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Renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte (texte de la commission n° 500, rapport n° 499).
La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, Mayotte est confrontée à une intense pression migratoire. La proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte a pour objectif d’apporter une première réponse à cette situation qui pèse sur l’économie locale et sur le fonctionnement des services publics.
Le dispositif proposé prévoit à cette fin de restreindre les possibilités d’acquisition de la nationalité française, sur le seul territoire mahorais, par le biais du droit du sol, en aggravant la première dérogation introduite en 2018.
Nous examinons aujourd’hui le texte de compromis résultant des travaux de la commission mixte paritaire, qui conserve une partie des apports du Sénat. Nous nous étions en particulier attachés, en commission comme en séance publique, à sécuriser juridiquement le dispositif proposé afin d’éviter toute censure du Conseil constitutionnel.
Je me félicite en premier lieu du maintien de la durée d’un an de séjour régulier en France, introduite par le Sénat. Le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire prévoit ainsi qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne pourra devenir français au titre du droit du sol que si ses parents résident régulièrement en France depuis au moins un an à sa date de naissance.
Le texte de compromis prévoit ensuite que cette exigence de séjour régulier en France à la naissance de l’enfant s’applique aux deux parents. Une telle disposition est en effet nécessaire – nous l’avons évoqué la semaine dernière lors de nos débats en séance publique – pour faire face aux reconnaissances frauduleuses de paternité, de plus en plus nombreuses.
Le dispositif devait cependant impérativement être sécurisé juridiquement, pour ne pas créer une rupture d’égalité avec les familles monoparentales.
L’auteur et rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Philippe Gosselin, et moi-même avons donc travaillé, dans un esprit de consensus, à une rédaction permettant de ne pas priver un enfant né à Mayotte et issu d’une famille monoparentale de la possibilité d’accéder ultérieurement à la nationalité française. Je considère que la rédaction que nous avons retenue est pleinement satisfaisante et permettra de rendre la disposition plus dissuasive, en limitant les possibilités de fraude, tout en conservant son caractère proportionné.
Enfin, la commission mixte paritaire a souhaité rétablir l’obligation pour les parents de présenter un passeport biométrique à l’officier d’état civil, pour apposer, sur l’acte de naissance de l’enfant, une mention relative à leur durée de séjour régulier en France. L’objectif est de lutter contre la fraude documentaire à Mayotte, qui constitue une voie de contournement de la restriction au droit du sol que nous introduisons en parallèle.
Si cette intention est louable et si je suis satisfait du compromis trouvé, je m’interroge toutefois sur l’introduction d’une telle précision, actuellement prévue par décret, dans un texte législatif. Je rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 permet l’empiétement du législateur dans le domaine réglementaire. Mais force est de constater que cette jurisprudence a malheureusement entraîné une détérioration de la qualité de la loi – c’est en tout cas ce que je pense – et a conduit à une prolifération de textes législatifs dans des domaines qui n’en relèvent pas. (M. le ministre délégué approuve.) Je ferme la parenthèse.
Comme j’ai pu le dire précédemment, ce texte ne permettra pas, à lui seul, de résoudre les difficultés liées à la crise migratoire que traverse Mayotte. Si l’accès à la nationalité participe de l’attractivité de l’archipel, il résulte de nos auditions que d’autres raisons incitent les migrants à entrer irrégulièrement sur le territoire mahorais. Il s’agit toutefois d’un premier pas pour tenter d’endiguer les flux migratoires irréguliers constatés sur l’île.
En attendant la mobilisation d’autres leviers, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, qui me semble satisfaisant et proportionné.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur Le Rudulier, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, qui ne peut être présent ce matin et qui m’a demandé de le remplacer.
Au mois de février dernier, je m’étais exprimé devant vous lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’urgence pour Mayotte. Ce texte constituait le premier volet de la réponse du Gouvernement à l’immense crise que connaissent nos compatriotes mahorais depuis le mois de décembre dernier, quand l’archipel a été ravagé par le cyclone Chido.
Je défendais alors la volonté du Gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre, de s’attaquer aux urgences vitales, puis de préparer la reconstruction, avant d’entamer la refondation.
Je veux souligner, moins de deux mois plus tard, que le Gouvernement a été au rendez-vous de ses engagements. Nous avons fait inscrire à l’ordre du jour de votre assemblée, hier, en conférence des présidents, deux textes qui permettront d’accomplir cette promesse : le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, ainsi qu’un projet de loi organique qui aura vocation à « réarmer » la collectivité de Mayotte.
Ces deux textes, que vous examinerez avant le mois de juin prochain, sont – je le crois – à la hauteur des attentes des habitants de Mayotte et des élus mahorais. Et je sais pouvoir compter sur les parlementaires pour les enrichir.
Je vous le disais au moment de l’examen du projet de loi d’urgence, « si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des calamités qui existaient déjà, notamment un sous-développement des infrastructures économiques et des services publics, entretenu par deux fléaux qui rongent l’île depuis des années : l’habitat illégal et l’immigration clandestine ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut éviter, après les réponses exceptionnelles que nous avons apportées à la catastrophe qu’a traversée Mayotte, de revenir à la situation antérieure, sans rien changer aux problèmes du passé.
La crise a mis en évidence, en les aggravant, ces problèmes qui sont désormais connus de tous. Il nous faut désormais avoir le courage d’y répondre. C’est tout le sens du projet de loi de refondation de Mayotte que défend le ministre d’État Manuel Valls.
C’est aussi ce que prévoit la présente proposition de loi, qui vise à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte et qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire auquel le Gouvernement souscrit pleinement.
Mayotte n’est pas un territoire comme un autre. C’est le plus jeune département de la République ; c’est aussi celui où l’écart est le plus grand entre les principes de notre droit et les réalités démographiques, sociales et migratoires.
Sur ce territoire, près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère. Chaque année, plus de 10 000 enfants y naissent, soit vingt-cinq par jour, dans des conditions souvent précaires et parfois dramatiques. Près de trois quarts d’entre eux ont une mère en situation irrégulière.
Chaque année, des milliers de femmes enceintes traversent l’océan, bravant tous les dangers, souvent au péril de leur vie, pour accoucher sur le territoire, animées par l’espoir que ces naissances ouvriront un jour la voie à une régularisation et à une naturalisation. C’est un drame que nos compatriotes mahorais vivent au quotidien et que nous ne pouvons pas nous résoudre à laisser perdurer.
La proximité géographique des Comores et l’existence d’un droit du sol non encadré constituent les deux principaux facteurs de cette situation. Mayotte est devenue une porte d’entrée vers la nationalité française, au prix d’un immense déséquilibre pour le territoire et d’une forme de contournement de nos lois.
Cette situation a des conséquences dramatiques sur la vie de nos compatriotes mahorais et sur le fonctionnement de l’État : les écoles sont surchargées, avec des classes de plus de cinquante élèves se partageant parfois une seule salle, sans maîtrise suffisante du français et sans aucune condition d’apprentissage digne de ce nom ; le système de santé est complètement saturé – je pense en particulier à la maternité qui accueille, en majorité, des femmes sans titre de séjour ; l’insécurité ronge l’île, avec un taux de délinquance élevé, des tensions communautaires croissantes et des violences urbaines régulières ; plus récemment, le cyclone Chido a mis à rude épreuve la cohésion sociale et mis encore davantage en exergue les fragilités du territoire.
Face à cette situation, l’État n’a pas reculé. Depuis 2017, les effectifs de police et de gendarmerie ont doublé. En 2023, plus de 25 000 reconduites à la frontière ont été effectuées à Mayotte, soit un tiers des expulsions prononcées sur l’ensemble du territoire national.
Nous devons cependant le reconnaître : la seule réponse administrative ou répressive ne suffira pas. Il faut aussi agir sur les règles de notre droit, car ce dernier crée une forme d’attractivité et constitue même une incitation à l’arrivée de clandestins. Il est, dans sa conception même, déconnecté des réalités que vivent les Mahorais.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la proposition de loi présentée par le député Philippe Gosselin. Je veux saluer ici la constance de son engagement sur cette question, tout comme celle du rapporteur pour le Sénat, Stéphane Le Rudulier.
La proposition de loi vise à adapter notre droit de la nationalité aux spécificités de Mayotte, dans le respect du cadre constitutionnel et des exigences de l’État de droit.
Le texte issu de la commission mixte paritaire introduit trois modifications majeures.
Tout d’abord, il prévoit l’allongement de trois mois à un an de la durée de résidence régulière requise pour les parents. Cette durée est raisonnable, proportionnée et juridiquement défendable : elle permet de limiter les accouchements de circonstance, qui visent moins à protéger l’enfant qu’à créer un ancrage administratif pour l’ensemble de la famille.
Ensuite, il vise à inscrire dans la loi l’exigence de résidence régulière des deux parents, lorsqu’ils sont tous deux identifiés comme tels. Cette précision est fondamentale, car elle permettra de lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, souvent organisées en échange d’une somme d’argent, et qui visent à contourner les règles d’accès à la nationalité.
Enfin, il y est inséré une clause de tempérament, comme le souhaitait le Gouvernement, pour garantir que les familles monoparentales ne soient pas pénalisées : si la filiation n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent, la condition s’applique alors uniquement à ce dernier.
Je le dis avec gravité : ce texte ne remet pas en cause le droit du sol – ce serait contraire à notre Constitution –, mais il en encadre strictement les effets, par souci de cohérence et d’équité.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 septembre 2018, a expressément reconnu que des adaptations spécifiques peuvent être apportées à Mayotte, dès lors qu’elles sont justifiées, limitées et proportionnées. C’est bien le cas ici.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est une réponse attendue, nécessaire, juste. Il permet à la République de parler un langage clair, adapté, exigeant. Il renforce la cohésion sociale à Mayotte. Il garantit que l’accès à la nationalité repose désormais sur une présence réelle, régulière et sincère sur notre sol.
C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, je vous invite à adopter sans réserve les conclusions de la commission mixte paritaire. Ce texte ne permettra pas de relever tous les défis de Mayotte, mais il apporte une réponse structurante, solide et conforme à nos valeurs. Surtout, il envoie un message clair à nos compatriotes mahorais : la République est là ; elle écoute ; elle agit ; et elle protège !
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à mayotte
Article unique
Le titre Ier du livre V du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 2493 est ainsi modifié :
a) Les mots : « l’un de ses parents au moins résidait » sont remplacés par les mots : « ses deux parents résidaient » ;
b) À la fin, les mots : « de trois mois » sont remplacés par les mots : « d’un an » ;
c) (nouveau) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent, les conditions mentionnées au premier alinéa sont applicables à ce seul parent. » ;
2° L’article 2495 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de justificatifs » sont remplacés par les mots : « d’un titre de séjour mentionné au titre III du livre II ou au titre II du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, accompagné d’un passeport biométrique en cours de validité et comportant une photographie permettant l’identification du titulaire » ;
b) Au même premier alinéa, les mots : « il réside » sont remplacés par les mots : « ses parents résident » ;
c) Audit premier alinéa, les mots : « de trois mois » sont remplacés par les mots : « d’un an » ;
d) (nouveau) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la filiation n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent, l’apposition par l’officier de l’état civil de la mention prévue au premier alinéa concerne ce seul parent. »
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le ministre, au regard de ce que vous venez de dire, nous sommes d’accord sur le constat, mais nous avons un léger désaccord sur les suites à y donner. Quoi qu’il en soit, il convient d’agir dans l’intérêt des Mahorais.
Ernest Lavisse, cet historien républicain qui a inspiré des générations de hussard noirs et d’écoliers, nous rappelait une vérité essentielle : on apprend à être Français. Être Français, ce n’est pas un héritage figé, inscrit dans le marbre du sang ou du sol, c’est une construction éducative, culturelle, une volonté d’appartenance partagée.
Or nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire sur une proposition de loi en totale contradiction avec cet idéal républicain. Ce texte, inspiré par l’extrême droite, défendu par la droite et soutenu par le camp gouvernemental ouvre une nouvelle brèche dans notre pacte républicain. Il restreint encore davantage les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, sous couvert de pression migratoire.
Mayotte traverse une crise sans précédent. Après le passage du cyclone Chido, à l’origine de destructions majeures, les Mahorais attendaient une réponse forte de l’État. Ils espéraient un engagement concret pour reconstruire, améliorer leurs conditions de vie, renforcer leurs infrastructures. Au lieu de cela, quelle réponse leur apporte-t-on ? Un débat nauséabond sur le droit du sol, instrumentalisé par ceux qui refusent d’assumer leurs responsabilités.
La présente proposition de loi renforce un régime dérogatoire spécifique à Mayotte en allongeant la durée de résidence régulière exigée des parents d’un enfant né sur le territoire. Désormais, ce ne sera plus trois mois, mais un an ! Désormais, ce ne sera plus un seul parent, mais les deux ! Ce durcissement n’apporte aucune solution aux véritables problèmes de Mayotte ; il ne fait que désigner un bouc émissaire : l’étranger !
Or, mes chers collègues, l’urgence à Mayotte, ce n’est pas la question du droit du sol, mais la crise sociale, la crise alimentaire, la crise sanitaire.
Avant même le cyclone, Mayotte souffrait déjà. Un tiers des habitants n’avaient pas accès à l’eau potable. Les infrastructures publiques étaient sous-dimensionnées. Les trois quarts de la population vivaient sous le seuil de pauvreté. Comment peut-on, dans ces conditions, faire croire que la solution passe par la restriction du droit du sol ?
La vérité, c’est que l’État a failli. En laissant Mayotte dans une précarité indigne, en refusant d’investir à la hauteur des besoins, en traitant ce département comme une périphérie lointaine plutôt que comme une partie intégrante de la République.
Mayotte mérite mieux que cela. Elle mérite des écoles dignes de ce nom, des hôpitaux modernes, des infrastructures adaptées. Elle mérite aussi l’égalité réelle, et non une législation d’exception qui la stigmatise encore davantage…
L’urgence est aussi climatique et nous n’y répondrons ni par le droit du sol ni par des barrières, mais par des politiques visionnaires et des infrastructures adaptées. La nature ne connaît pas de frontières : les cyclones ne s’arrêtent pas aux lignes tracées sur une carte ; la montée des eaux ne distingue ni nationalité ni statut administratif. À Mayotte comme ailleurs, c’est l’inaction qui aggrave les vulnérabilités. Plutôt que de dresser des murs, investissons dans des solutions durables : protection du littoral, accès à l’eau potable, transition énergétique. Sans cela, nous ne ferons que subir, impuissants, les catastrophes à venir.
Comprenons bien une chose : nous ne relèverons pas les défis migratoires de Mayotte en fermant les yeux sur leur origine profonde. La pression migratoire existe, c’est un fait. Mais comment peut-on sérieusement prétendre y répondre, alors que nous avons réduit de 37 % les crédits de l’aide au développement que nous allouons aux Comores et aux pays voisins ? Comment peut-on prétendre stabiliser cette région sans une politique ambitieuse de codéveloppement ?
Car la réduction de 37 % du budget consacré à l’aide au développement ne fait qu’aggraver les migrations forcées. Au-delà des chiffres, c’est notre incapacité à changer de paradigme dans notre relation avec l’Afrique qui nourrit cette dynamique migratoire. Tant que nous continuerons à voir ce continent uniquement à travers le prisme de l’urgence sécuritaire et migratoire, nous ne ferons que repousser les solutions nécessaires à un avenir plus stable et partagé.
Aimé Césaire nous mettait en garde : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Sommes-nous prêts à voir la République renier ses principes fondamentaux au nom du repli identitaire ? Sommes-nous prêts à abandonner nos compatriotes mahorais à une pauvreté structurelle, tout en leur désignant l’étranger comme coupable de tous leurs maux ?
Mayotte nous rappelle une chose essentielle : nous ne pouvons pas laisser se perpétuer une République à deux vitesses ! Nous ne pouvons pas accepter que nos territoires ultramarins soient relégués au rang de « sous-France » ! Nous devons au contraire leur offrir une égalité réelle, leur consacrer des investissements à la hauteur et une attention sincère.
Car Mayotte n’est pas un simple territoire lointain, c’est une partie de notre République ! Ses habitants demandent non pas la charité, mais la justice ! Ils demandent à vivre dignement, comme n’importe quel citoyen français. Il est temps de répondre à cet appel, non par des lois qui excluent, mais par des politiques qui intègrent. Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à entériner une nouvelle entaille dans un principe fondamental de notre République : le droit du sol.
Vous choisissez de vous attaquer à l’indivisibilité de notre République, après l’avoir déjà fait une première fois en 2018 avec la loi Asile et Immigration. En effet, depuis plus de six ans, il faut, pour qu’un enfant devienne français à Mayotte, qu’au moins l’un de ses parents ait résidé sur le territoire mahorais de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois.
Vous nous proposez une nouvelle fois de modifier la loi, alors qu’aucune évaluation de la loi de 2018 n’a été faite, et cela malgré nos demandes répétées – nous nous y sommes encore efforcés pas plus tard que la semaine dernière par voie d’amendement. Les seuls chiffres dont nous disposons démontrent l’inefficacité complète de ce texte pour lutter contre l’immigration illégale : si le nombre d’acquisitions de la nationalité française à Mayotte à la majorité a été divisé par trois, le nombre d’étrangers en situation irrégulière a été multiplié par dix et le nombre de naissances sur l’île n’a cessé d’augmenter, en hausse de 47 % entre 2014 et 2022.
Nous savons également que la réforme de 2018 n’a fait qu’accroître la grande précarité de nombreuses familles et de jeunes, privés d’accès à la nationalité française et obligés de survivre sur le territoire.
Les débats autour de cette proposition de loi nous ont contraints à écouter les arguments et les fantasmes les plus nauséabonds sur l’immigration : l’idée que les migrants se livreraient à un benchmark, pèseraient le pour et le contre d’une traversée sur un kwassa-kwassa en risquant leur vie, afin d’être certains que leurs enfants pourront bénéficier de la nationalité française ; l’idée que les femmes ne sont finalement que des « ventres » destinés à faire des enfants et qu’elles viendraient cyniquement accoucher sur des plages à Mayotte, les ramenant à leur condition la plus animale.
C’est tellement plus facile de ne pas se demander quelles considérations sociales, économiques ou politiques les poussent à fuir la misère et, parfois, la mort. C’est tellement plus facile de ne pas vouloir investir financièrement dans les services publics et les infrastructures à Mayotte. C’est tellement plus facile d’ignorer la nécessité de politiques de coopération d’ampleur avec les Comores. Assurément, réformer le droit du sol et s’attaquer à l’étranger coûte bien moins cher !
Mon collègue Saïd Omar Oili et moi-même avons tenté, lors des débats, d’aborder la question de la fin des visas territorialisés à Mayotte. Ce sujet a été balayé d’un revers de la main par M. le ministre de la justice, sous prétexte que nous ne l’avons pas fait lorsque nous étions au pouvoir. En huit ans, nous n’allons pas vous apprendre que la situation s’est aggravée et que les tensions se sont exacerbées…
Comme en première lecture, nous sommes fermement opposés à ce texte.
Chose assez rare pour être soulignée, la commission mixte paritaire a durci la version du Sénat, en rétablissant l’obligation de présence des deux parents, ainsi que la présentation de passeports biométriques. Cette dernière exigence est pourtant inconstitutionnelle, puisque de nombreux pays ne délivrent pas ce type de passeport. Dès lors, certaines personnes se verraient privées d’accès à la nationalité française, ce qui provoquerait une rupture d’égalité.
Par ailleurs, la rédaction retenue par la commission mixte paritaire pour définir les familles monoparentales risque fortement d’entraîner des non-reconnaissances d’enfants et de créer des situations très dangereuses. Je l’ai dit lors de la réunion de la CMP : la monoparentalité ne tient pas seulement à la déclaration de filiation à la naissance, car l’un des parents peut décéder très peu de temps après la naissance ou avoir déserté. La question du non-respect de l’égalité des enfants devant la loi reste entière. Cette mesure fait peser un risque d’inconstitutionnalité sur le texte.
Finalement, l’atteinte manifeste et disproportionnée de cette proposition de loi au droit du sol n’est ni justifiée ni adaptée. Il n’a jamais été démontré depuis 2018 que la réforme du droit du sol avait endigué les flux migratoires.
Ce texte permet en définitive de mettre un pied dans la porte pour remettre en cause le droit du sol sur tout le territoire français, ce à quoi même le régime de Vichy n’avait pas osé toucher !
Nous, sénateurs socialistes, continuerons de nous opposer jusqu’au bout à ce texte inutile, populiste et xénophobe. Nous saisirons le Conseil constitutionnel pour Mayotte et pour tous ces enfants qui méritent bien mieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mayotte souffre.
Prise au piège d’un poids démographique devenu insoutenable, soumise à des flux migratoires continus, avec comme corollaire la saturation des services publics, l’explosion de l’insécurité, l’insalubrité des habitats ou encore la dégradation de l’environnement, Mayotte est en train de sombrer.
Ce département français de l’océan Indien subit, depuis de trop longues années, un détournement systématisé du droit du sol, utilisé comme un outil d’ingérence par un pays étranger contestant la souveraineté de la France sur l’archipel. Revendiquant l’appartenance de Mayotte à son territoire, malgré plusieurs référendums confirmant le souhait des Mahorais de rester au sein de la République française, l’Union des Comores instrumentalise les flux migratoires à des fins de déstabilisation et de prise de contrôle.
Face à une catastrophe migratoire d’une telle ampleur, il est de notre responsabilité de protéger notre territoire, afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens. Pour cela, une gestion responsable de l’immigration s’impose.
Parce que le droit du sol est devenu un instrument de pression à Mayotte, il apparaît nécessaire d’adapter ses conditions d’application dans ce département. Il y va de l’avenir de Mayotte et des Mahorais.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à apporter une réponse concrète. Certes, elle n’est pas parfaite et ne réglera pas tout, mais nous posons une première pierre en envoyant un signal fort : les Mahorais ne sont pas seuls pour affronter les défis immenses posés par cette immigration hors de contrôle. Ce texte a le mérite de restaurer une forme d’équilibre en alignant le droit sur les réalités démographiques et sociales de Mayotte.
C’est pourquoi je me félicite de l’esprit consensuel qui a prévalu lors de la réunion de la commission mixte paritaire, qui a permis d’aboutir à un accord pour adapter les conditions d’accès à la nationalité à Mayotte.
Je me réjouis tout particulièrement que ce soit la version du Sénat, qui fixe à un an la durée de résidence régulière exigée des parents à la date de naissance de l’enfant, afin qu’il puisse accéder ensuite à la nationalité française par le droit du sol, qui ait été reprise.
Je salue également la disposition retenue dans le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, qui prévoit que cette condition de résidence régulière s’applique aux deux parents de l’enfant, sauf s’il s’agit d’une famille monoparentale.
Enfin, je suis favorable à l’obligation de présentation d’un passeport biométrique pour apposer sur l’acte de naissance de l’enfant la mention de la durée de la résidence régulière en France de ses parents.
Avant de conclure, je tiens à remercier le rapporteur, notre collègue Stéphane Le Rudulier, de son travail remarquable et de son implication.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’immigration irrégulière est un fléau à Mayotte. Elle porte atteinte à nos valeurs républicaines. Nos compatriotes mahorais ont besoin de notre aide.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage pleinement l’objectif que cherche à atteindre cette proposition de loi et votera ce texte.
Toutefois, modifier le code civil ne suffira pas. Il semble tout aussi urgent d’agir par la voie diplomatique, dans le cadre de nos relations bilatérales avec l’Union des Comores, actuellement présidée par Azali Assoumani.
Il nous faudra aussi prendre des mesures opérationnelles pour restreindre l’immigration irrégulière, notamment en instaurant une véritable coordination entre nos forces de police terrestres, maritimes et aériennes, en renforçant les contrôles migratoires et en augmentant le nombre de reconduites des clandestins dans leur pays d’origine.
Ainsi, les petits Mahorais pourront peut-être enfin apprendre dans des salles moins surchargées et avoir classe toute la journée. Aujourd’hui, les écoles fonctionnent en rotation, ce qui est absolument inadmissible sur le territoire français !