Loi de finances rectificative pour 2009
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009.
Discussion générale
M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. - Ce texte est le troisième projet de loi de finances rectificative de l'année et le quatrième acte de l'exercice budgétaire : c'est dire l'intensité de la crise que nous traversons, à laquelle nous avons apporté des réponses rapides et puissantes pour préparer la sortie. Cette politique a un coût, dont témoigne le montant du déficit budgétaire, mais nous assumons les pertes de recettes fiscales ainsi que les choix faits dans le cadre du plan de relance.
Nous avons déjà obtenu des résultats. La France a été un des premiers pays développés à sortir de la récession, avec une croissance de 0,3 % aux deuxième et troisième trimestres. Elle est, avec l'Allemagne, le pays dont le marché de l'emploi résiste le mieux, même si, dans l'esprit de nos concitoyens, nous ne pourrons sortir de la crise sans rompre avec la hausse du chômage. Le plan de relance s'est attaché à aider en priorité, puisque notre modèle social fonctionne bien, l'investissement et le financement des entreprises.
L'accès au crédit pour les entreprises a été conforté. Les chantiers annoncés par M. Devedjian sont en cours, vous pouvez le constater dans vos propres collectivités. Autre mesure du plan de relance, les avances de trésorerie aux entreprises aux fins d'alléger leurs charges.
La relance n'est pas l'ennemie de la maîtrise des dépenses, bien au contraire ! Rien ne doit nous détourner de cet objectif face à ceux qui ne voient l'avenir des finances publiques qu'à travers l'augmentation des prélèvements obligatoires. Quoique les résultats ne soient pas aisément perceptibles, ils sont là : une stabilisation en euros constants, et une économie de 2 milliards en euros courants par rapport au plafond des dépenses de l'État voté par le Parlement. Ce résultat inédit s'explique par une baisse de 5 milliards de la charge de la dette. Cela semble paradoxal en ces temps d'augmentation de la dette, mais celle-ci a été plus que compensée par la réduction des taux d'intérêt et la chute de l'inflation. Cette somme de 2 milliards a servi à faire face aux conséquences de la crise, soit à la croissance des prélèvements sociaux, qu'il faut contenir à 1,3 milliard pour éviter de reconstituer une dette envers la sécurité sociale, et au prélèvement européen qui croît de 1,1 milliard, ainsi qu'aux dépenses exceptionnelles liées à la grippe A, pas moins de 400 millions en 2009. Je vous présenterai un amendement tendant à abonder les crédits qui y sont consacrés afin de prendre acte du vote intervenu en loi de financement relatif à la prise en charge de ces dépenses -coût du vaccin pris en charge via l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et indemnisation des professionnels de santé. Les autres dépenses apparues en cours d'année ont été financées via la réserve de précaution, dont j'avais souligné l'importance dès le budget pour 2008. D'autres gouvernements auraient sans doute cédé au chant des sirènes en dilapidant cette marge de 2 milliards, Nous, nous avons fait le choix de la responsabilité en la consacrant entièrement à l'apurement de notre dette à l'égard de la sécurité sociale qui sera de moins de un milliard à la fin de l'année, contre 3,5 milliards fin 2008. Ce chiffre n'est peut-être pas spectaculaire, il ne fera pas la « une » des journaux, mais notre mérite est de clarifier les relations entre l'État et la sécurité sociale. C'est un garde-fou très important pour la diminution des dépenses à venir que l'État ne joue plus avec les comptes de la sécurité sociale pour améliorer son solde budgétaire. Au total, le déficit s'élèverait, comme nous l'avons annoncé lors du budget pour 2010, à 141 milliards.
Ce collectif, outre qu'il poursuit la modernisation de l'administration fiscale et l'adaptation du droit communautaire, marque une nouvelle étape dans la lutte contre la fraude et les paradis fiscaux. Sous l'autorité du Président de la République, la France, personne ne peut le contester, a fait progresser la lutte contre les paradis fiscaux au sein du G20 depuis le 2 avril. Soit, il reste encore du chemin, mais mieux vaut agir que toujours critiquer. Nous avons signé non seulement quatorze accords d'échanges d'informations avec les États identifiés par le G20 mais également des conventions avec Hong-Kong, les Iles Anglo-Normandes, l'Ile de Man ou Malte qui ne figuraient pas sur la liste du G20 si bien que la France possède désormais un des réseaux d'accords les plus étendus au monde.
Après l'identification des paradis fiscaux et la signature des accords, nous nous engageons avec ce collectif dans la troisième phase de la lutte contre les paradis fiscaux : les mesures législatives sanctionnant les États qui ont choisi de rester des paradis fiscaux. Nous taxons à 50 % les rémunérations des actifs financiers « délocalisables » -intérêts, dividendes, redevances-, aujourd'hui exonérées ou taxées de 18 à 33 %. Ensuite, nous supprimons l'exonération au titre du régime « mère-fille » dont bénéficiaient les dividendes perçus en provenance de ces États. Nous renforçons les dispositions anti-abus permettant de taxer les bénéfices des filiales situées dans ces États. Ce paquet de mesures anti-paradis fiscaux est complété par l'obligation faite aux grands groupes de « documenter » leurs prix de transfert, obligation qui n'est d'ailleurs pas exclusivement limitée aux paradis fiscaux et, à l'initiative des députés, par la possibilité pour l'administration fiscale d'être dotée de pouvoirs d'officier judiciaire en matière de fraude impliquant les paradis fiscaux. La France doit disposer d'outils, comme les autres pays, à mesure de la grande fraude.
Concernant la lutte contre l'économie souterraine, le Président de la République a fixé une ligne claire : frapper les délinquants au portefeuille.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Très bien !
Mme Nicole Bricq. - Vous vous trompez de délinquants...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Rejoignez-nous, votez les mesures !
M. Eric Woerth, ministre. - L'action du fisc doit mieux compléter celle des agents des services de police. Le retour de l'État dans les quartiers, c'est aussi le retour de l'équité fiscale. (Mme Nicole Bricq ironise)
M. Eric Woerth, ministre. - Madame Bricq, moi, je ne défends pas des idées, mais des mesures ! Pour en finir avec le temps où police et fisc travaillaient chacun dans son coin dans les quartiers, j'ai mis à la disposition de la police 50 agents du fisc qui exerceront leur mission à partir des renseignements collectés auprès des services de police, sans compter la participation des agents du fisc aux GIR. Mais, pour frapper les délinquants au portefeuille, nous devons aussi adapter notre législation. D'où, dans ce collectif, un paquet de mesures cohérent.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est vrai !
M. Eric Woerth, ministre. - Pour renforcer les échanges d'informations entre les agents des impôts et les services de police, nous autorisons les communications spontanées.
Pour que cette information soit exploitée, il faut adapter les procédures de contrôle. Aujourd'hui, il est plus facile de taxer des activités légales dissimulées que des activités illégales. Les premières sont taxées d'office ; pour les dernières, l'administration fiscale doit mettre en demeure le contribuable de faire une déclaration d'impôts ! Cela n'est pas toujours facile... Le délai de reprise fiscale est de dix ans pour les activités occultes, mais de trois ans seulement pour les activités illégales !
Il faut une base d'imposition adaptée : difficile d'identifier les revenus taxables quand les transactions se font en liquide ! Soit les délinquants sont appréhendés avec des produits illégaux et taxés sur leur valeur vénale, soit la police signale au fisc un train de vie en décalage avec les revenus d'un individu. Un amendement du Gouvernement propose de taxer les trafiquants sur la base de leur train de vie, avec une liste modernisée de signes extérieurs de richesse. Nous ne pouvons plus accepter que les délinquants qui vivent du trafic de drogue, du trafic d'armes, de la contrefaçon, de la contrebande d'alcool ou de cigarettes ne soient jamais taxés !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Voilà ! Et en plus il faudrait prendre l'information avec des pincettes !
M. Eric Woerth, ministre. - Nous en tirons des conséquences concrètes. L'État démocratique ne doit pas être désarmé.
Les autres mesures du collectif sont plus techniques. Je citerai l'obligation élargie de déposer des déclarations ou de payer par voie électronique, ou encore la réforme du statut du conservateur des hypothèques, par voie d'ordonnance, compte tenu de la multiplicité des textes à adapter.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est une révolution !
M. Eric Woerth, ministre. - Les mesures d'adaptation au droit communautaire concernent le régime d'intégration fiscale, la taxation de dividendes perçus par des organismes sans but lucratif ou le mécénat.
Réactivité face à la crise, avec le plan de relance ; maintien des repères, avec la maîtrise des dépenses et la clarification des comptes dont nous discuterons en janvier lors de la conférence des finances publiques ; cohérence entre les discours et les actes, avec des mesures pour lutter plus efficacement contre les fraudes : voilà les trois principes sur lesquels nous avons bâti ce collectif. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - (Applaudissements à droite) Ce collectif, le troisième de l'année, est comme toujours un texte ambivalent, comportant à la fois un recalage des données des finances publiques et des mesures de législation fiscale et financière, notamment en matière d'entraide internationale et de lutte contre la fraude. C'est aussi la voiture-balai habituelle...
Plus que jamais, l'économie réelle est entre crise et reprise. L'incertitude financière continue de peser, avec le risque de défaillance de certains États européens ; l'appréciation plus sévère des agences de notation est un nouveau facteur de prise de conscience des difficultés structurelles de certains pays, de la gouvernance et du fonctionnement du système décisionnel de la zone euro.
Peut-on parler de retour à la normale ? Pour l'économie réelle, non : il n'y a pas de perspectives nettes de retour à la croissance. Pour les marchés financiers, pas davantage : les banques centrale continuent d'injecter quantité de liquidités, et l'échelle atypique des taux d'intérêt, qui allège les charges d'emprunt, entraîne un état d'apesanteur financière que j'ai évoqué par ailleurs.
Le monde financier reconstitue ses marges. Les établissements remboursent les aides d'État pour s'affranchir au plus vite de la tutelle des pouvoirs publics. Nous devons assumer les signaux à donner pour que ce monde financier se recentre sur la prise de risques directe et le financement des entreprises, plutôt que sur les opérations d'arbitrage sur fonds propres sur les marchés d'instruments financiers... (M. le président de la commission approuve)
Les finances publiques accusent le choc de la crise. Les recettes fiscales sont inférieures de 56 milliards au montant inscrit en loi de finances initiale. En cause, les mesures discrétionnaires du plan de relance. Si le déficit correspond à des dépenses d'investissement, il est économiquement soutenable, mais devra en tout état de cause être financé. Le besoin de financement de l'État est passé de 180 à 235 milliards ; entre 2007 et 2009, il a été multiplié par 2,5 ! Aujourd'hui, les marchés nous font confiance, mais ils sont par nature versatiles : on ne peut fonder une politique économique sur une situation passagère !
Dans votre lutte contre la fraude et les paradis fiscaux, vous pouvez, monsieur le ministre, compter sur l'appui du Sénat tout entier. Il faut utiliser au maximum tous les leviers de la législation, et la compléter pour éviter les trous noirs, les incompatibilités de système. Nous devons être aux côtés du ministre dans cet effort.
M. Gérard César. - Très bien.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Le groupe de travail de notre commission des finances a émis 57 propositions pour un nouvel ordre financier mondial : nous y puiserons pour alimenter le débat et compléter les propositions du Gouvernement.
En loi de finances, nous avions prôné l'instauration d'une prime d'assurance systémique du secteur bancaire, qui prendrait la place de la taxe sur les salaires. Le rendez-vous de la mi-2010 sera l'occasion de rouvrir ce chantier.
J'ai proposé à la commission des finances d'aller plus vite que ce qui est prévu en matière de taxation des éléments variables de rémunération -c'est-à-dire des bonus- dont bénéficient les opérateurs sur les marchés, mais aussi toute la chaîne hiérarchique.
Parce qu'au-dessus des opérateurs, il y a un directeur de salle de marché, puis un directeur financier, et encore un directeur général adjoint, un directeur général et enfin un président de conseil d'administration.
M. Michel Charasse. - Et Dieu dans tout ça ? (Sourires)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La réflexion à laquelle je vous invite n'a aucun caractère punitif, le profit est sain et nécessaire en économie de marché ; mais il est ici question de la ligne de responsabilité dans le processus de maîtrise des risques. Était-on informé des positions prises ? Les opérateurs étaient-ils habilités à agir avec des effets de levier de cette ampleur ?
En ce qui concerne les relations avec les paradis fiscaux et juridiques, le Gouvernement va nous proposer une méthode susceptible d'élaborer une liste d'États et de territoires non coopératifs. Cette liste s'appuiera sur les évaluations de l'OCDE ; pour ne pas en faire partie, les États devront avoir signé une convention d'assistance administrative avec au moins deux autres États. Doit-on en exclure d'emblée des États ou territoires de l'Union européenne ou placés sous la juridiction de celle-ci ? L'appartenance à l'Union n'excuse pas tout.
Mme Nicole Bricq. - C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il paraît en outre opportun d'inscrire dans la liste les États qui ont signé une convention mais disent officiellement leur intention de ne pas la ratifier ; je pense évidemment à notre estimable voisin suisse... Nous aurons un amendement en ce sens. (Applaudissements à droite ; M. Michel Charasse applaudit aussi) Nous devrons appliquer une fiscalité plus dissuasive aux échanges avec les territoires non coopératifs ; la retenue à la source, portée de 15 % à 50 %, vaudrait aussi bien pour les dividendes que pour les intérêts des obligations, l'objectif étant de frapper les opérations d'optimisation, à caractère fictif, et non les vraies opérations de financement. J'ai cru comprendre que le Gouvernement avait le sentiment que la disposition qu'il a prévue n'était pas parfaite ; la commission des finances attend une proposition de rédaction de Mme Lagarde.
Je me félicite des dispositions imposant une documentation renforcée des transactions « intragroupe » ; c'est toute la question des prix de transfert. La commission s'est par ailleurs inquiétée de l'impact du développement des nouvelles technologies sur les recettes fiscales ; l'étude qu'elle a commandée à un prestataire extérieur est très éclairante. Nous vous poserons des questions importantes sur ce sujet, monsieur le ministre, et vous ferons le cas échéant des propositions.
Nous serons à vos côtés dans la lutte contre l'économie souterraine et les activités occultes et approuvons le renforcement des moyens de l'administration électronique, notamment pour faciliter les contrôles par recoupements automatiques. Ce renforcement est dans la droite ligne de l'action menée par le Gouvernement pour rationaliser l'action de l'État, mieux gérer les effectifs publics et améliorer la productivité des services et opérateurs publics.
Du côté des dépenses, nous avons des motifs de satisfaction et d'autres d'inquiétude. Si les dépenses sont bien tenues, c'est grâce aux efforts réalisés, mais aussi aux effets d'aubaine sur la dette et au très faible taux d'inflation de 2009. La révision générale des politiques publiques est plus que jamais d'actualité. Je relève que 2 des 5 milliards d'euros ouverts en collectif vont aux organismes de sécurité sociale ; cette diminution de la dette de l'État est un heureux rééquilibrage qui réjouira notre commission des affaires sociales et mon excellent collègue rapporteur général, M. Alain Vasselle.
Il faudra enfin résister à la tentation de la douce insouciance comme à celle de la fuite en avant. C'est à cette seule condition que nous gagnerons les quelques marges de manoeuvre pour faire face à la hausse inéluctable des charges, qu'elle soit due, pour le long terme, au vieillissement de la population ou à plus court terme à celle, inévitable, des taux d'intérêts. L'épée de Damoclès de la dette est au-dessus de nos têtes -je n'insisterai jamais assez sur l'état artificiel d'apesanteur financière dans lequel est le pays.
M. François Marc. - Et les cadeaux fiscaux ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Tôt ou tard, les poussées inflationnistes nées de la reprise contraindront les banques centrales à cesser d'alimenter en liquidités le système bancaire. Il faudra alors lutter contre les nouvelles bulles qui se reconstitueront ici ou là.
Le Sénat va examiner ce collectif avec beaucoup de soin. Nous prendrons ensuite un peu de repos de sorte que nous serons d'attaque pour le premier collectif de 2010, qui ne saurait tarder... (Applaudissements à droite et au centre)
M. Michel Thiollière, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - La commission de la culture s'est saisie pour avis de ce texte, à la fois pour soutenir des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et défendre, au travers d'amendements, des secteurs relevant de ses compétences. Elle se félicite que, conformément à l'engagement pris lors de la discussion du budget de l'enseignement scolaire, l'enseignement technique agricole bénéficie de 7,3 millions d'euros, crédits qui avaient été annulés l'an dernier. Parmi les mesures adoptées par les députés, elle se réjouit de l'introduction de l'article 27 quater, qui élargit la possibilité pour les communes d'exonérer de cotisation locale d'entreprise les petites et moyennes exploitations cinématographiques ; je vous proposerai par amendement d'améliorer encore le dispositif, eu égard au rôle essentiel d'animation culturelle que jouent les petites salles de cinéma.
M. Adrien Gouteyron. - Très important !
M. Michel Thiollière, rapporteur pour avis. - L'article 29 quater proroge d'un an le régime de la réduction d'impôt de 25 % en faveur des entreprises ayant souscrit au capital de certaines entreprises de presse ; l'article 29 quinquies allonge la période de prise en compte des coûts de développement éligibles au crédit d'impôt en faveur des entreprises de création de jeux vidéo en ligne -cette filière, qui est une exception économique et culturelle française, doit être protégée ; l'article 29 sexies abaisse le seuil d'éligibilité des coûts de développement au crédit d'impôt en faveur de ces mêmes entreprises.
Je veux aussi citer l'article 30 bis, qui crée un mécanisme de taxation d'office en cas d'opposition au contrôle du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ; l'article 30 septies, qui exonère de taxe à l'embauche certains organismes faisant appel à des chercheurs ou à des universitaires étrangers non européens ; l'article 30 nonies, qui permet aux fonctionnaires de recherche, autorisés à apporter leur concours scientifique à une entreprise qui assure la valorisation de leurs travaux, de demander que les rémunérations provenant de cette activité soient soumises à l'impôt sur le revenu comme des traitements et salaires et non comme des bénéfices non commerciaux. Cet article aménage en outre le régime de la sous-traitance à des établissements publics de recherche au regard du crédit d'impôt recherche. L'article 30 undecies module enfin la taxe sur la publicité des chaînes de télévision privée. Nous avions relevé en loi de finances que, l'effet report de la suppression de la publicité sur France Télévisions n'ayant pas eu lieu, cette taxe n'avait pas lieu d'être -ou à tout le moins devait être réduite. Si l'Assemblée nationale a repris pour l'essentiel le dispositif progressif que nous avions imaginé, elle en a limité l'impact ; je proposerai sur ce point un amendement.
La commission a d'autre part adopté neuf amendements relatifs aux secteurs culturels, aménagements techniques de nature à garantir l'efficience de dispositifs déjà votés ou dispositions à ses yeux nécessaires pour soutenir des filières culturelles économiquement fragiles.
L'impact budgétaire des mesures proposées est faible mais elles sont essentielles pour la défense de nos industries culturelles et pour le maintien de la diversité culturelle sur notre territoire, et je sollicite pour elles la bienveillance de nos collègues.
J'ai déjà évoqué une amélioration du dispositif en faveur de la petite et moyenne exploitation cinématographique. Un amendement concerne les entreprises de production cinématographique et un autre, le crédit d'impôt en faveur de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles étrangères. Il s'agit de ramener chez nous des productions délocalisées.
Un amendement conforte les ressources du Centre national du livre face à la numérisation de nos livres par une grande entreprise étrangère. Un autre prolonge la durée d'application du crédit d'impôt en faveur du secteur de la musique.
Nous proposons aussi d'améliorer le régime du mécénat des particuliers dans le domaine de l'art, lorsque les dons concernent des sociétés détenues par l'État ou par des établissements publics nationaux. Il est paradoxal d'encourager le mécénat pour des entreprises privées et de le décourager pour des établissements publics.
Un amendement pérennise la modulation de la taxe sur la publicité des chaînes de télévision, je l'ai dit. Un autre relève légèrement le seuil anti-concentration applicable en matière de radio -ceux de 1986 sont démographiquement obsolètes- afin d'améliorer la couverture du territoire par les grandes radios généralistes. Notre dernier amendement élargit le champ des rémunérations versées aux auteurs éligibles au crédit d'impôt cinéma et audiovisuel.
Au-delà des changements d'attitude de nos concitoyens, nous proposons de renforcer ces secteurs de la création, qui ont aussi une importance économique puisqu'ils emploient 2,4 % de la population active.
La commission de la culture a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
Mme Nicole Bricq. - Dernier exercice de l'année budgétaire avant le premier de l'année prochaine, le collectif contient comme d'habitude nombre de dispositions financières très diverses. Deux points notables en font l'originalité : l'absence de traduction gouvernementale de l'annonce présidentielle sur la taxation des bonus ; le dispositif de lutte contre la fraude fiscale inséré par les députés. Il donne cependant une vision de nos finances publiques dans une année certes exceptionnelle, mais qui met à nu nos handicaps structurels et relativise les satisfecit qu'aiment se donner le Président de la République et son Gouvernement.
Dans le cadre européen, nos finances sont handicapées par un arriéré de dette et un déficit avant crise importants. Nous cumulons ainsi tous les inconvénients par rapport à nos voisins de la zone euro, surtout si l'on prend en compte le collectif qui sera consacré à l'emprunt et qui donnera la véritable lecture du projet de loi de finances pour 2010.
Le présent collectif prend acte d'une récession à une hauteur certes trois fois moindre que celle de l'Allemagne, mais avec une situation de l'emploi nettement plus dégradée et durablement compromise. L'Insee a révisé ses prévisions au vu des 93 000 destructions d'emplois constatées au troisième trimestre de 2009 dans le secteur marchand. Le Pôle emploi estime que le pic des destructions d'emplois n'est pas encore atteint. La croissance molle attendue en 2010 ne suffira pas à créer des emplois à un rythme équivalent à celui des destructions. Le Gouvernement devra intégrer cette donnée dans ses dépenses.
Le nouveau record de déficit -141 milliards en attendant le versement de l'acompte de l'impôt sur les sociétés- s'explique certes par la chute des recettes fiscales due à la crise, mais aussi par les baisses d'impôt octroyées avant et pendant la crise.
M. François Marc. - Des cadeaux !
Mme Nicole Bricq. - La norme de dépense que vous avez fixée n'est respectée que grâce à l'allégement de la charge de la dette dû à des taux d'intérêt très bas, ce qui ne saurait qu'être provisoire.
M. Christian Poncelet. - Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. - Si l'on ajoute la charge de l'emprunt Sarkozy, on voit que le Gouvernement nous précipite dans la double peine : hausse générale d'impôt -hors bouclier fiscal intouchable, naturellement- et baisse de la dépense publique qui sera supportée par le plus grand nombre et ceux qui en ont le plus besoin. L'emprunt à venir, dont les modalités sont encore floues, n'est qu'un nouveau tour de passe-passe : il faudra payer le tout avant que lesdites dépenses d'avenir aient produit leurs premiers effets.
Nous saluons la commission des finances de l'Assemblée nationale qui a introduit une disposition bienvenue concernant les pouvoirs de l'administration fiscale. Nous soutenons la lutte du ministre du budget contre la fraude. Il ne doit pas s'agir d'un seul soufflé médiatique à la faveur d'une actualité rocambolesque concernant les données dont l'administration dispose et dont la source ne nous intéresse pas, mais d'une action volontaire, patiente et durable.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !
Mme Nicole Bricq. - C'est pourquoi nous souhaitons donner une visibilité législative au fichier Evafisc, le bien-nommé, dont la base réglementaire nous paraît fragile. Cela donnera au Parlement la possibilité d'exercer pleinement son contrôle sur les moyens et les résultats de vos services, qui doivent pouvoir vérifier l'application des conventions fiscales et étendre leurs investigations pour lutter contre la grande fraude.
A ce titre, nous présenterons un amendement de lutte contre les paradis fiscaux : la liste de l'OCDE omet les places internes à l'Union européenne. C'est peut-être de la diplomatie mais pas le signe d'une lutte déterminée contre les places douteuses non encore atteintes par l'esprit coopératif qui a soufflé un temps sur les G20.
Pour la taxation des bonus, une fois la publicité passée, nous constatons qu'il est toujours urgent d'attendre au prétexte que l'on ne peut faire mieux que les Anglais. Cela fait plus d'un an que nous déposons propositions de loi, amendements, questions orales, sans autre réponse que, si je puis me permettre, un simple wait and see. Mme Lagarde nous a dit d'attendre le code de bonne conduite du Medef. Il y a eu la promesse d'une grande loi de régulation financière avant la fin de l'année, finalement attendue pour avril. On nous dit maintenant que la taxation des bonus figurera dans le collectif emprunt, tant mieux.
Londres vient d'annoncer un montant attendu de 620 millions d'euros. Les banquiers français plaident pour six fois moins. On parle d'un arbitrage autour de 200 millions. Si la ministre poursuit la chimère de faire de la place de Paris la rivale de la City, je comprends qu'elle ne puisse que négocier à la baisse.
Un amendement annoncé par le rapporteur général présenterait l'intérêt d'élargir le champ, ce que nous avons demandé et que vous avez longtemps refusé.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Les consensus peuvent venir...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est l'esprit de Noël !
Mme Nicole Bricq. - Certes, mais il semble que le produit doive en être très restreint puisque vous tenez compte de l'impôt sur le revenu et du bouclier fiscal.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Imposer à 50 %, c'est déjà beaucoup !
Mme Nicole Bricq. - Nous allons défendre un amendement pour solder les intérêts des prêts consentis aux banques. Nous ne faisons pas ainsi de la morale, nous demandons un juste retour, d'autant plus que les banques ne respectent pas leurs engagements de l'automne dernier sur les prêts consentis aux particuliers et aux entreprises.
L'arbre des bonus de doit pas cacher la forêt des risques. Le levier le plus efficace pour éviter les dérives passées, c'est d'imposer aux entreprises financières et bancaires de disposer de fonds propres solides et déployer leurs activités en assurant leurs risques et non plus en comptant sur l'État et les contribuables pour être les assureurs de dernier ressort. C'est pourquoi nous ne pouvons nous contenter du rapport sur la mise en place d'une taxe assurantielle prévue par la loi de finances. Nous avons donc redéposé un amendement prévoyant la création de cette taxe. De plus, dans le projet de loi de régulation financière et bancaire, aucune mesure n'est prévue concernant les fonds propres.
Nous proposons ces mesures au nom de l'ordre public car nous voulons une finance responsable. Ainsi, les élites scientifiques mettront peut-être leurs talents au service de l'innovation dans l'économie réelle plutôt que de l'économie financière. Une telle évolution serait du reste parfaitement cohérente avec les priorités retenues pour les dépenses d'avenir.
Les deux années qui viennent seront très délicates : déficits et chômage resteront très importants. Il n'y aura pas de rebond important sans demande, et celle-ci risque bien de faire défaut, obérant toute sortie de crise viable. C'est ici que vos fautes fiscales pèseront lourd, car il aurait fallu soutenir la demande. La baisse de plafond des dépenses fiscales validée par la commission mixte paritaire est encore insuffisante. Le Gouvernement n'a pas dit son dernier mot sur la réduction des niches fiscales puisque nous n'examinerons le texte de la commission mixte paritaire que demain. Nous réitérons donc notre souhait que le plafond des dépenses fiscales soit abaissé afin d'obtenir un véritable effet dissuasif sur ceux qui jonglent habilement avec le bouclier et les niches fiscales. Nous aurons l'occasion d'y revenir dès le début de l'année prochaine. (Applaudissements à gauche)
M. Aymeri de Montesquiou. - Ce troisième et dernier projet de loi de finances rectificative vient clôturer l'annus horribilis budgétaire de 2009. Ce texte tente de maîtriser les dépenses en tenant compte des aléas de la conjoncture et, outre diverses mesures adoptées par l'Assemblée nationale, propose un certain nombre de dispositions fiscales : lutte contre les paradis fiscaux pour mettre fin aux catastrophes passées et lutte contre l'économie souterraine qui déstabilise la société. Gilles Carrez rappelle d'ailleurs que « Al Capone est tombé grâce aux agents du fisc ».
M. Michel Charasse. - C'est exact ! Mais les « Droits de l'hommistes » n'avaient pas encore frappé !
M. Aymeri de Montesquiou. - Le collectif prévoit aussi de moderniser les administrations fiscales et douanières et d'adapter le droit français aux exigences du droit et de la jurisprudence communautaires.
Concernant les aspects budgétaires, les dépenses n'évoluent pas plus vite que l'inflation. Mais pour en revenir à l'équilibre des comptes et compenser le coût de la dette, il faut absolument qu'elles évoluent moins vite que celle-ci. Hors du plan de relance de l'ordre de 24 millions et qu'il faut intégrer dans ce budget, la règle stricte du maintien en volume des dépenses par rapport à l'année précédente a été mieux respectée.
Paradoxalement, nous avons fait en 2009 une économie de plus de 5 milliards sur les intérêts de la dette, alors même que nous avons emprunté de façon frénétique, mais nécessaire, pour couvrir les pertes de recettes. Ce paradoxe, nous le devons à la baisse continue des taux d'intérêt. Il ne s'agit pas aujourd'hui de nous satisfaire d'avoir été moins frappés que nos partenaires internationaux et européens, mais plutôt de rappeler l'impérieuse nécessité d'assainir les comptes de l'État, par une réduction nécessaire de ses déficits et de ceux de la sécurité sociale. Nous devrons atteindre à moyen terme un équilibre aujourd'hui utopique. Un tel niveau d'endettement est en effet insoutenable dans la durée. Il menace l'indépendance même de notre gouvernance économique. Se saisir de cette question n'est donc pas un droit pour le législateur, mais un devoir absolu.
M. Michel Charasse. - Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. - La Commission européenne a fixé le mois dernier à la France, le retour sous la barre des 3 % de nos déficits publics d'ici 2013. Nous attendons un plan pluriannuel en ce sens, monsieur le ministre, pour répondre aux exigences de Maastricht. En outre, un tel plan est indispensable économiquement et politiquement.
M. Christian Poncelet. - C'est exact !
M. Aymeri de Montesquiou. - Le futur grand emprunt s'apparente à un « plan de relance bis », prenant en charge les investissements indispensables que le budget est incapable d'assumer mais alourdissant encore plus notre dette. Ne nous trompons pas de débat : ne confondons pas l'indispensable endettement par des investissements nécessaires pour préparer l'avenir avec un endettement devenu structurel.
Le plan de relance a été bien calibré et son efficacité est réelle : il suffit de considérer nos performances économiques aux second et troisième trimestres. La prime à la casse a véritablement soutenu l'industrie automobile et les investissements d'infrastructures publiques se sont avérés assez efficaces. Hélas, les résultats sur le chômage ne sont pas patents, alors que le plan de relance allemand, qui comportait un volet de soutien à l'emploi, a eu des effets positifs en matière d'activité et de lutte contre le chômage. Malgré une récession trois fois plus forte que celle de la France, le taux de chômage allemand a beaucoup moins augmenté que chez nous.
Nos recettes sont en constante dégradation en raison de la crise mais aussi de notre incapacité à réduire les niches fiscales et d'une obstination à maintenir un bouclier fiscal justifié en période de croissance mais injuste en temps de crise. Je salue ici la ténacité de notre commission des finances qui, chaque année, persiste dans son indépendance.
Une loi de finances rectificative n'a pas vocation à créer de nouvelles dépenses, prévisibles et récurrentes, comme la prime de Noël, ni à les sous-budgétiser volontairement, comme c'est le cas de la prime pour l'emploi. Ces mesures devraient figurer dans la loi de finances initiale.
Un mot sur les contributions internationales : 84 millions pour la mission « Action de la France dans le monde » auxquels s'ajoutent les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Leur calendrier est certes décalé par rapport à notre période budgétaire, mais il est connu et nous devrions prévoir les dépenses en conséquence. Près de 228 millions ont dû être ouverts par le décret d'avances du 9 novembre et 223 millions par ce projet de loi dans la mission « Défense ». Les dépenses des Opex doivent être réduites en mutualisant ces opérations au niveau de l'Union européenne. Il n'est pas normal que des États qui envoient des soldats sur des théâtres extérieurs payent seuls la mobilisation de ces forces. Comme je l'avais proposé lors du budget, nous devrions mutualiser les dépenses au niveau de l'Union, équilibrer la charge entre tous les membres, d'autant que la majorité des opérations se déroule sous l'égide européenne. Cela prouverait la réalité de la politique européenne de défense.
M. Michel Charasse. - C'est l'ONU qui devrait financer tout cela, comme avant !
M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le ministre, il est indispensable que vous nous présentiez un calendrier chiffré pour éliminer notre déficit structurel. Il est indispensable aussi que vos propositions apparaissent comme réalistes et sincères et non politiquement habiles. Alors, suivez, je vous prie, le conseil du prix Nobel de littérature de l'an 2000, Gao Xingjïan, « La sincérité mène à l'exactitude ». (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)
Mme Marie-France Beaufils. - Avec ce collectif, nous en sommes à la troisième loi de finances rectificative pour cette année. La situation des comptes publics s'aggrave encore, puisque le déficit record se monte à plus de 140 milliards. La dégradation de la situation économique et sociale du pays trouve sa traduction dans les comptes de l'État et de la sécurité sociale.
Nous ne pouvons, comme le fait le Président de la République, nous satisfaire de subir cette année une récession moins élevée que celle de l'Allemagne ou du Royaume-Uni. La progression du chômage et le ralentissement de l'activité économique se traduisent par l'aggravation de la vie quotidienne de millions de nos compatriotes. Depuis le début de l'année, Pôle emploi compte 670 000 personnes de plus, soit 4 millions de privés d'emploi dans les trois premières catégories de chômeurs. Pôle emploi ne peut plus faire face à cette situation, comme le traduisent les revendications de ses personnels. Une nouvelle fois, le Gouvernement envisage de recourir aux services d'agences d'intérim et de cabinets de recrutement privés pour faire face à l'afflux des sans emploi. Pourtant, les expériences précédentes se sont soldées par des échecs.
La crise de l'emploi dans notre pays n'est pas due à une médiocre qualité du service public de l'emploi, encore que la restructuration imposée à la hussarde n'ait rien arrangé. La recherche épuisante du profit par les entreprises, au détriment de l'emploi et du travail est la véritable cause du chômage. Dans le même temps, le nombre des procédures collectives ne cesse d'augmenter. Pourtant, les banques, quoique généreusement aidées par l'État continuent de se faire tirer l'oreille pour aider les PME, alors que ce sont elles qui créent des emplois. La contraction du volume du crédit bancaire aux PME n'a pas empêché les mêmes banques de réaliser cette année d'importants profits, qu'elles s'apprêtent à distribuer généreusement à leurs dirigeants. Et l'indignation vertueuse du Président de la République, tentant d'emboîter le pas du Premier ministre britannique, semble s'être rapidement dissipée devant le rappel au « principe de réalité » des banquiers et relayé par la ministre de l'économie désireuse d'éviter de « plomber les banques françaises ».
Ce prétendu plan de sauvetage, qui a consisté à donner beaucoup d'argent aux banques sans contrepartie, n'a fait que perpétuer leur dérive. L'annonce d'une taxation temporaire des bonus des traders, sous la pression d'une opinion publique révoltée, n'y change rien. Il faudra un jour revoir la fiscalité des entreprises pour les faire contribuer justement à l'effort collectif : un récent rapport de la Cour des comptes confirme que les grands groupes du CAC 40 sont passés maîtres dans l'art de l'optimisation fiscale, encouragés par les choix politiques pris depuis des décennies.
La dégradation des comptes publics fait exploser la dette, qui atteindra 1 200 milliards d'euros à la fin de l'année. La part des titres à court terme devient préoccupante. En annonçant le fameux « grand emprunt » de 35 milliards d'euros, M. Sarkozy a oublié de dire que l'État avait émis pendant le seul mois de juin 60 milliards de bons du Trésor à court terme... Nous ne sommes pas des partisans fanatiques du désendettement à tout prix ; mais nous pensons qu'il est inacceptable de financer l'action publique par l'emprunt sans augmenter les recettes fiscales. Le grand emprunt enrichira une nouvelle fois quelques groupes privés sur le dos de l'État, contraint d'assumer la charge du remboursement des intérêts.
Ce collectif budgétaire ne comprend aucune disposition relative aux recettes. Le Gouvernement laisse filer le déficit, s'exposant de la part de Bruxelles à des mesures de redressement qui aggraveront encore la situation des comptes publics. Mais il pourra dire alors que c'est l'Europe qui impose la rigueur... Le traité de Lisbonne ne nous met pas à l'abri de cette menace, car c'est la philosophie même de la construction européenne qui est en cause.
Les mesures de lutte contre la fraude fiscale contenues dans la deuxième partie du projet de loi sont inopérantes. Le principal problème est celui de l'évasion fiscale, qui permet à quelques personnes et entreprises bien informées de payer moins d'impôts en toute légalité. Avant de proclamer sa détermination à lutter contre les paradis fiscaux, sans d'ailleurs en désigner les principaux, le Gouvernement ferait bien de balayer devant sa porte et de faire en sorte qu'il n'en subsiste plus en France ni en Europe !
Pour le reste, ce collectif contient des mesures diverses, de portée très limitée et sans lien entre elles. Nous aurons l'occasion de le redire au cours de la discussion des articles : il est temps de s'interroger sur l'efficacité des mesures fiscales dérogatoires avant de les reconduire.
Ce projet de loi prolongeant les choix politiques et budgétaires que nous combattons depuis l'automne 2008, nous voterons évidemment contre. (Mme Nicole Bricq applaudit)
M. Christian Gaudin. - Nous examinons aujourd'hui le cinquième projet de loi de finances rectificative en un an, ce qui illustre la gravité de la crise et la nécessité pour l'État d'intervenir de manière répétée. Sauvetage du système financier, soutien à la trésorerie des entreprises, baisse de l'impôt sur le revenu, hausse de l'investissement public, prêt aux constructeurs automobiles : telles sont les principales mesures prises cette année à destination de tous les secteurs et de tous les agents économiques : entreprises, ménages et collectivités. Aux mesures fiscales immédiatement efficaces se sont ajoutées des mesures budgétaires dont l'impact est progressif. Le plan de relance a été bien calibré -39 milliards d'euros sur le budget de l'État et une vingtaine de milliards sur celui de la sécurité sociale- et judicieusement orienté vers les investissements.
Je m'interroge en revanche sur la distinction opérée par M. le ministre entre les dépenses relevant du plan de relance et les autres. Ces dernières ont aussi évolué sous l'effet de la crise : la charge de la dette a diminué grâce à la baisse des taux d'intérêts, mais les dépenses sociales ont fortement augmenté. Les dépenses de relance se caractérisent-elles par leur caractère non renouvelable ? On peut en douter. Les crédits du Fonds d'investissement social s'éteindront-ils à la fin de l'année 2010 ?
Il serait plus simple et plus conforme au principe de sincérité budgétaire de considérer l'état global des comptes publics, comme le fait la Commission européenne. Or les chiffres donnent le tournis : 140 milliards d'euros de déficit budgétaire, une dette publique qui équivaut à 84 % du PIB, une différence de 56 milliards entre les recettes prévues en loi de finances initiale et celles qui ont effectivement été collectées.
M. Christian Poncelet. - Eh oui !
M. Christian Gaudin. - La baisse des recettes oblige à maîtriser les dépenses. La charge de la dette a diminué de 5 milliards d'euros, mais le mérite ne nous en revient pas : cette baisse résulte de la diminution des taux d'intérêt, même s'il faut saluer les efforts de l'agence France Trésor. En revanche le Gouvernement a cherché à réduire les dépenses de fonctionnement : c'est heureux mais insuffisant. Je l'ai déjà dit : le Canada n'est parvenu à redresser sa situation budgétaire qu'en diminuant les dépenses et en stabilisant les recettes. Or cette année encore ont été prises des décisions lourdes de conséquences pour les recettes publiques : la baisse du taux de TVA dans la restauration, des dépenses fiscales non gagées contrairement aux engagements pris... L'insoutenable légèreté de la dette publique ne durera pas : les taux d'intérêt repartiront bientôt à la hausse, l'inflation aussi. (M. Christian Poncelet le confirme) Je me félicite donc de la décision prise par la CMP sur le PLF pour 2010 de limiter à 20 000 euros et à 8 % du revenu imposable le bénéfice lié aux niches fiscales.
Ce collectif budgétaire contient également un signal très encourageant de notre détermination à lutter contre les paradis fiscaux. Quelques mois après le sommet de Pittsburgh, la France prend l'allure d'une pionnière. Je disais l'an dernier que la moralisation et la responsabilisation étaient les mots d'ordre qui nous permettraient de sortir de la crise ; je me réjouis qu'ils aient trouvé un écho dans ce projet de loi, que la grande majorité du groupe UC votera. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)
M. Joël Bourdin. - Ce collectif budgétaire s'inscrit dans le contexte d'une crise économique d'ampleur exceptionnelle. Le plan de relance, d'esprit volontariste et ciblé sur les investissements, a eu des effets indéniablement positifs : selon M. Devedjian, il aura permis de sauvegarder 400 000 emplois en 2009 et 2010. Le très sérieux Financial Times estime que la France est parmi les pays industriels l'un de ceux qui ont le mieux résisté à la crise et que la politique du Gouvernement a évité une récession encore plus sévère. Certes, le déficit de l'État s'est creusé de manière vertigineuse : 141 milliards d'euros en 2009. Mais le déficit structurel ne se monte qu'à 45 milliards.
Quant à la baisse des recettes liée à la crise économique, elle atteint 57 milliards, et les dépenses du plan de relance, 39 milliards. Ces dépenses ne sont pas des fonds perdus, car ce sont des investissements : le groupe UMP se félicite qu'en cette période charnière de sortie de crise, le Gouvernement conforte un retour de la croissance encore très fragile, en particulier avec le grand emprunt dont le Président de la République a présenté les priorités. Les 35 milliards du grand emprunt iront en priorité à trois secteurs créateurs de richesses : les technologies vertes, de l'information et la recherche universitaire ; le Parlement aura tout son rôle à jouer dans le contrôle des dépenses.
Nous devons sans doute nous résoudre à ne jamais retrouver un niveau de croissance comparable à celui que nous avons connu avant la crise. Nous devons également tenir compte de la charge de la dette, qui baisse de 5,1 milliards par rapport aux prévisions, mais qui pourrait tout aussi bien s'accroître demain, si les taux d'intérêt augmentaient.
Malgré l'augmentation de 1,2 milliard des prélèvements sur recettes, principalement au profit de l'Union européenne, la hausse des dotations versées à la sécurité sociale en raison de la crise économique et les dépenses exceptionnelles liées à la grippe H1N1, l'État aura donc économisé quelque 2 milliards. Le groupe UMP se félicite que le collectif budgétaire emploie cette marge de 2 milliards au remboursement des dettes de l'État à l'égard des organismes sociaux, qui devraient ainsi être ramenées à moins de un milliard.
Ce bon résultat tient certes à la faible inflation et aux taux d'intérêt peu élevés, mais il traduit également une stricte maîtrise des dépenses, dont l'évolution est gelée en valeur par rapport à 2008.
Le groupe UMP sait gré au Gouvernement de son effort constant dans ce domaine, notamment au travers des mesures de RGPP et de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite.
Ce collectif présente encore d'utiles mesures de lutte contre la fraude fiscale et contre l'évasion fiscale à l'étranger, pour que nos capitaux restent en France. Il faut également lutter contre l'économie souterraine, estimée parfois à 40 milliards, soit l'équivalent de notre déficit structurel !
Lutte contre la fraude fiscale, lutte contre l'évasion vers des paradis fiscaux, maitrise des dépenses : c'est la trilogie que notre groupe soutient dans ce collectif, nous le voterons sans réserve ! (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. Christian Poncelet. - (Applaudissements à droite et au centre) Monsieur le ministre, je vous salue bien, en espérant que votre assiduité vous vaut une indemnité d'heures supplémentaires. Notre pays, durement atteint par la crise économique aiguë qui a touché la plupart des nations, commence tout juste à en sortir, à la faveur du soutien accordé par le Gouvernement aux entreprises. On ne s'étonnera pas, en conséquence, de trouver dans ce collectif les diminutions de recettes liées à la crise, et l'augmentation des dépenses découlant du soutien à l'activité.
Dans quelle mesure le déficit historique de 141 milliards résulte-t-il du plan de relance ? La prévision était de 66,9 milliards, soit 3,4 % du PIB, nous en sommes aujourd'hui, avec 141 milliards, à 8,2 % du PIB. Notre excellent rapporteur général nous indique que le plan de relance lui-même représente 1,2 point de PIB, cela n'explique donc qu'une partie de l'augmentation.
Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a estimé que l'explication était à rechercher principalement du côté des faibles recettes, « conséquence des choix budgétaires faits depuis 2000 » et qui ont contribué à « affaiblir la capacité de l'État à financer les politiques publiques qu'il met en oeuvre ». Les services de l'État en sont venus à parler d'une part incompressible du déficit, dit « structurel », concept ambigu s'il en est, qui représente 44 milliards.
Quant au déficit, il représente 39 % du budget, autant de dépenses qui sont financées par des recettes futures : à un tel niveau, la priorité n'est-elle pas de contenir le déficit, même si la tentation est grande de le laisser filer ? De plus, la charge de la dette diminue de 5,1 milliards, un paradoxe qui ne trompe pas, quand on sait que cette baisse tient uniquement à la faiblesse des taux d'intérêt. Or, une telle situation ne saurait durer avec le retour de la croissance : ne doit-on pas craindre, dès lors, que l'effet taux ne l'emporte sur l'effet volume ?
La relance économique peut-elle longtemps être subordonnée à l'emprunt ? Le marché financier, certes, couvrira le grand emprunt, et je soutiens pleinement le mode de gouvernance retenu par le Gouvernement, tout comme ses priorités. Cependant, le niveau même de notre endettement ne va-t-il pas changer l'appréciation du marché financier ?
Le problème de fond n'est-il pas celui de revenir au respect du pacte de stabilité ? Le Gouvernement avait opté pour une certaine stabilité fiscale, jusque récemment. Or, si la loi de finances pour 2010 supprime la taxe professionnelle sur les investissements productifs, elle créé aussi une taxe carbone qui, dans des secteurs comme le textile ou la teinturerie, peut atteindre des montants plus élevés que l'économie de TP : je connais une entreprise qui gagne 100 000 euros d'un côté et en perd 300 000 de l'autre.
Certains ont proposé de suivre l'exemple allemand, où la Chancelière a décidé des baisses d'impôts pour soutenir la croissance. Mais c'est oublier que l'Allemagne était à l'équilibre budgétaire avant la crise, ce qui n'est pas du tout notre cas ! D'autres ont estimé le moment venu d'accroître les impôts et de lever certains verrous fiscaux, notamment ceux des niches fiscales. Nous avons progressé avec le plafonnement global des niches fiscales, grâce notamment à notre commission des finances, mais du chemin reste à parcourir.
Plus généralement, ne faut-il pas retenir de la crise qu'on ne saurait en sortir uniquement par le recours à l'endettement ? C'est dire que l'évolution de la dette et du déficit relève plus que jamais d'un choix politique courageux, et qu'on ne saurait admettre encore longtemps que notre pays demeure la seule grande puissance dont le dernier excédent remonte à trente-cinq ans : à celui qu'avec M. Fourcade nous avions présenté, en 1975 !
Ensuite, nous avons plongé dans la spirale infernale du déficit.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Malgré la croissance.
M. Christian Poncelet. - La Commission européenne nous a demandé de ramener notre déficit d'ici 2013 dans la limite des 3 % du PIB prévus par le pacte de stabilité. Le Premier ministre doit présenter au début de l'année prochaine une stratégie pour atteindre cet objectif. Comment entend-il y parvenir alors qu'il était prévu de ramener le déficit à 5 % en 2013 avec une croissance de 2,5 % par an dès 2011 ? Devra-t-il élargir l'assiette des prélèvements en diminuant la dépense fiscale ? Il a été décidé de ne pas augmenter les impôts, mais le projet de loi de finances pour 2010 crée la taxe carbone et une taxe sur les réseaux.
Dans tous les cas, nous vérifierons la justesse de la phrase de Jacques Rueff, « il n'y a pas de déficit sans pleurs », et de la sagesse populaire selon laquelle les emprunts d'aujourd'hui font les impôts de demain. (Mme Nicole Bricq approuve) Des efforts, voire des sacrifices, devront être consentis partout et par tous. Jean de La Fontaine a écrit qu'en toute chose il faut considérer la fin. Les contribuables d'aujourd'hui et de demain veulent savoir quel avenir leur est réservé. M. le ministre pourra-t-il les rassurer ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Eric Woerth, ministre. - Le budget 2009, comme celui de l'année prochaine, met en valeur les objectifs poursuivis par la politique budgétaire, que le rapporteur général a évoqués. Les mesures prises créent du déficit : celui-ci ne relève pas d'un laxisme budgétaire. Christian Poncelet a décrit la situation, qui résulte d'une politique assumée. Cela n'empêche pas de remettre en ordre les finances publiques une fois l'économie revenue à la normale. Le contribuable-citoyen doit savoir qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts mais que la baisse de la dépense publique sera poursuivie et renforcée.
M. de Montesquiou a parlé d'annus horribilis budgétaire, mais il s'agit surtout d'une année horrible sur le plan économique. Les dépenses budgétaires s'accroissent du fait du plan de relance, mais il n'y a pas d'augmentation structurelle. La dépense est maîtrisée : le résultat très satisfaisant de l'Ondam, de 3,3 %, en témoigne.
Nicole Bricq a comparé notre situation à celle de l'Allemagne, où la récession a été plus forte mais l'augmentation du taux de chômage moins importante. Cette différence s'explique par une utilisation massive du chômage partiel, par un allongement de quatre à huit semaines de la durée de la formation continue et par la baisse du nombre des personnes en âge de travailler.
M. Christian Poncelet. - Mais la balance commerciale allemande est excédentaire.
M. Eric Woerth, ministre. - La balance commerciale allemande a été elle aussi affectée par la crise. Si l'on gomme les différences structurelles, l'évolution du taux de chômage en France et en Allemagne est comparable.
Philippe Marini a rappelé l'objectif de vertu budgétaire poursuivi. Certes, nous avons bénéficié d'une baisse considérable de la charge de la dette, mais nous irons plus loin en 2010, et davantage encore quand la crise s'estompera. Le Président de la République a appelé à une discussion sur les finances publiques -ce dont le ministre du budget ne peut que se réjouir-, qui aura lieu en janvier dans le cadre de la conférence des finances publiques. En juin, nous présenterons un projet de loi de finances pluriannuel qui permettra de mieux baliser l'avenir. Nous débattrons donc ensemble de la stratégie de sortie de crise tout en veillant à la vertu budgétaire.
Monsieur Marini, j'ai apprécié ce que vous avez dit sur la fraude et les paradis fiscaux. Nous tirons les conclusions des sommets du G20 à Londres et Pittsburgh. Il n'y a pas d'un côté des effets de tribune sans conséquences, et de l'autre une lutte sur le terrain qui emploierait des méthodes condamnables, mais une chaîne. Nos concitoyens attendent des résultats, et le respect de l'État de droit ne saurait justifier une certaine naïveté dans la lutte contre la fraude fiscale et sociale. (M. Philippe Marini, rapporteur général, approuve) Nous devons continuer à avancer calmement et sereinement. Je remercie la commission et les sénateurs qui nous soutiennent dans ce domaine.
Monsieur Gaudin, on peut hésiter sur la frontière entre les dépenses structurelles et conjoncturelles... Les mesures du plan de relance ne sont généralement pas appelées à durer, telle la prime à la casse dont nous sortons progressivement. Monsieur de Montesquiou, beaucoup d'efforts ont été faits pour éviter les sous-budgétisations sous la pression de la commission des finances du Sénat. Ainsi, nous limitons la dette de l'État vis-à-vis de la sécurité sociale, qui fausse le budget. Dans le long terme, ce type de manipulation vous rattrape toujours. Il faut également augmenter les crédits des opérations extérieures et prévoir un budget suffisant pour les contributions internationales.
Monsieur Bourdin, la maîtrise de la dépense et la croissance constituent la clé du redressement des finances publiques. Comme le Président de la République, je suis profondément convaincu qu'il ne faut pas augmenter la fiscalité. Cela nous mènerait à une impasse en affectant la compétitivité de notre pays.
Pour ce qui est du grand emprunt, nous en débattrons longuement en janvier. Le Président de la République a bien indiqué que ces dépenses d'avenir s'inscriront dans un contexte budgétaire qui doit lui aussi préserver l'avenir. Ce discours m'a paru parfaitement équilibré.
La loi de programmation des finances publiques, je crois, apaisera les inquiétudes exprimées par Mme Beaufils et M. de Montesquiou.
Concernant la taxation des bonus, évoquée par Mme Bricq et M. Marini, l'initiative prise par le Président de la République avec son homologue anglais figurera dans le prochain collectif consacré au grand emprunt en janvier.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Bien !
M. Eric Woerth, ministre. - Le temps nous manquait pour traduire cette décision dès ce collectif en coordination avec la Grande-Bretagne et, je l'espère, bientôt d'autres pays.
Concernant la notation de la France, monsieur Marini, la Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande connaissent une situation, variable au reste d'un État à l'autre, qui n'est pas comparable à celle de la France. Bref, tous les pays ne vont pas s'effondrer comme des dominos. La France inspire une confiance considérable. Le grand emprunt est un message d'avenir, non un coup de canif porté dans la confiance des investisseurs. Nous poursuivons, de plus, dans la voie de la maîtrise de la dépense publique. Nous gérons bien la dette et sa durée de vie moyenne n'a pas progressé sans oublier que nous avons réalisé pas moins de 5 milliards d'économies cette année.
Enfin, j'en viens à la taxe carbone et la taxe professionnelle que M. Poncelet a évoquées. Je veux bien croire qu'il reste des problèmes pour certaines entreprises mais, franchement, nous avons suffisamment débattu de la taxe professionnelle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Oh oui ! Nous avons peiné...
M. Eric Woerth, ministre. - Nous y avons passé des heures et des heures...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - ...des jours et des nuits !
M. Eric Woerth, ministre. - D'un côté, nous rendons plus de 5 milliards aux entreprises au titre de la taxe professionnelle ; de l'autre, nous prélevons 1,7 milliard sur les entreprises au titre de la taxe carbone. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la balance penche du côté des entreprises ! (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article additionnel avant l'article premier
M. le président. - Amendement n°167, présenté par M. Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les trois premiers alinéas du 6 de l'article 200 A du code général des impôts sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« 6. - Sauf option du bénéficiaire pour l'imposition à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux traitements et salaire, l'avantage mentionné au I de l'article 163 bis C, le cas échéant diminué du montant mentionné au II de l'article 8 bis imposé selon les règles applicables aux traitements et salaires, est imposé lorsque le montant des cessions du foyer fiscal excède le seuil mentionné au premier alinéa du 1 du I de l'article 150-0 A au taux de 50 %.
« Pour les actions acquises avant le 1er janvier 1990, le prix d'acquisition est réputé égal à la valeur de l'action à la date de la levée de l'option. »
II. - Au premier alinéa du 6 bis du même article, le taux : « 30 % » est remplacé par le taux : « 40% ».
III. - Le 7 du même article est abrogé.
IV. - Le même article est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Toute rémunération exceptionnelle, bonus ou avantage en capital accordées à tout salarié ou dirigeant d'un établissement de crédit est imposé à 50 % dès lors qu'il dépasse le seuil représentatif de trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance. »
Mme Marie-France Beaufils. - Cet amendement constitue une contribution au débat sur la taxation des revenus de caractère exceptionnel dont bénéficient certains cadres dirigeants et salariés des grandes entreprises, notamment les établissements de crédit. Nous l'avons déposé à la première partie de ce collectif afin de dégager les recettes complémentaires dont le budget de l'État a si besoin. Nous sommes, de longue date, partisans d'une assimilation intégrale des stock-options et autres avantages à un revenu salarial et, partant, à leur taxation sociale et fiscale. Cette mesure paraît d'autant plus importante que les banques, qui ont bénéficié du plan de sauvetage bancaire, contre lequel nous avions voté, s'apprêtent à verser de généreuses rémunérations à leurs dirigeants et à quelques salariés choisis, après avoir failli à leurs obligations de financement de l'économie de production. C'est cette logique de fonctionnement des banques, plus que les traders présentés comme boucs émissaires, qui est en cause. Nous devons y mettre fin !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La commission examinant à la suspension du déjeuner, sinon à celle du soir, les propositions que je lui soumettrai à ce sujet, il me semble prématuré de délibérer dès à présent. Nous devons prendre en compte, tout d'abord, le contexte international. Pour reprendre la geste de la bataille de Fontenoy, nous étions tentés de dire : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! », les Anglais répondant à Mme Lagarde : « Tirez vous-mêmes ! ». La situation est aujourd'hui différente, a rappelé M. le ministre, puisqu'il s'agit de donner une traduction concrète aux conclusions des rencontres du G20. En revanche, madame Beaufils, nos approches divergent en ce que vous défendez une taxation dans un esprit vexatoire et punitif quand la majorité de la commission, je l'espère, s'attachera plutôt à l'évaluation du risque porté par les bilans bancaires. Pour nous, la question n'est pas de reconnaître l'indignité supposée des métiers de l'argent, un thème rémanent dans l'histoire de l'humanité...
M. Michel Charasse. - ...et antisémite !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - En effet, avec une hostilité à une corporation assimilée à une culture, à une origine, voire à une religion ! Madame Beaufils, je vous suggère donc de retirer votre amendement pour soutenir la proposition que la commission déposera qui concernera non seulement les rémunérations des opérateurs de marché, mais aussi celles de la chaîne hiérarchique, responsable de l'évaluation des risques. Notre logique est d'inciter les banques à une politique raisonnée du risque plutôt que de consacrer trop d'énergie en matière de pur arbitrage sur les marchés d'instruments financiers.
M. Eric Woerth, ministre. - Cet amendement vise les stock-options mais aussi d'autres éléments de rémunération. L'équivalent de trois Smic par mois représente 4 000 euros. Dans le secteur bancaire, de nombreuses personnes touchent un tel salaire !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Et les footballeurs !
M. Eric Woerth, ministre. - Le débat sur les bonus aura lieu en son temps et le Gouvernement a déjà fait suffisamment sur les stock-options. Pour ces raisons, je propose de ne pas retenir l'amendement.
Mme Marie-France Beaufils. - Je le retire d'autant moins que vous n'avez pas fait preuve d'une telle retenue en loi de finances ! Que les bonus de ces personnels soient comptabilisés dans leurs revenus est plus respectueux de la justice fiscale que de fiscaliser les indemnités des victimes des accidents du travail !
L'amendement n°167 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°38, présenté par M. Marc et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
I. - Après l'alinéa 26
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - En 2009, le I de l'article 51 de la loi n°2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, le montant : « 0,82 € » est remplacé par le montant : « 0,94 € » ;
2° Au quatrième alinéa, le montant : « 0,57 € » est remplacé par le montant : « 0,65 € ».
II. - La perte de recettes pour l'État résultant de l'augmentation de la fraction de tarif de la taxe intérieure sur les produits pétroliers attribué aux départements en compensation de la création du revenu de solidarité active, est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. François Marc. - Nous alertons le Gouvernement sur l'insuffisante compensation financière du RSA aux départements pour 2009. Les craintes que nous avions exprimées lors des débats sur la loi généralisant le RSA étaient fondées : le manque-à-gagner pour les départements est bien réel. De fait, la compensation est fondée pour 2009 sur la moitié des dépenses de l'État en 2008 au titre de l'allocation de parent isolé. Les départements ont versé le RSA de juillet à décembre aux personnes dont le dossier a été traité entre juin et novembre. Or le RSA de décembre 2009 sera payé en janvier 2010.
Mais les départements sont obligés de rattacher l'ensemble des dépenses engagées au titre de 2009 au budget 2009 !
Le RSA ayant été transféré aux départements au 1er juin 2009, ils auront à assumer sept mois de RSA. Sachant que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 7 % en un an, les départements redoutent un sous-financement. Ils demandent une augmentation de la compensation financière au titre de 2009 pour prendre en compte la totalité des versements effectués.
M. Michel Charasse. - Il s'agit du rythme de versement des acomptes. L'État se fait de la gratte au détriment de la trésorerie des départements. Ce système n'a jamais été approuvé par le législateur, ni soumis à la commission d'évaluation des charges. A l'heure où l'on prétend clarifier les relations entre l'État et les collectivités, il faudra déjà balayer devant cette porte !
M. le président. - Amendement identique n°168, présenté par M. Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG
Mme Marie-France Beaufils. - La charge des dépenses sociales obligatoires pèse sur les départements et les contraint à augmenter la fiscalité locale. Loin d'être une preuve de laxisme, c'est un effet pervers du transfert non compensé de compétences ! Les départements ont dû payer treize mois d'allocations sur douze mois calendaires. On attend une nouvelle poussée de fièvre avec l'arrivée des futurs bénéficiaires arrivés en fin de droits chômage. Attention aux risques de dérapage des dépenses qu'entraînera la crise !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Le problème est peut-être d'ordre comptable, certainement pas d'ordre budgétaire. Il y a un décalage entre la date où naît la créance et sa mise en paiement. Au final, les départements ne financent que douze mois de prestations. Fin décembre, la créance existe et sera payée en janvier : c'est sans incidence sur les finances du département.
La compensation du transfert du RSA aux départements fait l'objet de plusieurs clauses de revoyure dans les lois de finances pour 2011 et 2012. Sous le bénéfice de ces observations, et des confirmations que le ministre voudra bien apporter, je suggère de retirer ces amendements.
M. Eric Woerth, ministre. - Il y a peut-être un problème comptable, mais pas un problème de trésorerie. Le décalage d'un mois apparaît dans le calcul mais pas dans le versement. Ce sont bien douze mois de prestations qui sont décaissés : six mois de RMI de janvier à juin 2009, puis six mois de RSA de juillet à décembre, correspondant aux droits ouverts de juin à novembre 2009.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Les départements ont versé en 2009 six mois de RMI et six mois de RSA, qui correspondent à sept mois de droits. Les bénéficiaires sont les mêmes : comment un individu peut-il percevoir treize mensualités sur une année ?
M. Eric Woerth, ministre. - Les droits au RSA ont été ouverts au 1er juin mais payés au 1er juillet.
M. François Marc. - Nous avons du mal à nous comprendre... Les départements paieront pour 2009 sept mois de RSA, alors que l'État ne versera que six mois de compensation. Le compte administratif de l'exercice fera donc apparaître un déficit supplémentaire né de l'inégalité des sommes perçues et payées. Il faudrait permettre aux départements de déroger à la loi qui les oblige à rattacher à l'exercice 2009 toutes les dépenses engagées au titre de 2009.
M. Eric Woerth, ministre. - Le RMI de décembre 2008 a bien été payé en janvier 2009 ! Le régime est le même que pour l'ancien RMI : on paie en janvier les droits ouverts en décembre.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Les choses sont claires. Sur le plan comptable, on constate une dette à l'égard des allocataires du RSA mais une créance sur l'État : la situation nette du département n'est donc pas dégradée.
M. Michel Charasse. - La question est celle du chevauchement comptable entre juin et juillet avec la disparition du RMI et l'instauration du RSA. (Mme Marie-France Beaufils le confirme) Le conseil général a perçu en juin la compensation du RMI de mai, et en juillet celle du RSA de juin. Or il y avait encore du RMI en juin : où est passée la compensation ? A-t-elle été ajoutée à celle du RSA ? Il manque sans doute un morceau d'un mois de RMI...
M. René Garrec. - On aurait entendu les loups hurler dans les campagnes !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il y a eu continuité entre les deux dispositifs : en fin d'année, la situation est la même que pour le RMI. Le ministre pourrait-il transmettre à la commission des finances une note décortiquant la méthode comptable, afin de rassurer les gestionnaires de collectivités ? (M. Michel Charasse approuve) Sur le fond, il n'y aucune inquiétude à avoir.
M. Eric Woerth, ministre. - Mes services feront le point dans quelques jours sur le passage du RMI au RSA, aux plans comptable, budgétaire et sur celui de la compensation.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !
Mme Marie-France Beaufils. - Inscrire une créance de l'État qui n'est pas elle-même inscrite, voilà qui me paraît un peu délicat...
Les amendements nos38,162 rectifié et 168 sont retirés.
L'article premier est adopté.
L'article 2 est adopté.
Article additionnel
M. le président. - Amendement n°39, présenté par M. Marc et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le troisième alinéa de l'article L. 442-9 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La première contribution est revalorisée a minima, en fonction de l'évolution de la valeur du point d'indice des agents de la fonction publique de l'année précédente. A titre dérogatoire, pour l'année 2009, son montant correspond à la contribution versée en 2006 revalorisée a minima, de l'évolution de la valeur du point d'indice des agents de la fonction publique des années 2007 et 2008. »
II. - Les fractions de tarifs de taxe intérieure sur les produits pétroliers, prévus par la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, sont revalorisées à due proportion sur la base des minima.
III. - La perte de recettes pour l'État résultant de la revalorisation du second forfait externat pour les régions et les départements, est compensée à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. François Marc. - Il s'agit du sujet sensible du financement de la part « personnel » du forfait d'externat au profit des établissements privés, assumé par les départements et les régions depuis la loi du 13 aout 2004. Les accords Lang-Cloupet de 1992 ont prévu une revalorisation du montant du second forfait d'externat tous les trois ans ; une de ces revalorisations aurait dû intervenir en 2009.
Or, la compensation financière est insuffisante, qui a été fixée sur le niveau de dépenses de l'État en 2006 ; sans compter que les obligations imposées aujourd'hui aux collectivités locales sont différentes de celles remplies hier par l'État -je pense notamment aux critères retenus pour le calcul des charges sociales afférentes à l'emploi d'un personnel de droit privé.
Nous n'entendons pas remettre en cause l'opportunité des accords de 1992 ; nous souhaitons seulement que les collectivités locales puissent assumer financièrement les charges qui leurs ont été transférées. L'État a d'ailleurs conscience du problème, puisque la commission consultative d'évaluation des charges a décidé, le 26 novembre dernier, de constituer un groupe de travail associant l'État, les associations des collectivités et les représentants des établissements d'enseignement concernés. Nous avons besoin d'une analyse objective et d'une juste estimation des compensations. Cet amendement d'appel doit permettre au Gouvernement de préciser sa position.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Les auteurs de l'amendement entendent d'abord que soit pris en compte le point d'indice de la fonction publique ; en l'absence d'éléments chiffrés pertinents sur le coût réel du forfait d'externat, il est légitime qu'ils interrogent le Gouvernement. Leur seconde proposition me paraît plus contestable, en ce qu'ils font appel, à titre de compensation, à une nouvelle fraction de la TIPP. Le droit à compensation ne peut être calculé que sur la base des charges transférées ; il ne saurait tenir compte de l'évolution du coût de la compétence transférée. Cette interprétation est parfaitement conforme à l'article 72-2 de la Constitution.
M. Eric Woerth, ministre. - Avis défavorable. Au moment où l'on transfère, on calcule ce qui est transféré et on affecte les recettes correspondantes -que celles-ci soient dynamiques ou non est une autre affaire. On ne peut procéder année après année à un nouveau calcul. Le point d'indice n'a rien à voir ici.
M. Michel Charasse. - Il est bon que la question soit soulevée, mais l'amendement me semble prématuré. La commission consultative d'évaluation des charges, dans laquelle j'ai l'honneur de siéger, s'est saisie du problème fin novembre et a décidé, en accord avec le Gouvernement, de créer un groupe de travail qui rendra rapidement ses conclusions. Cette méthode a déjà été utilisée à plusieurs reprises et a eu des résultats positifs, par exemple sur les contributions au Stif.
Au moment du transfert de charges, nous arrêtons des règles et l'État verse une compensation ; c'est ensuite aux collectivités territoriales d'en faire leur affaire. On ne peut y revenir que si le calcul est dès le départ erroné. C'est précisément ce point qu'étudiera le groupe de travail. Les choses doivent être claires dès lors qu'il s'agit de charges obligatoires pour les collectivités. Mais si nous remettons tous les ans en cause les modalités de calcul de la compensation, nous sortons des règles qui nous gouvernent depuis les lois Deferre. Les respecter pose parfois problème, comme en a posé l'augmentation imprévue de la population scolaire au début des années 1980, ou l'explosion du RMI ; mais c'est un autre débat ...
Je souhaite que les auteurs de l'amendement attendent les conclusions du groupe de travail, d'autant que nous aurons des clauses de revoyure ; la question pourra alors être revue... qui est de toute façon du domaine réglementaire.
M. François Marc. - Nous attendrons les conclusions du groupe de travail.
L'amendement n°39 est retiré.
Article 3
Une fraction d'un montant de 35 millions d'euros du produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation mentionnées à l'article L. 2334-24 du code général des collectivités territoriales est affectée en 2009 au fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, créé au sein de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances par l'article 5 de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
M. le président. - Amendement n°40, présenté par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
Mme Nicole Bricq. - Cet article organise une nouvelle fois un prélèvement au profit de l'État sur le produit des amendes des radars. Lors du collectif de 2006, l'Assemblée nationale avait pourtant insisté sur le caractère exceptionnel d'un tel prélèvement. Nous dénonçons quant à nous chaque année cette affectation dérogatoire. Le Président de la République s'était pourtant engagé à trouver un autre financement...
Le problème est que le produit des amendes est inclus dans l'enveloppe fermée ; le prélèvement contraint donc à la baisse les autres dotations aux collectivités territoriales, celles-ci étant alors soumises à une double peine : une réduction de leurs moyens destinés spécifiquement à l'amélioration des transports en commun et de la circulation, et une baisse de leurs dotations de compensation.
A chaque fois, le ministre nous explique qu'il y a un retour via les subventions du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ; sauf qu'en 2008 seuls 35 % des moyens de celui-ci ont été attribués aux collectivités, ce que la commission des finances a dénoncé, et encore cette année. Nous nous opposons à cette façon de débudgétiser le financement du fonds. L'État, contraint par la dérive des comptes, n'assume plus ses missions régaliennes, en l'espèce la sécurité.
Le Gouvernement invoque l'aide au financement de la vidéosurveillance mais c'est là une affectation exclusive qui, de plus, témoigne d'une vision très réductrice de la prévention de la délinquance.
M. le président. - Amendement identique n°169 rectifié, présenté par M. Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG.
M. Bernard Vera. - Voici une nouvelle mesure tendant à priver les collectivités locales de ressources qui leur sont dues. On prélève donc 35 millions sur le produit des amendes de police pour alimenter un fonds destiné à la lutte contre la délinquance, placé sous la responsabilité de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Ce fonds a-t-il d'ailleurs le moindre budget disponible en dehors de ce prélèvement ? Il a été placé dans le périmètre de l'Agence de cohésion sociale et d'égalité des chances, ce qui donne une étrange teneur à la cohésion sociale puisqu'il s'agit de cofinancer avec des collectivités locales -ce qui est presque un abus de langage puisque son apport est réalisé à partir d'un prélèvement sur des ressources qui devraient leur revenir- ces réseaux de vidéosurveillance dans lesquels vous voyez le remède miracle contre la délinquance de proximité, celle qui empoisonne la vie quotidienne.
Nous peinons à croire que quelques caméras bien placées dans les lieux de passage, les gares ou les centres commerciaux soient plus efficaces contre la délinquance que l'éducateur de rue intervenant en milieu ouvert ou même le policier en patrouille. Il est d'ailleurs symptomatique que le même gouvernement qui veut développer la vidéosurveillance soit aussi celui qui réduit les effectifs de policiers sur le terrain de près de 1 400 unités.
Au désengagement de l'État sur ses missions régaliennes s'ajoute ainsi un petit hold-up dans les caisses des collectivités locales.
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.
I. - Remplacer le montant :
35 millions d'euros
par le montant :
25 millions d'euros
II. - Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Ces sommes sont exclusivement destinées à l'accompagnement financier des collectivités territoriales qui s'engagent dans le déploiement de dispositifs de vidéoprotection.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ces trois amendements posent la même question. Les amendes de police sont des ressources communales.
Mme Marie-France Beaufils. - Dans l'enveloppe normée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Exactement. Ces ressources doivent être restituées à 100 % aux communes ; il n'est pas question avec cet argent de faire le joli coeur auprès de je ne sais quelle association. Favoriser la vidéosurveillance, très bien, mais cet argent doit aller aux communes dans la transparence. Or, comme les députés, nous avons des doutes sur la gestion de ces crédits. Ils les ont ramenés de 50 à 35 millions, nous proposons d'aller jusqu'à 25. On me dit que ce serait susceptible de poser des problèmes mais pouvez-vous nous donner l'assurance que ces 35 millions iront bien aux communes ou aux intercommunalités, et non à des associations ?
Si vos explications ne sont pas convaincantes, je maintiendrai l'amendement n°1 auquel j'invite nos collègues à se rallier.
M. Eric Woerth, ministre. - Ces 35 millions doivent servir à tripler le nombre de caméras. Avec 12 millions, on en a installé 5 000 en 2009 ; c'est pourquoi nous demandons le triple. Passer de 50 à 35 millions comme le demande l'Assemblée nationale laissera la possibilité de poursuivre le même effort, sachant que 23 millions vont à des associations.
M. Jean-Jacques Jégou. - C'est qui ?
M. Eric Woerth, ministre. - Demandez au ministre de l'intérieur !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ça ne colle pas !
M. Eric Woerth, ministre. - Ce sont des associations choisies par les préfets et les maires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je suis maire, on ne m'en a jamais parlé.
M. Eric Woerth, ministre. - Le FIPD, c'est 120 millions depuis 2007 ; la moitié directement aux communes, la moitié à des associations. A vous de vous pencher sur celles-ci !
Bref, je ne souhaite pas que l'on descende au-dessous de 35 millions car cela obligerait à couper dans les subventions aux associations.
Mme Nicole Bricq. - A quoi sert la régulation budgétaire ?
M. Charles Gautier. - Puisque le ministre est mal informé, je vais lui donner des explications.
Le Fond interministériel de prévention de la délinquance a été créé par l'article 5 de la loi du 5 mars 2007 faisant du maire le pivot de la politique de prévention de la délinquance sur le territoire de sa commune. Depuis 2007, le FIPD aide au financement dans les collectivités locales des politiques de prévention de la délinquance. Celles-ci supposent un partenariat étroit entre les collectivités, les services de l'État et les acteurs associatifs ; elles concernent par exemple la lutte contre les violences faites aux femmes, la prévention de la récidive par la préparation à la sortie de prison ou l'accompagnement des sortants de prison, la délinquance des mineurs en partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse et la prévention spécialisée. Et aussi la vidéosurveillance.
Depuis sa création, le FIPD souffre de ne pas savoir sur quel crédit il pourra compter l'année suivante. De 50 millions en 2007, il est passé à 40 en 2008 puis à 35 en 2009. Nous sommes censés être en 2010 dans une année particulière, pendant laquelle le Gouvernement a annoncé 55 millions pour le plan de prévention de la délinquance, annoncé le 2 octobre par le Premier ministre. Cela fait deux ans que les ministres de l'intérieur successifs nous promettent un projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure qui est continuellement reporté.
Depuis plusieurs années je dénonce les incohérences du Gouvernement en la matière et voilà que la commission des finances s'interroge sur le mode de financement du seul organisme qui a été réellement créé par la loi de 2007 ! Là-dessus aussi, le Gouvernement ne s'est jamais engagé financièrement. La politique de sécurité et de prévention de la délinquance n'est pas du tout sa priorité. II communique mais ne finance pas.
Notre rapporteur général veut abaisser les crédits en cause de 35 à 25 millions. Certes, le Gouvernement ne fait que prendre aux collectivités pour redonner aux collectivités.
En 2008 et en 2009, les bénéficiaires des subventions du FIPD ont été à 56 % des associations travaillant sur le terrain et à 34 % des collectivités territoriales, ce qui fait donc 90 % des affectations. Pour mener à bien sa politique, il appartient au Gouvernement d'abonder les fonds adéquats, sans prélever sur les autres dotations affectées aux collectivités.
En outre, j'aimerais que M. Marini retire la seconde partie de son amendement où il cantonne le FIPD aux actions de financement de la vidéosurveillance dans les communes. C'est nier tout le reste de la prévention ! La politique de prévention de la délinquance ne peut pas se limiter à la vidéosurveillance, comme je l'avais dit lors du vote des crédits de la sécurité dans les projets de loi de finances pour 2009 et pour 2010.
II est important que le Gouvernement s'engage sur un financement pérenne du FIPD afin d'agir sur l'ensemble de la politique de prévention de la délinquance. Je suis d'accord avec les arguments de nos collègues des finances : il faut que le Gouvernement s'engage sur l'avenir, et même sur l'existence du FIPD, car c'est bien de cela dont il s'agit.
M. Philippe Dallier. - Sur la façon dont ce fonds est alimenté, je ne peux que partager votre avis : c'est une bizarrerie que de prélever sur les amendes de police des sommes qui sont en partie destinées aux associations qui travaillent à la prévention de la délinquance.
Pour ce qui est du financement de la vidéosurveillance, il y a aussi un problème de fond : l'enveloppe distribuée aux collectivités locales est réduite de façon indifférenciée. Ainsi, une partie des sommes prélevées sur les communes pauvres pourront financer les projets de vidéosurveillance de communes riches retenus par les préfets ! (M. Jean-Jacques Jégou le confirme)
Nous devrons bien un jour nous pencher sur le financement de la sécurité publique assumé par les collectivités. C'est dans les communes les plus pauvres que l'on rencontre généralement les problèmes de sécurité les plus importants. Quand on doit financer une police municipale et un système de vidéosurveillance, comme chez moi, le budget est considérable et c'est autant de moins pour financer des actions éducatives ou de prévention. Lorsque nous parlerons de la péréquation, il ne faudra pas oublier cet élément essentiel qui est, ne l'oublions pas, une charge régalienne de l'État. (MM. Charles Gautier et Jean-Jacques Jégou applaudissent)
Mme Nicole Bricq. - Bien sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La commission veut s'assurer que le prélèvement sur les amendes de police retourne bien aux communes. Si le ministre pouvait nous assurer que la somme prélevée ne sera plus utilisée, dans une proportion importante, pour les bonnes oeuvres des préfets, c'est-à-dire pour l'aide à différentes associations, nous aurions satisfaction. Dans mon département, il y a trois circonscriptions de police urbaine. Or, je n'ai jamais été consulté par le préfet sur une subvention de l'État pour telle ou telle association Tartempion.
M. Christian Poncelet. - Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je ne sais pas si le président du conseil général des Vosges a été consulté.
M. Christian Poncelet. - Je suis dans la même situation !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je ne sais pas non plus si le président du conseil général de l'Orne, si le maire de Saint-Herblain ou de Pavillons-sous-Bois l'ont été ! (M. Philippe Dallier fait signe que non ; on s'amuse)
M. Joël Bourdin. - Et le maire de Chantilly ? (M. le ministre sourit)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il serait préférable que l'on s'en tienne à la règle selon laquelle le produit des amendes retourne à des travaux de sécurité et de prévention de la délinquance sous maîtrise d'ouvrage communale. Si nous obtenions satisfaction, la commission pourrait retirer son amendement.
M. Eric Woerth, ministre. - Je propose de laisser le prélèvement à 35 millions et de le consacrer au plan d'installation de vidéosurveillance. Cet argent reviendra donc aux collectivités territoriales. En ce qui concerne les associations, qui sont le plus souvent très utiles...
Mme Nicole Bricq. - Bien sûr !
M. Eric Woerth, ministre. - ...il faut que les ministères les financent sur leurs fonds propres.
L'amendement n°1 est retiré.
Mme Marie-France Beaufils. - Je ne puis accepter que l'on retire ces crédits qui sont dans l'enveloppe normée pour faire de la vidéosurveillance : je suis atterrée par ce type de proposition ! Le Gouvernement a décidé de supprimer 1 400 policiers et 1 400 gendarmes : pour compenser, il veut développer la vidéosurveillance ! Mais alors, qu'il en assume la charge ! L'enveloppe normée destinée aux collectivités locales ne doit pas servir à mener la politique voulue par le Gouvernement. Notre amendement est donc maintenu.
M. Charles Gautier. - C'est un détournement de fonds !
M. Ladislas Poniatowski. - Je regrette que le rapporteur général ait retiré son amendement ! Le produit des amendes de police est utilisé par les communes pour effectuer des travaux de sécurité, comme la protection des abords des écoles, la création de feux, de passages cloutés ou d'abribus, et l'amélioration de la sécurité routière. En outre, dans certains départements, une partie de cet argent est déjà utilisée pour de la vidéosurveillance. C'est le conseil général qui retient les projets déposés par les communes et qui verse les crédits. Nos collègues de l'opposition veulent que le fonds de prévention soit abondé : on ne peut qu'être d'accord, mais que l'on n'aille pas ponctionner le produit des amendes de police ! Je préférais l'amendement de notre rapporteur qui ne prévoyait qu'un prélèvement de 25 millions, même si j'aurais voulu qu'il n'y en ait aucun !
Mme Nicole Bricq. - Très bien !
M. Charles Gautier. - Votez notre amendement, alors !
Mme Nicole Bricq. - Nous ne retirons pas notre amendement car je vous renvoie à l'exposé des motifs de l'article 3 : ce fonds servira à financer « la mise en oeuvre des orientations du plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes présenté le 2 octobre 2009 par le Premier ministre ». C'est clair ! L'État doit donc faire de la régulation budgétaire au sein des crédits du ministère de l'intérieur. Les communes n'ont pas à payer !
Les amendements n°s40 et 169 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article 3 est adopté.
La séance est suspendue à midi cinquante-cinq.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance reprend à 15 heures.