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Remplacement d’un sénateur
M. le président. En application de l’article L.O. 320 du code électoral, le mandat sénatorial de Mme Marie-Claire Carrère-Gée a repris le mardi 14 janvier 2025, à zéro heure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.) En conséquence, le mandat sénatorial de M. Jean-Baptiste Olivier a cessé le lundi 13 janvier, à minuit.
Au nom du Sénat, je remercie Jean-Baptiste Olivier de son action durant les semaines où il a siégé dans cet hémicycle et je salue le retour de notre collègue Marie-Claire Carrère-Gée.
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Politique générale
Lecture d’une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle la lecture d’une déclaration de politique générale du Gouvernement.
Je donne la parole à Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui va lire cette déclaration devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le veut la tradition, j’ai l’honneur de m’adresser à vous pour vous faire part de la déclaration de politique générale que le Premier ministre prononce en ce moment même devant l’Assemblée nationale.
« En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable : sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
« Quelque 84 % des Français, paraît-il, jugent que le Gouvernement ne passera pas l’année. Il m’arrive même de me demander où les 16 % restants trouvent la source de leur optimisme ! » (Sourires.)
M. Mickaël Vallet. Nous aussi !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Eh bien, au risque de vous surprendre, je crois que cette situation est un atout. Quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers. »
M. Mickaël Vallet. Les lauriers de Jupiter ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Quand tout va mal, on est contraint au courage.
« Il y a un deuxième atout décisif. C’est le besoin, l’exigence, l’injonction que notre pays nous assigne : retrouver de la stabilité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
« Tout le pays, tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils nous enjoignent, je le crois, d’unir nos forces pour forcer les issues. Un grand pays, un pays digne de ce nom, est un pays capable de regarder en face ses chances – elles sont grandes –, ainsi que ses difficultés, qui ne le sont pas moins.
« Les sujets d’inquiétude sont innombrables. Il en est un, toutefois, qui émerge avec une force criante : le surendettement de notre pays. Nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu’est le surendettement et quelles incertitudes et difficultés cette situation suscite. »
M. Michel Savin. Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Depuis la guerre, la France n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui. J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite si elle ne tient pas compte de notre surendettement et si elle ne se fixe pas l’objectif de le contenir et de le réduire.
« Pourquoi cette situation de surendettement nous oblige-t-elle collectivement ? Parce que tous les courants dits de gouvernement y ont pris leur part.
« Quand François Mitterrand est élu, »… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Et Giscard ?
M. Thierry Cozic. Et René Coty ?…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « la France est l’un des pays les moins endettés du monde, à hauteur d’à peine plus de 20 % de la production nationale.
« À la fin de son second mandat, en 1995, ce taux s’établit à 52 %, soit plus de trente points d’endettement supplémentaires en quatorze ans. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « À la fin des années 1990, la France, pour tous les critères de santé économique, est nettement au-dessus de l’Allemagne réunifiée. Notre commerce extérieur est largement excédentaire et notre endettement inférieur à celui de nos voisins.
« Puis, en 2000 – c’est le gouvernement de Lionel Jospin –, brutalement, les courbes se cassent et commence une descente que rien ne semble pouvoir arrêter. »
M. Mickaël Vallet. Pas même Sarkozy !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Entre 2007 et 2012 – sous Nicolas Sarkozy (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.) –, on observe une accélération de l’endettement, qui progresse de vingt-cinq points de produit intérieur.
« Entre 2012 et 2017 – sous François Hollande –, dix points supplémentaires.
« Depuis 2017 – sous Emmanuel Macron – douze points. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas l’Eurovision !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Je n’en fais pas un motif d’accusation. J’en sais les raisons : pour François Mitterrand, c’était l’alternance ; il fallait que les Français y trouvent leur compte. Sous Nicolas Sarkozy, il y a eu la crise des subprimes. Quant à Emmanuel Macron, il a fait face, coup sur coup, à une cascade de crises jamais vue et jamais imaginée : les “gilets jaunes” à partir de 2018, »…
M. Jean-François Husson. Les « gilets jaunes », c’est sa faute !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « puis le covid et un pays à l’arrêt, enfin la guerre en Ukraine, l’inflation et l’explosion du prix de l’énergie. » (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. C’est Bruno Le Maire !
Mme Cathy Apourceau-Poly. N’oubliez pas les cadeaux fiscaux !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « J’affirme que tous les partis dits de gouvernement ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. Et j’affirme que tous les partis d’opposition, demandant sans cesse des dépenses supplémentaires, ont également dansé le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice.
« Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. C’est d’autant plus grave que nous sommes entrés dans un monde nouveau. Nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
« Le 24 février 2022, au vu et au su de la planète, l’une des principales puissances du monde, puissance géographique et militaire, la Russie de Vladimir Poutine, a jeté son dévolu sur un État souverain, l’Ukraine – un pays de la taille de la France ! –, pour l’annexer, fait sans précédent sur le sol européen depuis soixante-quinze ans.
« Cette agression a été un signal : celui du règne de la force brutale. C’était rampant ; c’est aujourd’hui affiché.
« Évidemment et significativement, l’Iran et la Corée du Nord, autres maillons de cette chaîne de puissances décidées à ne plus se laisser arrêter par des règles dont ils contestent désormais la légitimité même, sont entrés dans le soutien à l’agression de Vladimir Poutine.
« Les dirigeants chinois ne sont pas en reste. En faisant l’éloge d’un monde multipolaire, la Chine tisse le réseau de sa domination économique, technologique, diplomatique et militaire. L’excédent commercial chinois vient de franchir le cap – écoutez bien ! – des 1 000 milliards de dollars. C’est une stratégie programmée depuis dix ans et qui vise purement et simplement à remplacer notre industrie.
« Nous avions, dans la défense de ces règles bafouées, un grand allié, parfois incommode : les États-Unis. Or ceux-ci ont choisi, par d’autres voies, la même politique de puissance et de domination : l’offensive monétaire, la captation de la recherche mondiale, la poursuite de l’application extraterritoriale de leur droit, la domination technologique par des entreprises de taille planétaire et le pouvoir que tout cela donne d’intervenir dans la vie démocratique d’autres États.
« De ce nouvel ordre mondial, ou plutôt de ce nouveau désordre mondial, qui menace tous les équilibres et toutes les règles de la décence, Elon Musk n’est que le visage débridé. Mais, fait inédit, le président réélu des États-Unis articule lui-même des menaces d’annexion de territoires souverains : le Groenland, le canal de Panama et même le Canada.
« Il est temps de regarder les choses en face. C’est à nous de signifier à ces grandes puissances, que nous respectons, qui nous sommes, car sans notre détermination, elles l’oublieront.
« Dans le nouveau monde de la force brutale, la France a ses propres atouts. Sa diplomatie, la force de son armée et l’engagement de ses militaires, auxquels je rends ici hommage. Ils nous protègent collectivement. C’est d’ailleurs pour moi l’occasion d’évoquer le sort de nos otages retenus par le Hamas, ainsi que celui de tous nos otages dont nous demandons la libération.
« Mais pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager avec le monde, l’Europe – notre Europe – doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu’elle devrait être. Il y a à cela une seule condition : que nous acceptions de nous définir et de nous affirmer ensemble.
« La construction d’une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation, c’est la question qui domine depuis 1945. À cette construction ont contribué, chacun à sa manière, le général de Gaulle, Jean Monnet et Robert Schuman, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. (Marques d’ironie sur des travées du groupe Les Républicains.)
« Tous ont partagé une conviction : l’indépendance de la France dépend de celle de l’Europe, et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l’Europe, capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie et agriculture à égalité avec les États-Unis et la Chine, comme l’a récemment montré le rapport de Mario Draghi.
« Néanmoins, l’Europe est travaillée, elle aussi, par des ferments inutiles de division. Si nous ne reconstruisons pas patiemment, comme le Président de la République le fait jour après jour, à la fois la place de la France en Europe et la vision française de ce que doit être l’Europe, alors nous deviendrons insignifiants et, immanquablement, nous entrerons dans la soumission. Toutes les sensibilités rassemblées au sein de l’équipe gouvernementale sont unies par cette conviction commune, ce que je salue.
« C’est dans cet esprit que j’ai constitué mon équipe gouvernementale. Elle reflète au mieux l’union des grandes sensibilités du pays, avec de l’expérience, de l’enracinement et de fortes personnalités.
« Cette équipe porte un message : comme aux heures où le sort même de notre nation était en question, l’intérêt général oblige à dépasser les préférences partisanes, pour que le pays se ressaisisse.
« Je doterai chaque ministre d’une feuille de route, et chaque feuille de route sera communiquée et partagée avec les commissions compétentes du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
« Je tiens en effet à ce que la société civile organisée ait pleinement voix au chapitre. J’ai confiance dans les partenaires sociaux. Je crois qu’ils ont entre les mains une part décisive de l’avenir national.
« C’est aussi cela la nouvelle méthode démocratique : en finir avec les injonctions du haut vers le bas, et redonner place à la vie démocratique, avec les citoyens, les élus et tous les corps intermédiaires qui constituent la nation française.
« Cette équipe de ministres reflète des choix révélateurs.
« L’éducation nationale est à sa place : la première ! Et elle est confiée à une personnalité, ancienne Première ministre, exemple de méritocratie républicaine et de service de l’État (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et Les Républicains. – L’oratrice sourit.), assistée de l’ancien président du Centre national d’études spatiales (Cnes) et spécialiste des universités.
« Les outre-mer viennent ensuite. Cet engagement n’a jamais été porté aussi haut dans notre histoire. »
M. Rachid Temal. C’est faux ! Pierre Messmer a fait bien plus !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « J’ai considéré que ce sujet et nos compatriotes, à ce moment précis de notre histoire commune, avec tous les risques et tous les dangers qui les entourent, devaient être promus au rang de toute première préoccupation de la Nation.
« Manuel Valls, ancien Premier ministre, »… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Un excellent Premier ministre…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « a accepté d’en prendre la lourde et passionnante responsabilité.
« Les questions de sécurité sont brûlantes pour nos concitoyens. J’ai souhaité une coopération étroite entre les ministères de la justice et de l’intérieur, pour leur confier la restauration de l’autorité de l’État, qui est indissociablement celle de l’État de droit.
« Deux ministres d’État, chacun avec son tempérament, mais dont on sait la résolution commune, mèneront à bien cette action. La réponse au narcotrafic ou à la délinquance des mineurs, sur laquelle Gabriel Attal et son groupe ont proposé un texte, la présence des forces de sécurité sur le terrain, au travers, par exemple, de nouvelles brigades de gendarmerie, devront confirmer à nos concitoyens que l’État de droit n’est pas l’État de faiblesse. Et nous devrons être sans faiblesse pour lutter contre le terrorisme et tous les séparatismes.
« De même, il faudra repenser notre projet pénitentiaire au travers d’un plan d’urgence se fondant sur une nouvelle approche mieux adaptée aux différents types de détention.
« En outre, pour tous les pans de l’action du Gouvernement, chacun de ses membres aura à agir, pour chacun des pôles économique, social, territorial, écologique, culturel, agricole, pour les armées, l’Europe et les affaires étrangères, la transformation publique et les sports, avec le sens de la responsabilité, afin de relever trois défis.
« Le premier défi est de faire face à l’urgence. Il faut se ressaisir et adopter sans tarder les budgets de l’État et de la sécurité sociale. Cette précarité budgétaire, nous la payons tous au prix fort – entreprises, investisseurs, familles, contribuables, emprunteurs. »
M. Mickaël Vallet. Et rentiers ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Le deuxième défi est de mettre en place les conditions de la stabilité. Cela impose de se réconcilier ; le pays en a tant besoin, et ses citoyens ne cessent de le réclamer.
« Troisième grand défi, de plus long terme, notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes qui sont devant nous, et non à certains à l’exclusion des autres. (MM. Yannick Jadot et Guillaume Gontard applaudissent.)
« Notre situation de blocage n’est pas seulement financière. Elle est aujourd’hui politique.
« Jugez-en : budget de la sécurité sociale censuré, budget de la Nation entièrement rejeté en première lecture à l’Assemblée et interrompu au Sénat, ensemble des secteurs d’intervention publique – éducation, sécurité, santé, solidarité, agriculture, commerce extérieur… – entravés, milliers de recrutements, par exemple dans la justice, suspendus, mesures de soutien à la Nouvelle-Calédonie empêchées, loi de programmation militaire (LPM) enrayée, fonds vert des collectivités bloqué ! » (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Ah ça, non !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Nos concitoyens se sentent glisser sur la pente du déclassement. Les investisseurs s’inquiètent. L’épée de Damoclès de la motion de censure paraît avoir installé la précarité au sommet de l’État. »
M. Rachid Temal. Vous oubliez que nous avons eu quatre Premiers ministres en un an !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Au cœur de ce blocage, il y a quelque chose de culturel : notre incapacité à vivre avec le pluralisme, à être en désaccord sans nous menacer du pire. Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. Il est temps de changer de logiciel démocratique et donc de méthode, »…
M. Hussein Bourgi. Proportionnelle !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « de se confronter, mais aussi de se respecter et de trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l’on est. (M. Guillaume Gontard s’exclame.) Et le lieu où la diversité se résout en capacité d’action, c’est le Parlement !
« La première urgence, c’est de répondre à la question des retraites qui occupe le débat public. On voit combien cette question continue de tarauder notre pays.
« Le déséquilibre de notre système de retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés. Je résume les chiffres, établis par le Haut-Commissariat au plan en 2021 et probablement aggravés depuis lors. (Ah ! sur des travées du groupe SER.)
« Notre système de retraite verse chaque année quelque 380 milliards d’euros de pensions. Le système par répartition que nous affichons voudrait que, chaque année, les actifs assument le versement de ces pensions.
« Or les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an. Cette somme s’obtient en additionnant les cotisations salariales et patronales du privé et du public, estimées au même taux, et les impôts versés par les contribuables et affectés aux retraites.
« Si l’on soustrait 325 milliards d’euros à 380 milliards d’euros, il reste 55 milliards d’euros, versés par le budget des collectivités publiques, au premier chef l’État à hauteur de quelque 40 milliards ou 45 milliards d’euros.
« Or ces 40 milliards ou 45 milliards d’euros annuels, nous n’en avons pas le premier sou ! Chaque année, cette somme, le pays l’emprunte. Autrement dit, il la met à la charge des générations qui viennent ou qui viendront. Sur les plus de 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaires accumulés par notre pays ces dix dernières années, les retraites représentent 50 % du total.
« Jamais nous n’avons fait l’effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants – nos propres enfants – et que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée.
« Entendez-moi bien : je ne dis pas que la dette est toujours immorale. Si nous construisons des infrastructures ou finançons la recherche, il est légitime que nous partagions la charge avec ceux qui utiliseront ces équipements ou profiteront de ces connaissances. S’endetter pour construire une université ou un hôpital dont l’usage, par les générations qui viennent, durera cinquante ou quatre-vingts ans, c’est légitime. »
M. Pascal Savoldelli. C’est le discours de 2023 ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Mais la dette est injuste si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes d’aujourd’hui. Loin d’être seulement un problème financier ou social, cette dette est d’abord un problème moral. » (M. Pascal Savoldelli proteste.)
M. Mickaël Vallet. Surtout vis-à-vis des rentiers !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Quand on est héritier dans une famille, on peut toujours refuser l’héritage qui comporte trop de dettes. Mais quand on est citoyen d’un État, on ne le peut pas !
« Ce problème social et moral, le Gouvernement n’entend pas le laisser sans réponse. La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis celui de Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. (Rires. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
« Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites. Et en même temps, nombre des participants aux discussions ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et que l’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste.
« Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale.
« La démarche s’appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander une mission flash, de quelques semaines, à la Cour des comptes, et j’en communiquerai le résultat à tous les Français.
« La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans à la fin de 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme, celle de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la retraite – les fameux 64 ans –, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée. Nous ne pouvons pas dégrader l’équilibre financier que nous visons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays.
« Plusieurs des partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée. Elles méritent toutes d’être explorées. Et toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent. Rien n’est fermé. »
M. Roger Karoutchi. Formidable !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Une délégation permanente sera donc créée. Je la réunirai dès vendredi prochain. Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois à dater du rapport de la Cour des comptes.
« Si, au cours de ce conclave, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ou, si nécessaire, par un projet de loi. » (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.)
M. Mickaël Vallet. Si aucune motion de censure n’est adoptée avant cela !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. »
Mme Cathy Apourceau-Poly. On peut être tranquille, alors !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « L’adoption d’un budget est indispensable pour les Français, pour l’action de la France, pour son image et pour son crédit.
« Cette orientation vers un retour à l’équilibre, qui sera nécessairement pluriannuelle et respectueuse de nos engagements européens, passera par des efforts de l’État lui-même. L’objectif est bien d’atteindre 3 % de déficit public en 2029.
« Cette contrainte se manifeste dès à présent : les prévisions de croissance, à la suite, en particulier, de la crise née du vote de la motion de censure, ont toutes été revues à la baisse.
« Nous ne voulons pas ignorer ces avertissements. Le Gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025. Alors qu’elle était de 1,1 % avant la censure, nous la réévaluons à 0,9 %, conformément aux prévisions de la Banque de France. Il sera proposé de fixer l’objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB.
« Des économies importantes seront proposées. Et pour la suite, c’est bien un puissant mouvement de réforme de l’action publique qu’il faut conduire.
« Il faudra trouver des méthodes d’organisation de l’État qui ne requerront pas d’augmentation de nos dépenses publiques. Nous devrons repenser tous nos budgets, à partir non pas du prolongement de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à conduire.
« Je demanderai à tous les ministres de préparer dès le printemps ces budgets redéfinis et repensés. C’est un effort dont personne ne pourra s’exclure, chacun à sa manière, dans l’exercice quotidien de ses missions.
« Cet exercice devra interroger notre organisation. Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d’entre eux, comme France Travail, mais ces 1 000 agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux peut difficilement se satisfaire.
« Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. C’est la fonction du Parlement : contrôler et évaluer.
« Cet effort devra être prolongé et inventif. Il devra aussi être soutenu parce que, souvent, la réforme au début coûte. J’annonce la création d’un fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l’État, financé en réalisant une partie des actifs, en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique, de façon à investir, par exemple, en faveur du déploiement de l’intelligence artificielle (IA) dans nos services publics.
« Ces sommes ne pourront être utilisées pour des dépenses courantes, pour abonder tel ou tel budget. Elles resteront donc uniquement consacrées à ces efforts de réorganisation. Cette manière de rendre actif un patrimoine aujourd’hui inactif nous permettra peut-être, un jour, d’engager un scénario de réduction de notre endettement.
« Je l’ai dit le jour de ma prise de fonction, nous avons devant nous une grande œuvre de réconciliation : réconcilier les Français entre eux ; réconcilier les Français avec l’État et leurs élus ; réconcilier les Français avec les entreprises.
« L’unité du pays, nous ne la ferons pas à coups d’incantations. Elle passe par l’association effective de tous, de manière continue, aux affaires qui les concernent.
« Cette association porte un nom que l’on utilise souvent, sans lui donner sa vraie portée : c’est la démocratie. Et pas seulement la démocratie électorale avec ses surenchères, sa communication tarifée et ses éléments de langage. »