B. UNE ÉCONOMIE EN COURS DE RESTRUCTURATION

L'économie arménienne a particulièrement souffert de l'éclatement de l'URSS. Non seulement, elle a perdu les marchés des anciennes républiques soviétiques, mais encore l'appareil de production industriel, dont elle a hérité se trouve largement désarticulé : les points forts de l'industrie arménienne, qu'il s'agisse de chimie ou d'électronique, ne constituent pas des produits commercialisable en eux-mêmes mais des composants d'une chaîne de fabrication qui n'avait de sens que dans le cadre de la division du travail organisée à l'échelle de l'ex-URSS.

En outre,- l'économie arménienne a pâti des effets du conflit du Karabagh par suite du blocus mis en place par l'Azerbaïdjan et la Turquie. Le cessez-le-feu de 1994 et la mise en oeuvre d'une politique de réforme structurelle, la même année, ont entraîné un retour de la croissance et permettent d'espérer un développement plus soutenu en dépit de la menace que constitue l'absence de règlement politique au Haut Karabagh.

1. La situation économique

Le pays a connu une chute du niveau de vie sans précédent depuis l'indépendance de la république en 1991 : entre 1989 et 1998, il a perdu plus de la moitié de son produit intérieur brut, et a subi une diminution considérable de son potentiel scientifique et technique, qui était un des plus élevés parmi les républiques socialistes soviétiques suivant les critères de l'URSS.

Ces premières années d'indépendance sont caractérisées par une faillite de l'État, incapable de verser leurs salaires à ceux qui émargent au budget : enseignants, médecins, chercheurs, militaires, juges, membres des forces de l'ordre, pas plus que d'assurer le versement régulier des allocations sociales et des retraites.

Le non-paiement généralisé des salaires a placé dans une situation dramatique des dizaines de milliers de personnes. Mais contrairement à ce qui se passe en Russie, les grèves sont rares et n'ont jamais pris une ampleur nationale. L'Arménie ne connaît pas de manifestations antigouvernementales, grèves de la faim, suicides spectaculaires, blocus des voies de transports, etc. La population semble, au contraire, s'être résignée à vivre dans des conditions précaires ou à chercher une échappatoire dans l'émigration, temporaire ou définitive.

Confronté à cette crise, les divers Gouvernements ont réussi à assainir quelque peu les finances publiques. Les pénuries ne touchent plus les denrées alimentaires et les biens de consommation, ni l'énergie. La lutte contre la corruption et la fraude comptable est aujourd'hui réelle.

Le redressement en cours sur le plan macro-économique ouvre des perspectives intéressantes de développement sectoriel.

a) Les grands équilibres : croissance, emploi, inflation et balance extérieure

Le taux de croissance annuel du P.I.B. de 2,3 % observé au cours des huit premiers mois de 1997, a résulté du développement rapide du secteur des services (+8,6 % ), en particulier, de celui du transport aérien.

La production industrielle a continué de décroître : elle a baissé de 1,2 % en 1997.

L'agriculture prend donc en raison du déclin de l'industrie, une place de premier plan que la privatisation des terres, entreprise au cours des années 1991 et 1992, a renforcé : elle participait, à hauteur de 51,3 %, à la formation du P.I.B. en 1996; ce pourcentage était de 34,5 % pour l'industrie, pour la même année.

Selon les données officielles, la consommation privée a augmenté de 4,5 %, au cours des huit premiers mois de 1997. Cela résulte tant d'une augmentation de l'offre due à la privatisation que d'un accroissement du revenu disponible au Nagorny Karabagh de 12,9 % au cours de la période précitée.

Le taux d'inflation a été réduit de manière spectaculaire au cours des dernières années :

- 1994 : 4964,8 %

- 1995 : 175,5 %

- 1996 : 18,7 %

Le taux d'inflation a atteint 13,6 % au cours des six premiers mois de l'année 1997 (dernières données disponibles), ce qui laisse présumer que l'objectif officiel de 17,8 % pour l'année n'a pas été atteint. Cette situation résulte, d'une part, de l'aménagement de la politique fiscale (taxe aux importations, T.V.A.) et, d'autre part, de l'augmentation des prix du secteur public (notamment télécommunications).

La dernière statistique disponible concerne le deuxième trimestre 1997 : le nombre officiel de chômeurs était de 164.950 soit 11,7 % de la population active soit un doublement par rapport au premier trimestre 1995. Il convient de retenir avec prudence ces données, compte tenu de la fiabilité encore limitée des statistiques arméniennes.

En ce qui concerne la croissance, on dispose de données plus récentes : selon les statistiques officielles, au premier trimestre 1998, le PIB a augmenté de 6,4 % conformément aux prévisions et la production industrielle de 4,3 % par rapport aux mêmes périodes de l'année 1997.

De leur côté, les exportations ont progressé de 58 % pour atteindre 56,7 millions de dollars réduisant ainsi le déficit commercial.

Deux autres signes encourageants sont à noter : les investissements étrangers auraient atteint 100 millions de francs au premier trimestre 1998, tandis que le produit des impôts aurait progressé de plus de 80 %.

b) En revanche, l'inflation resterait forte près de 8 % sur l'ensemble du trimestre. Les évolutions sectorielles

Pour sortir de l'impasse économique et, par conséquent, stabiliser la situation sociale, le nouveau Gouvernement Kotcharian poursuit l'effort de modernisation et de restructuration entrepris par son prédécesseur .


• Industrie

La rareté des ressources naturelles, l'isolement géographique, l'étroitesse du marché intérieur, la fuite des cerveaux, enfin, ont laissé le secteur industriel exsangue.

Les deux axes du développement industriel de l'ère soviétique, l'énergie et l'industrie chimique, ont été les plus touchés par l'effondrement de l'URSS. L'industrie légère (agro-alimentaire, textile, constructions mécaniques, électroniques) n'a pas tardé à se disloquer.

La plupart de ces entreprises ont suspendu leurs activités, tout en mettant leur personnel en congé sans solde. Des prêts consentis par l'Ardshinbank (banque pour l'industrie et la construction ou l'État est le principal actionnaire) ont permis à certaines de relancer de façon sporadique, et à grands frais, leur production. Mais ces sociétés, elles-mêmes victimes d'impayés, se sont vite trouvées dans l'impossibilité de rembourser leur bailleur de fonds (au taux d'intérêt de 30 % par mois..). La plupart ont eu depuis recours à la fraude fiscale pour éviter la faillite immédiate. De fait, la délégation a pu constater le rôle du paiement en espèces dans le fonctionnement quotidien des entreprises arméniennes.

En revanche, les petites entreprises, fabriques de tapis, fromageries, distilleries (vins, cognacs), ateliers d'orfèvrerie et autres, qui incarnent la continuité des traditions artisanales locales, ont, depuis la fin de la crise énergétique, réussi à développer leur activité.


Énergie

Après avoir connu une crise sans précèdent au début de la décennie, l'Arménie possède aujourd'hui une production d'énergie électrique dépassant ses besoins actuels.

La fermeture de la centrale nucléaire de Medzamor prévue en 2004 sera compensée par la réhabilitation des nombreuses centrales hydroélectriques et de la cinquième tranche de l'usine à cycle combiné de Hrazdan.

L'acheminement et la distribution du gaz russe en Arménie sont au centre des préoccupations du Gouvernement arménien depuis le début de l'année, et font l'objet de discussions continues entre les Gouvernements russe et arménien.

La société mixte arméno-russe Armrosgasprom, officiellement créée pour étudier les moyens de réhabilitation des anciens gazoducs, devrait en fait assurer l'exploitation du réseau Azprom. Elle aurait ainsi acquis une prise de participation de 45 % dans les entreprises gazières arméniennes. Les autres actionnaires sont Armgaz (entreprise d'état) à 45 %, et Itera à 10 %, société à l'actionnariat, dont le siège social se trouve à Jacksonville (USA).


Industrie chimique

L'Union soviétique avait doté l'Arménie d'une industrie chimique faite de gigantesques entreprises (combinat), employant plus de 10.000 employés, pour une gamme de produits diversifiée : caoutchouc synthétique, pneus, engrais, acides, fibres synthétiques, biochimie, réactifs, industrie pharmaceutique.

Cette industrie, qui a fondé son développement à la fois sur l'extension des capacités et sur l'amélioration des rendements, est particulièrement peu productive et très polluante. Elle demande plus de main d'oeuvre, de carburant et de matières premières que celle des pays occidentaux, et rejette des matières hautement toxiques.

Ces complexes sont à ce point dépassés que la Banque mondiale a conseillé au Gouvernement de les démanteler, alors que les partisans de la privatisation de l'usine de Nairit espèrent encore convaincre le Gouvernement de procéder à un énième appel d'offres international.


Agriculture

La terre a été privatisée dès 1991 par petites parcelles de 1,2 hectare. Á l'issue de ce processus, un dixième seulement des terres arables reste géré par les municipalités.

La superficie cultivée est de 400.000 hectares pour 310.000 exploitations indépendantes. Le seuil maximal de terres cultivables a été atteint. Malgré l'érosion des sols, due à la politique d'utilisation intensive d'engrais chimiques, la plaine de l'Ararat reste relativement fertile et continue de constituer une sorte de jardin où l'on trouve, vignes, fruits et légumes méridionaux, cultures maraîchères, et tabac.

En 1997, le secteur agricole représentait environ 40 % du produit intérieur brut malgré l'insuffisance de la mécanisation et le mauvais état des infrastructures agricoles (routes, transport, stockage, transformation des denrées).

Même si une pénurie de financement empêche l'agriculture de se développer, l'ACBA, seule banque coopérative agricole, et l'Agrobank, héritière de l'union soviétique, permettent aujourd'hui de pallier, en partie, le manque de trésorerie des exploitations agricoles.

Le total des prêts accordés par la Banque mondiale entre 1993 et 1997 s'élève à 428 millions de dollars, l'État ne subventionnant plus directement le secteur agricole.

Malgré une main d'oeuvre bon marché, l'insuffisance de la mécanisation et le mauvais état des infrastructures rendent la production arménienne chère : le prix du blé arménien est supérieur au cours international ; les prix des fruits et légumes sont également supérieurs à ceux de l'agriculture iranienne subventionnée. De plus, le manque de protection douanière entraîne une sévère concurrence des produits iraniens et géorgiens.


Secteur bancaire

Dans le cadre de la politique de stabilisation de l'économie amorcée en 1996, le secteur bancaire a connu, ces deux dernières années, une profonde restructuration.

Sur les conseils du F.M.I. et avec l'assistance de l'Usaid, et sous l'impulsion, également, de la banque centrale, plusieurs lois ont été adoptées en 1996, relatives au système bancaire et aux faillites dans ce secteur.

L'amélioration du contrôle, l'établissement par la banque centrale de critères spécifiques pour l'obtention d'une licence, l'augmentation du capital requis (350.000 dollars en 1997, 600.000 dollars en 1998 avec une augmentation progressive jusqu'à 1 million de dollars en 2000) et, plus généralement, l'instauration de certaines normes prudentielles, ont fait baisser le nombre de banques de 80 en 1994 à une trentaine aujourd'hui.

L'ouverture de plusieurs banques étrangères a modifié le paysage bancaire : Midland Armenia Bank, Banque de la mer noire (Grèce), Mellat Bank (banque nationale iranienne), Menatep et Rosski Kredit (Russie).

Le récent redressement spectaculaire de l'Ardshinbank (ancienne banque pour l'industrie et la construction) a consacré l'assainissement du système bancaire arménien.

L'Ardshinbank, qui détenait 80 % des actifs du système bancaire de la république de 1992 à 1995, s'est lancée, comme on l'a vu, dans une politique périlleuse de crédits aux grandes entreprises étatiques, sous la pression du Gouvernement, qui l'a amenée au bord de la faillite à la mi-97. Une solide restructuration et une modification des statuts, ainsi que le recouvrement d'une partie des dettes des entreprises nationales, ont permis un sauvetage inespéré de la banque. Aujourd'hui, l'Ardshinbank négocie avec des investisseurs étrangers une augmentation de capital, ainsi que sa privatisation.

Credit-Yerevan a accédé au système "Mastercard international" en avril dernier, et prévoit une émission de 5000 cartes dans les cinq prochaines années. Créé en 1994, le capital de Credit-Yerevan Bank atteint aujourd'hui 7 millions de dollars.


Bourse des valeurs

La bourse d'Erevan est représentée par une société de droit privé. Elle connaît depuis le début 1997 un développement prometteur, en dépit d'un certain nombre de carences dommageables (législation inadaptée, faiblesse des sociétés opérateurs et des moyens de télécommunication, existence de marchés parallèles).

La privatisation actuelle des grandes entreprises nationales concerne la bourse d'Erevan très directement. Leur entrée sur le marché boursier permettrait d'intéresser directement les Arméniens. Ceux-ci pourraient devenir actionnaires, conjointement avec les grands investisseurs : banques, fonds de placement, voire les investisseurs étrangers.


Assurances

Le développement de ce marché est réglementé par la loi sur les assurances de la république d'Arménie, adoptée en novembre 1996.

Le Gouvernement arménien a ainsi fixé les règlements relatifs aux activités des compagnies d'assurance et à l'octroi des licences de courtiers d'assurances. Ces règlements ont permis à un certain nombre de compagnies d'assurances étrangères d'entreprendre des activités en Arménie.

Il existe actuellement douze sociétés d'assurances en Arménie et un seul courtier. Le développement de leur activité est encore au stade embryonnaire du fait de l'absence de tradition dans ce domaine.

Mais le développement des relations économiques avec l'étranger, l'implantation d'entreprises étrangères et l'augmentation des échanges commerciaux constitue un facteur de développement de ce type d'activités 1 ( * ) .


Tourisme

Dans les années 70-80, l'Arménie recevait en moyenne 100.000 visiteurs (essentiellement soviétiques) par an. En 1994, suite à l'effondrement de l'infrastructure touristique (blocus des voies de communications, conflit du Karabagh, perte de la clientèle russe, etc.), le nombre de visiteurs ne dépassait pas 10.000.

Ainsi, depuis l'indépendance, le tourisme provient essentiellement de la diaspora ou du monde des affaires. La politique de privatisation des infrastructures touristiques (80 % de petites et moyennes entreprises 40 % des grandes entreprises) n'a pas encore porté ses fruits. Les appels d'offres pour la privatisation des trois grands hôtels d'Erevan ont été lancés il y a plus d'un an. Le seul établissement avec de bonnes perspectives, l'hôtel Armenia (479 chambres), devrait être attribué au milliardaire britannique, Vatche Manoukian, qui confierait son exploitation au groupe Marriott.

Le potentiel arménien réside aujourd'hui dans le tourisme culturel voire religieux (nombreuses églises et monastères), et le tourisme vert. Mais son développement ne peut cependant s'envisager que dans un cadre régional, englobant des pays limitrophes.

* 1 Les compagnies d'assurances étrangères commencent à développer leurs activités en Arménie dans un climat très sain ainsi, la compagnie mixte arméno-russe "Aviraz" créée avec la participation de la compagnie russe "avisos" assure la flotte de la compagnie aérienne Armenian Airlines. "Iran insurance" a fondé récemment en Arménie une compagnie d'assurance qui assure le transport des marchandises entre l'Arménie et l'Iran. Les sociétés américaines "Aon", russe "Ingosstrakh" et grecque "Kavalaris" ont conclu des contrats pour réassurer certaines compagnies arméniennes. Après deux années en Arménie, Midland Armenia a ouvert une branche assurance fin mai. L'Afic (Armenian Financial Insurance Company), a été créée en mai, par un consortium de trois banques locales dont Ardshinbank.

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