Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous agissons d’ores et déjà au travers de plusieurs politiques publiques.
Par le biais de la ligne budgétaire unique, ou LBU, tout d’abord, le ministère des outre-mer finance notamment la construction de logements locatifs sociaux, des ouvrages de résorption de l’habitat insalubre et de réhabilitation du parc social, ainsi que des actions visant à améliorer l’accession sociale à la propriété. En 2024, les crédits de la LBU, qui ont été consommés à hauteur de 98 %, ont financé la construction et la rénovation de 8 000 logements.
Ensuite, la géographie actualisée des quartiers prioritaires de la politique de la ville, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, à laquelle ma collègue Juliette Méadel a notamment travaillé, constitue une avancée pour les territoires ultramarins, auxquels – il faut le reconnaître – cette nouvelle carte est bien plus favorable.
Plusieurs dispositifs fiscaux, notamment l’octroi d’un taux de TVA réduit et de crédits d’impôt, complètent enfin les mesures prises.
Je n’entends nullement me féliciter de ce que je considérerais comme des succès. Il reste tant à faire que cela n’aurait aucun sens : le besoin annuel de logements sociaux supplémentaires est considérable – il est estimé entre 8 000 et 10 000 logements –, le nombre de logements insalubres et indignes est supérieur à 150 000, l’habitat informel et dégradé atteint des niveaux records dans certains de nos territoires et l’offre abordable est insuffisante.
Ces constats appellent une action forte. Il nous faut en particulier continuer à accélérer pour construire plus de nouveaux logements, réhabiliter les logements anciens, lutter contre l’habitat indigne et proposer de vrais parcours résidentiels comportant des logements très sociaux, des logements sociaux, mais aussi des logements intermédiaires et dans le parc libre.
Ces constats appellent également une action collective, qui doit s’appuyer sur des moyens d’ingénierie, sur les opérateurs, sur les bailleurs, sur les entreprises, sur les partenaires financiers et, naturellement, sur les collectivités.
Afin de dynamiser cette action commune, je souhaite être en mesure, d’ici à l’été prochain, de signer avec toutes les parties prenantes le plan logement outre-mer 3, ou Plom 3, fixant les priorités territoire par territoire et déroulant une stratégie globale en conséquence.
J’y travaille activement avec ma collègue Valérie Létard, chargée du logement, dont chacun dans cette enceinte connaît le professionnalisme et qui me remplacera dans un instant, parce que je dois me rendre à La Réunion et que le vol Corsair ne m’attendra pas. (Sourires.)
Le soutien apporté à votre proposition de loi s’inscrit donc dans le cadre d’une action plus large, madame Bélim. Je vous remercie du reste de votre engagement, de la qualité de votre travail et de votre ténacité.
L’article 1er, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des affaires économiques et largement réécrite, grâce à votre engagement, madame Bélim, et à celui de Mme le rapporteur Micheline Jacques, avec laquelle vous avez travaillé main dans la main et dans la bonne humeur, met en place l’expérimentation ad hoc d’un dispositif d’encadrement des loyers dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, celles qui ont été exclues de l’expérimentation instaurée par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan.
Cet encadrement serait réservé aux communes situées en zone tendue et son expérimentation serait naturellement facultative, laissée à la main des élus locaux. S’il s’agit d’une réelle avancée, j’estime que ce n’est pas une solution magique. Pour faire baisser le coût du logement, il faut avant tout soutenir la production de nouvelles habitations.
C’est un équilibre que cette proposition de loi défend, puisque l’article 3 initial entend faciliter la production de logements neufs en octroyant au domaine de la construction la possibilité de déroger, dans les régions ultrapériphériques, au marquage CE en vigueur dans l’Union européenne, une exemption obtenue de haute lutte à Bruxelles – vous l’avez souligné, madame la sénatrice Bélim –, l’année dernière, grâce à la forte mobilisation du gouvernement français, donc de mes prédécesseurs.
Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis convaincu, tout comme les sénateurs qui ont récemment signé un appel en ce sens, que l’adaptation des normes applicables outre-mer est une priorité de bon sens, en particulier pour lutter contre la vie chère.
Je le répète, il faut en finir avec l’économie de comptoir et le tout-importation depuis l’Hexagone. Vous avez cité plusieurs exemples probants, madame la sénatrice Bélim. Cela nuit au développement de filières locales et renchérit naturellement les coûts.
Le Gouvernement soutiendra donc l’amendement n° 4 rectifié bis de l’auteure de la proposition de loi, qui vise à rétablir l’article 3 dans une réaction améliorée et – parole magique ! – à financer les dispositions introduites.
Cet amendement, issu d’un travail mené avec le Gouvernement, a pour objet de permettre au représentant de l’État de constituer des comités référentiels construction, compétents dans des zones géographiques précisées par décret, afin de contribuer à la mise en œuvre de l’exemption que j’évoquais, en tenant compte des besoins de la production, ainsi que des spécificités et des contraintes locales.
De tels comités contribueront à faire baisser les coûts des matériaux, en facilitant leur importation depuis les pays voisins et, surtout, en valorisant les techniques et matériaux développés localement.
J’ai pu constater, avec le dossier de Mayotte – votre connaissance de l’Océan indien a du reste permis de faire avancer ce dossier, madame la sénatrice –, que nous nous heurtons à des difficultés absurdes.
En adoptant cette proposition de loi, bien plus que de lutter contre la vie chère dans les outre-mer, vous ferez le choix du bon sens, de la simplification et de la proximité, valeurs qui sont si chères à la Haute Assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, permettez-moi de saluer notre collègue Audrey Bélim, dont la proposition de loi nous permet aujourd’hui d’ouvrir un débat essentiel sur le logement en outre-mer.
Trop souvent, nos territoires sont les grands oubliés des politiques nationales de logement, alors même que les difficultés y sont exacerbées du fait de loyers inabordables, d’un accès au foncier limité, de normes de construction inadaptées et d’un habitat insalubre. Ce texte a le mérite de proposer des solutions pragmatiques, adaptées à nos réalités locales.
Dans nos collectivités ultramarines, notamment à Saint-Martin, le logement constitue un enjeu crucial. Les loyers élevés, le manque d’infrastructures adaptées et les difficultés d’accès au logement pèsent lourdement sur nos populations.
La collectivité de Saint-Martin a acquis la compétence logement en 2012. Au cours des dernières années, nous avons commencé à structurer une véritable politique locale de l’habitat. C’est une compétence que nous appréhendons progressivement, notre priorité étant de mettre en œuvre efficacement les dispositifs que nous avons récemment mis en place.
Si Saint-Martin n’est pas incluse dans la liste officielle des zones dites tendues, en raison de son statut spécifique régi par l’article 74 de la Constitution, son marché immobilier connaît des tensions comparables à ces territoires.
Nous faisons face à un fort déséquilibre entre l’offre et la demande, caractérisée par des loyers élevés et un déficit de logements accessibles, notamment pour les ménages les plus modestes. 1 295 logements sont vacants, soit 8,7 % du parc immobilier. Et quelque 1 700 bâtiments doivent toujours d’être construits ou reconstruits pour reconstituer le parc détruit par la catastrophe qu’a constitué l’ouragan Irma.
Un autre défi majeur réside dans l’augmentation des locations saisonnières, qui réduit l’offre de logements de longue durée. Actuellement, 11 % des logements sont des résidences secondaires.
Face à cette tension sur le marché du logement, la collectivité de Saint-Martin a engagé des actions concrètes pour structurer une politique efficace et durable.
L’adoption en octobre 2024 du programme local de l’habitat (PLH) 2025-2030 a marqué une étape essentielle pour nos territoires. Ce programme vise en effet à développer l’offre de logements adaptés, à encourager la réhabilitation du parc existant, à structurer une politique foncière durable et à faire du logement un levier d’attractivité pour le territoire.
Le 13 février 2025, la collectivité de Saint-Martin a signé une convention tripartite avec le groupe Action Logement et l’État, afin de renforcer l’offre de logements et d’accompagner les Saint-Martinois. Ce partenariat structurant permettra de sécuriser les bailleurs, grâce à la garantie locative Visale, de faciliter l’accession à la propriété, via des prêts adaptés, de développer des logements sociaux et abordables, avec Sikoa, et de soutenir les salariés et les entreprises, grâce à des aides ciblées.
La mise en œuvre de ce dispositif commencera rapidement. Il constitue une avancée concrète et immédiate pour le logement.
Notre priorité est aujourd’hui de stabiliser ces dispositifs et d’accompagner leur mise en œuvre. Ajouter de nouvelles régulations risquerait de complexifier un cadre que nous venons tout juste d’organiser, alors même que nous avons besoin de clarté et d’efficacité.
L’adaptation des normes de reconstruction est un enjeu déterminant pour accélérer la reconstruction et garantir des logements durables et accessibles. Grâce au vote intervenu au Parlement européen le 10 avril 2024, notre collectivité pourra désormais déroger au marquage CE pour les matériaux de reconstruction, ce qui constitue une avancée majeure pour notre territoire encore marqué par les séquelles de l’ouragan Irma.
Je soutiendrai donc l’amendement n° 4 rectifié bis, qui vise à préciser les modalités de mise en œuvre de cette exemption et à garantir que Saint-Martin puisse pleinement en bénéficier.
Cet amendement tend également à instaurer des comités référentiels construction, qui pourraient jouer un rôle essentiel dans l’identification des matériaux adaptés aux réalités locales, en s’appuyant sur l’expertise du bassin caribéen dans la sécurisation des choix techniques, en impliquant les professionnels du BTP, les scientifiques et les services de l’État, enfin dans la mutualisation des expertises entre les territoires ultramarins, pour éviter la dispersion des efforts et gagner en efficacité.
Il est essentiel que cette adaptation se fasse dans un cadre rigoureux et concerté, en lien avec les acteurs économiques et les collectivités concernées.
Saint-Martin doit être un acteur majeur de cette évolution et tirer parti de cette opportunité pour développer une filière de construction plus autonome, plus durable, mieux adaptée aux réalités climatiques et économiques de la Caraïbe.
J’en viens à la politique de la ville. En décembre dernier, un troisième quartier, Saint-James, a été ajouté aux quartiers prioritaires de la ville (QPV), rejoignant Sandy Ground et les quartiers de l’Orient. Une telle évolution n’est pas anodine. Saint-James, qui était auparavant classé en quartier de veille active, appelait depuis longtemps un accompagnement renforcé.
Depuis 2015, les contrats de ville ont permis d’investir plusieurs millions d’euros pour soutenir plus d’une centaine d’actions dans les quartiers prioritaires de Saint-Martin.
Un contrat de ville spécifique sera accordé au quartier Saint-James en raison de son intégration à la liste des quartiers prioritaires de la ville. La rédaction du futur contrat de ville 2025-2030 est attendue avant l’été. Il est essentiel que ces nouveaux dispositifs puissent se mettre en place sans obstacle financier.
Il nous faut pour cela assurer un financement stable et immédiat pour les politiques de la ville en outre-mer. La récente actualisation de la géographie prioritaire a permis d’augmenter le nombre de quartiers concernés, mais elle ne doit pas conduire à un vide budgétaire en attendant la signature des nouveaux contrats.
J’avais du reste déposé un amendement au projet de loi de finances 2025 visant à assurer l’engagement des crédits du programme 147, « Politique de la ville », y compris en l’absence de contrat de ville signé. Son adoption a permis d’éviter ce blocage et de garantir que les territoires ultramarins bénéficient d’un financement stable en attendant la signature des nouveaux contrats de ville.
Monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons plus nous contenter de constats. Nous devons agir de façon pragmatique, avec efficacité et en tenant compte des réalités locales.
Le logement est un enjeu fondamental pour le développement de nos territoires et pour la qualité de vie de nos concitoyens. Il est donc de notre responsabilité collective d’apporter des réponses durables et adaptées aux défis qui nous font face.
À titre personnel, je soutiens pleinement cette proposition de loi, car elle ouvre la voie à des avancées nécessaires pour le logement en outre-mer. Le groupe Les Républicains auquel j’appartiens suivra pour sa part la position de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Guidez et Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. le président. Je salue M. le ministre d’État Manuel Valls, qui doit nous quitter pour s’envoler vers La Réunion, et j’accueille Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement, qui connaît très bien notre hémicycle ! (Sourires.)
La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, proposé par notre collègue élue de La Réunion Audrey Bélim, que je salue, vise à répondre aux spécificités des territoires ultramarins en matière de logement.
Ces territoires sont en effet marqués par une pression immobilière croissante et des coûts de logement particulièrement élevés, atteignant les niveaux constatés dans les plus grandes villes de l’Hexagone.
Nos concitoyens ultramarins doivent également faire face à une offre souvent insuffisante ou peu adaptée aux réalités locales. La rareté du foncier outre-mer entraîne des conflits d’usage entre urbanisation, activité agricole et conservation des espaces naturels.
Le manque de logements dans les territoires ultramarins est criant. Dans son trentième rapport sur l’état du mal-logement en France, tout juste publié, la Fondation Abbé Pierre, nouvellement nommée Fondation pour les logements des défavorisés, constate d’ailleurs que, en dépit des efforts de différents acteurs, l’habitat informel et indigne demeure un problème crucial dans les outre-mer, la puissance publique n’étant pas encore parvenue à résorber ce parc.
Dans ce contexte, l’encadrement des loyers est l’un des leviers qui pourraient contribuer à assurer l’accès à un logement abordable pour l’ensemble de la population. Introduit par la loi dite Élan du 23 novembre 2018, ce dispositif vise à réguler les hausses excessives de loyer dans les zones dites tendues, où la demande locative est supérieure à l’offre disponible.
En l’absence de cadrages spécifiques, ce dispositif n’a toutefois pas été appliqué aux territoires ultramarins. L’article 1er du présent texte vise donc à l’étendre à ces derniers.
La commission des affaires économiques a souhaité recentrer cette proposition de loi sur ce seul article 1er, quand le texte initial abordait également la question des normes. Si cette dernière est assurément importante, elle appelle un travail de longue haleine. Il est donc assez périlleux de la porter, à ce stade, sous une forme nécessairement non finalisée, au sein d’une proposition de loi dont le principal objet est l’encadrement des loyers.
Le logement et l’habitat outre-mer sont un sujet complexe, qui ne peut pas être réglé en deux heures dans le cadre d’une niche parlementaire, en survolant les sujets. Nous espérons qu’un texte plus complet, s’appuyant notamment sur les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, puisse être examiné dans les mois à venir.
Une concertation large de tous les acteurs de terrain est nécessaire pour faire aboutir de la manière la plus solide et pérenne possible les questions du marquage CE et des normes dans nos territoires ultramarins. Je souhaite notamment alerter sur un point : en l’absence de garantie de la part de l’ensemble des assureurs présents dans nos territoires, la portée d’un éventuel article 3 serait nulle.
J’estime par ailleurs qu’il faudra s’inspirer du rapport Ensemble, refaire la ville – Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles, remis au Gouvernement il y a quelques jours par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Au regard des besoins spécifiques de ces territoires, qui se caractérisent actuellement par un faible niveau d’ingénierie et de maîtrise foncière, ainsi que par la fragilité, voire le défaut des opérateurs, ce rapport préconise notamment un programme de renouvellement urbain pour les outre-mer.
Comme vous le constatez, madame Bélim, madame le rapporteur, le groupe RDPI souhaite prendre à bras-le-corps le sujet du logement et de l’habitat en outre-mer. Il ne faut toutefois pas nous y méprendre, mes chers collègues : en dépit de son intitulé accrocheur, le texte qui nous est proposé n’apporte qu’une réponse balbutiante aux nombreux enjeux qu’il soulève et qui sont ô combien prégnants pour nos territoires.
Nous ne pouvons pas jouer avec les attentes des Ultramarins, échaudés par des crises successives et l’instabilité qu’elles ont emportée.
Je souhaite du reste alerter sur le risque que ces sujets ne soient pris en étau entre les contraintes temporelles inhérentes à la niche parlementaire dans le cadre de laquelle le présent texte est examiné et les compromis anesthésiants qui pourraient en découler : cela pourrait susciter chez nos compatriotes un effet déceptif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Philippe Grosvalet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, est-il nécessaire d’égrener la longue liste des mouvements sociaux qui ont jalonné l’histoire de nos territoires ultramarins au cours des deux dernières décennies ?
Après la grève générale de 2009 en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique, le 20 mars 2017, la Guyane se soulève à nouveau. En 2018, Mayotte se déclare « île morte » et les « gilets jaunes » embrasent l’île de La Réunion. De novembre 2021 à mars 2022, les Antilles françaises sont à nouveau le théâtre de violences. Enfin, à l’automne dernier, la Martinique crie son désespoir.
Depuis trop longtemps, à défaut de trouver des débouchés politiques à la hauteur de l’enjeu que constitue la vie chère, les mouvements de colère de nos concitoyennes et concitoyens ultramarins se transforment en révoltes.
Il est plus qu’urgent de remédier efficacement aux inégalités territoriales criantes qui pénalisent les habitants de l’outre-mer.
Au premier rang de ces inégalités figure l’accès au logement, premier poste de dépenses contraint des Français.
En Guadeloupe, les loyers sont aujourd’hui sensiblement les mêmes qu’à Marseille ou à Saint-Raphaël. En Martinique, ils sont au niveau du marché locatif bordelais ou lillois. À Saint-Pierre-et-Miquelon, entre mars 2012 et septembre 2023, ils ont progressé de 28,4 %, contre une hausse de 9,1 % au cours de la même période dans l’Hexagone.
Ce phénomène s’explique par un déficit de 110 000 logements, alors même que 80 % des habitants sont éligibles au logement social. Dans ce contexte de très forte tension – 38 communes ultramarines sont reconnues comme zones tendues – la possibilité d’un encadrement des loyers constituerait un premier outil de régulation du marché et un levier de sanction envers les propriétaires pratiquant des loyers excessifs.
Cela offrirait aux classes populaires et aux classes moyennes une plus grande mobilité résidentielle, malgré le défaut d’offre de logements. Il sera toutefois nécessaire, pour que cette mesure d’encadrement porte pleinement ses fruits, que les collectivités ultramarines n’ayant pas encore d’observatoire local des loyers, à l’image de Mayotte, puissent se doter d’une telle instance.
Si le RDSE votera en faveur de ce texte, notre groupe souligne que l’encadrement des loyers ne peut pas constituer l’alpha et l’oméga de notre réponse à la crise du logement en outre-mer, mes chers collègues.
À ce titre, nous regrettons la suppression de l’article 3 portant la création de centres scientifiques et techniques du bâtiment des territoires ultramarins. Cette approche prometteuse est considérée comme aboutie par le Gouvernement – M. le ministre d’État l’a indiqué –, ainsi que par les acteurs économiques.
Notre groupe soutiendra donc l’amendement n° 4 rectifié bis de notre collègue Audrey Bélim visant à adapter les normes outre-mer sur les produits de construction. Une telle mesure s’impose.
Enfin, pour apporter des réponses durables, cette réforme des marchés du logement ultramarin ne pourra se dispenser ni d’un combat pour des logements décents ni d’une réforme de la gestion foncière, dans un contexte de changement climatique et de transition écologique.
Afin de restaurer la qualité du lien entre la République et tous ces territoires, il est urgent que le Gouvernement, en association avec le Parlement, prolonge et approfondisse les mesures proposées par ce texte. Notre groupe y prendra toute sa part. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Évelyne Perrot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui une thématique importante.
La crise du logement qui affecte les outre-mer est bien connue. Nous savons tous à quel point la situation est critique, et, comme toujours, le véritable défi est d’apporter des réponses concrètes et efficaces.
J’estime que l’encadrement des loyers ne résoudra pas à lui seul à la situation d’urgence des outre-mer au regard du logement. Bien qu’elle reste facultative, une telle mesure peut toutefois être un outil supplémentaire à la disposition des élus locaux, afin de contenir la hausse des prix.
Les Ultramarins ont en effet été privés de la possibilité d’encadrer les loyers. L’expérimentation mise en place par la loi Élan de 2018, a de facto exclu les collectivités ultramarines de son champ d’application. Légiférer consiste pourtant à arbitrer entre plusieurs choix de manière éclairée…
Or quel bilan pouvons-nous tirer de l’encadrement des loyers en métropole ? Quels enseignements pouvons-nous collectivement retenir des deux plans logements outre-mer mis en œuvre depuis 2015 ?
Le groupe Union Centriste soutiendra le texte issu des travaux de la commission des affaires économiques. Cette version propose une expérimentation ad hoc adaptée aux réalités des collectivités d’outre-mer sans interférer avec les expérimentations actuellement menées en métropole. Elle laisse toutefois la porte ouverte à d’autres mesures qui, dans bien des cas, sont aussi pertinentes en métropole qu’outre-mer.
La crise du logement ne doit pas être uniquement abordée au prisme des loyers. Elle appelle un éventail de solutions bien plus large. Qu’il s’agisse de libérer du foncier, de lutter contre la vacance, d’accélérer la rénovation et la réhabilitation ou d’adapter les techniques de construction des bâtiments selon les risques météorologiques locaux, il est évident que nous ne devons pas nous arrêter à une seule mesure.
En supprimant l’article 3, qui prévoyait la création de centres d’agrément afin d’homologuer les matériaux de construction dans les territoires ultramarins, de garantir leur qualité et d’établir des référentiels normatifs adaptés aux spécificités ultramarines, la commission a ouvert un débat plus large sur l’impérieuse question de l’adaptation des normes.
Il est urgent d’élargir la réflexion, au-delà de la construction et de l’urbanisme, à d’autres secteurs clés que sont l’agroalimentaire, la gestion des déchets, l’énergie, l’adaptation au changement climatique, dont les cyclones Chido à Mayotte et Garance à La Réunion ont révélé les lourdes et destructrices conséquences.
Enfin, le groupe Union Centriste sera particulièrement attentif à ce que la question de la vie chère en outre-mer soit abordée de manière plus exhaustive, en particulier s’agissant des loyers, qu’elle n’épargne pas. Les loyers sont en effet plus élevés dans les collectivités d’outre-mer qu’en métropole et, compte tenu du moindre niveau de revenu des Ultramarins, ils représentent une part significative du budget des ménages, davantage encore que dans l’Hexagone.
Nous savons combien la définition des quartiers prioritaires de la politique de la ville a pu être défavorable aux Ultramarins, mes chers collègues. Compte tenu des données statistiques disponibles, l’application des critères de revenus et des seuils minimaux d’habitants qui prévalent dans l’Hexagone n’était en effet ni pertinente ni possible.
Que penser de ces calculs au regard de la situation de Mayotte aujourd’hui ? La méthode de carroyage utilisée dans l’Hexagone ne peut pas s’appliquer partout. Le lien humain est une nécessité pour comprendre le territoire et les attentes des habitants.
Nous connaissons l’importance de la variable du logement dans les derniers scrutins aux États-Unis, en Irlande ou encore en Espagne, et bientôt au Canada. Lorsque les loyers augmentent plus vite que les revenus, entraînant un fossé générationnel dans l’accès au logement, avec des répercussions sur la santé, lorsque les logements sont indécents, tous les ingrédients d’un cocktail explosif sont réunis.
Face à ces enjeux, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi et sera au rendez-vous des futurs débats sur le logement, en outre-mer comme en métropole. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté.
Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser, au nom de mon groupe, tout mon soutien à nos compatriotes réunionnais durement touchés par le cyclone Garance.
Mes chers collègues, nous venons de parler de la vie chère. Or, s’il y a bien une chose qui rend la vie chère et difficile à supporter pour nos concitoyennes et concitoyens, c’est le coût du droit à se loger. C’est particulièrement vrai en outre-mer, où le décalage entre les salaires et le coût de la vie aggrave encore les difficultés et la précarité.
Selon les estimations du ministère du logement, les ménages ultramarins doivent faire face à des loyers aussi élevés qu’à Bordeaux, Lyon ou Marseille, malgré une offre limitée et des logements souvent vétustes. Cette situation, à laquelle s’ajoute un taux de pauvreté plus élevé qu’en Hexagone, rend l’accès au logement particulièrement ardu pour les populations les plus précaires.
D’après l’Insee, en 2021, La Réunion et la Martinique étaient les deux régions les plus pauvres, avec, respectivement, des taux de pauvreté de 36 % et de 27 %, bien supérieurs au taux de pauvreté moyen de 15 % constaté à l’échelle nationale.
Sur le marché du logement, la liberté de fixer des prix en fonction de l’offre et de la demande revient trop souvent à appliquer la loi du plus fort, ou plutôt du plus riche !
La raison en est simple : dans notre pays, 3,5 % des propriétaires possèdent 50 % des logements privés en location. Ce qui se veut la manifestation de la liberté d’entreprendre et de la liberté de la concurrence se traduit concrètement par le monopole de grands propriétaires immobiliers, qui, pour certains, profitent de la pénurie et de l’inflation afin d’augmenter les loyers, s’affranchissant de toute décence.
Pourtant, ce n’est pas une fatalité. La proposition d’encadrement des loyers qui nous est soumise aujourd’hui – je salue d’ailleurs l’auteure du texte, Audrey Bélim, ainsi que l’ensemble de nos collègues du groupe socialiste pour leur travail –, si elle concerne l’outre-mer, car c’est une urgence, devrait avoir trait à l’ensemble du territoire national et s’appliquer partout où le coût des loyers est en décalage avec les besoins.
Cet encadrement devrait nous permettre d’endiguer la hausse du prix des loyers, même si nous avons par ailleurs besoin d’une politique de rénovation et de construction de logements sociaux, que l’État refuse de financer depuis bientôt dix ans.
Ce n’est pas seulement une question de loyers qui nous est posée ce soir : c’est aussi une question d’habitat et de qualité des logements, au moment où les catastrophes climatiques nous renvoient à l’urgence écologique, que les politiques gouvernementales ont encore trop de mal à appréhender.
Il est indispensable de tenir compte des conditions météorologiques particulières dans lesquelles vivent nos compatriotes des outre-mer, à qui nous rendons la tâche difficile depuis Paris lorsque nous leur imposons des normes en complète dissonance avec la réalité.
Je pense bien sûr à la réalité des matériaux, puisque certaines filières, comme le bois ou la terre crue, présentent un intérêt certain, notamment pour l’économie locale, et sont d’une disponibilité immédiate ou presque. Il faut aussi songer à la réalité du climat et à l’isolation thermique des bâtiments. Cette dernière doit être adaptée pour faciliter les constructions et améliorer les conditions de vie de toutes et de tous.
Ce qui est certain, c’est que les personnes les mieux placées pour définir et approuver les normes de construction les plus pertinentes sont les acteurs du logement, du bâtiment, les scientifiques, toutes celles et tous ceux qui vivent dans les départements et les régions d’outre-mer, qui connaissent leur territoire et ses besoins.
C’est en ce sens que nous soutiendrons la démarche engagée à travers l’article 3 de la proposition de loi. Malgré sa suppression par la commission, cet article pourrait être rétabli dans une rédaction modifiée grâce à un amendement présenté dans quelques instants et que nous voterons, en espérant que les décrets seront rapidement pris par le Gouvernement.
Le chemin est encore long vers l’amélioration de l’habitat en outre-mer. Il faudra pourtant l’emprunter le plus rapidement possible, pour le bien de tous nos compatriotes. L’encadrement des loyers est un moyen simple et nécessaire pour avancer dans cette voie.
C’est pourquoi mon groupe votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de m’associer aux propos tenus par les précédents orateurs et d’avoir une pensée pour nos compatriotes réunionnais. Je tiens par ailleurs à saluer le travail accompli par notre collègue Audrey Bélim au travers de la présente proposition de loi, qui, je n’en doute pas, fera avancer les choses en outre-mer.
Avec plus de 2,6 millions de demandes de logement social non satisfaites, la crise du logement atteint un niveau alarmant en France. Derrière ce chiffre, ce sont des millions de nos concitoyens qui vivent dans des conditions indignes, peinant à offrir à leurs enfants un foyer stable, propice à leur épanouissement et à leur réussite scolaire.
Comme le souligne avec justesse la Fondation Abbé Pierre, « le mal-logement est une blessure sociale qui ronge notre pacte républicain ». Cette blessure est d’autant plus profonde dans nos territoires d’outre-mer que la fracture économique et sociale avec la métropole ne cesse de se creuser.
Aujourd’hui, 75 % des ménages ultramarins éligibles au logement social en sont exclus. Cette réalité heurte autant qu’elle interroge. Car un logement, ce n’est pas seulement quatre murs et un toit : c’est le socle d’une vie digne, la possibilité d’offrir à ses enfants un environnement stable où ils peuvent grandir, étudier et se construire un avenir.
Combien d’élèves rongés par la précarité de leur logement peinent à se concentrer à l’école ? Combien de familles s’entassent dans des espaces insalubres, exposées à l’humidité, aux moisissures, à des infrastructures menaçant de s’effondrer ?
Pour ceux qui ont un toit, la précarité persiste. À Mayotte, déjà bien avant que le cyclone Chido ne frappe, combien de familles survivaient dans des bidonvilles insalubres, sans perspective d’en sortir ?