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Communication d'un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable – 27 voix pour, 8 voix contre – sur la nomination de M. Didier Leschi aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

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Dossier législatif : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales
Avant l'article unique

Sûreté de l'enfant victime de violences

Adoption d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère (proposition n° 530 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 114, rapport n° 113).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Mélanie Vogel et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.)

Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, environ 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France ; en moyenne, chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents ; il a été observé une augmentation de 16 % des violences intrafamiliales non conjugales entre 2020 et 2021.

C'est peu dire que ces chiffres vertigineux et glaçants nous imposent une démarche volontariste et active en faveur de la défense et de la protection de notre jeunesse. Les impacts de ces violences sur les enfants sont nombreux ; je pense à leur santé mentale et physique, à leur vie affective, à leur scolarité, mais aussi, plus largement, à leurs relations sociales.

Les professionnels de la protection de l'enfance alertent depuis de nombreuses années sur l'urgence des situations et l'insuffisance des actions de nos institutions, qu'il s'agisse des réponses judiciaires, des moyens budgétaires ou encore de l'arsenal législatif.

La dénonciation des violences subies par les enfants est souvent mise en lumière au travers de faits divers macabres. Seulement, à la différence des autres mouvements de lutte pour les droits des victimes, les enfants n'ont pas les moyens de se faire entendre avec la même efficacité que les adultes. Bien entendu, en grandissant, il leur arrive de témoigner. Tout le monde se souvient, par exemple, de la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, mais ces témoignages restent rares et arrivent souvent trop tard.

Le cas de l'inceste est peut-être le symptôme le plus évident des carences de notre système, puisque, encore aujourd'hui, il demeure très faiblement condamné, soit pour des motifs de prescription, soit faute de preuve. Un tel constat est inadmissible, d'autant qu'il place les victimes dans une forme de précarité juridique qui profite aux agresseurs.

L'évolution récente des lois pénales et civiles relatives aux violences faites aux enfants témoigne d'une prise de conscience de notre société.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen avait déjà souhaité alerter les pouvoirs publics sur les carences de notre législation, en déposant le 30 septembre 2019, sur l'initiative de notre ancienne collègue Françoise Laborde, une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l'inceste et à demander sa surqualification pénale.

Deux années plus tard, sur l'initiative d'Annick Billon, le Sénat s'était engagé dans cette voie. Ainsi, depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, le code pénal prend mieux en considération, dans son article 222-22-3, la particulière gravité que représentent les viols et agressions sexuelles sur les jeunes mineurs, plus encore lorsqu'ils sont incestueux.

Dans la continuité de ces travaux, la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a entretenu cette dynamique, en instituant de nombreux dispositifs attendus tant par les victimes que par les acteurs de la protection de l'enfance.

Toutefois, ces avancées étant soulignées, il demeure des améliorations possibles, comme l'a souligné le récent rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) du 17 novembre 2023, intitulé : Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit.

Pour le dire de façon synthétique, ces améliorations s'articulent autour de quatre axes : le repérage des enfants victimes, la réparation et le soin, la prévention des violences sexuelles, et leur traitement judiciaire.

La présente proposition de loi s'inscrit dans le cadre de ce dernier axe et suit la préconisation n° 26 du rapport précité de la Ciivise. Il vous est ainsi proposé, mes chers collègues, de créer une ordonnance de sûreté de l'enfant permettant au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer en urgence, entre autres mesures, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable. Seulement, je souhaiterais aller au-delà de cette préconisation, en couvrant tout fait de violence susceptible de mettre en danger l'enfant et non pas seulement les violences incestueuses.

Bien entendu, nous savons qu'il existe déjà de nombreux moyens qui permettent aux pouvoirs publics d'agir en cas de maltraitance. Le juge des enfants peut, par exemple, émettre des ordonnances de placement. Il existe également l'assignation à bref délai, qui permet au juge aux affaires familiales de se prononcer dans l'urgence, sous quinze jours, notamment en cas de violences à l'égard de l'enfant. Enfin, citons l'ordonnance de protection et l'ordonnance de protection provisoire, dont les mesures peuvent également bénéficier aux enfants.

Nous comprenons donc que l'ajout d'un nouveau dispositif puisse poser certaines difficultés, mais il faut reconnaître que l'architecture actuelle souffre d'une forme de dispersion et qu'il n'existe pas de moyen unique spécifiquement consacré à la protection des enfants dans l'urgence, comme c'est le cas actuellement en matière de violences conjugales.

Aussi, nous avons considéré qu'il était pertinent d'envisager la création d'un nouvel outil, qui, d'une certaine manière, regrouperait tous les autres. Cela permettrait de mieux prendre en compte la spécificité de ces violences, à l'image de ce qu'avait fait le législateur en 2010, lorsqu'il avait institué l'ordonnance de protection spécifiquement consacrée aux violences conjugales. C'est sur le fondement du parallélisme avec ce dispositif que nous avons imaginé cette proposition.

Pour autant, je le répète, nous entendons que cette proposition soulève certaines difficultés. Mes échanges avec la rapporteure, Marie Mercier, ont été d'une grande fluidité et je veux la remercier de ses éclairages et de sa détermination à toujours trouver des solutions ; j'associe également Dominique Vérien à ces remerciements.

Mme la rapporteure m'a indiqué – elle vous le précisera sûrement d'ici quelques instants – que, dans leur grande majorité, les acteurs de la protection de l'enfance n'étaient pas nécessairement favorables à la création d'un nouvel outil ad hoc. J'entends leurs arguments.

C'est pourquoi je vous proposerai, au travers d'un amendement que je vous présenterai ultérieurement, non plus de créer une nouvelle ordonnance, mais plutôt de modifier le champ de l'ordonnance de protection, afin que celle-ci ne se limite plus aux cas de violences conjugales et s'élargisse aux violences faites aux enfants dans le cadre familial. Je crois que cette nouvelle approche devrait permettre d'aboutir à une forme de consensus, le temps de la navette parlementaire offrant ensuite le temps d'en parfaire la rédaction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP et UC. – Mmes Marie-Pierre Monier et Mélanie Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a un objectif primordial, que nous partageons tous : la protection de l'enfance. Cette protection repose sur un cadre juridique fourni, que nous devons nous efforcer d'améliorer, voire de parfaire.

Et nous nous y appliquons ! Rien qu'au cours de cette année, nous avons renforcé à deux reprises les dispositifs de protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences, avec la loi du 18 mars 2024, dite loi Santiago, dont j'ai été rapporteur, et, plus indirectement, avec la loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate, dite loi Chandler, dont le rapport avait été rédigé par notre collègue Dominique Vérien, que je salue.

J'ai donc commencé mes travaux avec un a priori positif à l'égard de cette proposition de loi. Seulement, le dispositif inspiré de l'ordonnance de protection qu'elle tend à insérer dans le cadre juridique actuel suscite une grande réserve, quasi unanime, chez les acteurs de la protection de l'enfance que j'ai entendus en audition. Les magistrats concernés, qu'il s'agisse des juges des enfants, des juges aux affaires familiales ou des procureurs de la République, mais aussi les avocats, les services de la Chancellerie, une partie des associations consacrées à la protection de l'enfance et même, dans une certaine mesure, la Ciivise, pourtant à l'origine de la proposition, soit y sont opposés, soit conditionnent leur soutien à des modifications tellement substantielles qu'elles dénatureraient le dispositif du texte.

Cela tient à deux raisons principales : les défauts juridiques de cette ordonnance de sûreté ; le fait qu'elle altérerait la lisibilité et l'efficacité de la protection judiciaire de l'enfance. En conséquence, il ressort des travaux de la commission des lois qu'un tel dispositif nuirait à l'objectif que l'auteure de ce texte lui assigne.

Évoquons, en premier lieu, les limites juridiques – je vais vous en exposer cinq – de l'ordonnance de sûreté, avant de rappeler les nombreux dispositifs existants.

D'abord, les conditions de saisine du JAF apparaissent non seulement inédites, mais en outre moins favorables que celles des autres dispositifs de protection de l'enfance, qui seront brièvement exposés par la suite. Par ailleurs, cette saisine n'exigerait pas le dépôt d'une plainte pénale, ce qui est contraire au devoir de protection qu'un parent doit à son enfant. Au surplus, le dispositif ne prévoit pas de sanction en cas de méconnaissance de l'ordonnance, ce qui la priverait d'effectivité. En outre, il serait permis au juge de retirer tout ou partie de l'autorité parentale et non d'en suspendre seulement l'exercice ; cette mesure, d'une particulière gravité, paraît tout à fait inadaptée à une procédure d'urgence qui ne conclut pas à une reconnaissance de culpabilité. Enfin, ce dispositif étendrait indûment l'office du JAF, à qui il n'incombe en principe pas de se prononcer sur une potentielle infraction pénale commise par un adulte extérieur au cercle familial proche.

Surtout, cette ordonnance se superposerait à de nombreux dispositifs existants, au risque de fragiliser les équilibres du cadre juridique actuel. C'est ce que je souhaite aborder en second lieu.

La protection judiciaire de l'enfance repose sur plusieurs procédures, qui sont adaptées à la situation de l'enfant présumé victime de violences.

Nous pouvons, pour simplifier, répartir les dispositifs en deux catégories principales : d'une part, ceux qui permettent d'assurer la protection judiciaire d'un enfant en l'absence d'un parent protecteur et, d'autre part, celles qui fournissent à un parent protecteur les moyens de protéger son ou ses enfants.

En l'absence d'un parent protecteur, la protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences repose en principe sur l'action du juge des enfants. Ce dernier peut, en effet, prendre des mesures dites d'assistance éducative, parmi lesquelles figurent notamment l'ordonnance de placement ou, exceptionnellement, la détermination des droits de visite et d'hébergement des parents. Notons que ces mesures peuvent être ordonnées en urgence par le procureur de la République, dans le cadre d'une ordonnance de placement provisoire. Le procureur doit ensuite saisir, sous huit jours, le juge des enfants ; au-delà des mesures qu'elle permet d'obtenir, la saisine du juge des enfants est protectrice en elle-même, grâce aux diverses garanties procédurales qui l'accompagnent et qui témoignent de la spécialisation de ce juge.

Un parent protecteur peut, par ailleurs, recourir à plusieurs dispositifs qui assurent la protection judiciaire d'un enfant présumé victime de violences. Considérons, en premier lieu, la saisine générale du JAF, ouverte à l'un des parents ou au ministère public, afin qu'il se prononce quant aux modalités d'exercice de l'autorité parentale. À cette saisine générale s'adjoint une procédure d'urgence mise en œuvre sous quinze jours, l'assignation à bref délai, qui figure à l'article 1137 du code de procédure civile. Le code civil prévoit par ailleurs la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d'instruction. La loi du 18 mars 2024 a d'ailleurs récemment étendu les motifs de cette suspension. Enfin, l'ordonnance de protection et la nouvelle ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) bénéficient par extension aux enfants en cas de violences conjugales.

L'absence de soutien des différents acteurs de la protection de l'enfance et les limites juridiques de ce dispositif expliquent donc son rejet, en l'état, par la commission des lois.

Seulement, j'ai voulu poursuivre mes échanges avec les acteurs de la protection de l'enfance et l'auteure de la proposition de loi, notre collègue Maryse Carrère, afin de dégager une solution favorable à la protection de l'enfance. Je le répète, seul l'objectif consistant à améliorer la protection des enfants a guidé nos travaux, ainsi que le signal relatif à la mise en sûreté de l'enfant. Les amendements déposés par Maryse Carrère sont le résultat de ces consultations. Ils visent, en un mot, à étendre le dispositif existant de l'ordonnance de protection aux cas dans lesquels seul l'enfant est présumé victime de violences.

Nous aurons bien entendu l'occasion d'y revenir lors de leur examen, mais permettez-moi d'observer d'ores et déjà qu'ils apportent une réponse à l'essentiel des problèmes juridiques que soulèverait l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine seraient harmonisées ; un dépôt de plainte pénale serait requis lorsque les violences concernent un enfant ; le dispositif prévoirait une sanction ; seul l'exercice de l'autorité parentale pourrait être suspendu ; l'office du JAF serait mieux respecté.

L'adoption de ces amendements permettrait donc de limiter les risques que posait initialement la proposition de loi quant à la lisibilité du cadre juridique actuel de la protection de l'enfance et du fait des défauts juridiques précités. Ils ne les évacuent toutefois pas tous : d'une part, le risque d'instrumentalisation demeure ; d'autre part, il faut assurer la stabilité du droit, demandée par l'essentiel des acteurs de la protection de l'enfance.

L'OPPI, instituée par la loi du 13 juin 2024, n'est toujours pas effective en l'absence de publication du décret d'application, ce qui devrait être fait en février 2025. Deux choses nous paraissent certaines : la première, je le répète, c'est notre attachement partagé à la protection des enfants ; la seconde, ce sont les qualités du travail parlementaire, l'exemple de cette proposition de loi l'atteste.

Nous avons pu, grâce à nos échanges, éclairés par des auditions et consultations ouvertes, auxquelles de nombreux sénateurs de divers groupes ont participé – qu'ils en soient remerciés –, souligner les défauts d'un dispositif et en imaginer un autre. Ce dernier connaît cependant encore des limites. Le travail parlementaire, notamment lors de l'éventuel examen du texte à l'Assemblée nationale, permettra de les identifier et de les corriger.

Madame la ministre, je ne doute pas de votre attention. Nous le savons tous ici, la cause des mineurs doit être traitée comme une cause majeure ; les enfants resteront notre priorité, inlassablement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Laure Darcos et M. Christopher Szczurek applaudisssent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la famille et de la petite enfance. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, madame l'auteure de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui un texte visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales.

Son auteure souhaite créer, sur le modèle de l'ordonnance de protection prévue à l'article 515-9 du code civil, un dispositif spécifique de protection des enfants victimes de violences ou de violences sexuelles incestueuses : l'ordonnance de sûreté de l'enfant. Ce dispositif s'ajouterait à ceux qui existent déjà en droit positif, tout en présentant des spécificités.

Ainsi, selon ce nouveau régime, inscrit dans un titre dédié du code civil, l'ordonnance de sûreté pourrait être délivrée dans un délai maximal de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience, « lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence susceptibles de le mettre en danger, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait, et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ».

La délivrance d'une ordonnance de sûreté permettrait le prononcé, pour une durée de six mois, de mesures provisoires restrictives de liberté, telles que des interdictions de contact et de paraître, le port d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant la géolocalisation permanente du parent violent et de son enfant, ou encore le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de l'exercice d'icelle.

L'objectif de cette proposition de loi est particulièrement louable, puisqu'il vise à améliorer la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales. Cette protection, vous le savez, est une priorité absolue pour le Gouvernement.

Je rappelle à ce titre que, le 20 novembre 2023, un plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour la période 2023-2027 a été lancé, qui s'articule autour de vingt-deux actions tendant à améliorer la prévention des violences et la protection des enfants. Dans ce cadre, le législateur, activement soutenu par le Gouvernement, a adopté la loi du 18 mars 2024 précitée, dont Marie Mercier fut d'ailleurs rapporteure pour le Sénat. Cette loi, directement inspirée des recommandations de la Ciivise, permet aux magistrats de remettre en cause plus facilement les droits parentaux du parent poursuivi ou condamné pour des faits de viol ou d'agression sexuelle incestueux commis sur son enfant.

Elle permet ainsi la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement dès le stade des poursuites ; elle crée un nouveau cas de délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale en cas de viol ou d'agression sexuelle incestueux ; et elle prévoit le retrait obligatoire de la titularité de l'autorité parentale en cas de condamnation pour viol ou agression sexuelle incestueux.

Ce texte garantit une protection efficace à l'enfant victime, en empêchant le parent agresseur de continuer à entretenir des liens avec lui et de prendre toutes les décisions nécessaires à l'organisation de la vie de celui-ci. Il rappelle, en creux – puisque le dispositif se greffe sur la procédure pénale –, que, en cas de faits délictuels ou criminels commis par un parent à l'égard de son enfant, nos règles de procédure pénale intègrent une dimension de protection de l'enfant. Ainsi, si les éléments de l'enquête confirment, à l'issue de la garde à vue, l'existence d'indices graves et concordants ou la caractérisation des faits commis, le parent mis en cause peut être placé sous contrôle judiciaire, voire en détention provisoire, permettant son éloignement et la protection de l'enfant.

Par conséquent, c'est la procédure pénale qui doit, en première intention, permettre d'assurer la protection de l'enfant victime. Il me paraît fondamental de le rappeler, au regard de la gravité des faits, pour lesquels le dispositif soumis à la discussion aujourd'hui est prévu.

Bien que je comprenne et partage bien entendu la volonté de toujours mieux protéger nos enfants, il ne me semble pas que cette proposition de loi puisse contribuer à atteindre cet objectif. Le dispositif qu'elle crée, sur lequel je me dois d'émettre d'importantes réserves, est en effet moins efficace que le droit existant.

Je m'explique.

Lorsque l'enfant est victime de violences physiques ou sexuelles de la part de l'un de ses parents, indépendamment de la procédure pénale qui devrait être engagée sans délai au regard de la nature des faits, tant le juge aux affaires familiales que le ministère public chargé des mineurs et le juge des enfants, spécialisés dans la protection des enfants en danger, peuvent d'ores et déjà intervenir en urgence, et parfois même sans délai. Quant à l'autre parent, qui est le premier protecteur de l'enfant en tant que titulaire de l'autorité parentale, il peut déjà saisir le juge aux affaires familiales en urgence, dans le cadre de la procédure de l'assignation à bref délai, qui permet d'obtenir une date d'audience rapidement, et même en extrême urgence dans le cadre de la procédure de référé, qui permet, elle, d'assigner à heure indiquée, y compris les jours fériés ou chômés.

Ces procédures permettent au juge aux affaires familiales d'attribuer provisoirement la jouissance du logement familial au parent protecteur, exactement comme il est proposé de le faire au travers de cette ordonnance de sûreté, et ce dans un délai beaucoup plus rapide, avec le référé d'heure à heure.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où les violences commises sur l'enfant s'inscriraient dans un contexte de violences intrafamiliales avec des violences au sein du couple, l'ordonnance de protection délivrée au parent victime de violences profite également à l'enfant. Dans ce cadre, le juge aux affaires familiales peut prononcer des interdictions de contact entre le parent et l'enfant, et peut statuer sur l'exercice de l'autorité parentale et le sort du logement familial.

De leur côté, le procureur de la République ou le juge des enfants ont déjà la possibilité de prendre, sans délai et à toute heure du jour et de la nuit, au besoin avec le concours de la force publique, une ordonnance de placement provisoire qui permet d'extraire immédiatement l'enfant de son domicile sans débat préalable. Le cas échéant, l'enfant peut être placé chez l'autre parent et les droits de visite et d'hébergement du parent agresseur peuvent être réservés. L'enfant est ainsi immédiatement protégé.

Vous l'aurez compris, en permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur l'exercice de l'autorité parentale et le sort du logement familial, et au procureur de la République ou au juge des enfants d'extraire immédiatement l'enfant de son milieu familial, notre droit dispose déjà d'un arsenal juridique efficace pour protéger en urgence l'enfant victime de violences intrafamiliales. Ainsi, confier au juge aux affaires familiales une compétence concurrente à celle du juge des enfants, qui est le juge naturel en matière de protection de l'enfance, conduirait à une perte de lisibilité de notre organisation judiciaire.

Ce sont ces éléments de réflexion que nous devrons avoir à l'esprit lorsque nous examinerons les amendements, dont celui de Mme Carrère, qui ont pour objet d'étendre, en remplacement du dispositif de l'ordonnance de sûreté, le dispositif de l'ordonnance de protection, lorsqu'il paraît vraisemblable que l'enfant a subi un viol ou une agression sexuelle incestueux ou des faits de violence de la part de l'un de ses parents ou de l'un de ses beaux-parents, en cas de cohabitation.

Je comprends que ces amendements visent à corriger certaines difficultés rédactionnelles et procédurales du texte initial et c'est positif, car notre droit, en particulier lorsqu'il s'agit de protéger les victimes les plus vulnérables, doit être clair et efficace. L'enjeu est trop important.

Les critères sur lesquels reposerait le prononcé d'une ordonnance de sûreté manquent d'objectivité, qu'il s'agisse de la condition selon laquelle « il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise » ou de celle selon laquelle la commission des faits jugée vraisemblable doit être « susceptible » de mettre l'enfant en danger. Par ailleurs, en ce qui concerne le dispositif électronique mobile anti-rapprochement, qui est l'une des mesures de l'ordonnance de sûreté proposée initialement, la rédaction nécessite des éclaircissements, car elle laisse entendre que tous les mineurs pourraient en bénéficier, alors même que ce dispositif nécessite d'en comprendre pleinement le fonctionnement et que sa généralisation pourrait mettre les enfants en situation de conflit de loyauté.

Enfin, le texte cite, parmi les effets de l'ordonnance de sûreté, la possibilité pour le juge aux affaires familiales de retirer la titularité, et non le simple exercice, de l'autorité parentale. Je rappelle que cette prérogative est en principe confiée non pas à un juge seul, statuant dans l'urgence, mais à un tribunal composé de trois juges, en raison de la gravité de cette décision.

Tous ces arguments m'amènent à exprimer des réserves importantes sur ce texte, et ce malgré, encore une fois, le but plus que louable qu'il vise et auquel je m'associe. De façon éloquente, Mme la rapporteure de la commission a noté que la Ciivise elle-même avait exprimé d'importantes critiques à l'endroit de ce texte, preuve s'il en est que ce dernier ne peut malheureusement pas atteindre les objectifs qui lui sont fixés et auxquels adhère le Gouvernement.

L'amendement de Mme Carrère a pour objet d'éviter ces écueils, en se référant au cadre procédural de l'ordonnance de protection, avec quelques adaptations néanmoins, comme l'impossibilité de recourir à l'ordonnance provisoire de protection immédiate ou d'ordonner le port d'un bracelet anti-rapprochement.

Néanmoins, ces modifications du dispositif initial ne permettent pas de surmonter les réserves précédemment exposées. En créant, sans octroyer de moyens supplémentaires, une nouvelle procédure d'urgence devant le juge aux affaires familiales, qui se superposera à celles qui existent déjà, c'est à la lisibilité du droit et à l'accès au juge que l'on porterait atteinte.

Conservons une vision d'ensemble sur les outils existants de protection des mineurs. N'ajoutons pas de la complexité à des situations déjà terriblement compliquées. Gardons de la cohérence pour que la protection soit la plus efficace possible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la protection des enfants est une priorité absolue du Gouvernement. Après avoir souligné les difficultés que pose cette proposition de loi et les réserves qu'elle suscite, le Gouvernement s'en remet néanmoins à la sagesse de la Haute Assemblée à son sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu'au banc des commissions. – Mmes Mireille Jouve et Laure Darcos applaudissent également.)

(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)