III. LA PARTITION DU PAYS N'EST PAS LA PANACÉE
A. LE SUD DU SOUDAN EST LOIN D'ÊTRE UNI
On l'a
déjà vu, le Sud du Soudan est loin d'être lui-même
uni. La politique coloniale avait d'ailleurs contribué à
créer des "
unités tribales compactes,
économiquement autonomes et préservées des contaminations
étrangères. L'insistance sur tout ce qui peut développer
une conscience tribale, même sur les plus petites
choses était constante
42(
*
)
. " Et de fait, c'est la pression
islamisante et assimilatrice de la partie arabe du pays qui a permis de
réaliser l'unité des différentes ethnies du Sud en 1971,
unité qui éclata peu après l'accord d'Addis-Abeba du 27
février 1972.
Les élections législatives de février 1974 à
l'Assemblée régionale de Juba sont significatives des
contradictions tribales dans le Sud. Comme le souligne Gérard
Prunier
43(
*
)
, "
dans tous
les cas, les candidats au suffrage universel direct se
présentèrent dans leur zone d'origine, non seulement tribale mais
clanique
44(
*
)
, et ceux qui
préférèrent se présenter aux sièges
réservés
45(
*
)
à l'électorat transethnique étaient souvent ceux qui
n'étaient pas populaires au sein de leur propre ethnie
. "
Les élections législatives d'avril 1986 illustrent
également les divisions sudistes : "
Les partis sudistes,
éparpillés et déchirés par des rivalités
ethniques et de personnes, n'apportaient aucun contrepoids cohérent. Il
y avait d'abord les deux partis redivisionnistes de l'Equatoria, SAPCO et PPP
(People's Progressive Party). Le PPP (10 sièges), dirigé par
Eliaba Surur était à base Madi et Bari. Quant au SAPCO de Morris
Luwiya (9 sièges), c'est le parti des Azande. Le SSPA (9 sièges),
formé par des vétérans de la politique sudiste et
dominé par les Dinkas du Bahr al-Ghazal, hésitait entre
redivisionnistes, unionistes et sympathisants de l'APLS. Le Sudan African
Congress (SAC) de Walter Kunyijwok Ayoke (2 sièges)r, issu de l'ancien
mouvement étudiant Southern Sudanese in Khartoum (SSK) était le
parti des intellectuels sudistes très proche de l'APLS. Quant au
minuscule Sudan Federal Party (SFP), dont Joshua Dei Weil était le
président et le seul député, il est
considéré comme la face civile de la milice nuer Anyanya
II
. "
Ainsi, il est peu vraisemblable que l'indépendance du Sud du pays
conduise à une pacification du pays tant les inimitiés sont
tenaces entre ethnies sudistes. Il suffit de se rappeler que la redivision du
Sud (kokora) a été un des catalyseurs de la reprise de la guerre
civile au Soudan (voir chapitre I, page 23).
Aujourd'hui, non seulement les Sudistes se partagent entre les
" ralliés " au régime de Khartoum et les rebelles (voir
page 24), mais au sein des premiers, les divisions se font jour. Ainsi,
après avoir signé les accords d'avril 1997 qui ont
institué le Conseil de coordination des Etats du Sud, dirigé par
Riek Machar, Paulino Matip - pourtant un Nuer comme Machar - a
récemment qualifié d'inéquitable la distribution des
postes par ce dernier. Depuis, les forces armées des deux hommes, qui
étaient réunies depuis avril 1997 au sein des Forces de
Défense du Sud (FDS), se font la guerre dans la région d'Unity.
Le Groupe Bor mené par Arok Thon Arok s'est lui aussi retiré des
FDS pour les mêmes raisons. Enfin, le Commandant Kerubino Kuanyin Bol,
également signataire des accords de Khartoum et originaire du Bahr
el-Ghazal, s'est retourné contre le gouvernement en janvier 1998 et a
brièvement occupé la ville de Wau.
B. JOHN GARANG EST FAVORABLE À L'UNITÉ DU SOUDAN
Le
dirigeant du principal mouvement rebelle, John Garang, a toujours
été partisan de l'unité du Soudan, même si
l'intransigeance des autorités soudanaises devant ses revendications l'a
conduit à se rallier à l'idée d'un
référendum d'autodétermination du Sud.
Le manifeste du MPLS, publié le 31 juillet 1983, affirme en effet le
souci unitaire et antisécessionniste du mouvement :
" La tâche immédiate de l'APLS-MPLS est de transformer le
mouvement sudiste de mouvement dirigé par des réactionnaires et
ne se préoccupant que du Sud, des emplois et de ses petits
intérêts, en un mouvement progressiste dirigé par des
révolutionnaires et se consacrant à la transformation socialiste
de tout le pays. Il faut absolument le répéter, l'objectif
principal du MPLS n'est pas la sécession du Sud. "
L'Appel au peuple soudanais du 3 mars 1984 a complété cette
orientation en insistant sur le fait que la guerre civile ne constitue ni une
lutte de races, ni une guerre religieuse. Si John Garang y dénonce le
tribalisme et les privilèges des awlad al-balad
46(
*
)
, il prend bien soin d'éviter
toute accusation anti-arabe. Il observe que si " l'oppression de Khartoum
avait plus pesé sur le Sud que sur les autres parties du pays ", le
reste du Soudan avait également souffert et que par ailleurs, " la
classe politique sudiste avait pris sa part du butin ". Il condamne les
tendances séparatistes et se déclare partisan d'un " Soudan
unitaire, socialiste et garantissant les droits de toutes les
nationalités, les croyances et les religions ".
Quoi qu'il en soit, depuis qu'il a refusé un poste ministériel
dans le gouvernement démocratique de Sadeq el-Mahdi en 1986, John Garang
s'est condamné à évoluer dans l'illégalité
et dans l'exil, sauf à accéder lui-même aux plus hautes
fonctions de l'Etat ou à renier son combat. En refusant
l'opportunité qui lui était proposé, il rendait
incontournable la future partition du pays qu'il n'appelle pourtant pas de ses
voeux.
C. LE PROBLÈME DU PARTAGE DES EAUX DU NIL
La
sécession du Sud-Soudan aurait probablement des conséquences
importantes sur le partage des eaux du Nil, ce qui constitue un des motifs pour
lesquels l'Egypte n'est pas favorable à l'indépendance du Sud.
Selon un accord de partage des eaux qui date de 1959, l'Egypte se voit en effet
attribuer 55,5 milliards de mètres cubes d'eau par an et le Soudan 18,5
sur un total de 74 milliards de mètres cubes qui sont enregistrés
au barrage d'Assouan. 10 milliards de mètres cubes sont perdus chaque
année par évaporation.
L'enjeu du partage des eaux est un enjeu régional qui rassemble
l'Ethiopie, l'Erythrée, l'Ouganda, le Burundi, le Rwanda, le Congo, le
Kenya, le Soudan et l'Egypte.
Le Soudan projette quant à lui la construction de trois nouveaux
barrages hydroélectriques le long du Nil et est à la recherche de
partenaires industriels et financiers. Une entreprise chinoise s'est
montrée intéressée par la construction du barrage de
Qajbar, au nord de Dongola. Il s'agit d'un projet de 300 millions de dollars.
Les deux autres barrages se situeraient à Chereïk et à
Merowe.
Par ailleurs, il est envisagé de relever le barrage de Damazin qui
fournit 80 % de l'électricité de Khartoum. Les centrales
thermiques sont en effet en fin de vie.