compte rendu intégral

Présidence de M. Didier Mandelli

vice-président

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

M. Philippe Tabarot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2025
Discussion générale (interruption de la discussion)

Loi de finances pour 2025

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (projet n° 143, rapport n° 144, avis nos 145 à 150).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Antoine Armand, ministre de léconomie, des finances et de lindustrie. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé du budget et des comptes publics, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général du budget, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, avec mon collègue Laurent Saint-Martin, le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2025. Vous connaissez le contexte politique exceptionnel dans lequel ce projet de budget a été préparé et vous est présenté.

Vous connaissez également le contexte économique international : l’activité mondiale se redresse après la succession de chocs économiques qu’elle a subis, de l’apparition du covid-19 à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La croissance mondiale devrait ainsi se situer autour de 3 % en 2024 et en 2025.

Disons-le clairement, dans cette conjoncture, l’Union européenne court un risque de décrochage, notamment en termes de productivité et de compétitivité, comme l’a montré Mario Draghi dans le rapport qu’il a remis à la Commission européenne. La compétition mondiale fait peser un risque existentiel sur l’industrie et sur le tissu économique de notre continent.

Les récents résultats électoraux aux États-Unis risquent d’accroître encore les tensions, notamment commerciales. Ils nous appellent à suivre un agenda européen centré sur l’investissement et la compétitivité et à cesser de faire preuve de naïveté face à nos partenaires commerciaux, qui sont également nos concurrents. Nous devons exiger la réciprocité dans nos accords et, parfois, assumer une préférence européenne.

M. Antoine Armand, ministre. C’est tout le sens de l’agenda que le Premier ministre a défini pour ce gouvernement.

La France, quant à elle, a de solides arguments à faire valoir.

L’activité se maintient : le taux de croissance pour 2024 devrait s’élever à 1,1 %, soit plus que la moyenne de la zone euro, qui est de 0,8 % ; l’inflation est en cours de stabilisation sous les 2 % ; le taux de chômage est proche de son niveau le plus bas depuis quarante ans.

Dans le secteur industriel, 130 000 emplois nets ont été créés entre 2017 et la fin de 2023 et les dirigeants d’entreprises ont continué ces dernières années d’avoir confiance en notre pays, malgré l’incertitude à laquelle nous sommes toujours exposés.

Sur le plan financier, notre situation est préoccupante, comme nous en avons déjà fait le constat ensemble lors du débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l’orientation des finances publiques. En 2024, la dette publique devrait s’établir à 3 300 milliards d’euros, soit 113 % du PIB. Cette situation résulte des déficits successifs : notre pays n’a pas adopté un budget à l’équilibre depuis 1974. Depuis cette date, la dette française a augmenté de près de 100 points de PIB.

Ce niveau de dette affecte notre souveraineté, notre crédibilité et notre capacité à aborder l’avenir de manière concrète : nous paierons bientôt plus de 50 milliards d’euros d’intérêts par an. Je m’arrête un instant sur ce chiffre : il signifie que sur 8 euros dépensés par l’État, 1 euro sera bientôt consacré au seul remboursement des intérêts de la dette. Est-ce réellement ce que nous voulons ?

En outre, le coût de la dette continue d’augmenter. Notre taux d’emprunt, qui était supérieur de 0,5 point environ à celui de l’Allemagne en début d’année, a augmenté depuis de 0,3 point, ce qui représentera environ 10 milliards d’euros supplémentaires de charge de la dette à une échéance de dix ans. Ce sont 10 milliards d’euros que nous ne consacrerons pas à nos dépenses prioritaires : à nos services publics, à l’amélioration de notre système éducatif et de santé, à la lutte contre le dérèglement climatique ou encore à la protection de notre emploi et de notre industrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on trouve toujours des justifications pour augmenter les dépenses. Ce n’est jamais le bon moment pour faire des économies… Il est toujours tentant de laisser le problème à ses successeurs.

Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous décidons, collectivement et au-delà des clivages partisans, de réduire nos déficits. Il s’agit d’un processus long et difficile, exigeant des efforts structurants et structurels pour le pays, sur les dépenses publiques, sur le train de vie de l’État et sa gestion, …

M. Albéric de Montgolfier. Nous avons déjà entendu cela…

M. Antoine Armand, ministre. … soit nous décidons de remettre à plus tard cet effort nécessaire, en prétextant, une fois de plus et non sans une certaine légitimité, l’urgence de réaliser telle ou telle dépense. Alors, ce sera depuis l’extérieur, de façon beaucoup plus radicale et sévère, que l’austérité nous sera imposée.

Le texte que nous vous soumettons aujourd’hui est perfectible, comme le rappelle le Premier ministre devant cette assemblée dès qu’il en a l’occasion. Aussi comptons-nous sur les discussions qui auront lieu dans cet hémicycle plus que sur toutes autres pour en améliorer le contenu. Néanmoins, nous pouvons et nous devons partager l’objectif de ramener le déficit public à 5 % du PIB à l’horizon 2025.

Nous devons à notre pays de respecter la trajectoire que nous avons soumise à l’Union européenne, laquelle prévoit que nous repassions en 2029 sous la barre des 3 % de déficit public. Ce taux est l’horizon de désendettement de notre pays et donc de renforcement de notre souveraineté financière nationale.

J’insiste sur le fait que cet objectif doit être atteint en priorité par des baisses de dépenses. Notre dépense publique étant devenue la plus importante de l’Union européenne, sa réduction constitue l’essentiel de l’effort qui vous est aujourd’hui proposé. Il nous faut maîtriser la dépense et l’emploi public, simplifier le fonctionnement de l’État, réduire son train de vie et supprimer les doublons inutiles.

Bien sûr, nous ne pourrons pas tout faire cette année et nous lancerons, mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même, des revues de dépenses régulières afin d’améliorer l’efficacité de nos dépenses publiques d’au moins 8 milliards d’euros – je dis bien : « au moins », car je compte sur votre engagement – d’ici à 2027. Toutes les administrations seront mobilisées et mises à contribution. Les niches fiscales et sociales seront évidemment visées par ces revues de dépenses.

Laurent Saint-Martin y reviendra, mais cette amélioration de l’efficacité de la dépense publique devra s’accompagner d’un renforcement de la lutte contre les fraudes aux finances publiques, qu’il s’agisse de fraude fiscale, sociale, ou douanière. Nul effort n’est supportable dès lors qu’il est perdu au profit de ceux qui ne respectent pas les règles et le pacte républicain.

Comme l’a annoncé le Premier ministre dans son discours de politique générale, les prélèvements obligatoires doivent rester exceptionnels, temporaires et ciblés. Ces prélèvements, dont vous avez eu l’occasion de débattre en commission des finances, ont été conçus pour affecter le moins possible la croissance et pour poursuivre la décarbonation de notre économie.

Ainsi, nous demandons un effort particulier aux quatre cents groupes qui ont la plus forte capacité contributive, c’est-à-dire ceux qui sont bénéficiaires et dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros. Je tiens de nouveau à saluer les représentants des entreprises qui consentent à faire cet effort, dans un esprit de responsabilité, à condition – ai-je besoin de le répéter ? – que ces prélèvements soient exceptionnels, temporaires et ciblés.

Nous proposons également de décaler la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui était initialement prévue. Je le redis avec force, le Gouvernement souhaite cette suppression, car les impôts de production, même s’ils ont déjà baissé de 15 milliards d’euros depuis 2017, affectent encore beaucoup trop l’emploi et l’investissement. Leur niveau est sans équivalent à l’échelle européenne. Néanmoins, nous devons rester responsables et, dans le contexte que nous connaissons, force est de constater que nous ne pouvons pas nous permettre de supprimer cette taxe pour le moment.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun devra contribuer – l’État, les collectivités locales, la sphère sociale –, non pas parce qu’il existerait de bons et de mauvais gestionnaires, certains qui dépensent bien et les autres, mais parce que l’effort à fournir nécessite l’engagement de tous.

Ainsi, la réduction du train de vie de l’État est une condition indispensable pour justifier des prélèvements supplémentaires, même si elle est parfois symbolique, nos compatriotes étant attentifs aux efforts que nous sommes capables de faire.

Elle est aussi une condition indispensable pour justifier des prélèvements supplémentaires afin de ramener le déficit à 5 % d’ici à 2025, dans un pays qui se distingue, malheureusement, en étant le champion des prélèvements obligatoires.

Si nous ne réalisons pas tous un effort de réduction des dépenses publiques, il serait inconcevable de demander une contribution à certains de nos concitoyens et aux grandes entreprises. Pour ma part, je réduis cette année les crédits de mon ministère de plus de 22 %.

Si notre objectif est exigeant, nous ne présentons pas un budget d’austérité. Avant que votre assemblée ne s’en saisisse pleinement, le texte du Gouvernement a fait progresser la dépense publique de 0,4 % en volume. J’irai même plus loin : ce budget est précisément conçu pour éviter d’avoir à recourir à des mesures d’austérité, comme certains pays ont dû le faire en réduisant de 25 % les salaires des fonctionnaires et en diminuant drastiquement les pensions de retraite. Nous avons, à l’inverse, revalorisé les retraites tout en soutenant l’activité et l’emploi. Nous poursuivrons sur cette lancée en revalorisant les petites retraites, à la demande de certains parlementaires.

Ces dernières semaines, mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreuses propositions ont été formulées à l’Assemblée nationale, la plupart visant à augmenter les impôts et les dépenses, au point que le texte final, qui a été heureusement rejeté, prévoyait 34 milliards d’euros de prélèvements obligatoires ! Or il faut faire tout l’inverse, car la France taxe et dépense déjà trop.

En outre, notre pays travaille moins que ses voisins. Il s’agit d’un constat : le taux d’emploi et la durée de travail y sont singulièrement plus faibles. Ce n’est qu’en travaillant plus que nous pourrons continuer de financer notre modèle social, tout en baissant les prélèvements obligatoires.

Je sais que le Sénat a partagé ce constat et l’urgence de remédier à ce problème au cours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). À cet égard, je salue les propositions constructives qui ont d’ores et déjà émergé des débats. Dans le contexte politique que nous connaissons, et après le rejet du projet de budget par l’Assemblée nationale, le Sénat a plus que jamais une responsabilité majeure ; je ne doute pas que chacun d’entre vous en ait conscience.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi à présent de dire un mot sur le soutien à l’emploi et à notre croissance. Notre stratégie de politique économique reste une politique de l’offre. Elle doit tout à la fois nous permettre de réduire notre double dette budgétaire et écologique et de rendre notre modèle économique et social résilient face aux chocs. Mais nous ne casserons pas la croissance et l’emploi ; nous ne renoncerons pas à financer notre modèle social, auquel nous tenons tant ; nous ne ferons pas des entreprises la variable d’ajustement de notre incapacité à réduire les déficits. Diminuons les déficits en commençant par réduire les dépenses !

Nos priorités économiques sont claires : réindustrialiser le pays et atteindre le plein emploi. Vous connaissez les réformes qui ont été menées à cet effet. Je pense à la baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises, à la baisse des impôts de production, ou encore à la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Continuons de protéger les secteurs d’importance critique ; continuons de réindustrialiser notre économie ; continuons de soutenir au premier chef les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), dont il est trop peu question dans le débat public. Ces dernières représentent pourtant la majorité de l’emploi et sont soumises à un appareil normatif contraignant, ainsi qu’à un important déficit de soutien à l’innovation. C’est d’ailleurs pour cela que le soutien à l’innovation ne change pas d’ordre de grandeur : le crédit d’impôt recherche (CIR) et le crédit d’impôt innovation (C2I) sont maintenus, de même que le seront les exonérations pour les jeunes entreprises innovantes si l’amendement du Gouvernement est adopté.

Notre stratégie consiste toujours à poursuivre la décarbonation de notre outil industriel, car il s’agit de la seule solution pour maintenir des emplois et des sites industriels pérennes dans notre pays. Nous le faisons notamment au travers du plan France 2030 et du crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte (C3IV). Au 15 octobre 2024, soixante-quatre demandes avaient été déposées, pour un montant total de près de 13 milliards d’euros d’investissement.

À cet égard, je salue le travail engagé à l’Assemblée nationale, et qui se poursuivra sans aucun doute au Sénat, ayant permis l’ouverture de 1,55 milliard d’euros de crédits supplémentaires pour décarboner notre industrie et favoriser l’ouverture de nouveaux sites.

Par ailleurs, afin de libérer la croissance et de gagner en compétitivité, dans un monde où les contraintes financières sont extrêmement fortes, la simplification sera la boussole de ce gouvernement ; le Premier ministre l’a d’ailleurs rappelé.

En premier lieu, cette simplification doit intervenir à l’échelle européenne, la production normative étant essentiellement le fait de l’Union européenne. Ces normes doivent être appliquées avec davantage de parcimonie et tenir compte de la capacité des entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles, à supporter les chocs normatifs successifs. Les répercussions de ces chocs sont souvent mal évaluées, alors qu’ils pèsent chaque année davantage sur l’activité des entreprises et donc sur l’emploi.

En second lieu, une telle simplification doit être menée à l’échelle nationale. À cet égard, je salue le travail du Sénat sur le projet de loi de simplification de la vie économique, qui doit désormais être examiné par l’Assemblée nationale. Ce texte comporte des propositions concrètes pour que l’appareil français tienne davantage compte des effets de nos normes sur les TPE et PME.

En troisième lieu, la responsabilité budgétaire collective à laquelle nous appelons implique un plus grand souci de transparence et d’exactitude. La situation actuelle exige un renforcement du pilotage de nos finances publiques et une plus grande association de la représentation nationale. Depuis notre prise de poste, Laurent Saint-Martin et moi-même avons donné la priorité à des mesures concrètes en la matière. Nous préparons notamment un plan d’action pour améliorer les capacités de prévision et de suivi de la dépense publique.

Nous avons ainsi installé un comité scientifique, qui rendra des préconisations techniques pour améliorer nos prévisions dans ce nouveau contexte économique. Nous veillerons à ce que soit assuré, en lien avec le Parlement, un suivi plus régulier de l’évolution des comptes de l’ensemble des administrations publiques, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités territoriales ou de la sécurité sociale. De plus, nous instaurerons un mécanisme d’alerte précoce en cas de dérapage inattendu dans l’année.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le redressement de nos équilibres budgétaires est l’occasion non seulement d’accroître l’efficacité de notre dépense, mais également de lancer un grand chantier d’amélioration de l’action publique : simplification, réduction du nombre de missions de l’État, soutien aux entreprises qui créent de l’emploi sur tout le territoire national… Il s’agit, en un mot, de nous faire confiance et de faire confiance aux entreprises ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’entamer avec vous aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

Comme vous le savez, conformément à notre Constitution, le rejet de la première partie du texte par l’Assemblée nationale a automatiquement entraîné la transmission au Sénat de la version initiale du projet de loi présenté par le Gouvernement.

En toute franchise, je regrette d’avoir à m’en féliciter. En effet, force est de constater que le socle commun a agi en responsabilité en rejetant une copie qui n’avait plus grand-chose à voir avec le texte initial du Gouvernement.

M. Pascal Savoldelli. Avec le Rassemblement national !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le fait d’alourdir jusqu’à l’overdose les impôts pesant sur les entreprises et les ménages, de supprimer la contribution de la France au budget de l’Union européenne et de voter en connaissance de cause des centaines d’amendements manifestement contraires à notre Constitution ne constituent pas un projet politique. C’est tout simplement inacceptable et irresponsable !

Le texte du Gouvernement n’est pas parfait, comme l’a reconnu Antoine Armand et comme le Premier ministre l’a répété à plusieurs reprises. Ces derniers jours, à la suite des débats qui ont eu lieu dans et hors de l’hémicycle, des propositions ont été faites pour trouver le chemin d’une juste participation de l’ensemble des agents économiques de notre pays – les entreprises, les collectivités territoriales, les ménages et bien sûr l’État – au redressement des comptes publics.

Je souhaite que nous travaillions ensemble au cours des prochains jours sur la part que doivent prendre les collectivités territoriales à cet effort de redressement. Sachant que ce sujet est particulièrement cher à votre chambre, je souhaite que nous le fassions de façon constructive et dans un esprit de responsabilité au cours des prochains jours.

Par ailleurs, le Gouvernement ne fera pas table rase des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, dont ont émergé des avancées sur plusieurs points importants, que nous reprendrons par voie d’amendements.

Nous devons donc améliorer ce projet de budget, tout en préservant le pouvoir d’achat des Français. C’est la raison pour laquelle nous indexons le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. C’est aussi le sens de l’engagement que nous avons pris de faire baisser les factures d’électricité des Français.

De même, nous refusons de renchérir le coût du logement. À cet égard, plusieurs propositions intéressantes émanent de vos travées, dont certaines rejoignent des initiatives dont nous avons débattu à l’Assemblée nationale ; les échanges que nous avons eus en commission l’ont bien démontré.

Enfin, nous améliorerons ce texte en veillant à protéger l’activité économique et la compétitivité. Comme l’a expliqué Antoine Armand, la politique de l’offre est non pas un totem politique, mais la politique du travail et de la création d’emplois. C’est grâce à elle que le taux de chômage a baissé ces dernières années et qu’il est passé sous la barre des 8 %. C’est également grâce à elle que notre croissance est supérieure à celle de nos voisins et devrait atteindre 1,1 % l’année prochaine selon les estimations. Enfin, c’est grâce à elle que des usines rouvrent partout en France et que nous attirons des entreprises étrangères, lesquelles revitalisent nos territoires. Il nous faut poursuivre en ce sens.

Nous pourrons améliorer ce projet de budget pourvu que le cadre de responsabilité fixé par le Gouvernement soit respecté.

Vous le savez, le texte initial du Gouvernement suit une ligne de crête entre, d’un côté, l’exigence de protéger le pouvoir d’achat des Français et les fondamentaux de notre économie et, de l’autre, la nécessité de renouer avec une trajectoire des finances publiques soutenable.

Concrètement, il s’agit d’engager immédiatement un effort de redressement inédit de nos finances publiques. Notre niveau d’endettement et le poids croissant de la charge de la dette exigent que nous agissions de façon urgente.

Aussi proposons-nous un effort de 60 milliards d’euros pour atteindre l’objectif de contenir le déficit public à 5 % du PIB en 2025, ce qui sera une première marche pour le ramener en deçà de 3 % à l’horizon 2029. Il s’agit de la condition sine qua non pour continuer de financer nos services publics, d’investir dans l’avenir et pour retrouver des marges de manœuvre afin de protéger notre nation face aux crises futures.

On oublie trop souvent que l’État actuel de nos finances publiques résulte directement d’une période de protection de l’ensemble des agents de notre pays, que ce soit l’État, nos entreprises, nos concitoyens ou les collectivités. Aujourd’hui, il nous faut redresser nos comptes publics pour être prêts, demain, à les protéger de nouveau en cas de nouvelle crise.

Voilà l’effort que nous devons réaliser, entre économies budgétaires et contributions fiscales. Il aurait été excessif et déraisonnable de le faire porter de façon démesurée sur l’un ou l’autre pan, car cela aurait emporté des effets récessifs dans les deux cas.

Aussi, j’assume le recours à la fiscalité, mais à trois conditions.

Première condition : la fiscalité doit représenter une part minoritaire de l’effort de redressement des comptes publics. C’est précisément pour cette raison que le ministre de l’économie et moi-même nous sommes fixé une règle d’or pour bâtir ce budget : pour 1 euro de recettes supplémentaires, nous devons réaliser 2 euros d’économies. Il s’agit selon nous de l’équilibre nécessaire pour redresser les comptes sans engendrer d’effet récessif.

Concrètement, nous proposons 40 milliards d’euros de baisses de dépenses, soit les deux tiers de l’effort, contre 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Si cet équilibre doit évoluer au cours de l’examen du texte par le Sénat, je souhaite que ce soit dans le sens de plus d’économies, quitte à réduire les recettes. Nous ne le répéterons jamais assez : nous refusons le matraquage fiscal, dans un pays où le taux d’imposition est l’un des plus élevés d’Europe.

Deuxième condition : le recours à la fiscalité doit être ciblé et limité aux contribuables à qui nous estimons pouvoir demander un effort de solidarité. Ainsi, il est juste de le demander aux ménages les plus fortunés, comme nous le proposons à l’article 3, qui prévoit une contribution minimale sur les hauts revenus. De même, il est juste de demander un effort fiscal à certaines très grandes entreprises profitables, celles-ci ayant profité de la protection de l’État ces dernières années.

En outre, une fiscalité ciblée doit contribuer à réduire notre dette écologique autant que notre dette financière. C’est pourquoi nous proposons de consolider le malus auto. Cela ne doit pas être perçu comme un gros mot. De même, nous proposons de faire contribuer les personnes qui se déplacent en avion en ciblant bien davantage ceux qui voyagent en classe affaires sur des vols long-courriers que ceux qui prennent l’avion en classe économique par nécessité, comme nos compatriotes ultramarins. Nous en débattrons dans les prochains jours.

J’ajoute que, du côté des dépenses, jamais un budget n’a été aussi vert que celui que nous proposons pour 2025 : les dépenses en faveur de l’environnement s’élèvent à 47 milliards d’euros, soit plus de 3 milliards d’euros de plus qu’en 2024. Par ailleurs, je précise que les recettes de la fiscalité à visée environnementale sont nettement inférieures aux dépenses que nous consacrons à la protection de l’environnement.

Troisième condition : le recours à la fiscalité doit être temporaire. Notre horizon doit rester celui de la prévisibilité fiscale. C’est la condition d’une politique économique efficace. Nous l’avons inscrit clairement dans le texte, qu’il s’agisse des contributions exceptionnelles sur les ménages ou sur les entreprises.

Dans un pays où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé, notre cap doit d’abord être celui de la réduction de la dépense, puis celui de la réforme structurelle ensuite. C’est pourquoi l’effort demandé doit être exceptionnel et temporaire. Dans un pays qui est aussi champion d’Europe de la dépense publique, nous devons agir sur la baisse de la dépense en faisant des économies ; ce n’est pas un tabou.

En effet, la dégradation de nos finances publiques s’explique par le choix d’augmenter la dépense publique pour protéger nos concitoyens et notre économie. Il s’agissait d’un choix collectif. Celui de dépenser moins doit l’être également.

Nous pouvons être fiers d’avoir maintenu le niveau d’activité et d’avoir évité une importante récession durant la crise du covid-19, puis d’avoir permis une relance plus efficace que nos voisins. Il nous appartient désormais de nous montrer collectivement responsables en répartissant l’effort entre toutes les administrations publiques.

Tout d’abord, nous demandons des économies aux administrations de sécurité sociale, dont le déficit risque de déraper plus encore. Nous proposons donc dans le PLFSS pour 2025 un coup de frein réel, mais selon nous nécessaire, à la dépense sociale.

Ensuite, nous demandons aux collectivités locales de contribuer à l’effort. Il ne s’agit en aucun cas de les punir, de les montrer du doigt ou de leur faire porter une quelconque responsabilité. Simplement, dès lors que toutes les administrations publiques sont parties prenantes de la dépense publique, toutes doivent prendre part à l’effort, de manière juste et proportionnée.

Les marchés qui financent notre dette ne s’intéressent pas à l’origine de l’endettement ; ils ne regardent que le solde public. Il est donc dans l’intérêt de toutes les administrations publiques et de la Nation dans son ensemble que chacun contribue à l’effort de refinancement.

Au sujet des collectivités, nous avons entendu les alertes des élus locaux et le Premier ministre a d’ores et déjà annoncé qu’il était prêt à modifier l’effort que nous attendons d’elles. Ainsi, nous réduirons significativement la contribution prévue au fonds de précaution et nous nous assurerons que les fonds prélevés seront reversés aux collectivités contributrices.

Par ailleurs, je vous confirme que les mesures relatives au Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) n’auront pas d’effet rétroactif. De même, comme cela a été annoncé, nous viendrons en soutien aux départements, sachant pertinemment que beaucoup d’entre eux se trouvent dans une situation financière difficile, en relevant le plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Enfin, nous proposons que l’État et ses opérateurs prennent à leur charge la moitié des économies nécessaires, soit plus de 21,5 milliards d’euros. Comme je l’avais annoncé devant votre commission des finances, nous avons, faute de temps, procédé en deux étapes : nous avons repris les 15 milliards d’euros prévus par les lettres plafonds du précédent gouvernement, auxquels nous ajoutons, par voie d’amendements, 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires sur les missions de l’État et de ses opérateurs.

Nous ferons cet effort parce qu’il est nécessaire, ce qui ne nous empêchera pas d’augmenter les budgets de postes que nous considérons comme prioritaires, notamment ceux qui font l’objet d’une loi de programmation. Je pense notamment aux armées, à l’intérieur, à la justice, ou encore à la recherche. Il n’est pas question de transiger sur ces priorités gouvernementales, sur lesquelles le Premier ministre s’est engagé, même si la répartition des crédits est lissée dans le temps pour certaines d’entre elles.

Nous ferons aussi cet effort parce que nous le pouvons. Oui, il est possible de proposer un meilleur service public, pour moins cher. Oui, il est possible de faire mieux avec moins d’effectifs et moins de moyens, à condition de savoir réformer les administrations de l’intérieur de sorte à mieux employer les effectifs et les moyens dont nous disposons.

Dans cette période budgétaire, nous devons aussi assumer, par simple souci de bonne gestion, de mettre fin aux boucliers tarifaires sur l’inflation et sur l’électricité.

Après avoir mis en place des outils de relance efficaces – je pense évidemment, parmi d’autres grandes politiques publiques qui ont fait leurs preuves, au bouclier énergétique, mais il faut aussi citer les aides à l’apprentissage et à l’acquisition de véhicules propres –, à nous d’être responsables et de savoir freiner la dépense publique. Dès lors que ces mesures ont produit leur plein effet, il est temps d’allouer des moyens à de nouvelles priorités. Voilà ce que c’est que la bonne gestion !

Il convient à cet égard de ne pas considérer qu’un bon ministère ou une bonne politique publique ne peuvent être qualifiés comme tels que si et seulement si leur budget est en croissance. C’est faux ! Il faut que nous soyons capables de décélérer le rythme de la dépense pour la réaffecter à d’autres urgences.

De la même manière, ayons le courage de dire qu’il faut adapter le nombre d’emplois publics aux besoins réels. J’ai suivi de près le débat sur le nombre d’enseignants dont notre pays aurait besoin : notre idée n’est évidemment pas de réduire leur capacité à exercer leur métier – au contraire, nous augmentons le taux d’encadrement des élèves. Mais, dès lors qu’il y aura 97 000 élèves de moins à la rentrée 2025, diminuer de 4 000 le nombre de postes est tout simplement une mesure de bonne gestion.

Il est temps que nous fassions preuve de transparence et que nous ayons le courage de dire que les moyens publics, que ce soit en euros ou en équivalents temps plein (ETP), doivent être calibrés pour faire face aux besoins réels de notre pays. Tout cela est, me semble-t-il, de bonne politique.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il ne me reste plus que trente secondes pour vous dire que ce budget est probablement, dans notre histoire récente, celui qui soulève les enjeux les plus importants.

En effet, si notre pays ne parvient pas à démontrer, comme ses voisins européens l’ont fait, qu’il est capable, après des années de protection inédite et de dépense publique extrêmement importante,…