II. UNE OPPOSITION PEU CRÉDIBLE
A. UNE ALLIANCE CONTRE-NATURE
Tous les
partis politiques ont été interdits après le coup d'Etat
de 1989. Dans leur exil, les deux principaux mouvements politiques - le
parti Umma (le plus puissant) et le parti démocratique unioniste
(DUP)
40(
*
)
- ont choisi de
s'allier aux associations professionnelles et aux syndicats, aux petites
organisations politiques ainsi qu'au Mouvement populaire de Libération
du Soudan (MPLS) de John Garang. De ce regroupement est née l'Alliance
nationale démocratique (AND).
Toutefois, cette coalition n'a jamais eu de réelle influence au Soudan.
Déchirée par des luttes de factions et des rivalités
internes, elle n'a jamais conçu de projet national et se contente de
discréditer le régime de Khartoum sur la scène
internationale. Opportunément rassemblés par un objectif commun -
le renversement du régime islamiste de Khartoum - les partis de la
coalition sont en effet loin de poursuivre des objectifs communs. Il convient,
au contraire, de rappeler qu'avant de combattre le régime d'Omar
el-Beshir, John Garang était l'ennemi numéro un du gouvernement
de Sadeq el-Mahdi. Leur alliance actuelle apparaît par conséquent
relativement contre-nature. Rien ne dit, par exemple, qu'un gouvernement
dirigé par l'un des deux partis traditionnels n'imposerait pas la sharia
comme source de la législation nationale. N'oublions pas que Sadeq
el-Mahdi est le beau-frère de Hassan al-Tourabi...
B. UNE DUALITÉ DE DISCOURS
Rencontrant successivement des représentants de
l'opposition
nordiste (partis Umma et DUP) puis des représentants de l'opposition
sudiste, la délégation sénatoriale a pu constater
l'éloignement des discours de chacun.
Les représentants des partis Umma et DUP, qui sont pour la plupart
d'anciens ministres, tiennent un discours extrêmement agressif et
belliqueux à l'encontre des dirigeants au pouvoir. Estimant vivre dans
des " conditions exceptionnelles de dictature ", à tel point
qu'ils craignent pour leur sécurité personnelle, ils rappellent
les violences dont ils ont été l'objet au lendemain du coup
d'Etat de 1989, et notamment leur séjour carcéral dans les
" prisons fantômes " pendant lequel ils affirment avoir
été pendus par les mains.
Ils mettent l'accent sur les difficultés économiques du pays,
bien plus que sur la guerre au Sud, feignant d'oublier que le pays connaissait
les mêmes maux lorsqu'ils étaient au pouvoir. N'hésitant
pas à noircir le tableau, ils font état d'un taux de
chômage de plus de 80 % dans les services publics et dans les
entreprises, du non paiement des salaires, des pénuries de biens de
première nécessité et de leur cherté (transports,
électricité, eau, logements...), de l'inflation galopante, etc...
Ils considèrent que la tactique gouvernementale consiste à
encourager les conflits entre les tribus du Sud du pays pour mieux les
soumettre.
Leurs prises de position semblent recueillir un écho croissant
auprès de la population. Pourtant, loin de faire des propositions
constructives pour remédier à la misère réelle de
la population et pour mettre fin au conflit, ils se contentent de proposer le
renversement par la force du gouvernement actuel et leur accession au pouvoir
en fondant leur légitimité sur les résultats des
élections législatives de 1986 à l'occasion desquelles
l'Umma avait recueilli 40 % des voix et le DUP 30 %. Enfin,
l'opposition nordiste entretient toujours les mêmes
ambiguïtés sur le statut du Sud ou sur le partage du pouvoir dans
l'hypothèse d'une chute du régime.
A l'inverse, les représentants de l'opposition sudiste, également
membres de l'AND et également dépourvus de projet alternatif,
apparaissent beaucoup plus mesurés et constructifs que leurs
alliés de l'opposition nordiste. Plutôt que de condamner
définitivement la Constitution comme le fait l'opposition nordiste, Abel
Alier, ancien vice-président de la République, considère
comme des avancées notables les dispositions concernant le respect de la
liberté des cultes et le pluripartisme. S'agissant du
référendum d'autodétermination du sud, il est conscient
qu'une partition du pays serait néfaste pour les populations du Sud mais
il émet des doutes sur la transparence de la consultation dès
lors qu'elle serait organisée par le gouvernement du Nord. Il
soulève par ailleurs un certain nombre de problèmes
sensibles : quelles seront les populations appelées à
s'exprimer ? Où voteront les populations sudistes
déplacées dans le Nord ? Comment délimiter le
territoire des Etats du Sud si jamais la partition est
décidée ? Autant de questions qui restent pour l'instant
sans réponses.
Au total, force est de donner raison à Roland Marchal lorsqu'il
écrit
41(
*
)
:
"
l'AND souffre d'un manque évident de crédibilité
qui l'empêche d'apparaître comme une alternative sérieuse au
régime islamiste
. "