LE
NIGERIA :
UN PARTENARIAT BIEN COMPRIS
____________________
COMPTE RENDU DE LA VISITE AU NIGERIA
D'UNE DÉLÉGATION DU
GROUPE SÉNATORIAL D'AMITIÉ
FRANCE-AFRIQUE DE L'OUEST
DU 4 AU 10 OCTOBRE 1999
SOMMAIRE
LE NIGERIA : UN PARTENARIAT BIEN COMPRIS
COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION SÉNATORIALE
M.
Jacques LEGENDRE
(
Groupe du Rassemblement pour la
République
), Sénateur du Nord,
Président du Groupe Sénatorial d'Amitié France-Afrique
de l'Ouest.
M. Bernard BARRAUX
(
Groupe de l'Union Centriste
), Sénateur
de l'Allier.
M. Hubert DURAND-CHASTEL
(
Réunion administrative des
sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe
), Sénateur
représentant les Français établis hors de France.
M. Yann GAILLARD
(
apparenté au Groupe du Rassemblement Pour la
République
), Sénateur de l'Aube.
M. Bernard PIRAS
(
Groupe Socialiste
), Sénateur de la
Drôme.
M. François TRUCY
(
Groupe des Républicains et
Indépendants
), Sénateur du Var.
La délégation était accompagnée par Mme Nathalie
DELAPALME, administrateur des services du Sénat, secrétaire
exécutif du Groupe Sénatorial d'Amitié France-Afrique de
l'Ouest.
PROGRAMME DE LA DÉLÉGATION
Lundi 4
octobre
- 10 h 20 : départ Paris-Roissy
- 17 h 30 (locales, - 1 h) : accueil par M. Philippe Peltier, Ambassadeur
de France au Nigeria
- 18 h 30 : réunion de travail avec l'ensemble des chefs
de service de l'ambassade
- 20 h 30 : dîner à l'ambassade avec les chefs de
service
Mardi 5 octobre
- 09 h 00 : visite de la section consulaire de la Chancellerie
- 10 h 00 : Chancellerie - réunion sur la
sécurité dans la région du delta
- Déjeuner : Chambre de commerce franco-nigériane
- 15 h 30 : visite du Lycée français de Lagos
- 17 h 00 : visite du Musée national de Lagos
- 18 h 30 : réception de la communauté
française
- 20 h 30 : dîner avec les conseillers du commerce
extérieur
Mercredi 6 octobre
- 06 h 30 : départ en avion pour Kano (nord)
- 10 h 30 : arrivée à Kano et départ pour le
chantier BEC d'Hadeja : 2 h 30 de route
- 13 h 00 : 14 h 00 : visite du projet
- 14 h 00 : 16 h 30 : retour sur Kano
- 17 h 00 : audience de l'émir de Kano
- 18 h 00 : Ecole française de Kano
- 18 h 30 : Alliance française de Kano
- 19 h 30 : réception de la communauté
française au consulat de Kano
Jeudi 7 octobre
- 08 h 00 : départ en avion pour Abuja
- 10 h 00 : visite de l'Ecole française d'Abuja
- 11 h 00 : entretien officiel avec les Présidents de
groupes et de commissions du Sénat
- 11 h 30 : réunion de travail au Sénat
- 13 h 00 : déjeuner avec les sénateurs
- 15 h 00 - 18 h 00 : - audience du secrétaire d'Etat aux
Affaires étrangères
- audience du ministre de la Coopération et de
l'Intégration
- audience du ministre chargé de l'Education
- 18 h 30 : réception de la communauté
française d'Abuja
- 20 h 00 : dîner à l'invitation du Président
du Sénat
Vendredi 8 octobre
- 07 h 00 : départ en avion pour Lagos
- 10 h 00 : visite d'un atelier d'art contemporain
- 11 h 00 : visite du Centre culturel français
- 13 h 00 : déjeuner à l'ambassade avec les
responsables de l'action culturelle et francophone
- 15 h 00 : réunion de bilan
- 18 h 00 : conférence de presse
- 18 h 30 : départ pour l'aéroport de Lagos
- 22 h 30 : départ pour Paris-Roissy
La délégation sénatoriale tient à exprimer sa plus
vive gratitude à Son Excellence M. Philippe Peltier, Ambassadeur de
France au Nigeria, ainsi qu'à l'ensemble de ses collaborateurs, tout
particulièrement Vincent Süssfeld -à qui a notamment
incombé l'organisation pratique de cette mission- pour leur concours
précieux qui a permis le déroulement parfait et instructif des
travaux de la délégation.
I.- LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA : UN CONGLOMÉRAT ARTIFICIEL ET HÉTÉROGÈNE, MAIS INCONTESTABLEMENT PUISSANT
A
l'aube de l'an 2000, la Fédération nigériane constitue une
entité artificielle, résultat hétérogène des
décisions du colonisateur britannique. Elle recouvre des territoires
fortement contrastés et regroupe des ethnies culturellement antagonistes
et historiquement rivales, dont les dissensions sont aujourd'hui avivées
par des tensions sociales et religieuses renforcées.
Dix ans à peine après l'Indépendance de 1960, la
découverte de ressources pétrolières considérables
a profondément modifié la structure économique, sociale et
politique d'un Etat récent et non encore consolidé, et fait du
Nigeria un "
partenaire incontournable
" des économies
développées.
En quarante années d'existence, l'Etat nigérian aura connu
trente années de régimes militaires divers, une dizaine de coups
d'Etat, une demi-douzaine de transitions interrompues vers la
démocratie, neuf années de gouvernement civil, et trois
républiques désormais défuntes. La quatrième vient
de voir le jour, avec l'élection, en février 1999, d'Olusegun
Obasanjo, général à la retraite.
Campé sur un carrefour géographique stratégique,
regroupant le cinquième de la population du continent africain,
6
ème
producteur mondial de pétrole, le Nigeria
constitue néanmoins désormais, malgré une
instabilité consubstantielle, une des toutes premières puissances
du sous-continent africain.
A.- LE NIGERIA : UN CONGLOMÉRAT INVENTÉ PAR LE COLONISATEUR BRITANNIQUE
I.-
Une mosaïque ethnique
L'analyse de l'évolution historique de ce qui constitue
aujourd'hui, à l'aube de l'an 2000, la République
Fédérale du Nigeria, témoigne d'une complexité
considérable, en fait d'une remarquable
hétérogénéité.
Rien ne
prédestinait à faire vivre ensemble les différents groupes
ethniques et socioculturels qui composent aujourd'hui cet Etat, si ce n'est,
initialement, la volonté du colonisateur britannique
.
Les premières traces de civilisation en Afrique subsaharienne
ont été retrouvées à Nok au nord du confluent du
Niger et de la Benoué, dans le Nigeria central. Certains
spécialistes estiment que la culture Nok s'est développée
depuis la seconde moitié du premier millénaire avant J-C jusqu'au
second siècle de notre ère et qu'elle représente " la
souche ancestrale dont provient, pour une grande part, la tradition sculpturale
de l'ouest africain "
1(
*
)
.
La délimitation géographique tracée par le
" Y " que forment le fleuve Niger et son confluent la Benoué
en direction du Cameroun, permet, de façon grossière, de
distinguer les trois principaux groupes ethniques d'un Etat qui en compte au
total environ deux cents cinquante
2(
*
)
: les Haoussas-Fulanis au nord, qui
représentent aujourd'hui environ 40 à 45 % de la population, les
Yoroubas au sud-ouest -environ 20 à 25 % de la population- et les Ibos
au sud-est -de 10 à 15 % de la population. Le tiers restant de la
population est constitué de minorités multiples, les principales
étant les Kanouris, les Noupés et les Tivs au nord, les Efiks,
les Ijaws, les Itsekiris et les Ibidios dans le sud-est.
En réalité, la plupart des spécialistes
s'accordent aujourd'hui à considérer que ces " petites
ethnies " forment
de facto
un quatrième " bloc ",
très hétérogène, mais aussi très influent,
car notamment très représenté au sein de l'armée et
des Etats pétroliers du sud, et particulièrement habile à
nouer des alliances complexes et variables.
a.-
Au nord : la société haoussa-fulani à
dominante islamique
Enracinement de l'islam dès le XV
ème
siècle
L'histoire des Etats haoussas, qui occupaient le nord-est de
l'actuel Nigeria, est connue depuis le XI
ème
siècle.
L'introduction de l'islam dans les régions du nord remonte
au IX
ème
siècle. Considérablement
renforcé par le développement du commerce avec les pays arabes
à partir du XV
ème
siècle, l'islam a fortement
consolidé les structures déjà en place dans les
cités-Etats haoussas tournées vers le commerce transsaharien. Le
califat de Sokoto, en particulier, constitue depuis cette époque une
entité politique affirmée et homogène, sur laquelle les
colonisateurs britanniques choisiront de s'appuyer en la confortant encore
davantage.
La prédominance commerciale de la grande ville
caravanière de Kano atteint son apogée à la fin du
XV
ème
siècle. Dès le début du
XVI
ème
siècle, la ville de Katsina, qui rivalise pour
la domination du commerce en pays haoussa, est également un centre
réputé d'études islamiques. Les deux cités
constituent alors d'importants marchés d'esclaves à destination
du monde arabe.
La " guerre sainte " (djihad) d'Usman dan Fodio au
début du XIX
ème
siècle
Premiers peuples islamisés d'Afrique Noire, les Peuls
(Fulanis au Nigeria) mènent, à partir de 1804, sous la conduite
de Usman dan Fodio, un
djihad
victorieux contre l'islam impie des rois
haoussas décadents. Ils structurent alors définitivement sous
hégémonie peule les royaumes haoussas transformés en
émirats, sous la règle des deux califats de Sokoto (à
l'ouest) et de Gwandu (à l'est). En 1830, tout le nord du Nigeria
-à l'exception de l'Empire du Bornou
3(
*
)
- est régi par un système
uniforme de gouvernement. Son unité ne se fonde pas sur la contrainte
mais sur une obédience politique et religieuse unanime au
Shehu
,
le Commandeur des croyants, installé à Sokoto. Au terminus des
routes caravanières du Sahara et de Tombouctou, Kano confirme, pour sa
part, son statut de capitale économique.
Une homogénéité relativement forte
construite par la religion musulmane
Avec des nuances, il semble que Peuls et Haoussas se soient
désormais presque harmonieusement mélangés, autour de la
religion musulmane peule, et de la langue, des institutions et des coutumes
haoussas.
Seules les zones les plus septentrionales et l'ancien sultanat du
Bornou, adversaires traditionnels des " djihadistes " et
premières victimes des négriers musulmans, refusèrent
toujours toute islamisation. Le nord reste ainsi parsemé de poches
christianisées peuplées d'ethnies minoritaires.
On peut aujourd'hui distinguer deux grandes
sous-régions : le
Far-North
, adossé à la
frontière du Niger, qui regroupe les anciens émirats des
sultanats de Sokoto et Borno, et reste dominé par l'ensemble
ethnico-religieux des Peuls-Haoussas islamisés, avec quelques
îlots christianisés, et le
Middle Belt
, beaucoup moins
homogène, peuplé par une mosaïque de minorités
historiquement païennes, récemment islamisées ou
christianisées, qui n'ont en commun que le refus de
l'hégémonie haoussa.
b.-
Au sud-ouest : présence historique des Yoroubas
L'homogénéité culturelle la plus forte
à l'origine
La civilisation yorouba est notamment caractérisée
par une forte urbanisation, tout à fait exceptionnelle en Afrique Noire
précoloniale
4(
*
)
et
un régime peu centralisé dans lequel les provinces sont quasiment
autonomes. Apparus au XI
ème
siècle, les royaumes
yoroubas fondent leur unité sur une langue, une culture et une origine
communes. La ville sacrée d'
Ifé
, considérée
comme le berceau de la civilisation yorouba, est le siège de
l'
ori
, chef religieux suprême.
L'Empire d'Oyo
est la formation politique la plus puissante
et la plus organisée qu'ait connue le Golfe de Guinée
jusqu'à la colonisation. Doté d'une cavalerie puissante et bien
organisée, il assied son pouvoir économique sur le
développement de la traite négrière (via le port de Ajase,
actuel Porto-Novo) à partir du XVI
ème
siècle.
Il décline au XIX
ème
siècle, sous l'effet
conjugué des rivalités inter-yorouba, de l'affaiblissement de son
pouvoir militaire et de l'avancée de la
djihad
fulani venue du
nord.
Plus à l'est, le
royaume de Bénin
5(
*
)
, de souche purement africaine,
fondé vers le XIII
ème
siècle, se
développe en dehors de toute influence islamique. Il connaît son
apogée au XV
ème
siècle
6(
*
)
, et assoit sa prospérité
sur les échanges commerciaux (esclaves, puis produits palmistes),
d'abord avec les Portugais, puis avec les Européens.
Une ouverture précoce à l'influence
européenne et au christianisme
Ces deux royaumes, surtout celui de Bénin, sont les premiers
à nouer des liens -de nature égalitaire- avec les Portugais et
avec la Papauté. Dès 1597, le roi de Warri reçoit une
éducation portugaise en Angola et adopte la religion chrétienne.
En 1600, il envoie son fils étudier au Portugal à Coimbra, avec
une bourse du roi Philippe VII du Portugal. Son successeur confirme l'ouverture
du royaume aux Portugais et demande au Pape l'envoi de missionnaires (1652). Le
commerce des esclaves, puis, après son abolition en 1807, celui des
produits palmistes, contribuent à renforcer les échanges avec les
européens.
De fait, le paysage politique de cette région reste
aujourd'hui encore marqué par les activités
évangélisatrices et éducatives des missions
chrétiennes. Celles-ci toutefois n'ont guère modifié les
traits fondamentaux de la civilisation yorouba : panthéon religieux
toujours vivace comportant plus de 400 dieux, ancêtres des lignages et
esprits des forces de la nature, rôle essentiel des
sociétés secrètes religieuses
(ogboni)
7(
*
)
, forte organisation familiale qui
perdure, existence fort ancienne de guildes professionnelles protégeant
les intérêts de chaque métier spécialisé,
importance du commerce.
Conflits interethniques et diaspora
Pourtant la plus homogène au départ, l'ethnie yorouba
reste toutefois marquée par de constantes rivalités
régionales qui remontent aux conflits ancestraux entre le royaume d'Oyo
et les royaumes côtiers esclavagistes d'Ibeju et Abeokuta.
Ayant depuis le XV
ème
siècle
constitué la quasi-majorité des esclaves exportés en
Amérique du sud, aux Caraïbes et à Cuba, les Yoroubas
bénéficient aujourd'hui d'une importante diaspora,
particulièrement solidaire au niveau international.
Bénéficiant souvent d'un niveau de formation élevé,
ils sont aujourd'hui très présents à tous les niveaux de
la vie nigériane -politique, économique, administratif,
culturel
8(
*
)
.
c.-
A l'est : prédominance disputée des Ibos,
démocratie directe et sociétés
" anétatiques "
La tentation sécessionniste du Biafra
Aujourd'hui concentrés au sud-est du Nigeria, les Ibos
représentent une population -estimation approximative et très
difficile à vérifier- d'environ 16 millions d'individus. Ils
" fournirent " entre le XV
ème
et le
XVIII
ème
siècle, l'essentiel du marché
côtier des esclaves de Bonny, privilégié par les
européens.
Le système de gouvernement des Ibos est, dès
l'origine, marqué par la " démocratie
directe "
9(
*
)
: si le
chef est chargé du maintien de la tradition, les décisions sont
prises par l'assemblée du village.
En 1966, la permanence des revendications à l'autonomie des
minorités ibo du sud-est culmine dans une succession de coups d'Etat
militaires et de répressions féroces qui touchent notamment les
Ibos. Deux millions de réfugiés ibos quittent alors le nord pour
regagner le sud-est. La région fait sécession le 30 mai 1967 et
proclame
l'indépendance de la République du Biafra
,
initiant ainsi une guerre de 29 mois qui fera près de deux millions de
morts, victimes civiles pour la plupart de famine et de malnutrition.
Des ethnies minoritaires violemment activistes
Il importe toutefois de souligner que l'aventure
sécessionniste ibo de 1967 est restée constamment
contestée par une multitude de petites ethnies, laissant des traces
profondes encore sensibles aujourd'hui. Celles-ci contribuent à raviver
les fractures de la période esclavagiste, qui a enraciné de
profondes rancoeurs entre les peuples razziés de l'intérieur (les
Ibos) et les peuples razzieurs côtiers (les Ijaws).
Parmi ces ethnies minoritaires, on trouve notamment les
Ogonis
, petite minorité d'environ 500.000 personnes vivant dans
le delta du Niger sur des territoires hautement pétrolifères et
aujourd'hui ravagés par la pollution. Ils sont à l'origine d'un
puissant mouvement revendicatif, le MOSOP (
Mouvement for Survival of Ogoni
People
) aujourd'hui relayé par de nombreuses ONG occidentales. Ce
sont les principaux artisans de la recrudescence des actes de violence et de
vandalisme à l'encontre des compagnies pétrolières.
Transformés en " martyrs " par l'exécution de leur
leader, Ken Saro-Wiwa, le 11 octobre 1995, ils multiplient aujourd'hui des
affrontements marqués par une durée et une cruauté
croissantes, et vraisemblablement " alimentés " par les armes
et les " vétérans " issus des conflits voisins
(Liberia, Sierra Leone).
Beaucoup plus importante en nombre -6 millions environ- l'ethnie
des
Ijaws
, présents dans la quasi-totalité des Etats
pétroliers, est également politiquement très
structurée au sein du
Congrès National des Ijaws
.
d.-
Une donnée importante : un siècle et demi de
traite des esclaves
En fait, la " cohérence " des trois principaux
groupes ethniques -Haoussas-Fulanis, Yoroubas, Ibos- doit être
relativisée. Quasi-inexistante avant l'ère coloniale, elle a
surtout résulté de la politique du colonisateur britannique et du
recours à l' "
indirect rule
".
Malgré certains temps forts de " mobilisation
tribale ", largement utilisés par les élites au pouvoir, les
pesanteurs des conflits interethniques du passé et des antagonismes
entre anciens royaumes, émirats et empires demeurent toujours
très vifs.
Il convient notamment de ne pas sous-estimer le poids de
" l'héritage " laissé par le passé esclavagiste
de certaines ethnies. Il constitue en effet un facteur essentiel d'explication
des antagonismes -plus ou moins latents- contemporains.
Jusqu'à la seconde moitié du XIX
ème
siècle, la traite des esclaves, dont le Golfe de Guinée fut
durant toute la période un pourvoyeur essentiel, constitue une
donnée historique fondamentale. Il est aujourd'hui reconnu que, à
cet égard, les négriers européens et musulmans ont
été largement " assistés " par des appareils
négriers africains parfaitement organisés
10(
*
)
.
Il est clair que, dans ce cadre, l'apparition de rapports
dominant-dominé a été constante et les sources de conflits
interethniques nombreuses.
L'interdiction de la traite par la Grande-Bretagne en 1807, par la
France en 1831, puis par le Congrès de Berlin en 1885 est loin de mettre
un terme à des trafics qui continueront de se dérouler de
façon autonome, sous " gestion locale ".
Yves Lacoste n'hésite pas à faire des systèmes
" africains " de traite l'un des principaux facteurs,
rémanents, des conflits interethniques contemporains
11(
*
)
.
" La faiblesse des appareils d'Etat dans la plupart des pays
d'Afrique tropicale, la persistance en leur sein d'une très grande
diversité ethnique, le fait qu'ils ne soient pas encore des
Etats-nations sont dans une grande mesure, à mon avis, les
conséquences de l'oppression que les appareils négriers les plus
puissants ont exercée jusqu'à une période relativement
récente sur les interethnies. Ce n'est pas parce que les
frontières de ces Etats ont été tracées plus ou
moins arbitrairement par les colonisateurs que l'on devrait les
considérer comme fâcheuses, c'est parce qu'elles rassemblent
aujourd'hui des groupes ethniques entre lesquels existent
de très
lourds contentieux
. Ce sont ces contentieux qui expliquent qu'autour de
fortes ethnies les phénomènes d'attraction et d'acculturation ne
soient guère exercées sur les groupes plus petits qui restent
chacun cramponnés à leur identité culturelle.
" ... Dans bon nombre d'Etats africains, ce sont les anciennes
ethnies négrières qui exercent encore aujourd'hui le pouvoir.
D'abord en raison de leur poids démographique (elles ne furent pas
soumises aux ponctions esclavagistes), en raison aussi de leur localisation
littorale (et donc commerçante).
Y. Lacoste cite ici le cas des
Yoroubas
(1987).
" Certes, en comparaison des dix siècles de la traite
arabe et des trois ou quatre siècles de la traite européenne, la
période de traite intra-africaine massive dura relativement peu et
personne n'en parle guère aujourd'hui. Mais c'est sans doute celle dont
les conséquences géopolitiques actuelles sont les plus graves,
car c'est
la plus récente
. Les luttes qu'elle a provoquées
sont encore dans toutes les mémoires...
" Ces tensions, même celles qui ne sont pas
formulées ouvertement, empêchent le développement d'une
idée nationale, dans la plupart des Etats d'Afrique, ce qui
détermine, à mon sens, pour une grande part non seulement leurs
faiblesses, mais aussi leur incurie et leurs exactions. "
Montée des tensions ethniques depuis l'élection présidentielle
mai
: Warri (delta du Niger) : affrontements entre Ijaws et
Itsekiris : 200 morts.
10 juillet
: affrontements entre Yoroubas et Haoussas à
Sagamu (delta du Niger) : 70 morts.
27 juillet
: émeutes à Kano entre Yoroubas et
Haoussas : 30 morts
30 juillet
: affrontements entre Ijaws et Ilajes dans l'Etat
d'Ordo : 50 morts.
septembre
: affrontements entre Ijaws et Ilajes dans l'Etat d'Ordo
(sud-ouest) : 3 morts.
25 octobre
: affrontements entre Yoroubas et Ijaws à
Lagos : environ 20 morts.
30 octobre
: émeutes à Lagos entre Yoroubas de
l'OPC
12(
*
)
et Ijaws : 12
morts.
2 novembre
: nouveaux affrontements à Lagos entre les
mêmes : 7 morts.
15 novembre
: affrontements à Warri entre Ijaws et
Itsekiris : 18 morts.
25-26 novembre
: affrontements entre Yoroubas et Haoussas à
Lagos : 100 morts. Fuite de centaines de Haoussas vers le nord. Les
émeutes ont vraisemblablement été
déclenchées par des partisans de l'OPC Cette flambée de
violence, la plus forte depuis l'arrivée au pouvoir du Gouvernement
civil, a fait monter la tension d'un cran.
- "
Le Gouvernement n'a rien fait. Nous avons besoin de la
police. C'était mieux sous le régime militaire
"
(déclaration AFP d'un chef haoussa).
- Le Président Obasanjo aurait ordonné de "
tirer
à vue
" sur les manifestants.
26 novembre
: des agents de la sécurité
nigériane indiquent avoir découvert à Kano un projet de
représailles contre les Yoroubas, fomenté par les Haoussas.
1er décembre
: s'exprimant sur l'ordre du " tir
à vue " donné par le Président Obasanjo, le
Président d'une des deux factions de l'OPC déclare :
"
il s'agit d'un ordre dangereux, donné par un Président
mal informé et qui comporte un danger de génocide
".
15 décembre
: mise à sac de la clinique du Docteur
Frederick Fashun, leader de l'aile modérée de l'OPC : 1 mort.
1er janvier
: affrontements à Lagos entre des membres de
l'OPC et Haoussas : 5 morts.
5 janvier
: affrontements à Lagos entre des membres de
l'OPC et des Haoussas : 40 morts à Lagos.
- affrontements à Ibadan entre Yoroubas et Haoussas : 10
morts.
II.-
La colonisation britannique et la création du
Nigeria
a.-
Le prétexte initial : l'interdiction de la traite des
esclaves
Au cours de la seconde moitié du XIX
ème
siècle, le Soudan central et la
Côte des esclaves
sont
l'enjeu des stratégies impériales européennes opposant
notamment la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne. La Grande-Bretagne
l'emporte, se fait le champion de l'interdiction de la traite des esclaves sur
la côte du Golfe de Guinée à partir de 1840 et multiplie
les relations diplomatiques et commerciales d'abord avec les royaumes du
littoral, puis en progressant -difficilement- vers le nord par une série
d'expéditions
13(
*
)
.
Dans le delta du Niger et à l'est de celui-ci, les
britanniques s'efforcent de maîtriser les hégémonies
côtières (notamment Warry, Bonny et Calabar) en s'appuyant sur la
marine britannique dont la présence constante est censée
éliminer le trafic d'esclaves.
En pays yorouba, à l'ouest, jouant sur les conflits
dynastiques locaux, ils s'installent à Badagry, puis à Lagos,
transformée en Colonie de la Couronne en 1886. La présence
d'anciens esclaves occidentalisés et des missions protestantes constitue
alors un appui notable.
Au nord, la pénétration britannique est l'oeuvre d'une
compagnie commerciale à charte royale
14(
*
)
, la
Royal Niger Company
, qui,
ayant évincé les Français de l'axe
Niger-Bénoué, conclut une série de quasi-protectorats avec
les chefferies et émirats septentrionaux, puis avec le califat de
Sokoto. En 1899-1900, le Gouvernement britannique rachète les droits de
la
Royal Niger Company
, se substitue à elle et constitue un
Protectorat du nord confié à Sir Henry Lugard. La conquête
de Sokoto par les britanniques le 19 mars 1903 assoit définitivement
leur position.
b.-
L'application de l'
indirect rule
et la prédominance
donnée au nord
Au début du XX
ème
siècle, les
possessions britanniques se composent du
Protectorat du nord
, du
Protectorat-Colonie du sud
et de la
Colonie de Lagos
. En 1906, la
Colonie de Lagos et le Protectorat du sud sont fusionnés.
Les deux
protectorats sont " amalgamés " en une
unité
commune, appelée Nigeria, en 1914
, regroupant la
Northern
Region
et la
Southern Region
, dotées chacune d'une
administration et d'une réglementation propres.
Sir Henry Lugard, nommé Gouverneur général du
Nigeria, inaugure au Nigeria la politique d'
indirect rule
dont il est le
théoricien. Les Britanniques s'emploient alors à conforter les
structures islamisées
15(
*
)
,
monarchistes et médiévales d'un nord qui leur paraît plus
structuré, par opposition à un sud déjà nettement
ouvert aux influences occidentale, chrétienne et panafricaniste.
En réalité, si l'
indirect rule
correspondait
bien à la société stratifiée du nord, où le
conquérant fulani percevait déjà l'impôt depuis
longtemps, le système ne put jamais vraiment fonctionner avec les
sociétés ibos de l'est, peu intègrées, et sans
organes représentatifs, ni même à l'ouest chez les
Yoroubas. Faute de chefs traditionnels suffisamment influents, l'administration
britannique dut désigner des
warrant chiefs
, méthode qui
se révèla généralement peu probante, notamment en
pays ibo.
L' " indirect rule "
Système d'administration coloniale (utilisé également en
Inde avec les Maharadjahs) consistant à utiliser le relais des chefs
coutumiers à l'échelon local en les établissant à
la tête d'une "
native authority
" (autorité
indigène), -à la fois aire de juridiction et autorité de
pouvoir- pour percevoir l'impôt et faire régner l'ordre en
échange de faibles avantages.
Tous les ordres donnés par les Hauts Commissaires britanniques
transitent par l'intermédiaire de l'autorité indigène.
Outre des économies de fonctionnement, le système permet sans
doute un enracinement plus solide des nouvelles règles d'administration.
"
Trouver un homme d'influence pour être chef, placer sous son
autorité autant de villages et de districts que cela est possible, lui
déléguer certains pouvoirs, l'intéresser au budget de la
Native Authority et lui inculquer le sens des responsabilités
"
(Sir Henry Lugard)
16(
*
)
.
III.-
Mise en place difficile d'une démocratie
fédéraliste : multiplication constante des composantes de la
Fédération, succession des coups d'Etat militaires
a.-
Nationalisme, régionalisme, " tribalisme "
Au total, l'influence de la colonisation britannique reste moins
marquée, plus " furtive " que ne le furent les colonisations
d'administration directe française, allemande ou portugaise dans les
pays voisins. De fait, dès les années 20, un fort courant
" nationaliste " émerge avec Herbert Macaulay, qui fonde le
Nigerian National Democratic Party
, initialement cantonné
à la capitale.
Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le principe
de la colonisation est nettement remis en cause. La radicalisation des
mouvements sociaux et la multiplication des associations ethniques ou
politiques conduisent à la formation de trois grands partis dont les
bases électorales coïncident à peu près avec les
trois régions qui seront consacrées en 1954 lors de la
transformation du Nigeria en Etat fédéral : à l'est,
le
National Council for Nigeria and Cameroons
(NCNC) de Nnamdi Azikiwe
(futur Président de la Première République),
institué en 1944, essentiellement composé d'Ibos, à
l'ouest, l'
Action Group
de Obafemi Awolowo, fondé en 1945 par des
étudiants yorouba de Londres, au nord, le
Northern People's
Congress
(NPC) de Ahmadu Bello, créé en 1949 en pays haoussa.
Le partage qui se dessine alors entre les "
Big
three
" -trois régions, quasi assimilables à trois
ethnies et à trois partis- doit toutefois être très
nuancé. Chaque " bloc " régional reste en effet
marqué par d'importantes et multiples fractures internes, même si
le nord, à dominante musulmane, bénéficie d'une
identité régionale plus claire et mieux affirmée,
notamment sous la férule intelligente de Ahmadu Bello,
sardauna
de Sokoto de 1954 à 1966.
De fait, dans la construction de cet Etat fédéral
moderne, le rôle joué par les
unions tribales
-particulièrement actives dans le sud
17(
*
)
- a vraisemblablement été
supérieur à celui des partis nationalistes, qui avaient
finalement peu d'assise dans le pays profond.
b.-
Bégaiement des régimes : en quarante ans, 4
républiques, 10 coups d'Etats, 30 ans de régime militaire
A l'Indépendance, en 1960, le régime adopté
pour la Première République est celui d'une démocratie
parlementaire de type occidental. Les forces centrifuges du
régionalisme, la multiplication des tensions politiques, les
difficultés d'une économie qui ignore encore la " manne
pétrolière " culminent avec la guerre civile du Biafra qui
durera de 1966 à 1970, et mettent définitivement fin au premier
régime civil du Nigeria.
Lui succède, de 1970 à 1979, un régime
militaire fort, centralisé, qui contrôle les principales
ressources du pays, en particulier le pétrole, qui fait une apparition
soudaine et massive en 1970.
La Deuxième République mise en place en 1979, sur le
modèle présidentiel américain, fonctionne sur une
séparation plus nette des pouvoirs exécutif, législatif et
judiciaire, avec une nette prépondérance du Président,
Chef des armées, élu pour 4 ans et doté de vastes
pouvoirs. Le caractère fédéral est accentué,
confirmant la marque centralisatrice léguée par la guerre civile
et la présence de l'armée au pouvoir. Une attention
particulière est accordée au principe d'égalité de
traitement entre tous les Etats -le sacro-saint "
caractère
fédéral
"
18(
*
)
. La Deuxième République
s'effondre toutefois quatre ans plus tard, en 1983, anéantie par une
corruption massive, la multiplication des fraudes électorales et la
contestation croissante des modalités de "
partage du
gâteau
" pétrolier. La période est par ailleurs
marquée par une montée des crispations religieuses. Enfin, la
chute du cours du baril enclenche dès 1980 une profonde récession
économique.
De 1983 à 1999, se succèdent ensuite de manière
quasi ininterrompue des régimes militaires, jusqu'à
l'élection, en février 1999, de l'ancien général
Olusegun Obasanjo, qui avait déjà assuré, en 1976-1978, la
transition vers un régime civil.
Evolution institutionnelle du Nigeria
1946
:
première constitution du Gouverneur
général Richards . Promulguée sans aucune consultation des
nigérians, elle ne fut jamais appliquée.
1951
: première constitution Mac Pherson, issue de la
conférence institutionnelle d'Ibadan. Elle est déclarée
caduque d'emblée.
1952
: constitution Lyttleton. Le Nigeria devient un Etat
fédéral (3 régions, 1 capitale) doté d'un
système parlementaire. La représentation du nord égale
celle du sud tout entier. La redistribution des ressources est assurée
en fonction des besoins régionaux.
1954
: deuxième constitution Mac Pherson. Renforcement de
la partition du Nigeria en trois gouvernements, régionalisation de la
fonction publique et de la magistrature.
Octobre 1959
: premières élections
générales. Aucune des trois principales forces politiques
n'obtient la majorité des suffrages.
1
er
octobre 1960
: indépendance du
Nigeria
.
1960-1966
: Première
République
(Président : Nnamdi Azikiwe).
mai 1962
: proclamation de l'état d'urgence. Arrestation
de O. Awolowo (chef du NCNC)
février 1964
: première " guerre civile ".
Forte rébellion tiv dans le nord. Création d'une quatrième
région (Midwest).
novembre 1965
: élections partielles dans l'est et l'ouest
dans un climat de violence politique inégalé.
1966-1978
: succession de
régimes militaires
.
14 janvier 1966
: premier coup d'Etat militaire (assassinat de 27
personnalités, dont le Premier ministre et le ministre des Finances de
la Fédération et les deux Premiers ministres du nord et de
l'ouest), suivi immédiatement d'un contrecoup d'Etat conduit par le
général Aguiyi-Ironsi, chef d'état major ibo des forces
armées. Les régions sont supprimées, les partis politiques
et les unions tribales abolis. Annonce de l'abolition du Gouvernement
fédéral.
29 juillet 1966
: assassinat du général
Aguiyi-Ironsi. Mutineries générales. Arrivée au pouvoir du
colonel Gowon. Début des massacres d'Ibos dans le nord.
12 septembre 1966
: ouverture d'une conférence
constitutionnelle à Lagos.
30 septembre 1966
: série de pogroms organisés dans
le nord, visant essentiellement les Ibos. Afflux massif de
réfugiés ibos vers le sud-est.
30 mai 1967
: sécession de la région de l'est.
Proclamation de l'Indépendance de la République du Biafra.
juillet 1967-janvier 1970
: guerre du Biafra.
14 janvier 1970
: reddition du Biafra. Politique de
réconciliation nationale. " Découverte " du
pétrole. Annonce d'un retour à la démocratie pour 1976.
1973
: recensement contesté. Montée de l'agitation
autour de la création de nouveaux Etats. Perte de contrôle du
Gouvernement fédéral sur les gouverneurs locaux.
1
er
octobre 1974
: ajournement
sine die
du
transfert des pouvoirs aux structures décentralisées.
Montée des revendications sociales pour le partage du
" gâteau " pétrolier.
29 juillet 1975
: coup d'Etat militaire, conduit par le
général Murtala Mohammed. Démission des gouverneurs
militaires. Annulation du recensement. Mise en place d'une " campagne de
lutte contre la corruption ". Licenciement de 10.000 fonctionnaires.
13 janvier 1976
: assassinat du général Murtala
Mohammed. La succession est assurée par le général
Olusegun Obasanjo.
avril 1976
: création de 7 nouveaux Etats.
21 septembre 1978
: promulgation d'une nouvelle Constitution qui
prévoit un régime de type présidentiel avec une nette
séparation des pouvoirs exécutif, législatif et
judiciaire. Confirmation du principe fédéral
19(
*
)
avec 19 Etats. Toutefois, 92
constituants musulmans boycottent les travaux à cause du refus des
autres parlementaires d'envisager l'établissement d'une juridiction
fédérale d'appel spécifique aux affaires de droit musulman
(
charia
). Cette question demeurera non tranchée.
juillet-août 1979
: consultations électorales
relativement paisibles. Majorité pour le National Party of Nigeria (NPN)
de Shehu Shagari, élu Président de la République.
1
er
octobre 1979
: mise en place de la
II
ème
République
. Remise " paisible "
du pouvoir au nouveau régime civil par la junte militaire,
conformément aux engagements pris par le général Murtala
Mohammed en 1975.
1979-1983 :
Deuxième
République
.
1983-1993
: régimes militaires
:
1983
: coup d'Etat militaire, conduit par le général
Mohammed Buhari. Démission du Président, dissolution des
assemblées, abrogation de la Constitution. Nouvelle campagne d'
" assainissement " mal ressentie dans une conjoncture
économique fortement récessive avec la chute du cours du baril.
27 août 1985
: prise du pouvoir par le général
Ibrahim Babangida. Il s'engage à organiser une transition vers un
régime civil et conclut avec le FMI un programme d'ajustement structurel
(PAS).
1987
: adhésion du Nigeria à l'Organisation de la
Conférence Islamique. Création de deux Etats
supplémentaires.
mars 1989
: mise en place d'une assemblée constituante aux
pouvoirs limités. En particulier, la question de la
charia
est
à nouveau écartée.
mai 1989
: série d'émeutes étudiantes
à Lagos, Ibadan et Benin City, liées à la
dégradation de leurs conditions de vie. Plusieurs dizaines de morts.
octobre 1989
: dissolution des formations politiques retenues par
la Commission électorale nationale. Répression violente.
22 avril 1990
: échec sanglant d'un coup d'Etat militaire.
décembre 1990-août 1992
: succession
d'élections, marquées par des fraudes et des assassinats
politiques.
août 1991
: création de neuf Etats
supplémentaires.
octobre 1992
: annulation des primaires présidentielles.
Le scrutin est reporté au 12 juin 1993.
12 juin 1993
: élection présidentielle. Victoire de
Moshood Abiola. Nouvelle annulation des résultats. Deux mois
d'affrontements sanglants.
août-novembre 1993
: Troisième
République
27 août 1993
: démission du général
Babangida. Transmission du pouvoir à un gouvernement civil
intérimaire placé sous l'autorité d'un civil : Ernest
Shonekan.
Novembre 1993-février 1999
: régimes
militaires
17 novembre 1993
: démission " obligée "
de E. Shonekan. Passation des pouvoirs au général Sani Abacha.
Interdiction des deux principaux partis. Dissolution des assemblées.
Abrogation de la Constitution. Arrestation de Moshood Abiola et de Olusegun
Obasanjo.
10 novembre 1995
: exécution par pendaison de Ken
Saro-Wiwa, Président du MOSOP et de huit militants ogonis. Le Nigeria
est exclu du Commonwealth. Le régime se durcit considérablement
et le Nigeria est marginalisé sur la scène internationale.
juin 1998
: décès du général Abacha.
Intérim assuré par le général Abubakar.
juillet 1998
: décès de Moshood Abiola.
Février 1999
-.......... : Quatrième
République
27 février 1999
: élections présidentielles.
Election de Olusegun Obasanjo avec 70 % des voix.
Mise en place de la
IV
ème
République
.
5 mai 1999
: promulgation de la nouvelle Constitution.
15 novembre 1999
: réintégration au sein du
Commonwealth.
c.-
La " scissiparité " de la
Fédération nigériane
20(
*
)
Le fédéralisme nigérian apparaît
généralement, au mieux, comme le seul moyen de concilier les
exigences d'un régime de type présidentiel avec les
revendications régionalistes de " pays " traditionnels
très puissants, au pire, comme la seule alternative au chaos.
Le Nigeria est ainsi passé de deux à quatre
régions (
Northern, Western, Eastern, Midwest
), puis de 12
à 49 Etats et comprend en outre plus de 600 collectivités
locales
21(
*
)
, soumises à un
processus de fragmentation incessant.
De fait, dénuées de la légitimité
historique des chefs traditionnels, et du pouvoir de coercition du Gouvernement
fédéral, faiblement dotées de ressources pour le moins
incertaines et d'institutions peu représentatives, les
" collectivités locales " nigérianes constituent des
échelons artificiels et peu respectés
1
.
" Faute de légitimité historique, de compétences
exécutives et de moyens financiers, les conseils des
collectivités locales demeurent une greffe étrangère au
terroir et les problèmes continuent d'être traités par
d'autres canaux d'expression (lignages, réseaux d'influence,
clientèles des chefs traditionnels), qui, parfois, empiètent sur
le système de gouvernement moderne "
22(
*
)
.
Cette caractéristique a été ressentie par la
délégation sénatoriale française, lors des
différents entretiens qu'elle a pu avoir avec les sénateurs
nigérians, qui sont apparus essentiellement préoccupés par
l'annulation de la dette nigériane et la récupération de
l'argent détourné par les anciens dirigeants.
La Fédération nigériane
1914
: constitution du Nigeria par fusion des Protectorats
britanniques du nord et du sud.
maintien de
2 régions
:
Northern Region
et
Southern Region
, cette dernière elle-même subdivisée
en
Western Region
et
Eastern Region
.
1954
: constitution d'un Etat fédéral formé
de
3 régions
(
Northern, Western, Eastern
) et une capitale
fédérale (Lagos).
1963
: création d'une
quatrième région
(
Midwest
).
1967
:
12 Etats
: 6 Etats pour la
Northern
Region
; 3 Etats pour la
Western Region
; 3 Etats pour
l'
Eastern Region
.
30 mai 1967
: sécession de l'
Eastern Region
, sous le
nom de " République du Biafra ".
1975
: passage à
19 Etats
dans la nouvelle
Constitution.
1987
: création de 2 Etats supplémentaires =
21 Etats
.
1991
: création de 9 Etats supplémentaires et 256
collectivités locales nouvelles, soit un total de
30 Etats
.
1993
: création de 29 Etats nouveaux, soit un total de
49 Etats
, plus le territoire de la nouvelle capitale Abuja.
IV.-
Entrée dans le troisième
millénaire : le spectre de la violence
a.-
Un tripode supplémentaire : l'appartenance
religieuse
Les tensions régionales et interethniques sont clairement
renforcées par les appartenances religieuses. Bien que en principe
" laïque ", la Fédération du Nigeria est en butte
à de nombreuses luttes religieuses pour la désignation des
principales autorités politiques, institutionnelles et militaires.
Ainsi, les chrétiens s'émeuvent de la mention de la
charia
dans les différentes institutions, du financement des mosquées et
du pèlerinage à La Mecque par le Gouvernement
fédéral, de l'adhésion du Nigeria à l'Organisation
de la Conférence Islamique. Les musulmans, pour leur part,
dénoncent la prédominance d' " infidèles " dans
les forces armées, l'utilisation officielle de l'anglais et du
calendrier chrétien, l'appartenance du Nigeria au Commonwealth,
présidé par la Reine d'Angleterre, chef de l'Eglise anglicane.
La carte religieuse du Nigeria ne recouvre que grossièrement
celle des trois grands blocs ethniques et régionaux. Les musulmans,
largement majoritaires dans le nord du pays et chez les Haoussas, progressent
désormais chez les Yoroubas du sud-ouest
23(
*
)
. Le Nigeria est, de fait, le plus
important pays musulman de l'Afrique de l'Ouest. Près de 50 millions de
Nigérians pratiquent un islam majoritairement sunnite.
Les chrétiens, majoritaires au sein des ethnies du sud,
principalement chez les Ibos, sont également présents chez les
ethnies minoritaires de la
Middle Belt
et du sud-est.
Les adeptes des " cultes ancestraux ", encore très
actifs chez les ethnies du sud, principalement les Yoroubas, font
désormais de nouveaux fidèles
24(
*
)
.
b.-
Montée des tensions, multiplication des affrontements
Loin d'être homogènes, les trois " blocs "
connaissent depuis une trentaine d'années une multiplication des lignes
de fractures internes, qui se traduit par la montée des tensions et
d'affrontements, dont la violence se renforce.
Ainsi, au nord, la communauté musulmane, majoritairement
sunnite, est divisée par l'existence de plusieurs obédiences dont
les luttes d'influence sont parfois sanglantes : d'abord entre la
confrérie fondamentaliste
Izala
et les confréries soufies
Tijane
25(
*
)
et
Gadiri
26(
*
)
, puis plus
récemment avec l'apparition du chiisme (création en 1980 de
l'
Islamic Movement of Nigeria
). Le chef actuel du mouvement chiite,
Ibrahim El Zakzoky, s'appuie efficacement sur le ressentiment des populations
musulmanes à l'encontre des autorités politiques et religieuses
corrompues, pour réclamer, depuis 1981, la création d'un Etat
islamique nigérian, et déstabiliser l'autorité ancestrale
des chefs traditionnels. La " greffe " de l'intégrisme prend
notamment efficacement chez les jeunes, victimes d'un exode rural massif, et
paupérisés dans les banlieues des grandes villes du nord (Kano,
Kaduna, Katsina). Ce type de " fondamentalisme " contestataire
paraît s'inscrire dans la continuité de la
djihad
d'Usman
dan Fodio, de l'intégrisme peul ou même du mahdisme soudanais du
XIX
ème
siècle
27(
*
)
.
Parallèlement, les populations chrétiennes et
animistes, numériquement minoritaires, s'opposent de façon
croissante à ce " prosélytisme panislamique ",
largement soupçonné de bénéficier d'importants
capitaux moyen-orientaux (Lybie
28(
*
)
, Iran
29(
*
)
, Arabie Saoudite, Pakistan, Egypte,
Koweit). Ils se reconnaissent plus volontiers dans la vague de " nouvelle
évangélisation " notamment encouragée par des sectes
d'origine protestante. Cela se traduit par des flambées de violence
régulières, qui perpétuent un climat de tensions ethniques
et religieuses particulièrement exacerbées dans le nord du pays.
Ainsi, en 1980, l'insurrection de la secte Maitatsine, violemment
réprimée par l'armée, a fait plus de 4.000 morts dans la
région de Kano. Elle a été suivie de violents pogroms
anti-chrétiens en octobre 1982, février 1984, avril 1985
notamment, puis en janvier 1993. D'autres sectes d'inspiration sans doute
chiites sont actives plus au nord, et sont à l'origine de violents
affrontements en décembre 1994 puis en septembre 1996.
Il est clair que le grand
djihad
lancé au début
du XIX
ème
siècle par Usman Dan Fodio reste
présent dans toutes les mémoires. Plus récemment, la
controverse violente née en 1976 autour des modalités
d'intégration de la
charia
dans la Constitution -avec notamment
la mise en place d'une Cour fédérale d'appel de la
charia
-, n'a toujours pas été résolue.
L'annonce toute récente de l'application stricte de la
charia
dans l'Etat de Zamfara (3 millions d'habitants) à compter
du 27 janvier 2000 (port du voile, suppression de la mixité dans les
écoles et les transports publics, suppression des prêts à
intérêts, application du Code pénal islamique) suscite une
forte vague d'inquiétude, particulièrement ressentie par la
délégation sénatoriale lors de son passage à Abuja
et à Kano
30(
*
)
.
Le renforcement des antagonismes religieux, et leur
" politisation " devient désormais, pour de nombreux
observateurs, un facteur
de tension qui risque de prendre la
prééminence sur les clivages ethniques et régionaux
.
Telle est notamment l'analyse contenue dans le dernier rapport
RAMSES 2000
31(
*
)
.
" Dépolitisée, sans moyens militaires
d'importance, la simple révolte de misère ne dispose que d'une
idéologie de substitution : le religieux. Le terrorisme religieux
dévoyé en violence millénariste est sans doute l'un des
problèmes les plus complexes qu'auront à gérer demain les
sociétés développées. La limite du terrorisme
politique est connue : c'est celle de la raison stratégique, qui
impose de mettre en relation l'objectif et le risque. La force du terrorisme
religieux est autre : elle ne se réfère pas au même
type de logique ".
Dans la région yorouba du sud-ouest, l'introduction du
christianisme dès les tout débuts de la colonisation n'a pas
donné naissance à une véritable communauté
religieuse. Au sein même de la religion chrétienne,
catholiques
32(
*
)
et protestants
(autour du
Christian Council of Nigeria
) continuent de se faire
concurrence. Ceci contribue à conforter la progression de l'islam,
notamment dans les Etats de Lagos, Oyo et Ogun. Enfin, la montée des
" églises chrétiennes indépendantes " (notamment
l'
Aladura
) et la prolifération des sectes empêchent
définitivement la formation d'un bloc confessionnel monolithique :
anglicans, presbytériens, catholiques, baptistes, adventistes du
Septième jour
coexistent désormais avec des sectes plus
récentes prêchant le Renouveau, comme
l'Eternel Ordre
Sacré des Chérubins
,
Séraphins
ou
l'Eglise
Céleste du Christ
33(
*
)
.
c.-
Une nouvelle force politique ? : le mouvement
pentecôtiste
Il convient de souligner l'essor considérable, depuis une
vingtaine d'années, des églises chrétiennes
indépendantes, déjà avec la montée de
l'
Aladura
, né en pays yorouba dans les années 30, qui se
distingue par l'inclusion dans son rituel d'éléments provenant
des religions " traditionnelles ", mais aussi, plus récemment,
avec l'explosion du
christianisme pentecôtiste
, dont les
églises sont regroupées depuis 1975 au sein de l'influente
Pentecostal Fellowship of Nigeria
.
Les " églises " les plus récentes
s'adressent aux populations jeunes, relativement éduquées,
à mobilité sociale ascendante, et privilégient les
contacts et les expériences internationales. Le mouvement
pentecôtiste propose de nouveaux réseaux, à la fois
spirituels et matériels, qui dépassent les clivages locaux,
ethniques, religieux traditionnels ou même sociaux. Il offre par ailleurs
un canal privilégié d'expression des revendications et des
aspirations individuelles et collectives, maîtrise parfaitement
l'utilisation des médias, et n'hésite pas à évoquer
la nécessité de "
gagner le Nigeria
" et de
lancer une "
armée d'invasion
" contre les
incroyants
34(
*
)
.
De fait, il constitue désormais une force politique non
négligeable, susceptible d'introduire de nouvelles lignes de fractures,
dans un paysage déjà très chahuté.
Religion et politique
" Notre Père, qui êtes aux cieux, vous avez accordé à notre pays, le Nigeria, des richesses naturelles et humaines. Nous sommes profondément désolés de la mauvaise utilisation de ces cadeaux, à travers l'injustice, les pots-de-vin et la corruption, à cause de laquelle nombre de nos compatriotes sont affamés, malades, ignorants et sans défense " (Oraison écrite par les évêques du Nigeria. Lecture obligatoire dans les églises catholiques le dimanche).