la délégation a pu rencontrer à Paris quelques semaines après son retour.
Lors de cet entretien, l'ancien président de la République a dénoncé l'action du Président Issoufou, estimant qu'il mène une politique contraire aux principes démocratiques. Il a déploré l'instabilité institutionnelle chronique de son pays. Il a ainsi considéré que la séparation des pouvoirs n'était plus respectée et rappelé que la justice « en principe doit rendre des décisions équitables au nom du peuple et non du prince ! » . Il a également contesté les avis rendus par la Cour constitutionnelle. M. Mahamane Ousmane s'insurge donc contre cette pratique alimentée par le régime du président Issoufou, selon lui, et « totalement inconcevable dans une démocratie » , où l'on peut basculer d'un camp à l'autre, sans être exclu de son parti d'origine et avec l'aval des tribunaux judiciaires. Il s'est ainsi interrogé sur la double appartenance au gouvernement et à l'opposition de plusieurs personnalités politiques, qui lui paraît impossible.
Questionné sur ce point, le Premier ministre a déclaré à la délégation sénatoriale que la voie pacifique permettait de sortir de cette crise parlementaire et que « ces piques au niveau du Parlement » étaient des épiphénomènes qui ne compromettaient pas la vigueur de la démocratie nigérienne.
Suite à ces différents entretiens, la délégation sénatoriale ne peut qu'être extrêmement préoccupée par la situation politique du Niger et par les incertitudes qui pèsent sur le fonctionnement démocratique des institutions. Plusieurs responsables des principaux partis d'opposition ont en effet été convoqués par la police judiciaire dans le cadre d'une procédure ouverte suite à la publication par l'ARDR d'un document intitulé « Livre blanc des institutions de la République ». Le groupe d'amitié sera particulièrement attentif à l'évolution du climat politique ainsi qu'au respect des règles et des principes démocratiques.
b) Le cas du Président de l'Assemblée nationale
Alors que la délégation du groupe d'amitié avait prévu de rencontrer le Président de l'Assemblée nationale lors de son déplacement au Niger, le départ précipité de celui-ci de son pays à la fin du mois d'août ne l'a pas permis.
M. Hama Amadou, alors Président de l'Assemblée nationale, a été mis en cause par la justice nigérienne dans un trafic présumé de nouveau-nés, le 27 août 2014, et a quitté le Niger pour le Burkina-Faso avant de se rendre finalement en France, où il vit actuellement. Le bureau du Parlement venait d'autoriser son audition dans le cadre de l'enquête, puis un conseil des ministres avait validé la demande d'arrestation. Le gouvernement nigérien réfute la thèse d'un « complot politique ».
Depuis, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 novembre 2014 a constaté la vacance du poste de président de l'Assemblée nationale et les députés ont procédé le 24 novembre à l'élection du député M. Amadou Salifou comme successeur de M. Hama Amadou par 71 voix pour sur 76 votants et sans la participation de l'opposition, qui a préféré quitter l'hémicycle.
Le procès en « supposition d'enfants » contre une vingtaine de prévenus s'est ouvert en janvier dernier, mais le tribunal correctionnel de Niamey s'est déclaré incompétent, aucune juridiction civile ne s'étant jusqu'alors prononcée sur la filiation des bébés concernés, et a décidé d'abandonner les poursuites à l'encontre des personnes accusées, dont M. Hama Amadou et son épouse. Le parquet ayant fait appel de cette décision, la cour d'appel devrait se prononcer en mars 2015.