Contribution de M. Laurent Béteille relative aux brevets européen et communautaire

Lors de la dernière réunion de l'Assemblée régionale Europe de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui s'est tenue à Budapest (Hongrie) les 21 et 22 mai 2001, mon collègue Henri de Richemont vous a présenté une note sur la problématique de réduction de coût en matière de brevets européens avec maintien de la traduction de ces documents en français. Une résolution a été adoptée par notre Assemblée. Vous la trouverez en annexe.

Cette réunion intervenait avant la signature par le Gouvernement français de l'Accord de Londres, et mettait en garde contre l'abandon de la traduction obligatoire en français des brevets déposés.

Près de 18 mois après la signature de cet accord, je souhaiterais faire le point avec vous sur cette question.

I - La situation avant la signature du Protocole de Londres

L'Office européen des Brevets, créé en 1973 et dont le siège est à Munich, est composé de 20 États membres. Il a pour mission de délivrer des brevets européens selon une procédure uniforme et centralisée. Une fois délivré, l e brevet européen se transforme en autant de brevets nationaux que de pays désignés par le déposant, et est régi par les différentes lois nationales des pays concernés. Il relève du droit conventionnel classique entre États. Pour obtenir une protection par brevet dans les États membres de l'OEB, il suffit de déposer une demande dans l'une des trois langues officielles de l'Office, à savoir l'allemand, l'anglais ou le français.

L'article 65 de la Convention, relatif à la traduction du fascicule du brevet européen, stipule que « tout État contractant peut prescrire lorsque le texte... n'est pas rédigé dans une des langues officielles de l'État considéré, que le demandeur ou le titulaire du brevet doit fournir au service central de la propriété industrielle une traduction de ce texte dans l'une de ces langues officielles, à son choix... ».

Cela signifie que, pour que le brevet soit protégé dans tous les États que le déposant choisit in fine, il est nécessaire que les trois parties du brevet - revendications, description et dessins - soient traduites dans les langues des autres États membres. Tous les États membres - dont la France -demandent cette traduction.

Il - La réforme et ses conséquences

Le projet de réforme a pour but de moderniser le brevet européen, afin d'en réduire le coût d'obtention, notamment à travers sa traduction, charge lourde pour les petites et moyennes entreprises, et d'améliorer sa sécurité juridique.

Au mois de juin 1999, une conférence intergouvernementale de l'OEB s'est tenue à l'initiative de la France et a confié à un groupe de travail un mandat pour étudier les moyens de réduire de 50 % le coût d'obtention du brevet européen.

La Conférence de Londres d'octobre 2000 a proposé un accord consistant dans une renonciation aux exigences de traduction. Les trois langues de procédure étaient conservées et, dans le cas des brevets publiés en anglais et en allemand, la traduction en français des revendications ainsi que la traduction complète du brevet en cas de litige. En outre, chaque État conservait la possibilité de faire traduire dans sa langue et à ses frais la totalité du brevet. La réforme ne concernait pas l'exigence de traduction des revendications mais de celle des dessins qui l'accompagnent et qui constituent un élément important dans la compréhension d'une invention.

Prenant en compte les nombreuses inquiétudes manifestées vis-à-vis du projet de réforme (plus de 150 questions orales ou écrites de parlementaires, avis défavorables du Conseil supérieur de la Propriété industrielle, de l'Académie des sciences morales et politiques, de la Compagnie nationale des Conseils en Propriété industrielle - CCNCPI - ), le Gouvernement français de l'époque a réservé sa réponse et décidé de créer une mission de concertation et de propositions relative au régime linguistique du brevet européen, mission confiée à M. Georges Vianes, Conseiller Maître à la Cour des Comptes. Par ailleurs, une mission d'information du Sénat a été confiée, à la même époque, à M. Francis Grignon, sénateur.

L'application de la réforme proposée avait pour conséquence :

- de voir un texte ayant des effets en droit interne, rédigé dans une langue autre que le français ;

- de donner force de loi en France à des brevets européens rédigés en anglais et en allemand ;

- d'envahir l'Europe de brevets en langue anglaise déposés par les Japonais et les Américains, utilisés comme une arme économique stratégique ;

- de laisser le « tout anglais » gagner le domaine juridique à travers les professionnels de la propriété industrielle ;

de menacer la profession de traducteur.

Parmi les suggestions proposées par notre Assemblé régionale Europe, il était demandé, entre autres, d'attendre la création du brevet communautaire avant de prendre une décision.

III - Les conclusions du rapport VIANES et de la mission d'information du Sénat

1 - Le rapport Vianes a été remis le 19 juin 2001 au Secrétaire d'État à l'Industrie. Ses conclusions et ses propositions, après audition des professionnels concernés, préconisaient la signature de l'Accord de Londres, à condition que sa mise en oeuvre s'accompagne de mesures nouvelles en termes de promotion du brevet et de veille technologique.

Le rapport Vianes minimisait fortement l'intérêt de traductions généralisées « plus documentaire que linguistique » en relevant la faible consultation des traductions (moins de 2 %). Il considérait également que la faiblesse du nombre de litiges relatifs aux brevets en France (de 300 à 400 par an pour les 350 000 brevets en vigueur) ne justifiait pas la traduction intégrale de 30 000 brevets par an.

2 - Le rapport d'information de M. Francis Grignon, sénateur, sur la « stratégie du brevet d'invention ».

Dans son rapport remis le 13 juin 2001, M. le sénateur Grignon formulait de nombreuses propositions pour combler le déficit français en matière de dépôt de brevets. Ce rapport s'était prononcé pour la participation de la France à l'Accord de Londres, à la condition expresse que soient mises en oeuvre d'importantes mesures d'accompagnement sur le plan national : veille technologique, sécurité juridique, maintien du volume d'activité des professionnels français, aides spécifiques éventuelles pour les traducteurs en brevets.

IV - La signature de l'accord de Londres et ses conséquences

S'appuyant notamment sur les conclusions du rapport Vianes, les autorités françaises ont décidé de signer l'accord de Londres le 29 juin 2001. M. Laurent Fabius, ministre de l'économie et des finances de l'époque, justifiait cette signature par les raisons suivantes : « On pouvait certes refuser tout accord, mais nous n'aurions pu empêcher alors que tous les brevets soient déposés en anglais. Nous pouvions aussi conditionner notre accord à certaines stipulations. C'est la solution qui a été retenue en accord avec le Premier ministre . »

Cet Accord réaffirme la prééminence des trois langues officielles de l'OEB. Il prévoit le maintien d'une traduction systématique dans les trois langues des « revendications » qui définissent la portée et les droits du brevet. Le Gouvernement français a estimé nécessaire de réformer un système de traductions onéreux et jugé inadapté puisque les traductions arrivent au moment de la délivrance du brevet, soit cinq à six ans après le dépôt de la demande.

Le Gouvernement français s'est engagé par ailleurs à préparer des mesures techniques et d'accompagnement permettant notamment d'encourager les dépôts de brevets par les entreprises françaises et de renforcer la diffusion de l'information technologique en langue française, plus particulièrement auprès des PME et des centres de recherche (réponse à une question écrite de M. Jacques Legendre, sénateur, en date du 15 novembre 2001).

Le Conseil d'État, saisi par le Gouvernement, a conclu à la constitutionnalité de l'Accord de Londres.

Comme l'avait craint l'Assemblée régionale Europe de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, la signature de l'Accord de Londres entraînera l'abandon de la totalité de la traduction des brevets européens en langue française, puisque seule la partie des revendications sera maintenue. Cependant, l'engagement du Gouvernement français de créer des mesures d'accompagnement est positif, bien que 18 mois après la signature de l'Accord de Londres, elles ne soient toujours pas publiées.

V - Le brevet communautaire

L'Office européen des Brevets n'est pas une institution de l'Union européenne. C'est une organisation intergouvernementale de droit international public.

Simultanément à la modification du règlement de l'OEB, une réforme est intervenue au niveau communautaire avec la présentation par la commission européenne de la proposition de règlement sur le brevet communautaire.

Cette mise en place a été retenue comme prioritaire par les chefs d'État et de Gouvernement lors des conseils européens de Lisbonne, de Feira et de Stockholm, qui appelaient à une adoption du règlement d'ici la fin 2001. La commission européenne a ainsi présenté en août 2000 une proposition de règlement. Celui-ci doit être adopté à l'unanimité des États membres.

Cette proposition vise à créer, un système de brevet dans le cadre communautaire, tout en utilisant, dans une large mesure, le système mis en place par l'OEB. Ce dernier examinera les demandes de brevet communautaire, les délivrera et les administrera.

La demande sera juridiquement une demande de brevet européen désignant le territoire de la Communauté. Lorsque l'Office aura délivré le brevet, celui-ci deviendra un brevet communautaire, dont les effets seront régis par le règlement communautaire, c'est-à-dire que le brevet aura un caractère unitaire sur l'ensemble du territoire de la Communauté.

Les décisions adoptées au moment de l'Accord de Londres s'appliqueront donc au brevet communautaire qui, une fois délivré dans une des trois langues de l'OEB et publié dans cette langue avec une traduction des revendications dans les deux autres langues officielles, sera valable sans aucune autre traduction.

Il est donc nécessaire de veiller à ce que la langue française maintienne sa position de langue officielle de procédure, tant du brevet européen que du brevet communautaire.

Je voudrais terminer par l'intervention prononcée par M. Christian Poncelet, Président du Sénat, lors de l'inauguration de la Foire du Livre de

Brive, le vendredi 8 novembre 2002, et dans laquelle il fait référence à l'Accord de Londres en ces termes : « Le protocole de Londres sur les brevets, hélas signé par le précédent Gouvernement, que Jean-Pierre Raffarin avait d'ailleurs dénoncé lorsqu'il était sénateur, mérite, puisqu'il n'est pas encore ratifié, un réexamen attentif car nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au tout anglais dans ce domaine stratégique. »

C'est également le rôle de notre Assemblée Régionale Europe.

Résolution

L'Assemblée régionale Europe de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Budapest (Hongrie) les 21 et 22 mai 2001,

SE RÉFÉRANT à la Convention de Munich créant un Office Européen des Brevets, et à l'article 65 de cette Convention relatif à la traduction du fascicule des brevets européens,

PRENANT ACTE des propositions de la Conférence de Londres relatives à la réforme de la traduction des brevets européens,

CONSIDÉRANT que cette réforme, qui a pour objet de limiter la traduction des brevets européens dans les trois langues officielles de l'Office Européen des Brevets - l'allemand, l'anglais et le français - à la seule partie des revendications, aurait pour conséquences :


• une traduction partielle des brevets ;


• un recul du français comme langue scientifique et technique, entraînant une régression technologique, économique et culturelle ;


• une limitation de l'accès à l'information des PME (petites et moyennes entreprises) ;


• un risque de déséquilibre entre les langues de travail au profit de l'anglais dans le domaine juridique à travers les professionnels de la propriété industrielle : avocats, conseils en propriété industrielle, responsables de propriété industrielle en entreprises ;


• une atteinte à la profession des traducteurs.

DEMANDE aux Gouvernements des pays de la Francophonie, et de la France en particulier, membres de l'Organisation Européenne des Brevets :


• de ne pas signer l'accord qui sera proposé le 30 juin 2001 ;


• de repousser la réforme jusqu'à la création du brevet communautaire ;


• en tout état de cause, de ne pas limiter la traduction des brevets européens à la seule partie des revendications.

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