M. le président. La parole est à M. Yves Bleunven, auteur de la question n° 334, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

M. Yves Bleunven. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur une incohérence réglementaire qui pénalise nos jeunes apprentis.

Depuis le 1er janvier 2024, le permis de conduire est accessible dès 17 ans. C’est une avancée, mais, dans le même temps, le décret du 3 janvier 2019 relatif à l’aide au financement du permis de conduire pour les apprentis réserve cette aide aux apprentis de 18 ans révolus. Résultat : un apprenti de 17 ans peut passer le permis, mais ne peut pas bénéficier de l’aide prévue à cet effet.

Madame la ministre, envisagez-vous d’étendre cette aide, dans un souci d’équité et de cohérence, aux apprentis de 17 ans, afin que ceux-ci puissent eux aussi accéder à l’autonomie que donne le permis de conduire ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Monsieur le sénateur Bleunven, la question des transports, fondamentale, constitue l’un des principaux freins à l’entrée de nos jeunes dans la vie active.

L’aide pour les apprentis majeurs inscrits dans une école de conduite pour la préparation des épreuves du permis de conduire est actuellement d’un montant forfaitaire de 500 euros. Elle est complétée par d’autres dispositifs existants déployés par plusieurs conseils régionaux et départementaux.

L’objectif de cette aide est de faciliter les déplacements des apprentis dans le cadre de leur formation pratique en apprentissage. Elle permet également de faciliter leur insertion professionnelle à la fin de leur contrat d’apprentissage.

Le Gouvernement examine actuellement l’opportunité d’élargir cette aide aux apprentis à partir de 17 ans. J’espère que cette anomalie pourra être corrigée. Si en principe cette extension permet de mieux sécuriser le parcours des plus jeunes apprentis, elle doit aussi être envisagée dans le cadre des difficultés budgétaires que nous connaissons.

Le sujet est essentiel pour permettre la mobilité des apprentis, notamment en milieu rural. Le Gouvernement sera très attentif sur ce sujet.

application de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 430, adressée à Mme la ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics.

Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, en 2018 était signée la nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg. Son objectif était simple : éviter la double imposition, mais aussi lutter contre la fraude fiscale. Elle a été amendée à deux reprises, et son entrée en vigueur a été repoussée d’autant depuis sa signature.

Le ministre de l’époque, M. Bruno Le Maire, s’était engagé à effectuer une étude d’impact afin de mesurer ses effets sur le taux d’imposition des ménages concernés. Dernièrement, le Gouvernement a annoncé appliquer les dispositions de la convention fiscale sur les revenus de 2024, faisant naître de vives inquiétudes dans nos territoires.

En effet, les conséquences de cette réforme pour les contribuables frontaliers, particulièrement pour les retraités et ceux qui disposent de revenus mixtes, seraient loin d’être neutres. Par exemple, un couple aux revenus luxembourgeois et français qui payait 2 000 euros d’impôts par an pourrait voir son imposition monter à plus de 2 600 euros.

Il ne s’agit que de projections : je le répète, sans étude d’impact, l’application de cette convention fiscale conduit nos concitoyens à éprouver de légitimes appréhensions, car beaucoup d’entre eux n’ont pu anticiper la facture finale dans leur budget.

Dans la région dont je suis élue, le Grand Est, ce ne sont pas moins de 150 000 travailleurs frontaliers qui sont concernés. Dès 2018, à mes côtés, des parlementaires faisaient part de leurs inquiétudes sur les conséquences de cette convention. Plus récemment, le président de la région, Franck Leroy, et moi-même appelions votre attention dans le même sens, madame la ministre.

Madame la ministre, comptez-vous réaliser cette étude d’impact, afin que nous disposions d’une évaluation transparente avant que cette convention ne soit appliquée ? Comment comptez-vous rassurer les travailleurs frontaliers, qui sont inquiets ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, cette nouvelle convention fiscale a modifié la manière dont est calculé l’impôt sur le revenu, afin d’éliminer les risques de double imposition pour les résidents de France qui perçoivent certains revenus de source luxembourgeoise, essentiellement les salaires et les revenus immobiliers.

Nous sommes passés d’un régime dit de l’exemption, ne permettant pas d’éviter d’éventuelles doubles exonérations, au régime que nous pratiquons avec de très nombreux pays voisins – l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni –, celui de l’imputation, qui prévoit que les revenus touchés au Luxembourg resteront exclusivement imposés au taux prévu par la législation luxembourgeoise.

Néanmoins, le passage d’une méthode à l’autre pourra avoir une incidence sur le taux d’imposition appliqué en France sur les autres revenus perçus en France.

La méthode précédemment utilisée limitait la progressivité de l’impôt appliqué aux revenus imposables en France. Sur ce point, la nouvelle convention créera de la justice entre nos concitoyens, puisqu’elle assurera que les revenus de source française des foyers qui perçoivent par ailleurs des revenus de source luxembourgeoise soient imposés au même taux que ceux des foyers qui, à montants équivalents, ne disposent que de revenus de source française. Il s’agit donc d’une réforme d’équité.

L’application pleine et entière de la convention permettra donc de rétablir l’égalité de traitement des frontaliers et des autres résidents.

Pour laisser le temps aux foyers de s’adapter, l’application de l’ancien système a été tolérée aux revenus perçus en 2020 et en 2021, puis en 2022 et en 2023. Après quatre ans de transition, la convention de 2018 s’appliquera pleinement aux revenus perçus à compter de 2024, donc dès maintenant.

Des mesures d’accompagnement des transfrontaliers sont toutefois prévues. Je pense notamment à l’ouverture d’un guichet spécial au sein de la direction départementale des finances publiques (DDFiP) de Moselle pour aider les contribuables à déterminer l’assiette imposable en France en application des nouvelles règles conventionnelles.

Mes services sont à l’entière disposition de ceux qui se poseront des questions. Il s’agit d’une réforme de justice fiscale qui concerne tous les habitants de Moselle, de Meurthe-et-Moselle et des départements environnants.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. À revenu égal en France, imposition égale !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.

Mme Véronique Guillotin. Je regrette tout de même l’absence d’étude d’impact et d’anticipation des effets de cette convention sur les travailleurs.

Le fait frontalier doit être appréhendé dans sa globalité : il faut prendre en compte également les questions de mobilité, de santé, d’aménagement du territoire, d’économie et de formation. À cet égard, nous avons déjà évoqué la nécessité d’installer un comité interministériel aux questions frontalières, aux côtés des élus locaux. Je profite de cette question orale pour vous le rappeler, madame la ministre.

projet solaire en coactivité agricole

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, auteur de la question n° 420, adressée à M. le ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Jean-François Longeot. J’attire votre attention, madame la ministre, sur le décalage problématique entre le discours volontariste de l’État sur le développement d’un mix énergétique décarboné et les blocages dont les services de votre ministère portent la responsabilité en matière de déploiement des énergies renouvelables.

Dans le département dont je suis élue, le Doubs, le projet en coactivité agricole de la commune d’Accolans, déposé en novembre 2023, est un parfait exemple de cette schizophrénie.

À l’origine, la municipalité avait pour projet de faire construire une centrale photovoltaïque au sol. L’exploitant agricole partenaire du projet, qui vit aujourd’hui de l’élevage bovin, avait proposé la création d’un atelier ovin sur la parcelle retenue. Cet atelier lui permettait de diversifier ses activités au sein de son exploitation et de conserver la vocation agricole du site.

Alors que l’ensemble des parties prenantes, à savoir la commune, l’exploitant agricole et l’énergéticien, étaient d’accord, la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) a émis un avis consultatif défavorable sur le projet en avril 2024.

Le projet d’Accolans a été déposé antérieurement à la publication du décret du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, décret qui était prévu dans la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi Aper.

Pourtant, les services locaux de l’État cherchent à appliquer à ce projet ce nouveau cadre réglementaire, dont la mise en œuvre nécessite encore de nombreuses clarifications, au point que la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) est en train de travailler à une instruction interministérielle afin d’harmoniser les pratiques.

De son côté, la Cour des comptes relevait dans son rapport intitulé La délivrance des permis de construire – Un parcours complexe dans un cadre instable publié en septembre 2024 une procédure d’instruction difficilement prévisible.

Dans ces conditions, comment allons-nous pouvoir développer un mix énergétique décarboné ? Je peux vous citer des dizaines et des dizaines d’autres exemples de projets bloqués. Dans certaines communes, l’architecte des Bâtiments de France ne veut pas d’installation sur les toitures. Le syndicat intercommunal d’électricité de Labergement Sainte Marie, quant à lui, ne peut tout simplement pas implanter de panneaux solaires. C’est un véritable problème. Comment peut-on le résoudre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur Longeot, je vais répondre à votre question sur l’agrivoltaïsme au nom de mon collègue Marc Ferracci.

Pour rappel, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables prévoit que deux types d’installations peuvent être implantées dans des espaces naturels, agricoles et forestiers : d’une part, les installations agrivoltaïques, qui doivent apporter un service direct à l’activité agricole ; d’autre part, les installations photovoltaïques dites compatibles, qui ne peuvent, elles, se développer que sur des terres incultes ou non exploitées depuis le 10 mars 2013 et qui sont identifiées dans un document-cadre pris sur proposition de la chambre d’agriculture.

Le décret d’application de la loi Aper précise que les dispositions s’appliquent aux projets pour lesquels la demande d’autorisation a été déposée à compter du 9 mai 2024 pour les installations agrivoltaïques et à compter de la publication du document-cadre par la chambre d’agriculture du territoire concerné pour les installations photovoltaïques dites compatibles.

Ainsi, si le projet que vous évoquez a bien été déposé antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Aper, je vous confirme qu’il n’est pas soumis au nouveau cadre réglementaire.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Par ailleurs, pour accompagner la mise en œuvre de ce nouveau cadre, différents groupes de travail ont été mis en place : l’un avec les énergéticiens, un autre avec les organisations professionnelles agricoles et un dernier avec les services déconcentrés de l’État.

Le cadre réglementaire est adapté aux spécificités du terrain depuis la publication du décret d’application en avril 2024, lequel a été complété en juillet 2024 par un arrêté spécifiant les modalités de contrôle et de sanction.

Enfin, une instruction technique a été publiée en février 2025 pour clarifier la trame devant être suivie par les services instructeurs.

Nous restons donc pleinement à l’écoute des différents acteurs afin de lever les barrières au développement d’un agrivoltaïsme raisonné, qui doit reposer sur de la confiance et de la stabilité. Nous laissons évidemment de la place à l’innovation technologique pour accompagner les projets. Les services instructeurs disposent aujourd’hui de tous les éléments pour prendre leurs décisions.

renouvellement des concessions hydroélectriques

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, auteur de la question n° 422, adressée à M. le ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Raphaël Daubet. Madame la ministre, la souveraineté et les ambitions énergétiques de la France sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens et des élus dans les territoires.

J’attire aujourd’hui votre attention sur l’urgence de mettre fin à l’enlisement du dossier du renouvellement des concessions hydroélectriques à la suite de l’adoption en 2014 de la directive sur l’attribution de contrats de concession, dite directive Concessions, qui impose une mise en concurrence lors du renouvellement des contrats.

Depuis une décennie, la France résiste à l’ouverture à la concurrence. Le soutien politique transpartisan en la matière signe la volonté de maîtriser notre souveraineté énergétique. Ce sujet n’est pas anecdotique. L’hydroélectricité est notre deuxième source de production d’électricité, derrière l’énergie nucléaire, et notre première source d’électricité renouvelable, stockable et pilotable, produite par une technologie mature.

L’enjeu est d’autant plus important que les barrages contribuent à atténuer les pénuries d’eau et à prévenir les inondations en régulant les flux, grâce à une gestion plus adaptée et plus concertée qu’auparavant.

Ces ouvrages et leur fonctionnement jouent ainsi un rôle majeur d’aménagement de vallées entières, comme la vallée de la Dordogne, qui traverse le département du Lot.

Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être dans une impasse, au point mort, bloqués dans un précontentieux avec la Commission européenne. Chaque partie s’accorde sur la nécessité de moderniser les installations hydroélectriques, de conforter l’industrie de l’hydroélectricité et de maintenir les compétences dans ce domaine.

C’est le cas de la Commission européenne, qui a publié à la fin du mois de février dernier un rapport sur la compétitivité des technologies énergétiques propres. C’est le cas également du Gouvernement puisque la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie, soumise à consultation publique jusqu’à la mi-avril 2025, prévoit d’augmenter les capacités de la grande hydroélectricité.

Reconnaissez, madame la ministre, que, sans visibilité et sans stabilité pour les exploitants, cette ambition sera vaine ! Les pistes jusqu’alors étudiées, à savoir la quasi-régie et le basculement d’un régime de concession vers un régime d’autorisation, se sont toutes heurtées à des blocages juridiques ou financiers.

Comment envisagez-vous la sortie de ce précontentieux ? Où en sont aujourd’hui les négociations avec la Commission européenne ? Avez-vous entamé des discussions sur la prochaine révision de la directive Concessions ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Vous interrogez mon collègue Marc Ferracci sur la situation des barrages hydroélectriques et sur l’état des négociations avec la Commission européenne.

Le Gouvernement est convaincu que l’hydroélectricité est une source d’énergie renouvelable cruciale. En 2023, cette électricité a représenté environ 60 térawattheures de notre production électrique, soit 12 % de notre approvisionnement et près de 40 % de notre production d’électricité renouvelable. Le parc est relativement stable depuis plusieurs années, la puissance installée étant de 25 gigawatts, un chiffre tout à fait substantiel.

Comme nous le savons tous, l’hydroélectricité sera amenée à représenter une part de plus en plus importante de notre mix électrique, qui comptera une part croissante d’énergies renouvelables. En effet, elle présente deux avantages : elle est prévisible et pilotable. Elle est donc un élément clé de la stabilité de notre système électrique. Comme vous l’avez dit, la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit d’augmenter les capacités de 2,8 gigawatts à l’horizon 2035.

Les enjeux de l’usage de l’eau seront également déterminants pour l’alimentation en eau potable, l’irrigation et le soutien d’étiage.

Or, vous l’avez dit, nous nous trouvons dans une situation de contentieux avec la Commission européenne : la réglementation nous impose la mise en concurrence des ouvrages qui sont aujourd’hui sous le régime des concessions. Cette situation empêche l’investissement dans les installations existantes et pénalise notre transition énergétique.

De nombreuses solutions sont à l’étude, notamment le basculement d’un régime de concession vers un régime d’autorisation. Une mission d’information des députés Philippe Bolo et Marie-Noëlle Battistel devrait prochainement rendre son rapport et nous proposer des options à envisager. Aucune solution n’est simple ; toutes soulèvent des questions juridiques ou financières importantes. Ces sujets font l’objet d’intenses discussions avec la Commission européenne et sa direction chargée de l’énergie, de la concurrence et de la croissance afin de trouver une voie de sortie.

La révision de la directive est en effet une option, mais les délais seraient tels qu’elle n’apporterait aucune solution à court terme. Plutôt que de nous lancer dans une bataille juridique, nous cherchons des pistes de relance rapide des investissements face aux besoins accrus en hydroélectricité.

double imposition des travailleurs frontaliers luxembourgeois

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, auteure de la question n° 436, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Silvana Silvani. Madame la ministre, ma question porte sur la double imposition des travailleurs frontaliers luxembourgeois et l’entrée en application du nouveau mode d’imposition pour l’exercice fiscal 2025. Il concerne les contribuables français ayant des revenus de source mixte, française et luxembourgeoise.

Je tiens à rappeler les engagements pris par M. Bruno Le Maire : il avait assuré que ce nouveau mode n’aurait aucune conséquence financière pour les contribuables concernés et que cette réforme serait précédée d’une étude d’impact approfondie. Or malgré le report de 2021 à 2024 de l’entrée en vigueur de cette réforme, les conditions d’acceptabilité sociale de cette mesure ne sont toujours pas réunies.

En effet, aucune étude d’impact n’a démontré de manière transparente qu’en intégrant le prélèvement à la source luxembourgeois, un même revenu imposable de source mixte ou exclusivement française produirait sensiblement le même montant d’imposition. Cette situation est d’autant plus surprenante que l’avenant à la convention fiscale entre la France et la Suisse, examiné au Sénat jeudi dernier, a donné lieu à une étude d’impact.

Des cas concrets de hausses d’imposition m’ont été rapportés par les contribuables concernés. Après discussion avec le cabinet de M. le ministre de l’économie, il semble que cette évolution ait été sous-estimée.

Face à cette situation, envisagez-vous de suspendre l’application de cette réforme au titre des revenus de 2024, afin de réunir les conditions de son acceptabilité sociale ? Ce délai permettrait de réaliser une étude d’impact approfondie et garantirait l’équité fiscale nécessaire pour les contribuables concernés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, quand les modalités de calcul de l’imposition changent, des questions se posent en effet.

Je rappelle que cette convention fiscale a été signée en 2018, que son application a été reportée en 2020, en 2021, en 2022 et en 2023. Elle s’appliquera aux revenus de 2024. C’est essentiel pour assurer l’équité fiscale et donner de la clarté à nos concitoyens des territoires que vous représentez.

Avec cette convention, les revenus perçus au Luxembourg resteront taxés au taux luxembourgeois. C’est la règle. En revanche, dans un couple, les revenus de madame, qui travaille en France, seront imposés comme si ceux de monsieur, qui travaille au Luxembourg, avaient été générés en France. Cela permet de garantir une équité.

Les revenus perçus par un ménage composé de deux Français ou par un ménage franco-luxembourgeois seront imposés en France de la même manière, qu’il y ait ou non des revenus perçus au Luxembourg par ailleurs.

Cette méthode d’imputation est prévue dans toutes les conventions fiscales que nous avons signées avec l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suisse. Ce régime est aussi en vigueur ailleurs. Il s’appliquera aussi de manière intelligible et équitable aux régions transfrontalières du Luxembourg.

Deux éléments, je le rappelle, sont importants.

En premier lieu, un guichet spécial est ouvert au sein de la direction générale des finances publiques (DGFiP) de Moselle pour aider l’ensemble des contribuables qui le souhaitent à comprendre l’assiette de l’impôt du côté français.

En second lieu, il est possible depuis 2023 de télétravailler en France trente-quatre jours, au lieu de vingt-neuf, tout en restant intégralement imposable au Luxembourg, aux termes de l’avenant du 7 novembre 2022. En cas de dépassement – il est permis, car la portée n’est que fiscale –, le prélèvement à la source à la charge de l’employeur est remplacé par le système des acomptes contemporains suivant l’article 3 de la loi de finances pour 2023.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. J’ai été à l’époque la ministre des affaires européennes chargée de ces négociations. Une fois que les conventions sont signées, elles doivent s’appliquer, ce qui est le cas maintenant ! Nous accompagnerons tous les Français.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.

Mme Silvana Silvani. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas du tout, ni pour les contribuables ni pour moi, de mettre en cause l’impôt. La question est bien celle du mode de calcul, qui n’est absolument pas équitable : les revenus imposables au Luxembourg s’ajoutent aux revenus pris en compte en France. Ils ne sont déduits qu’après. Il existe donc bien une double imposition.

double imposition des travailleurs transfrontaliers de l’hôpital de cerdagne

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende, auteure de la question n° 439, adressée à Mme la ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics.

Mme Lauriane Josende. Madame la ministre, depuis 2023, trente-deux salariés de l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, résidant en France et de nationalité espagnole, subissent une situation aussi absurde qu’injuste. Ils sont imposés deux fois : par la France, où ils vivent, et par l’Espagne. Au motif que l’hôpital, bien que transfrontalier, se situe de son côté de la frontière, l’Espagne leur réclame l’impôt sur le revenu dû par les non-résidents, à hauteur de 19 % de leur salaire, de surcroît de manière rétroactive, depuis 2020. Cette double imposition est une violation manifeste de l’accord qui lie nos deux pays.

Malgré des mois de démarches et de promesses de traitement du dossier par les autorités françaises, rien n’a changé depuis désormais deux ans. Pis, la situation s’aggrave. Ces salariés reçoivent relance sur relance du fisc espagnol, la dernière datant du 10 mars dernier. Des intérêts de retard leur sont même désormais réclamés !

L’administration française est pourtant informée depuis longtemps de cette situation. Une procédure amiable a été ouverte, un moratoire annoncé et une réunion avec les autorités fiscales espagnoles prévue à la fin de l’année 2024. Concrètement, ces initiatives n’ont débouché sur aucune avancée réelle, sur aucune solution, pas même sur une protection temporaire.

À présent, l’administration espagnole va encore plus loin : elle vient d’écrire, fin mars, à la direction de l’hôpital, laissant entendre que l’établissement pourrait être tenu pour responsable du paiement de l’impôt de ses salariés.

Madame la ministre, cet hôpital transfrontalier est unique en son genre dans l’Union. À l’heure où nous parlons d’intégration et d’Europe de la défense, des travailleurs volontaires qui jouent le jeu de l’intégration européenne se retrouvent à devoir payer deux fois l’impôt sur leur salaire, ce qui les met en grande difficulté. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’une union européenne !

Où en est précisément la procédure amiable avec l’Union européenne ? Pourquoi les relances continuent-elles malgré le moratoire annoncé ? Surtout, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre dans les jours, et non dans les mois, qui viennent pour mettre fin à cette situation inacceptable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, vous attirez mon attention sur la situation effective de double imposition que subissent des travailleurs transfrontaliers de l’hôpital de Cerdagne à la suite d’opérations de contrôle fiscal menées par les autorités espagnoles.

Il y a un an, la direction générale des finances publiques a été informée que les services fiscaux espagnols avaient émis des avis de redressement à l’encontre de plusieurs membres du personnel hospitalier ayant une résidence fiscale en France et un domicile situé à moins de vingt kilomètres de la frontière.

L’administration fiscale leur réclame le paiement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en Espagne et considère qu’ils ne peuvent pas bénéficier du régime fiscal des travailleurs transfrontaliers, situation qui conférerait le droit d’imposition à la France.

L’Espagne s’appuie sur l’article 19 de la convention fiscale franco-espagnole, qui stipule que « les rémunérations […] payées par un État contractant ou l’une de ses collectivités territoriales, ou par l’une de leurs personnes morales de droit public […] ne sont imposables que dans cet État ».

Néanmoins, mes services, la direction de l’hôpital et les salariés sont dans leur bon droit de considérer que cet article ne s’applique pas à une personne morale partagée par les deux États, telle que l’hôpital de Cerdagne, qui est, comme vous l’avez dit, un groupement européen de coopération territoriale.

Saisi de la situation par les intéressés et en lien avec la direction de l’hôpital, le service chargé de la résolution des différends internationaux de la DGFiP, qui se trouve sous mon autorité, a pris attache avec son homologue espagnol afin de trouver au plus vite une solution à cette situation que je qualifierai d’inacceptable.

Il est important que nous prenions en compte les discussions qui ont déjà eu lieu entre les administrations fiscales française et espagnole lors de très nombreuses réunions bilatérales et au travers de l’échange d’un certain nombre de notes et de positions techniques en application de la convention de 1995.

Néanmoins, à ce jour, il subsiste toujours une divergence profonde dans l’analyse du régime applicable. La situation de blocage ayant été constatée sur le plan administratif, il a été décidé que cette question serait portée au plus haut niveau. Notre ambassadrice à Madrid écrira prochainement à la ministre des finances espagnole pour insister sur la nécessité de trouver une solution rapidement et de conclure un accord afin de mettre un terme à cette situation insupportable de double imposition.

Si cette démarche n’aboutit pas, je prends ici l’engagement devant vous, madame la sénatrice, de m’impliquer personnellement auprès de mon homologue espagnol afin de régler ce problème absurde.