Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Marie-Pierre Richer.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent
Article 1er

Protection de l’école de la République et des personnels qui y travaillent

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion de la proposition de loi visant à protéger l’école de la République et les personnels qui y travaillent, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 234, texte de la commission n° 366, rapport n° 365).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et RDSE.)

M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, et celui de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, ont choqué la France et révélé au grand jour les pressions, menaces et agressions dont les enseignants et, plus largement, les personnels de l’éducation nationale sont victimes au quotidien.

Trois ans après l’assassinat de son frère, Mickaëlle Paty a écrit un courrier à Gérard Larcher, qui a aussitôt eu un écho au sein de notre institution. En effet, le président du Sénat a demandé à la commission des lois et à la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport de constituer une mission commune d’information dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, afin de faire le point sur la situation. Dominique Bernard était alors encore en vie.

Cette mission commune d’information a mené ses travaux pendant plus de six mois, entendu de nombreux acteurs en audition, fait des visites de terrain. Ses travaux ont souligné la violence endémique qui sévit dans de nombreux établissements.

Les chiffres recueillis à cette occasion en témoignent : deux tiers des établissements secondaires ont déclaré un incident grave au cours de l’année scolaire 2021-2022 ; quant aux enseignants, 58 500 d’entre eux déclarent avoir été menacés, 17 200 avoir été bousculés intentionnellement ou victimes de violence et 900 avoir été menacés avec une arme au cours de l’année scolaire 2019-2020.

Ces chiffres font froid dans le dos.

La violence exercée contre les personnels de l’éducation nationale constitue désormais une « normalité dans l’anormalité ». Cette banalisation n’est évidemment pas acceptable. Les témoignages d’enseignants recueillis par la mission soulignent le développement d’un sentiment de peur dans l’exercice de ce métier, sentiment qui s’est installé progressivement au fil du temps, dans de nombreux établissements, quelle qu’en soit la localisation et quel que soit l’âge des élèves. Ainsi, au-delà des menaces verbales, le passage à l’acte violent, par un élève ou son parent, que ce soit pour une note, une remarque ou le contenu d’un cours, est désormais perçu comme une éventualité.

Alors que, depuis la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, la mission première de l’école est, « outre la transmission des connaissances », « de faire partager aux élèves les valeurs de la République », les cas de contestation des enseignements augmentent depuis plusieurs années, tout comme les cas de remise en cause des principes et des valeurs de la République.

Si certains territoires sont plus concernés que d’autres, tous les établissements scolaires peuvent être confrontés à ces difficultés. C’est l’école de la République, creuset de la Nation, qui est ainsi attaquée.

Face à ce constat, la mission commune d’information a formulé trente-huit recommandations pour protéger l’école et ses personnels, et pour restaurer l’autorité de l’institution scolaire. Six de ces recommandations sont de nature législative ; elles font l’objet de la présente proposition de loi. Les trente-deux autres recommandations sont de nature réglementaire et nous nous tournons évidemment vers vous, madame la ministre, pour qu’elles soient mises en œuvre ; vous avez en effet la possibilité, par les leviers dont vous disposez, de corriger ce qui dysfonctionne. Nous vous faisons confiance pour ne pas les oublier.

L’article 1er de ce texte recentre le contenu de l’enseignement moral et civique (EMC) sur la formation aux valeurs et aux principes de la République, y compris la laïcité, ainsi que sur la connaissance des institutions et la compréhension des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux.

Le Sénat l’a souligné à plusieurs reprises, dans le cadre de missions d’information ou lors de l’examen de textes législatifs : il faut clarifier cet article, lui redonner du sens, afin de mettre fin à un enseignement trop bavard, qui oublie l’essentiel : la transmission d’une culture citoyenne commune.

La mission commune d’information a également mis en lumière les zones d’ombre persistant dans l’application de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Ce texte clarifie les dispositions de cette loi, sans en élargir la portée.

L’article 3 renforce la responsabilité des parents au regard des comportements répétés des enfants qui perturbent le fonctionnement de l’établissement. Tout comme l’assiduité scolaire, le respect du fonctionnement et de la vie collective de l’établissement fait partie des devoirs de l’élève. Durant les travaux de la mission commune d’information, il nous était apparu que les faits constatés concernaient de plus en plus non les élèves, mais les parents. Il nous a donc semblé nécessaire de responsabiliser ces derniers.

Enfin, il est urgent de renforcer la protection fonctionnelle de nos enseignants et, de manière générale, de l’ensemble du personnel de l’éducation nationale. L’article 4 rend ainsi automatique – nous tenons à ce mot –, dans un délai d’un jour franc, l’octroi de la protection fonctionnelle pour tout personnel de l’éducation nationale victime de violences, de menaces ou d’outrages du fait de ses fonctions. L’octroi automatique de cette protection suscite des débats au sein du Gouvernement, je le sais ; aussi comptons-nous sur vous, madame la ministre, pour faire en sorte que ce qui est devenu la pratique soit inscrit dans la loi.

L’article 5 permet à l’administration de déposer plainte en lieu et place d’un personnel de l’éducation nationale, avec son accord. Cette disposition reprend l’une des mesures du plan de protection des agents publics annoncé par Stanislas Guerini, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, en septembre 2023, mais qui n’a toujours pas connu de traduction législative.

Je laisse à Mme la rapporteure le soin de décrire les articles suivants, qui découlent d’amendements dont elle était l’autrice.

Je rappelle que les travaux de la mission commune d’information ont été menés en partenariat avec la commission des lois ; aussi, si François-Noël Buffet n’avait pas été appelé à de hautes responsabilités, il serait bien entendu coauteur de cette proposition de loi, puisque nous avons conduit cette démarche ensemble.

Nous avons, les uns et les autres, été très frappés pendant les travaux de cette mission par l’état d’esprit de nos enseignants et du personnel éducatif, qui sont dans la crainte et dans l’attente d’une réponse des pouvoirs publics.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait.

M. Laurent Lafon. Nous n’avons pas la prétention de répondre, au travers de ce texte, à toutes ces attentes. Néanmoins, les outils que nous proposons permettront de soutenir la démarche de sécurisation des établissements, qui doit être globale, afin que les enseignants, le personnel éducatif en général, ne s’interrogent pas sur leur propre sécurité quand ils s’apprêtent à faire leur métier, c’est-à-dire enseigner et accompagner les élèves.

Tel est l’objet de la proposition de loi dont l’examen nous rassemble ce matin et qui, je l’espère, nous rassemblera aussi au moment du vote. Nous voulons apporter une réponse utile et efficace à une réalité, aux événements graves qui se sont produits au cours des dernières années. Nous ne pouvons laisser les écoles devenir un lieu où les personnels, enseignants ou non, ne se sentent pas en sécurité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Annick Billon, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la ministre, cher Laurent Lafon, mes chers collègues, vaut-il mieux considérer le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein ? La question se pose quand on examine les chiffres récents traduisant les violences commises envers les personnels de l’éducation.

Ainsi, le ministère souligne que, en 2024, aucun incident grave envers eux n’a eu lieu dans un établissement du secondaire sur deux. Renversons la perspective : cela signifie que la moitié des établissements ont connu au moins un incident grave au cours de cette année ! Avec plus de 10 600 établissements du second degré en France, cela représente au moins 5 300 incidents graves envers les personnels en un an, soit 147 par semaine scolaire. Quant aux écoles primaires, pourtant longtemps épargnées, une sur cinq a déclaré un incident grave.

Le constat est sans appel : la violence se banalise au sein de l’institution scolaire.

Je tiens donc à saluer le travail de Laurent Lafon et de François-Noël Buffet. Leur rapport d’information a permis, d’une part, de mettre des chiffres et des mots sur le malaise des professeurs et, d’autre part, de démontrer l’existence d’une peur dans l’exercice même du métier.

Je remercie également le président Gérard Larcher de faire de l’éducation une priorité constante de nos travaux.

Au sein de la commission de la culture, lorsqu’il est question de l’école, les débats sont souvent animés. Certaines dispositions de ce texte ne manqueront pas de susciter à nouveau des discussions aujourd’hui, mais deux consensus forts émergent cependant : premièrement, les articles 4 et 5, qui renforcent la protection des enseignants et qui ont été largement salués, y compris par les syndicats ; deuxièmement, l’idée que le pouvoir réglementaire détient les clefs permettant de mieux protéger l’institution scolaire et ses personnels.

Sur les trente-huit recommandations de la commission d’enquête, seules six sont de nature législative. Madame la ministre, nous comptons sur vous pour mettre en œuvre les trente-deux autres !

J’en viens au détail du texte.

L’article 1er recentre le contenu de l’EMC sur la connaissance des institutions et sur la compréhension des enjeux sociétaux et environnementaux. Cela s’impose, car la rédaction actuelle de l’article L. 312-15 du code de l’éducation est tellement bavarde qu’elle amène les enseignants à faire des choix dans les contenus enseignés, au détriment de la transmission d’une culture citoyenne commune.

L’article 2 met en cohérence le droit et la pratique. Malgré les préconisations du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSLVR), une incertitude persiste quant à l’interdiction pour les élèves des établissements publics de porter une tenue ou un signe religieux lorsque l’activité est organisée par l’école. Ce point est donc clarifié, afin de lever toute ambiguïté sur le terrain.

L’article 3 vise à responsabiliser davantage les élèves perturbateurs et leurs parents. Nous tendons la main au pouvoir réglementaire pour qu’il mette en place un processus de sanction analogue à celui qui existe pour le non-respect de l’assiduité scolaire.

L’article 4 renforce la protection fonctionnelle des personnels de l’éducation nationale. Cet article pose une question de fond : faut-il un statut de protection spécifique pour les enseignants ? À cette question, la commission répond par un oui franc. L’école joue un rôle fondamental dans notre société : former les citoyens de demain et construire le vivre-ensemble. S’attaquer à l’école, c’est s’attaquer à la République. Dès lors, un régime de protection adapté est légitime. Nous prévoyons donc l’octroi immédiat et de plein droit de la protection fonctionnelle en cas de menaces, d’outrages ou de violences.

L’article 5 suit la même logique : il permet à l’administration de porter plainte à la place de son agent avec son accord ou celui de ses ayants droit, s’il est décédé.

Les articles 6 et 6 bis permettent au chef d’établissement de disposer des outils nécessaires pour assurer son rôle en matière de sécurité. Le recours aux portiques à l’entrée des établissements scolaires coûterait très cher, serait peu efficace et créerait un danger en raison de la formation d’un attroupement aux abords d’une zone sensible. C’est pourquoi j’ai proposé une solution intermédiaire en commission, qui a adopté un nouvel article avec un objectif double : sécuriser la base juridique de l’inspection visuelle des sacs et autoriser la fouille des sacs par un professionnel référent – le chef d’établissement, par exemple –, avec l’accord de l’élève ou de ses représentants légaux s’il est mineur.

Soyons honnêtes : l’inspection visuelle et la fouille des sacs sont devenues monnaie courante dans notre quotidien ; que ce soit pour entrer dans une salle de concert, un musée, un stade ou même certains magasins, nous sommes tous soumis à ce type de contrôle. Nous pouvons le déplorer, mais c’est la réalité. Il serait donc paradoxal que le seul endroit où l’inspection visuelle et la fouille ne puissent se faire soit le collège ou le lycée, alors même qu’ils sont de plus en plus menacés. J’ai d’ailleurs été ravie de constater, madame la ministre, que, à la suite de cette proposition, vous aviez vous-même déclaré vouloir rendre possible l’organisation régulière de fouilles de sac à l’entrée des établissements.

Enfin, les deux derniers alinéas de l’article 6 ter étendent l’application de cette loi aux territoires d’outre-mer concernés.

Il est tout aussi important de prendre en compte les établissements d’enseignement français à l’étranger, et les personnels qui y travaillent. À ce titre, je salue l’engagement des sénatrices et des sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Mes chers collègues, ce texte, nous le savons, ne résoudra pas à lui seul tous les maux de l’école, mais il constituera un nouveau pas pour restaurer l’autorité et la sécurité dans nos établissements, une nouvelle réponse face au désarroi croissant des enseignants.

Madame la ministre, au-delà de ce texte, les mesures réglementaires doivent suivre ; nous comptons sur vous !

En effet, si, derrière les engagements partagés par la Haute Assemblée et le Gouvernement, aucuns moyens financiers, aucun outil juridique ni aucune action concrète ne se matérialise, alors la désillusion des enseignants ne fera que croître. Ce texte s’inscrit dans un contexte grave de violence croissante ; j’ai d’ailleurs une pensée pour les familles des enseignants sauvagement assassinés depuis cinq ans. Protéger l’école, et les personnels qui y travaillent, c’est protéger notre République. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP, Les Républicains et sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi intervient à un moment charnière pour notre école. Les assassinats des professeurs Samuel Paty le 16 octobre 2020 et Dominique Bernard le 13 octobre 2023 ont profondément ébranlé notre pays et meurtri la communauté éducative. Ces professeurs incarnaient la République, ils transmettaient ses valeurs – liberté, égalité, fraternité – ainsi que le principe de laïcité, qui fondent notre nation.

Sans qu’elles aillent jusqu’à ces situations les plus tragiques, nous constatons, vous l’avez dit, que les personnels de l’éducation nationale font face chaque jour à des remises en cause de leur autorité, à des menaces, parfois à des agressions.

Au cours de l’année scolaire 2022-2023, 16 % des directeurs d’école et 48 % des chefs d’établissement du secondaire déclarent avoir été confrontés à un fait grave durant l’année. Il s’agit, dans plus de 90 % des cas, d’atteintes aux personnes, majoritairement sous forme de violences verbales. Ces atteintes se sont traduites en 2023 par plus de 5 200 demandes de protection fonctionnelle, toutes situations confondues, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2022.

Les atteintes à la laïcité sont aussi une réalité, révélant les pressions qui s’exercent au quotidien à l’école et dans la classe. Depuis le début de l’année scolaire, les chefs d’établissement et les directeurs d’école ont ainsi signalé plus de 500 contestations d’enseignement et refus d’activité scolaire, plus de 450 revendications communautaires et refus des valeurs républicaines, plus de 330 provocations verbales et plus de 250 suspicions de prosélytisme.

Ces actes sont inacceptables.

Vous le savez, la protection de l’école et de ses personnels est une priorité absolue du Gouvernement. Grâce à une mobilisation forte, des progrès significatifs ont déjà été accomplis. Au cours de l’année scolaire 2023-2024, une hausse préoccupante des atteintes à la laïcité a été constatée, avec 6 500 faits, soit trois fois plus que l’année précédente. Une tendance à la baisse est observée depuis le début de cette année scolaire, avec 2 100 faits signalés sur la première moitié de l’année.

Le plan national de formation à la laïcité et aux valeurs de la République, mis en place à la rentrée 2021, a permis de former près de 700 000 personnels. Ce déploiement se poursuit et offre aux enseignants des repères théoriques et pratiques, favorisant la réflexion collective et la cohérence des réponses au sein des équipes pédagogiques.

Le ministère s’est aussi montré à la hauteur des enjeux grâce à ses dispositifs de signalement, de sanction et d’accompagnement.

En ce qui concerne les signalements, tout incident fait l’objet d’une remontée d’information via l’application nationale Faits Établissement. Les faits susceptibles de revêtir une qualification pénale sont transmis au procureur de la République, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Les victimes, qu’il s’agisse d’élèves ou de personnels, sont encouragées et accompagnées dans leurs démarches de dépôt de plainte.

Pour ce qui concerne les sanctions, dans le premier degré, tout fait de violence et toute atteinte aux valeurs de la République entraînent un entretien avec l’élève et ses parents ; dans le second degré, des procédures disciplinaires appropriées sont engagées en fonction de la gravité des faits.

Pour ce qui est de l’accompagnement, des équipes académiques spécifiques assurent le suivi de toutes les atteintes signalées, conseillant et soutenant les directions d’école et d’établissement dans le traitement de ces situations. Dans le cadre du budget 2025, des moyens supplémentaires ont été alloués, notamment 170 postes de conseiller principal d’éducation et 600 postes d’assistant d’éducation.

Le 29 janvier dernier, un décret présenté en Conseil des ministres a instauré des services de défense et de sécurité dans chaque académie, renforçant la collaboration quotidienne avec les préfectures, les procureurs et les forces de l’ordre, pour une prise en charge efficace des personnels victimes de menaces ou d’agressions.

Enfin, plus de 500 écoles et établissements bénéficient d’un renforcement de leurs dispositifs de sécurité.

Vous le voyez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’école n’a pas attendu pour agir et, sur ce sujet, le Sénat a toujours été à nos côtés. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est issue des recommandations du rapport d’information de la mission commune de la commission de la culture et de l’éducation et de la commission des lois. Elle présente des avancées significatives et utiles. Je tiens à saluer le travail effectué par François-Noël Buffet, Laurent Lafon et la rapporteure du texte, Annick Billon.

Au-delà des dispositions législatives que nous nous apprêtons à examiner, je suis prête, monsieur Lafon, madame la rapporteure, à envisager un nouveau train de mesures réglementaires issues de vos travaux. Je pense notamment aux questions touchant à la formation de nos enseignants, ma priorité absolue.

J’en viens aux dispositions du texte.

Le Gouvernement soutient pleinement le recentrage de l’enseignement moral et civique sur les principes et valeurs de la République, notamment la laïcité, ainsi que sur la connaissance des institutions et la compréhension des grands enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. Les nouveaux programmes d’EMC, entrés en application progressivement depuis la dernière rentrée, suivent déjà cette orientation.

Pour ce qui concerne la responsabilisation des parents, la proposition de loi renforce l’implication de ces derniers face aux comportements répétés de leurs enfants perturbant le fonctionnement de l’établissement, ce qui est essentiel. Je m’engage à travailler conjointement avec le garde des sceaux, la ministre chargée des familles, les présidents de conseil départemental, dont relève la protection de l’enfance, et les maires pour mettre en œuvre des mesures d’accompagnement et de responsabilisation, en veillant à impliquer équitablement les deux parents dans leur rôle éducatif.

Sur la protection fonctionnelle, le texte consacre ce qui se pratique déjà pour les personnels de l’éducation nationale : bénéficier de la protection fonctionnelle de plein droit et sans délai en cas de menaces ou de violences.

Enfin, le fait que l’institution puisse se substituer à l’agent pour déposer une plainte, en sus du signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, est de nature à rassurer les victimes et à leur montrer que l’institution est de leur côté et les protège.

Quant aux dispositions de la loi du 15 mars 2004 précitée, qui interdit aux élèves des écoles, collèges et lycées publics le port de signes et tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, elles n’appellent pas à nos yeux de dispositions complémentaires, mais exigent une vigilance quotidienne sur leur pleine application.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, au-delà de nos sensibilités politiques, nous savons tous que l’école est un bien commun qu’il nous appartient de préserver et de défendre. La proposition de loi que vous examinez représente une avancée significative en ce sens. Elle témoigne de notre engagement collectif pour que l’école reste un espace protégé, où les valeurs républicaines s’enseignent et se vivent au quotidien. Nous avons une responsabilité envers nos professeurs, nos élèves, notre République. La protection de l’école ne saurait souffrir aucune faiblesse. Je sais que nous répondrons ensemble, et en bonne intelligence, à cette exigence. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER, RDSE, RDPI et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. Avant de poursuivre la discussion générale, j’appelle chaque orateur à respecter son temps de parole, car nous avons d’assez nombreux amendements à examiner ensuite sur ce texte. Or, s’agissant d’un texte examiné dans le cadre d’un espace réservé, le temps qui lui est imparti est relativement bref.

La parole est à Mme Mireille Conte Jaubert.

Mme Mireille Conte Jaubert. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école de la République est le cœur battant de notre démocratie. Elle est le lieu où se transmettent le savoir, l’esprit critique et les valeurs qui fondent notre nation. Pourtant, cette école est un sanctuaire menacé.

Les tragédies qui ont frappé notre pays en 2020 et en 2023, à savoir l’assassinat de Samuel Paty puis celui de Dominique Bernard, ont révélé une réalité insoutenable : nos enseignants et notre personnel éducatif, eux qui forment nos enfants, ne sont plus en sécurité. Ces actes de barbarie sont des attaques non pas seulement contre des individus, mais contre la République et ce qu’elle représente.

Nous ne pouvons plus ignorer l’ampleur de la violence qui gangrène nos écoles. Nos enseignants sont les victimes de menaces constantes, d’insultes et de violences verbales et physiques. Pis encore, la peur s’installe et, avec elle, le doute : peut-on encore enseigner librement ? peut-on encore transmettre les valeurs de la République sans craindre pour sa vie ?

Face à cette situation, nous avons une responsabilité. L’État ne peut pas rester spectateur ; il doit garantir à chaque enseignant et à chaque élève un environnement d’apprentissage sécurisé.

L’école n’est pas un espace neutre où chacun peut imposer ses propres règles ; elle est le lieu où les enfants apprennent non seulement des savoirs fondamentaux, mais aussi ce que signifie vivre ensemble dans une société démocratique. Or nous constatons à l’heure actuelle que certaines de ces valeurs sont contestées, remises en cause, voire combattues.

Le RDSE salue cette proposition de loi, qui est une réponse, forte et nécessaire, à cette situation. Elle repose sur plusieurs mesures clés visant à garantir que l’école demeure ce qu’elle doit être : un espace de savoir et de respect des principes républicains.

Tout d’abord, elle vise à forger une conscience citoyenne commune en renforçant l’enseignement moral et civique. Nous pensons que la transmission des valeurs de notre République doit être, non pas être optionnelle, mais claire et uniforme.

Ensuite, cette proposition de loi précise le périmètre de l’interdiction du port de signes religieux au sein des établissements scolaires et lors des activités organisées par l’école, y compris celles qui ont lieu en dehors du temps scolaire. La laïcité est un principe fondamental garantissant la liberté de conscience et l’égalité entre tous les citoyens. Il est essentiel d’apporter une clarification sur les activités concernées afin d’assurer une application cohérente du principe de neutralité.

Par ailleurs, cette proposition de loi a pour objet de responsabiliser davantage les élèves perturbateurs et leurs parents. Le respect du cadre scolaire n’est pas une option et il est temps de rappeler que les actes entraînent des conséquences. L’école doit être un lieu d’apprentissage et non un champ de bataille de l’indiscipline.

Enfin, cette proposition de loi renforce la protection des enseignants, en rendant automatique la protection fonctionnelle des agents victimes d’agression et en facilitant les dépôts de plainte.

Ce texte n’est pas une simple réponse aux drames du passé ; il est un bouclier pour l’avenir, un message clair à tous ceux qui voudraient imposer la peur.

Nous sommes à un tournant. Nous devons désormais nous interroger sur l’avenir que nous voulons pour notre école. Voulons-nous une école soumise à des pressions communautaires, où la peur et l’autocensure prennent le pas sur la liberté d’enseigner ? Voulons-nous une école forte, fière de ses valeurs, où chaque enfant apprend non seulement…

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Mireille Conte Jaubert. … à lire et à écrire, mais aussi à devenir un citoyen libre et éclairé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean Hingray. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école de la République vacille. Samuel Paty, Dominique Bernard : deux noms, deux visages, deux drames qui ont brisé notre illusion de sécurité, deux martyrs de la liberté d’enseigner. Ces deux professeurs ont été assassinés non pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils étaient et incarnaient, à savoir l’école républicaine et l’école qui émancipe, qui forge des esprits libres et qui enseigne la liberté de conscience et la primauté de la loi commune sur toute autre. Leur mort n’est pas un fait divers : elle est un cri d’alerte, une déchirure dans notre pacte républicain.

Face à ce signal d’alarme, notre responsabilité est immense. Protéger nos enseignants, garantir la sécurité de nos établissements et réaffirmer haut et fort les principes républicains qui fondent l’école de la Nation sont tout l’objet de cette proposition de loi.

Celle-ci n’est pas une loi de circonstance ; elle s’inscrit dans la continuité d’un travail approfondi, mené par la mission conjointe de contrôle. Il a levé le voile sur une réalité que chacun pressentait sans oser la regarder en face : l’école est sous pression, partout, tout le temps. Des établissements les plus sensibles à nos villages ruraux en passant par nos lycées de centre-ville ou encore par les petites écoles primaires, aucun territoire n’est épargné.

Le constat est implacable. Deux tiers des établissements secondaires ont signalé au moins un incident grave au cours de l’année scolaire 2021-2022. Près de 58 000 enseignants ont déclaré avoir été menacés en 2019-2020. Ce ne sont pas des chiffres abstraits : ce sont des visages, ce sont des femmes et des hommes qui hésitent désormais à exercer leur métier comme ils l’ont appris et comme ils l’aiment.

En effet, à l’heure actuelle, un mot mal interprété, une note jugée injuste ou un cours sur la laïcité peuvent suffire à déclencher la tempête. Il n’y a plus de sanctuaire. Même l’école primaire, longtemps préservée, est désormais touchée. Ce qui relevait de l’exception devient la norme.

Dans ce climat délétère, que ressentent nos enseignants ? De la peur, bien sûr, mais aussi une immense solitude. Ils sont seuls face à des élèves de plus en plus défiants, face à des parents de plus en plus intrusifs et face à une hiérarchie de plus en plus absente et tétanisée. Certains parents attendent tout de l’école, d’autres la contestent pied à pied, remettant en cause le contenu des cours, exigeant la réécriture d’un programme, imposant une vision du monde qui n’a rien à voir avec celle que nous voulons.

Le résultat est que, depuis 2012, les démissions d’enseignants ne cessent d’augmenter. En 2021-2022, elles ont bondi de 36 %. Ce découragement n’est pas un fait divers ; il est une menace existentielle pour notre école et pour la République. J’insiste : la pression constante pousse certains enseignants à abandonner leur vocation en quittant la profession. C’est une crise non seulement de recrutement, mais aussi de confiance, confiance dans la capacité de la République à protéger ceux qui la servent et confiance dans la capacité de l’école à imposer son autorité.

Il y a plus grave encore : l’autocensure. Quelque 56 % des enseignants du secondaire public déclarent s’être autocensurés sur les questions religieuses pour ne pas faire de vagues. En réseaux d’éducation prioritaire (REP), un enseignant sur deux a déjà été confronté à une contestation des valeurs républicaines. En milieu rural, c’est un sur quatre. De tels chiffres nous alertent tous sur ce phénomène inquiétant : des enseignants, par crainte de réactions violentes ou de contestations, choisissent de se censurer et donc de ne plus enseigner certains principes républicains fondamentaux.

La laïcité et la liberté d’expression, des principes qui devraient être des évidences, deviennent des sources de tension et de contestation. Là est le cœur du problème : l’école républicaine ne peut plus être ce lieu où l’on débattait librement autrefois. Elle devient un champ de mines où il faut sans cesse négocier chaque mot et chaque contenu sous la pression de minorités bruyantes qui contestent nos principes fondamentaux.

Face à cette situation, il était de notre responsabilité de proposer une réponse forte, républicaine et législative. Il est plus que nécessaire de rétablir l’autorité de l’institution scolaire et de protéger les enseignants. C’est l’objet de cette proposition de loi du président Lafon, que nous remercions, laquelle nous permet d’apporter des solutions.

Ce texte, fruit des travaux de la mission conjointe de contrôle, se décline en plusieurs mesures structurantes.

Premièrement, l’enseignement moral et civique est recentré sur l’essentiel : les valeurs et principes de la République, la laïcité, la connaissance de nos institutions et les grands enjeux du monde contemporain. Cet enseignement doit être un socle commun, le ciment de notre nation.

Deuxièmement, cette proposition de loi tend à clarifier la loi de 2004 sur les signes religieux en étendant leur interdiction à toutes les activités organisées par l’école. La laïcité s’appliquera partout où la République enseigne.

Troisièmement, cette proposition de loi vise à responsabiliser les parents face aux comportements des enfants perturbant à répétition l’établissement. L’autorité parentale ne s’arrête pas aux portes de l’école.

Quatrièmement, l’obtention de la protection fonctionnelle sera facilitée grâce à son octroi automatique. Aucun enseignant menacé ne doit plus avoir à quémander la protection de la République. L’administration pourra ainsi porter plainte au nom de l’enseignant, avec son accord. Chaque menace, chaque insulte, chaque agression doit donner lieu à une réponse judiciaire, systématiquement.

Cinquièmement, tout chef d’établissement devra être informé lorsqu’un élève est mis en examen ou condamné pour terrorisme. On ne peut protéger l’école sans connaître les menaces qui pèsent sur elle.

Sixièmement, la commission a adopté un amendement de Mme la rapporteure Annick Billon, dont je salue le travail, tendant à conférer, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative, au chef d’établissement, à son adjoint ou au conseiller principal d’éducation (CPE) un droit de fouille : ceux-ci pourront inspecter les sacs et casiers en cas de doute sérieux. La sécurité est la première condition de la liberté.

Parce que la République est une et indivisible, cette loi s’appliquera partout : en métropole, dans les territoires d’outre-mer, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Protéger l’école, c’est protéger la République elle-même. C’est notre responsabilité et notre honneur. Nous devons porter ensemble ce message, avec force et vigueur. Naturellement, avec l’ensemble de mes collègues de l’Union Centriste, je soutiens cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie, était décapité par un terroriste islamique. Le 13 octobre 2023, Dominique Bernard était assassiné par un terroriste islamique parce qu’il était professeur de lettres. Tous les deux ont été les victimes du fanatisme religieux parce qu’ils incarnaient ce qui constitue l’identité de la République : la raison critique héritée des Lumières, la laïcité et la connaissance comme instrument d’émancipation des individus et des sociétés. Ils ont été assassinés au nom d’une idéologie qui considère, à l’inverse, que la religion est la seule source de la vérité.