M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur, vous m’invitez, sous l’angle des moyens, à faire un bilan des premières phases du programme, et peut-être également à élargir ma réponse au dispositif spécifique des missions « Rebond », que vous avez évoqué.

Des résultats ont été obtenus. En ce qui concerne les réseaux de chefs de projet, 153 chefs de projet sont d’ores et déjà en fonction ou en voie d’être recrutés, ce qui représente 6,7 millions d’euros de financements mobilisés.

Je pense également au développement des programmes de soutien en ingénierie visant à accélérer en particulier le déploiement des projets les plus complexes. Les crédits ANCT, à hauteur de 2 millions d’euros, ont ainsi permis la réalisation de dix-sept missions d’ingénierie.

Se pose enfin la question du soutien financier aux projets, et en particulier aux projets qui sont exemplaires en matière de transition écologique : 63 millions d’euros y ont été consacrés en 2024.

Notre souhait – la question est évidemment en suspens du point de vue budgétaire compte tenu de l’incertitude du moment – est de poursuivre cette dynamique.

Nous devons aussi faire le bilan des dispositifs bien particuliers que sont les missions « Rebond ».

Ces missions avaient vocation à soutenir la réindustrialisation de territoires confrontés à des restructurations. Plutôt conçues comme des instruments de sortie de crise, elles ont atteint leurs objectifs et font l’objet de retours positifs de la part des élus et des industriels qui sont responsables des programmes.

Depuis le mois de novembre 2023, vingt et un territoires ont été accompagnés par des missions « Rebond industriel », dont deux sont encore en cours ; dans ce cadre, près de 40 millions d’euros de subventions aux investissements ont ainsi permis de débloquer 413 millions d’euros d’investissements.

Nous devons évaluer collectivement ce dispositif de sortie de crise avant d’envisager de l’étendre à d’autres territoires et situations.

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Lancé en 2018, le programme Territoires d’industrie a déjà largement achevé sa phase I.

Depuis le mois de novembre 2023, sa phase II est engagée et les sélections sont à ce jour terminées. Le montant est tout de même de près de 2 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable en cette période budgétaire contrainte.

La Cour des comptes s’est penchée sur l’exécution de la phase I, et ses conclusions ne sont pas tout à fait à la hauteur des attentes : sur la période 2018-2023, le programme est à l’origine de la création de 5 500 emplois seulement, soit 11 % des créations d’emplois dans l’industrie, les 89 % restants ayant eu lieu – vous l’aurez compris – dans des territoires non labellisés.

Le programme a donc été impuissant à créer une véritable dynamique pour l’emploi industriel dans nos territoires, ce qui était pourtant son objectif initial.

Le dispositif Territoires d’industrie n’a pourtant pas manqué d’ambition, pas plus qu’il n’a été sous-doté ; il a simplement été mal piloté et mal exécuté, dilué sans distinction dans la masse des aides publiques à l’économie. Le 1,4 milliard d’euros de la phase I n’a pas aidé les territoires industriels qui sont dans le besoin, comme cela était prévu. Il est donc difficile, à l’heure du bilan et au-delà de vagues corrélations, d’établir de solides causalités.

Monsieur le ministre, pour la phase II, il y a lieu de corriger le tir en urgence ; à défaut, on risque de devoir de nouveau dépenser – j’ose le dire – à perte.

Comment envisagez-vous d’inscrire Territoires d’industrie dans une trajectoire d’efficience au bénéfice de tous nos territoires ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Madame la sénatrice, je ne partage pas tout à fait ce constat d’une inefficacité du programme en matière de création d’emplois.

Comme vous le savez, le programme a comporté deux « temps » bénéficiant chacun d’enveloppes bien différentes. Le premier s’est inscrit dans le cadre du plan de relance, pour des montants considérables.

Durant cette période, entre 40 000 et 50 000 emplois ont pu être associés au programme. Je fais très attention en utilisant ce terme d’« association », afin de ne pas préjuger de l’existence d’un lien de causalité parfait entre les sommes qui sont consacrées au programme et les emplois créés. Reste que l’on peut tirer de ces chiffres le constat d’une certaine efficacité de la première phase du programme : 40 000 à 50 000 emplois générés, je le répète.

J’ai cité tout à l’heure d’autres chiffres, qui ont trait au nombre d’emplois créés rapporté au coût pour les finances publiques : ils sont relativement satisfaisants.

Vous avez évoqué par ailleurs le sujet du pilotage ou du manque de pilotage.

L’objet de notre débat de ce soir est précisément de trouver des solutions pour améliorer le programme Territoires d’industrie, car tout programme à dimension qualitative peut et doit être amélioré.

Nous avons échangé sur un certain nombre de propositions. Le rapport de votre commission des affaires économiques, dont je salue une nouvelle fois les auteurs, contient notamment des recommandations qui sont susceptibles d’aboutir à un meilleur pilotage, à condition de ne jamais cesser d’évaluer. Évaluer, cela signifie quantifier et adopter une approche coût-bénéfice, démarche d’autant plus nécessaire que, dans le contexte actuel, il est essentiel que les deniers publics ne soient pas dépensés à tort et à travers.

Je souhaite donc que nous tirions de nos échanges et de l’analyse du rapport un certain nombre de recommandations, en matière de pilotage et de gouvernance notamment.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Ma question porte sur les écoles de production.

Celles-ci ont connu un vif succès dans le cadre des territoires d’industrie : vingt-cinq écoles, sur les soixante-dix existant à ce jour, y ont été créées depuis 2021.

Par leur formation technique ciblée, effectuée pour deux tiers en atelier, ces écoles répondent en effet de manière efficace aux besoins des industries locales.

Nombre d’entre elles ont bénéficié pour leur création de l’appel à manifestation d’intérêt « Écoles de production », ainsi que de contributions de la part des collectivités locales, y compris, dans certains cas, de la région.

Cependant, leur soutenabilité financière est loin d’être évidente : les recettes issues de la taxe d’apprentissage et des ventes des productions des élèves ne suffisent pas à couvrir leurs frais de fonctionnement ; de ce fait, la subvention versée par l’État est rendue cruciale.

L’actuelle convention de financement pluriannuelle signée avec le ministère du travail court jusqu’en 2025. Est-il prévu de la renouveler, voire de pérenniser la part « État » du financement des écoles de production ?

Il pourrait être opportun également de prévoir à cette occasion un accompagnement financier renforcé des écoles de production pendant leur période d’amorçage, le temps de la montée en charge des effectifs et des commandes.

En outre, les écoles de production accueillent le plus souvent des jeunes peu adaptés au système scolaire classique, ou qui en étaient sortis, ainsi que des jeunes « fragiles ».

Or, pour ces derniers, qui sont souvent issus de milieux très modestes ou qui sont sous statut protégé, le coût du logement, et même celui des produits de première nécessité, peut être un obstacle à la poursuite de la formation.

Comment mieux les accompagner sur ce point, pour permettre aux écoles de production de jouer à plein leur rôle de cohésion sociale ? Est-il envisageable, par exemple, de donner aux jeunes accueillis dans ces structures le statut d’apprentis ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Je vous remercie beaucoup, madame la sénatrice, d’attirer notre attention sur ce sujet, qui me tient particulièrement à cœur.

J’ai moi-même participé à l’élaboration de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a donné une reconnaissance aux écoles de production ; et je crois profondément que cette troisième voie entre les CFA et les lycées professionnels correspond à des publics qui ont besoin d’apprendre leur métier autrement.

Cette voie, nous devons la soutenir, parce qu’elle produit des résultats.

Le sujet du financement concerne évidemment l’État, qui représente entre 25 % et 30 % des ressources des écoles de production. Vous avez évoqué la taxe d’apprentissage ; je veux citer également la Banque des territoires, qui verse des aides, ainsi que les collectivités.

Grâce au programme Territoires d’industrie, un coup de projecteur a été donné sur les écoles de production. Si les effectifs restent modestes – c’est le sens même de la pédagogie de ces écoles que de fonctionner en effectifs réduits pour s’adapter à des publics qui, je l’ai dit, ont besoin d’apprendre autrement –, le nombre d’écoles de production a triplé depuis 2020. On en compte soixante et onze à ce jour et nous avons pour objectif d’atteindre les cent écoles à la fin de l’année 2026.

Pour ce faire, nous avons besoin de sécuriser les financements. J’ai prévu d’en discuter avec mes homologues concernés, en particulier avec la ministre du travail et avec la ministre de l’éducation nationale, afin que nous coordonnions nos actions.

Soyez-en assurée, madame la sénatrice, mon soutien personnel à ce dispositif va perdurer.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens en préambule à remercier nos trois rapporteurs de s’être frottés avec succès à l’exercice du « contrôle sénatorial de proximité », ou « contrôle territorialisé », souhaité par M. le président du Sénat sur la recommandation du président Mathieu Darnaud, recommandation faite à l’époque où il était vice-président du Sénat.

Le programme Territoires d’industrie se prêtait par excellence à ce type de contrôle. La vigueur et la richesse de nos échanges, où entre la passion que nous avons pour nos territoires, en montrent toute la fécondité.

Je remercie également chacun d’entre vous, mes chers collègues, et bien sûr M. le ministre, pour la qualité de nos débats. Il était particulièrement pertinent de reprendre notre session parlementaire, et d’ouvrir notre année 2025, par ce sujet.

Il me semble en effet que, malgré toutes ses imperfections et ses « faiblesses de débutant », le programme Territoires d’industrie pourrait inspirer notre politique industrielle à plus d’un titre.

Ce programme signe en premier lieu la reconnaissance de l’importance du facteur territorial, si souvent sous-évalué, dans la constitution des dynamiques économiques.

Il faut d’ailleurs saluer l’audace de ceux qui ont porté sur les fonts baptismaux ce programme, qui fait un peu figure d’ovni au sein de la gamme des politiques industrielles déployées par l’État.

Alors que notre pays est frappé depuis plusieurs mois par des fermetures d’usines et des plans sociaux à la chaîne, y compris dans les grands groupes – certains viennent de s’en émouvoir à juste titre –, il semble plus que jamais évident que la réindustrialisation que nous appelons tous de nos vœux doit marcher sur deux jambes.

L’approche territoriale doit ainsi venir compléter de manière pérenne le soutien aux filières et à l’innovation de rupture, et ce afin de nourrir et de densifier ce tissu de PME et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui fait la force et la résilience du tissu industriel chez nos voisins italiens et allemands par exemple.

En deuxième lieu, monsieur le ministre, nous suggérons que vos services examinent attentivement les milliers de fiches projets élaborées par les territoires d’industrie depuis six ans. Ils en tireront, j’en suis convaincue, d’intéressantes propositions en vue d’une évolution et d’une simplification de notre réglementation dans le sens d’une réelle adaptation aux besoins de nos entreprises et de nos territoires.

Ce que je dis souvent pour le logement à propos des « territoires d’accélération » vaut aussi, me semble-t-il, pour l’industrie. À partir du retour d’expérience de quelques pionniers, c’est désormais tout le territoire français qui doit devenir un territoire d’industrie.

Je retiens aussi de l’expérience de ce programme les bénéfices d’une organisation agile, interministérielle et fonctionnant en mode projet.

Si le rapport de notre commission recommande la nomination d’un délégué interministériel à la réindustrialisation, c’est non pas pour créer un nouveau comité Théodule, mais bien pour souligner la nécessité d’activer dans un même élan l’ensemble des leviers de réindustrialisation, qui vont du foncier à la formation en passant par le logement et la recherche.

Pour conclure, au moment où nous reprenons – dès demain – l’examen du projet de loi de finances, je me dois de souligner que, dans le panel des outils mobilisables en faveur de la réindustrialisation, les politiques publiques de soutien de l’offre demeurent primordiales pour la compétitivité de nos entreprises.

Notre commission soutient naturellement sans réserve les efforts de consolidation budgétaire qui sont engagés. Sur les baisses d’allégements de charges, sur la fiscalité, sur les aides aux entreprises, gardons-nous toutefois de la tentation de faire payer à l’industrie un prix disproportionné, au risque de casser pour de bon la fragile dynamique industrielle qui s’était engagée depuis quelques années, mais aussi d’assécher les sources de la croissance future.

Comme chacun sait, il est plus facile de fermer des usines que d’en ouvrir.

Une nouvelle fois, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir participé à ce débat ; et je salue la patience et la persévérance dont font preuve nos collègues jusqu’à la fin de la discussion.

J’espère en tout cas que, sur la base de ce rapport, nous pourrons continuer de faire avancer le programme Territoires d’industrie, mais aussi, d’une façon beaucoup plus large, le dossier de la réindustrialisation dans son ensemble, car il nous tient particulièrement à cœur. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat relatif au programme Territoires d’industrie.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 15 janvier 2025 :

À quinze heures :

Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

À dix-sept heures quarante-cinq, le soir et la nuit :

Désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants (droit de tirage du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky) puis des vingt-trois membres de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis (droit de tirage du groupe Union Centriste) ;

Suite du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (texte n° 143, 2024-2025) :

Mission « Outre-mer ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)

nomination dun membre dune commission

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des finances.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Claire Carrère-Gée est proclamée membre de la commission des finances, en remplacement de M. Jean-Baptiste Olivier.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER