Communication de M. Yves Dauge lors du séminaire parlementaire sur « le mandat parlementaire » (Yaoundé, décembre 2002)
Le travail et le rôle du parlementaire
A la différence du Parlement de la République du Cameroun, qui est monocaméral, le Parlement français se compose de deux chambres, qui se distinguent par leur mode d'élection et leur rôle constitutionnel.
L'Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct pour cinq ans ; elle peut être dissoute par le Président de la République avant le terme de son mandat. Symétriquement, elle peut mettre en cause la responsabilité politique du Gouvernement.
Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Ses membres sont élus pour neuf ans au suffrage universel indirect par un collège électoral lui-même issu du suffrage universel direct 2 ( * )2 ; le Sénat est renouvelé par tiers tous les trois ans, et ne peut être dissous ; en contrepartie, il ne peut pas renverser le Gouvernement.
Etant moi-même ancien membre de l'Assemblée nationale, et sénateur depuis le dernier renouvellement de septembre 2001, je vous ferai part de ma double expérience.
Qu'il soit député ou sénateur et quel que soit son mode d'élection, tout parlementaire remplit une double fonction :
- il est d'abord, conformément à la théorie de la représentation nationale, l'élu de la nation, et a vocation, à ce titre, à participer à l'élaboration des lois et au contrôle du Gouvernement ;
- mais il est aussi l'élu d'une petite portion de territoire -la circonscription -, et ses électeurs attendent d'abord de lui qu'il s'occupe de leurs problèmes.
I - LE PARLEMENTAIRE, ÉLU DE LA NATION
Dans tout système démocratique, le parlementaire participe dans son assemblée à l'élaboration des lois et au contrôle du Gouvernement, c'est-à-dire qu'il intervient dans les débats, travaux, réunions qui se déroulent dans le cadre des différentes instances de la Chambre.
Mais tous les membres ne jouent pas le même rôle au sein de leur assemblée, même s'ils sont élus selon un mode égalitaire : leur activité diffère selon qu'ils sont parlementaires « de base », ou qu'ils exercent des responsabilités particulières dans leur groupe politique, dans une commission, ou dans un organe du Parlement (par exemple, membres du Bureau, rapporteur...) ; ils sont alors chargés à des degrés divers, d'animer les différentes structures de l'assemblée et de régler les conflits éventuels.
Le rôle du parlementaire dépend aussi -nous aurons l'occasion d'évoquer ce point au cours du séminaire -de son appartenance à la majorité parlementaire ou à l'opposition.
En France, l'augmentation du travail législatif et la tendance au renforcement du contrôle parlementaire ont conduit à modifier la Constitution en 1995, pour remplacer les deux sessions parlementaires annuelles initialement prévues par un régime de session unique d'une durée de 120 jours.
En pratique, chaque parlementaire consacre en général trois jours par semaine aux travaux de son assemblée (du mardi matin au jeudi soir) ou plus, s'il suit un texte ou les travaux d'une commission.
Les trois pôles d'activité principaux sont les travaux en commission, les travaux au sein du groupe politique, et la séance publique.
A) Les travaux en commission
Chaque sénateur, comme chaque député doit être membre d'une des six commissions permanentes de son assemblée, tout en ne pouvant appartenir qu'à une seule ; il choisit donc le plus souvent sa commission en fonction de son expérience personnelle et de ses centres d'intérêt, le groupe politique ayant la faculté de trancher si le nombre de candidats pour une même commission est trop élevé.
Les débats en commission, qui permettent de « défricher » et d'examiner de manière approfondie les textes, sont en général assez libres, les tensions politiques ayant tendance à s'apaiser pour faire place à une discussion plus ouverte.
Outre l'examen des textes, les commissions permanentes consacrent une part croissante de leurs travaux au contrôle du Gouvernement.
Cette activité est traditionnelle à l'occasion de l'examen du budget : les rapporteurs budgétaires adressent des questionnaires détaillés aux ministères et auditionnent les différents responsables ; mais elle s'exerce aussi à l'occasion des auditions auxquelles les commissions procèdent avant l'examen de chaque texte important, ou sur les sujets qu'elles ont elles-mêmes choisi d'aborder. En outre, depuis 1988, les commissions peuvent ouvrir à la presse les auditions qu'elles organisent.
Par ailleurs, les commissions permanentes recourent de plus en plus souvent aux missions d'information, qui sont devenues l'un des instruments essentiels du contrôle parlementaire. Les missions d'information offrent une plus grande souplesse dans leurs règles de constitution et dans leur fonctionnement que les commissions d'enquête et de contrôle ; elles peuvent être communes à plusieurs commissions permanentes, être confiées à un ou plusieurs parlementaires, et ne sont pas tenues de rendre leurs conclusions dans un délai déterminé.
Les textes concernant les collectivités locales sont examinés avec une attention particulière par les sénateurs. A ce propos, il convient de signaler que dorénavant, c'est au Sénat que seront déposés en premier lieu les projets de loi portant sur l'organisation des collectivités territoriales ; ce principe a été adopté en novembre dernier, lors de l'examen par le Parlement du projet de loi constitutionnel relatif à la décentralisation. Cette priorité d'examen s'exercera toutefois sans préjudice du droit d'amendement du Gouvernement et des députés, et du droit pour l'Assemblée nationale, de statuer définitivement sur ces textes à la demande du Gouvernement 2 ( * )3 .
De même, dans leur activité de contrôle, les commissions permanentes du Sénat veillent à la bonne situation financière des collectivités locales, et par ses missions de contrôle et ses groupes de travail, le Sénat fait régulièrement le point sur l'application des compétences locales.
B) Les groupes politiques
La participation du sénateur ou du député aux différents aspects du travail parlementaire passe très largement par le groupe politique auquel il appartient : l'affectation dans les différentes commissions (permanentes ou spéciales, d'enquête ou de contrôle) nécessite l'accord du groupe, les possibilités d'intervention et le temps de parole dans les discussions générales et débats organisés sont déterminés par lui, de même que l'inscription pour les questions au Gouvernement...
Le groupe met à la disposition de ses membres des moyens de documentation, ainsi que des personnels -assistants de groupe, secrétariat-, pour les aider dans leur travail parlementaire. En outre, les rencontres régulières qu'il organise avec différentes délégations, groupements syndicaux et socio-professionnels, constituent pour les parlementaires une source d'information appréciable ; lors de la préparation d'amendements sur un texte ou de l'élaboration d'une proposition de loi, ces échanges fournissent des éclairages utiles et permettent d'opérer des choix.
Le groupe étant généralement le prolongement du parti politique à l'intérieur de l'assemblée, il offre un cadre à la constitution de structures de travail en liaison avec les groupes de travail et experts de la formation politique correspondante. Ses réunions plénières hebdomadaires permettent de discuter des grandes orientations qui s'inscrivent très largement dans la ligne de la formation politique, même si le groupe dispose d'une certaine autonomie.
Les membres appartenant au Bureau du groupe arrêtent avec le secrétariat les positions qui seront défendues dans les débats, animent les réunions de travail, coordonnent amendements et propositions de lois, et organisent ainsi en amont le travail en séance publique.
C) La séance publique
Elle est par excellence le lieu de l'activité parlementaire :
- elle est l'aboutissement du travail préalable considérable qui s'est effectué en commission et au sein des groupes ;
- c'est en séance publique que l'assemblée se prononce définitivement sur les textes et où peut être mise en jeu, du moins à l'Assemblée nationale, la responsabilité du Gouvernement ;
- elle est ouverte aux citoyens et surtout à l'ensemble des médias.
Le programme de travail de chaque assemblée est arrêté par la Conférence des Présidents 2 ( * )4 qui se réunit une fois par semaine ; le Gouvernement dispose d'un droit de priorité dans l'ordre du jour, mais depuis la réforme de 1995, une séance par mois est consacrée à l'examen de propositions de loi.
Les parlementaires ne peuvent évidemment assister à tous les débats ; ils suivent prioritairement les débats de politique générale ou les questions au Gouvernement, et, en fonction de leurs motivations -expérience professionnelle, intérêt pour leur circonscription, demande de leur groupe politique-, suivent la discussion de textes plus spécialisés.
Si la durée des débats en séance publique s'est progressivement accrue jusqu'à devenir très importante, le temps consacré à chaque texte est resté limité car le nombre de projets de lois à examiner a lui aussi augmenté ; les débats sont donc très organisés, chaque groupe dispose d'un temps de parole qu'il répartit entre ses membres et seul, un petit nombre d'élus a la possibilité d'intervenir...
Toutefois, en dehors du débat organisé, le parlementaire dispose de plusieurs moyens d'intervention lors de la discussion d'un projet ou d'une proposition de loi, ou d'un budget : inscription sur un article, dépôt d'un amendement, intervention pour ou contre un amendement, procédure du rappel au règlement...
II - LE PARLEMENTAIRE DANS SA CIRCONSCRIPTION
Il ne faut pas sous-estimer le lien qui unit le sénateur ou le député à sa circonscription, quelle que soit la diversité des situations locales liée au découpage électoral -circonscriptions urbaines, rurales, juxtaposition d'éléments sans unité-, à la tradition politique de la circonscription, à l'ancienneté dans le mandat du parlementaire, au nombre et à la nature des autres mandats qu'il détient éventuellement.
Mais qu'il cumule ou non les mandats, il doit jouer localement quatre rôles, à travers lesquels s'exprime toujours plus ou moins sa qualité d'élu national :
- celui de relais de l'information
- d'intercesseur entre les citoyens et le pouvoir
- d'animateur du développement local
- de représentant de la République
A) Le parlementaire, relais de l'information
C'est le rôle le plus directement lié à son mandat, le plus politique aussi, qui consiste à faire le lien entre la circonscription, la formation politique et l'assemblée à laquelle il appartient ; ce rôle varie considérablement selon que l'élu est dans la majorité ou dans l'opposition, mais il comporte toujours deux aspects :
1) expliquer aux habitants de sa circonscription les conséquences locales des mesures adoptées au niveau national et justifier les prises de position de son parti. Le parlementaire le fait à l'occasion de discours, rencontres, débats avec les responsables locaux ou avec les électeurs ; par l'intermédiaire de la presse locale ; il publie aussi souvent son propre journal, parfois en association avec plusieurs de ses collègues.
2) en sens inverse, se faire l'écho des préoccupations locales et faire « remonter » les aspirations des populations vers les responsables politiques nationaux. Il exerce cette activité de médiation, d'abord de façon directe lors d'échanges avec ses collègues en réunion de groupe lorsqu'il revient le mardi de sa circonscription dans son assemblée ; ensuite par le biais des questions qu'il peut poser au Gouvernement en séance publique 2 ( * )5 et qui sont télévisées, ou des questions écrites, qu'il adresse aux différents ministères, et dont les réponses sont publiées au Journal Officiel et parfois reprises dans la presse locale.
B) Le parlementaire, intercesseur entre les citoyens et le pouvoir
C'est la suite logique du rôle précédent, et les sénateurs, comme les députés, sont en générai organisés pour recevoir les électeurs et répondre à leurs demandes : ils s'entourent d'une équipe de collaborateurs, tiennent des permanences, se déplacent dans les quartiers, répondent au courrier.... Les demandes sont diverses, le parlementaire étant souvent le dernier recours lorsque toutes les autres démarches ont échoué.
D'autres personnalités -le maire, le conseiller général ou régional- jouent aussi le rôle d'intercesseurs, mais l'appel au sénateur ou au député revêt aux yeux des électeurs une valeur particulière, car c'est lui qui a le plus directement accès au pouvoir.
De fait, dans la plupart des cas, les demandes donnent lieu à des interventions, dont l'efficacité dépend notamment de l'importance du réseau de correspondants sur lesquels le parlementaire peut compter, de ses contacts avec les administrations et dans les entreprises.
C) Le parlementaire, acteur du développement local
Les affaires locales concernent au premier chef les élus locaux (maires, conseillers généraux, conseillers régionaux). Mais l'élu national est aussi partie prenante du développement économique, social et culturel de sa circonscription, d'autant qu'il est mieux placé pour l'inscrire dans la perspective plus vaste des enjeux économiques et politiques nationaux.
Il favorise la mise en place de structures nécessaires à ce développement (institutions de coopération intercommunales, par exemple), et s'appuie sur un certain nombre de réseaux et d'institutions dont il est, directement ou indirectement, l'animateur :
- les élus locaux sont souvent ses interlocuteurs privilégiés, notamment en zone rurale - maires qui appartiennent à la même formation politique ou à des formations alliées, et à défaut, conseillers municipaux minoritaires de son camp -. Il les aide à résoudre les problèmes quotidiens ou à obtenir les financements ou subventions nécessaires aux communes, auprès du conseil général, du conseil régional, ou des services de la préfecture.
- les milieux socio-professionnels : le parlementaire reçoit régulièrement les responsables de la vie économique et sociale (chambre de commerce, d'agriculture, chambres des métiers, syndicats agricoles...)
- les associations trouvent dans le sénateur ou le député un interlocuteur capable, non seulement de les appuyer au plan local, mais de relayer leurs idées dans les débats nationaux qui concernent la vie sociale, l'enseignement, l'environnement.
- le parlementaire suit de très près l'activité des établissements de sa circonscription (entreprises, établissements scolaires et universitaires, institutions médico-sociales...)
En outre 259 sénateurs sur 321 et 500 députés sur 577 exercent un mandat local.
D) Le parlementaire, représentant de la République
Le rôle de représentation est une fonction lourde et contraignante, mais qui illustre bien la place du parlementaire dans la vie locale, à la fois représentant du Parlement, du peuple, et détenteur de la souveraineté nationale.
Sa présence dans les manifestations officielles confèrent à celles-ci une solennité notoire, mais elle est aussi très appréciée dans les réunions associatives, professionnelles, sportives, culturelles, parce qu'elle leur donne une forme de reconnaissance.
Je souhaiterais conclure par deux remarques :
Le parlementaire est au coeur de nombreux paradoxes : à une époque où l'on constate un repli sur soi et une aspiration à la gestion indolore du quotidien, l'élu doit aller vers les autres et affronter les problèmes ; dans une société de plus en plus complexe, où les valeurs et les idéologies deviennent incertaines, il doit définir les enjeux et proposer des choix.
Malgré la diversité des rôles qu'il recouvre, le mandat parlementaire présente une profonde unité, due à sa nature essentiellement politique, et constitue à la fois un enjeu et un engagement pour son titulaire :
- Il est perçu comme un enjeu par tous les acteurs de la vie politique : électeurs, qui surveillent les prises de position de leur représentant, et qui, le cas échéant, lui demandent des explications ; formations politiques, qui ayant accordé l'investiture au candidat, parfois après d'âpres négociations, sont très attentives par la suite à la loyauté de l'élu.
- à l'inverse, le sénateur, comme le député, est tenu à un certain engagement : engagement à l'égard des positions de son groupe politique qu'il a contribué à définir ; mais engagement aussi à l'égard de lui-même, puisqu'investi d'un mandat représentatif, il doit se prononcer selon sa conscience.
* 22 Composé des députés et des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales
(plus de 145 000 électeurs)
* 23 Conformément à l'article 45.4 de la Constitution.
* 24 La Conférence des Présidents comprend le président de l'assemblée, les vice-présidents, les présidents des groupes politiques, les présidents de commissions, le rapporteur général de la commission des Finances, ainsi que le ministre représentant le Gouvernement.
* 25 Deux fois par semaine à l'Assemblée nationale et deux fois par mois au Sénat.