compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Sonia de La Provôté.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Apprentissage
Débat organisé à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’apprentissage, organisé à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
Pour que les personnes qui assistent à nos débats en tribune puissent se repérer dans notre ordre du jour, je précise que nous poursuivrons notre séance par l’examen, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias, des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire.
Je tiens à saluer les apprentis et les maîtres d’apprentissage qui assistent à notre séance en tribune.
Les sénateurs présents ce matin vont débattre du sujet spécifique de l’apprentissage ; sans doute sont-ils un peu moins nombreux que lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Il y a quatre-vingts ans – cela peut vous sembler lointain –, l’Assemblée consultative provisoire se réunissait dans notre hémicycle, marquant le retour de la démocratie après la Seconde Guerre mondiale. Le général de Gaulle, président de l’Assemblée consultative provisoire, s’exprimait alors à cette tribune. (M. le président du Sénat désigne la tribune de l’orateur, située devant lui.)
Je salue également la présence, dans notre tribune d’honneur, de M. Joël Fourny, président des chambres de métiers et de l’artisanat de France (CMA France), ainsi que de plusieurs présidents de chambre de métiers et de l’artisanat qui l’accompagnent.
À l’occasion de ce débat, je souhaite réaffirmer l’attachement du Sénat à l’apprentissage, voie de formation et d’accès à l’emploi et à l’artisanat, lequel est, selon un slogan bien connu, la première entreprise de France.
J’ai rencontré avant la séance une délégation d’apprentis dans la salle Clemenceau du Palais de Luxembourg. J’ai pu échanger librement avec certains d’entre eux et leur rappeler l’attachement du Parlement comme de l’exécutif, madame la ministre, à l’apprentissage.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de deux minutes, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de réplique, pour une durée d’une minute. Telle est la règle du jeu !
La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de souhaiter la bienvenue, à la suite du président du Sénat, aux apprentis présents en tribune.
Nous sommes heureux de les accueillir aujourd’hui pour cette vingtième édition des rencontres sénatoriales de l’apprentissage, organisées conjointement par le Sénat et par CMA France, dont je salue le président, que la commission des affaires économiques a eu l’honneur de recevoir en audition il y a quelques semaines.
Vingt-cinq ans après la première édition de ce rendez-vous, le bilan que nous pouvons en tirer est positif. Au cours de ces vingt-cinq années de dialogue et d’engagement, le Sénat a été aux côtés de ceux qui croient en la valeur travail, en la puissance de l’expérience et surtout en la transmission des savoirs et des savoir-faire.
En 2025, les enjeux auxquels l’apprentissage est confronté sont plus que jamais au cœur de notre avenir.
Premier enjeu : l’orientation. Parfois, les jeunes découvrent l’apprentissage un peu par hasard. Il faut en faire un choix d’ambition valorisé dans nos établissements scolaires, notamment dans nos collèges.
Deuxième enjeu : l’adaptation des compétences. Les besoins des entreprises évoluent rapidement. Les transitions numérique, écologique, technologique et industrielle transforment les métiers et les attentes des entreprises. L’apprentissage, par sa souplesse et sa proximité avec le terrain, constitue l’une des meilleures réponses à ces mutations.
Troisième et dernier enjeu : l’égalité des chances. L’apprentissage répond à un objectif de justice sociale ; chaque jeune, quels que soient son parcours, son lieu de vie, son origine, doit pouvoir accéder à un contrat, à un accompagnement de qualité, à un avenir professionnel digne de ses talents.
Cette vingtième édition des rencontres sénatoriales de l’apprentissage nous rassemble ce matin autour d’une conviction forte et partagée : l’apprentissage est une voie d’excellence. C’est une passerelle indispensable entre le monde de l’éducation et celui de l’entreprise. Plus encore, c’est un levier essentiel pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux de notre pays, aujourd’hui et à l’avenir.
Je veux dire ici, devant les apprentis présents en tribune, qu’ils sont la preuve vivante que le talent n’a pas d’âge, que la détermination vaut tous les diplômes et que l’alternance entre l’école et l’entreprise forge des professionnels complets, adaptables et responsables. En cela, les apprentis font la fierté de notre pays.
Débattre des enjeux de l’apprentissage comme nous allons le faire ce matin, c’est marquer l’engagement du législateur à continuer de faire en sorte que vos parcours, à vous, les apprentis, soient toujours mieux valorisés et porteurs de nouvelles opportunités.
En tant qu’élus et que représentants des territoires, nous soutenons tous l’apprentissage, qui est une chance, une ardente nécessité, une voie d’excellence, d’émancipation par le travail et de progrès pour nos sociétés et nos économies.
Je souhaite un excellent débat à nos spectateurs présents en tribune. J’espère que les échanges qui se tiendront entre les sénateurs et Mme la ministre répondront à vos attentes, et qu’ils contribueront à conforter le statut de véritable voie d’excellence de l’apprentissage. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des affaires sociales, auteur de la demande.
Je précise à l’attention de notre public que la commission des affaires sociales est en effet chargée des questions relatives au travail et la commission des affaires économiques de tout ce qui a trait au développement économique.
Mme Pascale Gruny, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le Sénat renoue aujourd’hui avec la tradition des rencontres sénatoriales de l’apprentissage. Je me félicite également que nous puissions débattre de ce sujet devant des apprentis, des formateurs et des élus des chambres de métiers et de l’artisanat venus de nombreux de départements. Je les remercie de leur présence.
Que de chemin parcouru par la politique de l’apprentissage depuis la dernière édition des rencontres sénatoriales, organisées avant la crise sanitaire ! En 2019, 367 000 contrats d’apprentissage avaient été signés dans l’année, contre 849 000 en 2023, soit une augmentation de 131 %.
La réforme issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a donc été couronnée d’un succès quantitatif indéniable. Le nombre important de contrats atteste que l’apprentissage est une voie d’excellence et que les avantages évidents qu’emporte cette filière sont reconnus par tous les employeurs et les jeunes en formation.
La politique de l’apprentissage n’est toutefois pas pour autant stabilisée.
Les lois de finances successives n’ont en effet pas su faire advenir un modèle équilibré de financement de l’apprentissage. France Compétences, chargée d’assurer la répartition et le versement des fonds, a constamment été en déficit depuis 2020. Le dernier budget de l’opérateur, adopté pour 2025, fait encore état d’un solde déficitaire d’un demi-milliard d’euros.
La commission des affaires sociales a pourtant été force de proposition pour assurer un équilibre financier à l’apprentissage, en suggérant de recentrer les dépenses de France Compétences sur ses missions premières.
Le montant total des dépenses nationales en faveur de l’apprentissage est du reste devenu considérable, voire déraisonnable. En cumulant les dépenses de tous les financeurs, notamment des opérateurs de compétences, l’État et les régions, il atteignait 15,3 milliards d’euros en 2023. La rationalisation qui doit être opérée a déjà été engagée, mais elle doit être menée sans sacrifier la dynamique de l’apprentissage et sans mettre en difficulté les secteurs dans lesquels cette voie est une filière historique de formation.
Lors de l’examen du dernier budget, la commission des affaires sociales a soutenu la régulation des dépenses proposée en évitant tout freinage brusque et en donnant la priorité au soutien des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME).
Depuis février 2025, le format de l’aide aux employeurs retenu par le Gouvernement permet d’adapter le montant de l’aide en fonction de la taille de l’entreprise.
J’en viens donc à un second échec de la politique nationale de l’apprentissage : celle-ci n’est pas encore parvenue à définir le ciblage parfait des aides en faveur des employeurs. Le périmètre ou le montant de ces aides ont changé à quatre reprises depuis le 1er janvier 2019, de telles variations n’offrant que peu de lisibilité aux entreprises.
Par ailleurs, l’idée de moduler les aides selon le niveau de qualification des formations suivies ne doit pas être abandonnée. La création de l’aide exceptionnelle lors de la crise sanitaire est allée de pair avec un soutien uniforme, quel que soit le niveau de formation. Il convient peut-être de revenir à l’esprit qui avait présidé à la refonte des aides issue de la loi de 2018, en accordant la priorité aux formations historiques de l’apprentissage.
Voilà donc quelques axes de réformes à venir, madame la ministre.
La politique de l’apprentissage est entrée dans un temps de consolidation. Au-delà des objectifs quantitatifs, il convient de construire un modèle pérenne et cohérent de soutien public à cette voie de formation de grande valeur.
Je souhaite une pleine réussite aux apprentis présents en tribune et dans la salle Clemenceau, et je remercie tous ceux qui les accompagnent vers la vie active. (Applaudissements.)
M. le président. Dans la suite de notre débat – je l’indique aux personnes qui assistent à notre séance en tribune –, je vais donner la parole aux représentants des groupes politiques, dans l’ordre qui a été tiré au sort au début de la session.
Je vais ainsi donner la parole à Mme Apourceau-Poly, qui appartient au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour la bienvenue aux apprentis présents ce matin au Sénat, ainsi qu’à ceux qui participent à leur formation.
L’apprentissage est une expérience, tout le reste n’est qu’information, disait Albert Einstein. En France, l’apprentissage est une expérience ouverte aux jeunes de 16 à 29 ans, qui ont ainsi la possibilité de se former en alternance et de découvrir le monde du travail tout en préparant un diplôme reconnu par l’État.
L’apprentissage doit être non pas un choix par défaut – il serait alors voué à l’échec –, mais un choix personnel.
Notre pays compte de très bons lycées professionnels, qu’il nous faut veiller à développer, car les enseignements qu’ils dispensent correspondent aux aspirations de nombreux jeunes qui préfèrent suivre leur cursus scolaire en formation initiale.
Au cours des dernières années, les gouvernements ont développé l’apprentissage en accumulant les aides financières aux entreprises. Nous ne sommes évidemment pas opposés aux aides publiques à l’apprentissage, à condition que l’utilisation de ces aides soit rigoureusement contrôlée. Celles-ci doivent servir à accompagner, à former le jeune à son futur métier.
Selon l’économiste Bruno Coquet, les aides publiques à l’apprentissage étaient estimées à 25 milliards d’euros en 2023. En trois ans, les entreprises ont, hélas ! vu les aides financières à l’apprentissage être divisées par quatre. En 2022, les entreprises recevaient 8 000 euros par apprenti. Depuis le mois de février dernier, la prime a été réduite à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés.
Si cette situation pénalise toutes sortes d’entreprises, elle est ressentie comme un coup dur par les artisans et les petites entreprises qui souhaitent embaucher des apprentis. Je pense notamment, pour n’en citer que quelques-uns, aux boulangers, aux bouchers, aux coiffeurs, aux ébénistes, aux métiers du commerce, de la restauration, de la communication ou du numérique.
Ce frein supplémentaire s’ajoute aux difficultés que nos jeunes rencontrent déjà pour trouver une entreprise.
Nos jeunes apprentis, dont il serait nécessaire de revisiter et d’améliorer le statut, font les frais de l’abaissement du seuil d’assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) décidé dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025. Ces dispositions se traduisent par une perte de 25 euros de rémunération par mois pour ceux dont la rémunération est égale à au moins 50 % du Smic. C’est une injustice pour ces jeunes qui travaillent et dont certains se trouvent dans une situation de grande précarité financière.
À cela s’ajoutent des conditions de travail parfois dégradées, un encadrement et une formation parfois négligés. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), un jeune en certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou en bac professionnel sur quatre met un terme à son apprentissage au bout d’une année scolaire.
Il nous faut donc réfléchir aux moyens par lesquels nous pouvons aider ces jeunes à rebondir, à retrouver un établissement scolaire pour repartir vers une nouvelle chance d’étudier. En effet, trop de jeunes se retrouvent, après un échec, sur le bord du chemin, sans rien, à cause de leur mauvaise première expérience.
L’apprentissage est aussi une voie de réussite, d’excellence, qui peut conduire un jeune n’ayant qu’un CAP en poche au titre de meilleur ouvrier de France. Il peut contribuer à redonner aux jeunes le goût des études et les mener vers des études supérieures. De nombreux jeunes qui ont suivi un cursus d’apprentissage accèdent ensuite à un poste à responsabilités dans leur entreprise.
À l’heure où nous parlons de souveraineté industrielle et alimentaire, de cyberattaques et d’intelligence artificielle, ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu’il conviendrait de renforcer l’aide à l’apprentissage plutôt que de couper les aides aux entreprises et aux apprentis ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux questions qui me seront posées, avant de revenir, en conclusion du débat, sur les bienfaits de l’apprentissage.
Madame Apourceau-Poly, l’effort de la Nation en faveur des aides à l’apprentissage demeure substantiel. Et en ce qui concerne les aides aux entreprises, nous avons fait le choix, après en avoir longuement discuté avec le président de CMA France, de prendre en compte la taille des entreprises, si bien que la baisse la plus limitée des aides, qui sont passées de 6 000 euros à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, concerne tout de même 85 % des apprentis.
J’estime qu’il est également nécessaire de réguler davantage par la qualité. Nous avons engagé à cette fin une démarche de concertation avec les partenaires sociaux, les opérateurs et tous les acteurs concernés. Les taux d’abandon ou de rupture que vous avez mentionnés, madame la sénatrice, doivent notamment faire l’objet d’une vigilance accrue.
En ce qui concerne l’abaissement du seuil d’exonération des rémunérations des apprentis, décidé au travers de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, je tiens à rappeler que le régime des apprentis est tout de même bien plus favorable que celui des étudiants ou des salariés. Au-delà de ces exonérations de charges, la fiscalité encadrant les gratifications qu’ils perçoivent au titre de leurs stages est bien plus favorable que celle des stagiaires qui ne sont pas apprentis.
En tout état de cause, il me paraît nécessaire de poursuivre nos efforts en faveur de l’apprentissage, qui est une voie d’excellence et la meilleure garantie, tous niveaux de qualification confondus, d’une insertion plus rapide et de qualité sur le marché du travail.
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la politique publique en faveur de l’apprentissage est probablement celui qui a connu la croissance la plus rapide, passant de 7 milliards d’euros à 25 milliards d’euros en 2024, soit une hausse de 250 % en quatre ans.
Lors de la discussion du budget pour 2025, le Gouvernement a dû réduire la voilure, mais sans apporter beaucoup de précisions lors des débats quant à ses intentions.
Dès le mois de décembre 2024, le Sénat avait pour sa part unanimement adopté un dispositif permettant un meilleur ciblage des aides, en privilégiant les TPE et PME et la réduction des niveaux de prise en charge, les fameux NPEC, des coûts de formation pour les étudiants de l’enseignement supérieur.
Il a fallu attendre la fin du mois de février pour y voir plus clair et connaître les conditions d’emploi en apprentissage pour 2025 : une baisse de la prime à l’embauche, celle-ci étant fixée à 5 000 euros pour les PME et à 2 000 pour les entreprises de plus de 250 salariés pour la période s’étendant de février à décembre 2025.
L’anticipation est donc d’autant plus ardue pour les acteurs du secteur que les décrets relatifs aux NPEC, qui sont attendus avec inquiétude, madame la ministre, ne sont toujours pas parus.
La massification de la politique d’apprentissage, destinée à exaucer le vœu présidentiel d’atteindre le million d’apprentis, aura tout de même emporté – il faut le dire – des effets d’aubaine et la création de nombreux organismes de formation privés lucratifs qui ne sont pas toujours très regardants quant à la qualité pédagogique de leurs enseignements, certains ne proposant que des cours à distance et sans réel accompagnement.
Je souhaite donc vous poser deux questions, madame la ministre.
Aujourd’hui, la certification Qualiopi ne consiste qu’en un contrôle de conformité administrative. Le Gouvernement va-t-il poursuivre le travail de certification de la qualité des formations en alternance proposées sur Parcoursup, engagé par l’ancienne ministre Sylvie Retailleau ?
Certains centres de formation d’apprentis (CFA) associatifs, qui ont remarquablement absorbé la vague et la montée en charge de l’apprentissage en 2021 et 2022, se trouvent aujourd’hui fragilisés financièrement par l’incertitude que le Gouvernement fait peser sur leur activité. Quelles mesures comptez-vous prendre pour les soutenir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Je répondrai très précisément à vos questions, madame la sénatrice.
Je réserve aux partenaires sociaux la primeur des résultats de la concertation lancée mi-novembre, que je leur communiquerai le 23 avril prochain. Toutefois, je puis vous en indiquer les grandes lignes, notamment sur le financement de la formation de l’apprentissage.
Les débats relatifs au projet de loi de finances pour 2025 se sont concentrés sur les aides à l’apprentissage, mais l’essentiel de l’effort porte sur le financement de la formation. Une réforme du financement des CFA est en effet envisagée, qui conférera à l’État et surtout aux branches professionnelles un rôle plus important dans la définition des priorités de financement en fonction des besoins actuels et futurs en compétences. Autrement dit, les branches professionnelles pourront bonifier certains « coûts-contrats » en fonction des besoins des entreprises et des compétences d’avenir.
Pour répondre à votre seconde question, un renforcement des mécanismes de régulation de la qualité est par ailleurs envisagé. Nous allons notamment poursuivre la révision de la certification Qualiopi en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur. Je réserve les détails de ces actions aux partenaires sociaux, mais sachez, madame la sénatrice, que cela fait partie de la feuille de route que j’exposerai le 23 avril.
Nous allons également améliorer la transparence, au travers notamment de la plateforme InserJeunes, qui alimente Parcoursup et fournit aux futurs apprentis et à leurs familles des informations relatives aux taux d’insertion et aux rémunérations attendues.
Nous souhaitons enfin renforcer nos dispositifs de lutte contre la fraude, mais sans doute d’autres orateurs m’interrogeront-ils à ce sujet.
J’ai oublié de préciser qu’une bonification des coûts-contrats est prévue pour les centres de formation en outre-mer, et que nous allons nous pencher sur l’enseignement à distance, car – je l’ai longuement évoqué avec M. Fourny – celui-ci n’emporte pas les mêmes coûts de plateau technique que l’enseignement sur site.
M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Karine Daniel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’organisation de ce débat, au croisement de l’économie, de l’éducation et des solidarités.
L’apprentissage est plus qu’un dispositif de formation : c’est un levier stratégique pour répondre aux défis économiques, sociaux, écologiques et territoriaux qui sont devant nous. Il l’est pour les jeunes, pour les entreprises, pour les organisations et pour les territoires. Il l’est aussi pour la cohésion sociale et la souveraineté économique de notre pays.
Je tiens à saluer la présence dans nos murs d’une dizaine de jeunes de Loire-Atlantique, venus participer aux rencontres sénatoriales de l’apprentissage, qui sont accompagnés de Frédéric Brangeon, président de la chambre de métiers et de l’artisanat de ce département, ainsi que de M. Fourny, qui connaît bien le département dont je suis élue. Leur présence nous rappelle que, derrière les chiffres, il y a des visages, des parcours et des projets d’avenir.
L’artisanat est un pilier essentiel de nos économies régionales comme de notre économie nationale. Il incarne à la fois la vitalité entrepreneuriale, la richesse de nos savoir-faire et l’enjeu crucial de la transmission.
En 2023, près de 20 % des apprentis des Pays de la Loire évoluaient dans le secteur artisanal. Ce chiffre illustre l’attractivité de ces métiers et nous appelle à penser un accompagnement à la hauteur de celle-ci. En effet, derrière chaque maître d’apprentissage, il y a un engagement fort : former, transmettre, maintenir et développer des compétences. Cet engagement doit être reconnu, valorisé et soutenu.
Cela implique une prise en compte réaliste des coûts pédagogiques, notamment pour les formations artisanales, pour lesquelles l’équipement, la matière première et l’adaptation aux évolutions techniques représentent des charges importantes.
Cela implique également, à rebours de la diminution progressive des aides, un accompagnement renforcé des maîtres d’apprentissage.
Cela implique enfin une politique de mobilité ambitieuse, car l’accès à un contrat d’apprentissage ne doit pas être conditionné à un lieu de résidence ou à des réseaux familiaux.
Nous devons aussi élargir et adapter l’offre de formation, en lien avec les besoins des filières en tension.
Je pense ici aux métiers des secteurs de l’animation, du social, des aides à domicile, dans lesquels la crise des vocations est profonde. Je pense aussi au secteur paramédical et à celui de la petite enfance, piliers de notre cohésion sociale. Je pense enfin au secteur des métiers de bouche, qui peinent à recruter, alors même qu’ils participent à l’identité culturelle et au dynamisme économique de nos territoires.
Dans ces domaines, l’apprentissage doit être développé et reconnu. Cela suppose une concertation renforcée entre l’État, les régions, les branches professionnelles et les territoires.
L’apprentissage demeure trop genré. Les filières industrielles ou artisanales demeurent majoritairement masculines, tandis que les secteurs du soin ou de l’éducation sont majoritairement féminins.
Nous devons renforcer la féminisation de l’apprentissage et la mixité au sein de chaque filière, en luttant contre les stéréotypes, en améliorant les conditions d’accueil, en assurant la mixité dès l’orientation et en modifiant les représentations.
L’essor de l’apprentissage dans le supérieur est incontestable : près de 40 % des contrats concernent aujourd’hui des niveaux bac+3 à bac+5.
Ce développement est une bonne chose, notamment dans les écoles d’ingénieur, dans les instituts universitaires de technologie (IUT), dans les universités. Il permet de diversifier les profils, de favoriser l’égalité des chances et de mieux connecter la formation à l’emploi. Dans le supérieur, la formation par l’apprentissage contribue à valoriser toutes les filières et atteste que cette modalité de formation peut concerner tous les cursus et les niveaux de diplômes les plus élevés.
Pour autant, nous ne pouvons ignorer certaines dérives, en particulier la manière dont certains établissements privés lucratifs captent massivement les aides à l’apprentissage. Ces structures, parfois très éloignées des standards de qualité et d’accompagnement attendus, bénéficient des mêmes niveaux de soutien public que les CFA des chambres consulaires ou les établissements publics.
Nous saluons la volonté du Gouvernement de réformer le modèle de financement, en limitant les excès, en encadrant les marges, en rétablissant l’équité entre les acteurs. Il faut assurer une juste allocation de l’argent public, au service de l’intérêt général et non au bénéfice de stratégies commerciales.
L’apprentissage doit aussi être un levier de développement local. Cela a été souligné.
Le département de la Loire-Atlantique compte des filières clés : l’industrie navale, l’agroalimentaire, le bois, l’économie circulaire ou l’économie du soin. Ces secteurs appellent à l’ouverture de nouvelles formations, construites avec les entreprises, les branches, les chambres consulaires et les collectivités.
Dans certains territoires, il existe aussi des besoins de formation spécifiques, dans des secteurs de niche. Leur développement et la transmission des savoirs pourraient être mieux accompagnés grâce à des filières d’apprentissage. Je pense ainsi au métier de couvreur spécialisé en couverture en chaume dans le parc naturel régional de Brière. Des moyens spécifiques doivent être déployés pour accompagner la transmission des savoir-faire spécifiques, qui sont importants pour la préservation du patrimoine.
Cette territorialisation de l’offre, souple et concertée, est la seule façon d’assurer une adéquation entre formations dispensées et besoins réels.
J’en viens à la réforme de la rémunération des apprentis, qui concerne les contrats signés à partir du 1er mars 2025.
Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, le Gouvernement a fait adopter deux dispositions qui participent malheureusement à la baisse de la rémunération des apprentis.
La première mesure porte sur la réduction des exonérations de cotisations sociales. Alors que l’exonération de cotisations concernait 79 % de la rémunération des apprentis, celle-ci est désormais ramenée à 50 % du Smic. Cela signifie que la part du salaire soumise à cotisations sociales augmente, ce qui a des conséquences concrètes pour les employeurs et, potentiellement, pour les jeunes eux-mêmes.
La seconde mesure a trait à la fin de l’exonération de la CSG (contribution sociale généralisée) et de la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). Pour les nouveaux contrats, la part du salaire dépassant 50 % du Smic sera désormais soumise à la CSG et à la CRDS. L’exonération totale concernera les seuls contrats en cours.
Ces changements alignent le régime des apprentis sur celui des stagiaires. Ce choix politique injuste pèse sur la dynamique de l’apprentissage, notamment dans les secteurs les plus fragiles, comme l’artisanat, où chaque euro compte dans la décision de recruter ou non un apprenti.
Il faut faire preuve d’une vigilance accrue sur la mise en œuvre de cette réforme, pour qu’elle ne vienne ni freiner l’essor de l’apprentissage ni décourager les entreprises, qui, au quotidien, forment et accompagnent la jeunesse de notre pays.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’apprentissage ne doit pas être un outil parmi d’autres. Il faut le considérer comme un pilier de notre pacte républicain.
L’apprentissage peut donner une chance. Il peut conduire à l’excellence dans tous les domaines. Il forme des professionnels, mais aussi des citoyens en s’appuyant sur des liens intergénérationnels forts, son rôle de transmission est reconnu. Il est aussi tourné vers l’innovation.
Il faut valoriser celles et ceux qui choisissent l’apprentissage, mais aussi tous ceux qui s’engagent pour que cette modalité de formation soit de grande qualité et à la portée de tous, qu’ils soient formateurs ou maîtres d’apprentissage.
Nous devons continuer à promouvoir une vision exigeante et humaniste de l’apprentissage : ancré dans les territoires, ouvert à tous, équitablement financé et au service du bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)